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Maroc: L’arabe officiel, emblème d’un apartheid linguistique Par: Moha Moukhlis Généralement réduite à des déclarations d’intention enrobées de rhétorique, la problématique de la place des variétés linguistiques en présence au Maroc, ressurgit continuellement en se chargeant de contenus et de significations iconoclastes, tributaires des enjeux politiques et idéologiques de la conjoncture. L’occultation délibérée, par l’élite au pouvoir, de la profondeur historique de nos valeurs culturelles et linguistiques, explique le recours à toutes sortes de dérives fantasmagoriques, de cette intelligentsia en rupture avec la réalité sociologique de notre pays. En fait, la question linguistique dans ses rapports au politique est, au Maroc – et en Afrique du Nord en général – un facteur de crise et de tensions. Le statut quo qui la génère est source de blocages multiformes, particulièrement dans le domaine du développement durable où la culture et l’identité amazighes constituent des paramètres décisifs pour tout projet ayant pour ambition d’associer au développement un ancrage culturel et identitaire. L’État marocain est toujours en quête de repères et de références. Parce que notre identité a été hypothéquée depuis «l’indépendance», notre évolution s’est trouvée enlisée dans des débats rhétoriques et théoriques, en déphasage avec la réalité socioculturelle et historique de notre pays. Le destin du peuple amazigh, sur le plan identitaire, reste toujours suspendu. Ignoré par la constitution, la loi suprême du pays, il vit à la marge, exclu du «processus de construction nationale». Les multiples lois sur l’arabisation totale de la vie publique, des institutions, des entreprises… contrastent avec le discours du pouvoir qui déclare initier la construction d’un consensus autour de l’acceptation du pluralisme. La politique linguistique officielle procède par contrainte et par exclusion: d’un côte elle impose une langue qui n’est parlée par personne et de l’autre relance l’anathème sur la langue amazighe. Et le retour périodique des lois et décrets sur l’arabisation, avec toutes les mesures répressives et radicales qui les accompagnent, témoigne de l’inefficacité de telles décisions. Inspiré par des modèles exogènes, jacobins et castrateurs, l’État marocain fonctionne comme une machine destinée à broyer le citoyen, ignorer la réalité socioculturelle et se projeter dans un construction imaginaire qui constitue la négation de ses propres fondements historiques et identitaires. L’identité nationale au Maroc n’est pas encore instituée conformément à la réalité du pays. Elle est imposée par des normes iniques et arbitraires. Et parce que cette identité est fictive, artificielle, on fut obligé de la prescrire, lui assurer une protection politique. C’est dans cette perspective que s’inscrit l’officialisation de la langue arabe. Cette langue, qui n’est pas la langue des amazighes mais la langue des arabes, a quitté son territoire normal de langue de culture, pour s’ériger en norme, une sorte de «devoir être» inscrit dans la constitution pour satisfaire un besoin politico idéologique. Or l’arabe n’est pas un caractère naturel au Maroc; c’est une langue qui fonctionne comme une «anomalie», une excroissance pathologique génératrice de dérives: arabisme, intégrisme, voir terrorisme. C’est ce qui explique toutes nos contradictions et notre situation absurde. Le premier paradoxe est la négation de la réalité: la langue amazighe est combattue par «devoir national». L’authenticité est objet de suspicion et l’exogène a toutes les légitimités officielles. L’arabe est érigé en impératif linguistique conçu pour justifier un problème politique «arabe». L’illégitime est «légalisé» au détriment du vécu. L’arabe étant la langue officielle, la politique officielle œuvre pour «ratisser» toutes les données qui contredisent cette hypothèse: l’arabe étant «leur» langue, les amazighs n’existent qu’en tant qu’anciens arabes et leur histoire et culture ne peuvent être qu’arabes. L’officialisation de l’arabe a entraîné une politique linguicide et ethnocidaire: inventer tout, créer un peuple artificiel ex nihilo, et face à toute manifestation de l’amazighité: réprimer par tous les moyens. Il fallait métamorphoser et défigurer l’environnement linguistique de la «langue officielle» et l’adapter à cette dernière: interdiction des prénoms amazighs, changement des toponymes amazighs, humiliation systématique des amazighophones, marginalisation de leurs zones… Et dans le cadre de cette politique «nationale», notre pays ressemble à un vaste champ de fleurs en plastique: l’arabe devient ce décor inerte, inodore et incolore, froid et morbide, le verni qui cache la réalité amazighe. L’arabe, je veux dire l’homme et la langue, s’accapare le champ de la légitimité et de la souveraineté. Il fonde une politique raciste, ségrégationniste: un apartheid linguistique. Inscrit dans la constitution, l’arabe est langue et citoyen à part entier. Il ramène tout à l’ordre unique de la parole – de la langue – autorisée, par le mépris et la contrainte. Cette situation absurde s’explique: dans le pays et les sociétés démocratiques, la pluralité linguistique est officialisée. La constitution est le reflet de la réalité. Au Maroc, les fantasmes politiques priment sur la réalité. D’où l’incohérence par rapport au réel. Le Maroc a théorisé une fiction. Dans les sociétés démocratiques, il s’agit de théoriser ce qui est advenu, le réel en fait. Au Maroc, on a spéculé sur ce qui doit être, on a théorisé un relatif inconnu, on a misé sur l’improbable, l’incertain. Au Maroc, on a hypothéqué que l’État et sa langue seraient tels qu’une minorité d’émigrés se les représentent. Il n’y absolument pas du déjà accompli, mais de l’incertitude et beaucoup d’inquiétude. On a privé les amazighs de leur souveraineté, on leur a imposé des obligations contre nature, et l’obligation est synonyme d’incertitude et de contrainte. Dépourvue de toute légitimité sociolinguistique, coupée du réel, la langue arabe survie comme un poisson hors de l’eau (n’est-elle pas née dans le désert?). Et pour lui garantir un semblant de survie, on l’érigea en norme, donc en impératif sacralisé. L’arabe est érigé en langue sacrée, langue du paradis, langue de Dieu. Et l’on feint d’oublier que cette langue «divine» a besoin pour survivre, non de la protection du créateur de toutes les langues et de tous les hommes, mais de circulaires, de décrets et de décisions politiques. Divinisée, la langue arabe devient «intouchable» et les arabes acquièrent une dimension surhumaine: des hommes au dessus de tous les hommes. L’arabe est devenu un dogme inviolable qui se confond avec les cinq piliers de la religion musulmane. Pourtant, l’arabe ne peut contribuer à l’institution du national, dans le cadre étatique, car il repose sur la négation du véritable national: la langue amazighe. L’arabe n’est pas source de cohésion, c’est un facteur de tension, un moyen et un vecteur de la domination. D’apport historiquement daté, l’arabe est devenu une maladie endémique qui a pour nom: l’arabisme ou l’intégrisme. La négation de la langue amazighe se pose désormais en termes politiques. La conception monolithique de la souveraineté par l’État, qui se veut arabe et exclusivement arabe, engendre la contestation de l’ordre linguistique unique et inique de la parole – de la langue – imposée. Tel qu’il est inscrit dans la constitution, l’arabe se présente dans un rapport d’opposition à l’amazigh. Ce serait une erreur de croire que le problème linguistique au Maroc relève de la diglossie, d’un double registre linguistique. Bien au contraire, il s’agit d’un conflit linguistique et d’un problème constitutionnel. En instituant l’arabe comme langue officielle, pour satisfaire Damas et Ryad, c’est la dimension politique de la langue qui est en jeu. Car il ne s’agit pas de la langue des fables, des contes et des joutes poétiques, mais de la langue de l’administration, de la justice, des médias… Peut-on justifier l’institutionnalisation d’une langue qui soit autre chose que celle des citoyens et de la société? Dans notre pays, le conflit est lié au divorce entre le vécu et l’utopie institutionnalisée: l’arabe est la langue de personne. Son apprentissage passe par la contrainte scolaire. Son statut officiel est une pure hypothèse politique. Et parce qu’elle est dopée par des budget faramineux, puisés des impôts payé par les amazighes à l’État, l’arabe a dégénéré en obsession a faire valoir par tous les moyens. Elle a engendré l’arabomania et l’islamo intégrisme. L’État se retrouve face à ses contradictions, il récolte les fruits qu’il a semés: s’il pense juguler l’arabisme, en raison de l’échec de ce dernier et sa déroute au niveau international, l’islamo intégrisme que l’arabisation sauvage et à outrance à enfanté, est devenu pour lui une source d’inquiétude et potentiel de déstabilisation. L’idéal démocratique en matière de politique linguistique serait que le peuple amazigh détermine, à partir de sa langue matricielle, qui doit être officialisée sans aucune réserve, le statut de l’arabe et des autres langues en présence. C’est tamazighte qui est la langue du peuple et qui permet une association harmonieuse entre le réel et la loi suprême: la constitution. Tamazighte est source de cohésion et facteur d’unité. L’arabe est coupé du réel, il est source de divisions et de conflits. Tamazighte, langue vivante et naturelle du peuple amazighe a reçu le statut constitutionnel de l’absent. L’arabe, langue des arabes, est officialisé pour satisfaire un phantasme idéologique morbide. Que l’on prenne ces faits au sérieux et que le peuple amazighe devienne maître de son destin et de son pays. La conséquence fondamentale de cette situation ubuesque réside dans la subordination explicite et officialisé de l’amazighe à l’arabe, sur tous les plans. La supériorité de l’arabe – et des arabes – est ostensiblement affichée. L’État marocain pratique un racisme déclaré et une ségrégation entre ses citoyens. Le statut «absent» de l’amazighe dans la constitution se répercute sur ses dépositaires. L’enseignement de l’amazighe souffre d’un vide juridique qui laisse place à toutes les interprétations: l’amazigh est-il enseigné comme langue étrangère, seconde, maternelle …?. Les textes du Ministère de l’éducation reste silencieux sur ce point. On ne sait pas non plus quel est le statut pédagogique de l’arabe: ce n’est pas une langue vivante, elle ne peut donc être enseignée en situation et son apprentissage aboutit à un usage rhétorique artificiel: l’arabe est appris pour être écrit et lu. Il n’est pas parlé. Les responsables officiels, les ministres, les députés «de la nation» ont tous le ton de la rhétorique et nous parlent une langue de bois. Ainsi, l’hypothèse adoptée par le pouvoir qui a misé sur l’arabe comme langue officielle, nous a conduit à des échecs multiformes, pire, elle est la source de maux et de dérives qui, si un changement de cap n’est pas opéré, si l’amazighe n’est pas langue officielle inscrite dans la constitution, risque d’hypothéquer, mais sérieusement cette fois-ci, notre devenir. A moins que ce ne soit le but recherché par ceux qui veillent sur la destinée de notre pays. Pour le moment.
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