|
|
Alif-ba-bêtisation? par Yakobi Houssa (Meknass)
«-Répète llif!, insiste l'alphabétiseur -Je ne peux… -Mais c'est facile! Ca ressemble à un bâton! explique l'alphabétiseur. -D'accord, mais si je le fais, tu vas me demander de répéter les autres lettres qui suivent.» L'échange ci- dessus est, semble t-il, authentique. Il aurait été attesté lors des premières campagnes d'alphabétisation que notre pays a connues après l'indépendance. Le «malentendu» (en 2 mots) entre l'alphabétiseur et l'adulte analphabète peut paraître anecdotique. Cependant, il peut être interprété comme un phénomène de rejet. Rien ne garantit, en effet, à un montagnard où s'arrête la «bonne» volonté de l'alphpabétiseur. Que l'on en juge par ces propos tenus par un «Fkih» devant un groupe de musulmans amazighophones: «Ceux parmi vous qui ne sauront pas parler l'arabe le jour du Jugement iront en enfer. Il faut que vous sachiez que l'arabe est la langue du paradis»(1) Entre l'anecdotique «Répète llif» et la «langue du paradis»: entre l'alphabétiseur et le prédicateur, les communautés rurales ont été soumises à une violence morale rarement dénonceé. Alors que la campagne actuelle d'alphabétisation ressemble, à bien des égards, à une «guerre de tranchées» destinée à «déloger» les islamistes de leur espace de prédilection et de prédiction que constitue la mosquée, les montagnards de l'Atlas sont pressés d'apprendre l'arabe y compris en «s'appuyant» sur leur langue maternelle(2) L'arabisation des masses rurales est présentée comme une urgence au même titre que la lutte contre la désertification. Les prédicateurs vont jusqu'à établir un lien de cause à effet entre la sécheresse et la «baisse de la foi». Le paysan marocain est triplement coupable: -coupable devant l'Etat car il ne maîtrise pas la langue nationale, - coupable devant Allah s'il ne maîtrise pas la langue sacrée, -coupable, enfin, devant Dieu et la nation car sa foi est douteuse. On pourrait être tenté de croire que tout ceci n'est que l'œuvre de quelques prédicateurs illuminés appartenant à des formations islamistes marginales. Rien n'est moins sûr car le gouvernement actuel a pris des masures on ne peut plus claires en:: -minimisant la place des langues maternelles (Arabe marocain et tamazght); -rejetant les projets de formation des enseignant en tamazight; -laissant les prédicateurs «illuminés» terroriser les communautés de croyants; -subordonnant la pratique de tamazight en classe à l'apprentissage de l'arabe standard; -refusant à l'arabe marocain (dialectal) et à tamazight le statut de langues nationales -exagérant la menace qui pèserait sur l'arabe standard; -etc. La liste est évidemment longue. Il suffit de regarder la télévision une semaine… Les programmes des deux chaînes sont plus arabistes que ceux de certains états du Golfe. L'ensemble de la nation marocaine est désormais confronté à une situation mensongère déplorable. D'une part, la langue officielle est désignée de langue sacrée. D'autre part, la même langue est présentée comme une langue menacée; une langue qui mérite par conséquence un traitement de faveur. Les prédicateurs ignorent (ou font semblant d'ignorer) que toutes les langues naturelles ont le même statut. Le gouvernement et les auteurs de la charte de l'enseignement devraient savoir que l'arabe standard est loin d'être menacé. En effet, cette langue occupe le 5ème rang mondial de part le nombre des locuteurs ( 225 millions ) . L'allemand et le français occupent le 9ème rang (125 millions de locuteurs pour chaque langue). (3) Il y a certes quelque chose d'obsessionnel dans notre rapport à la langue. Est-ce parce que nous sommes des Amazighs arabisés que nous faisons du zèle au point de nous référer constamment à un Orient mythique? TUDERT I TAYMAT
( Suite: qu'est-ce que l'alphabétisation?)
(1)-Propos recueilli en 2000 (2)- Voir la charte de l'enseignement (3)- Cf. Courrier de l'Unesco, Edition anglaise, page 21, Avril 2000
|
|