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La cause amazighe entre la culture et le politique Dirions-nous comme toujours, c'est la faute des autres? Par: Arav Benyounès (Canada) Pour ma part, je considère qu'il est important de prendre en considération ces deux concepts (culture et politique), mais tout en les distinguant clairement. La culture est un tout pour un peuple (langue, traditions, mode de vie…). En tant que véhicule de l'identité d'un peuple, elle doit demeurer en tout temps une référence à l'Histoire. En un mot elle est la racine de l'identité en même temps que l'Histoire. Quant à la politique à mon avis elle ne doit être qu'un support et non un véhicule pour la culture. Mélanger et confondre ces deux concepts est à mon sens très dangereux pour l'avenir et le développement de la cause amazighe. La confusion qui règne dans les pays de Tamazgha (Maghreb) fait que les conditions d'épanouissement de la culture sont loin de lui assurer une réussite à court et à moyen terme, surtout sur le plan politique. D'ailleurs, même le débat est morcelé: d'un coté les amazighophones et de l'autre les arabophones. Nous les imazighen en général, nous doublons nos efforts sur plusieurs plans pour expliquer au monde entier notre situation «d'opprimés» et l'ostracisme dont est victime notre langue. À force de contempler que notre nombril, on oublie, pour ne pas dire on ignore ceux qui nous entourent: les arabophones. S'agissant de culture et de politique, on oublie même que la langue de communication de la majorité des imazighen à l'indépendance des pays de Tamazgha: le français, est déclassée par la langue arabe, surtout chez la génération d'indépendance, une raison de plus d'ouvrir les yeux pour voir avec qui nous vivons et vivrons à l'avenir. On ne peut ignorer la majorité des arabophones avec que nous cohabitons et cohabiterons dans le futur: ceci est une réalité: (cohabitation au travail, dans la vie quotidienne, dans certains engagements, dans les mariages mixtes, etc.). J'ai bien peur que pour les besoins d'un aveugle, nous lui avons offert une bague, plutôt que la vue. D'ailleurs à Tamazgha, en dehors de certains cercles d'amis intellectuels, la question de la culture reste un tabou, quant au politique, il est devenu un outil de marchandage. Pour la culture amazighe, sur le plan politique on est très loin d'aborder son statut juridique, éducationnel, institutionnel et son rapport avec l'autre langue: l'arabe. Il est important de prendre le contrôle de cette culture amazighe à Tamazgha (Maghreb), mais dans un cadre d'inclusion et non d'exclusion de la culture arabophone. Dans le cadre de l'orientation de la revendication de la culture, cette dernière doit être un art de vivre, contrairement au politique qui est un art du compromis. L'exemple de la Kabylie en est un des forts: c'est la culture qui a enfanté la politique. Pour être conséquent, il faut prêcher par l'exemple. En réclamant la séparation de la religion de l'État, il est temps de retourner à l'origine qui nous a jamais trompé: séparer la culture du politique. Ceci dit, le politique peut faire de la culture, mais il ne peut faire de la politique avec de la culture. Quand nous faisons de la culture, la cause avance, mais depuis que la politique utilise la culture, nous avons stagné, pour ne pas dire reculé. Sur le plan politique, plusieurs exemples nous invitent à la prudence. Aucun dictateur, aucun régime n'a pu être ébranlé, encore moins être renversé par une minorité aussi forte et aussi «unie» soit-elle. Par contre, la force d'une solidarité dans le cadre du respect de la différence peut arriver à ouvrir les chemins de la liberté vers la démocratie. Une culture qui veut vivre et retrouver sa place sur un échiquier de surcroît national, elle ne peut y arriver si elle ignore celle qui compose l'autre partie de l'échiquier national. Pour être un peu plus clair, l'avenir de la culture amazighe est dans sa capacité de reconnaître la culture arabophone, et de pouvoir cohabiter avec elle et vice versa. Il est important et primordial de faire la différence entre la culture arabe et l'idéologie arabiste. Un citoyen arabophone n'est pas forcément un citoyen arabo-islamo-baâthiste. Une des raisons importante est que la culture, c'est la défense d'une historicité et d'une identité, donc elle n'est pas sujet au compromis, ni à soumettre à un référendum, par contre la politique est faite de compromis, elle n'a qu'un seul avantage, mais oh! combien important: c'est un système de dialogue, et il ne faut jamais refuser ou être contre un dialogue. Ne dit-on pas que les débats font avancer les choses et les améliorent. Entre culture et politique je dirais: Win iran Tamazight, ad yissin tira-s Celui qui désire Tamazight, apprend son écrit Win iran tasartit, ad yeddu tt h'ila-s Celui qui désire la politique, embarque dans sa malice. Les gouvernements de Tamazgha (Maghreb) orientent leur politique pour faire perdurer l'incompréhension des deux communautés: amazighophone et arabophone. Nous amorçons le troisième millénaire, il est donc important et primordial de ne pas trop dormir sur le passé. Sortons parmi nous aujourd'hui des Masinisa et des Yugurten de notre siècle. Nous savons tous que pour les imazighen sérieux et honnêtes dans leurs engagements, il n'y a aucun doute: la réussite est dans la solidarité de tous les peuples de Tamazgha dans le respect mutuel et le droit à la différence. Moi de mon coté, cela fait longtemps que j'œuvre en ce sens. Depuis les indépendances des pays de Tamazgha, pas ou peu de travaux de réflexion ont été fait pour le rapprochement des deux communautés amazighophone et arabophone dans le cadre de la culture et du politique. En dehors d'une certaine fierté mal placée, il est possible de débloquer la situation. Il n'y a que ceux qui ont des intérêts personnels à perdre qui craignent ce rapprochement entre les deux communautés. Vivre en harmonie avec son voisin et son compatriote ne peut qu'être bénéfique. Cela engendre la tranquillité et la paix, qui à leur tour nous donnent la stabilité de la culture et de la politique. C'est dans ce cadre que la culture marie enrichissement et la politique marie le développement. Tous deux nous donnent les clefs qui ouvrent la porte de la modernité. Bien sûr ça ne sera pas facile. La tâche sera par moment titanesque, mais si toutes les bonnes volontés s'y mettent, nous déplacerons les montagnes. Le mouvement associatif peut et doit jouer un rôle important dans le développement positif de la culture et de la politique. Il faut développer des politiques de rapprochement et d'intégration des communautés entre-elles. Cette démarche à elle seule ne suffira pas, mais elle aura l'avantage de briser le jeu de désunion entretenu par les gouvernements de Tamazgha (Maghreb). Il est clair que de nos jours les gouvernements des pays de Tamazgha vivent dans la crainte de l'évolution de la cause amazighe. D'où toutes les forces politiques établies en ces pays jouent la carte de la différence des deux communautés: amazighophone et arabophone pour diviser les peuples de Tamazgha (Maghreb). Il faut s'opposer à cette logique de division et de rupture provoquées. Cela sous-entend que pour y arriver, la reconnaissance de la culture et de la politique des uns et des autres ne peut être à sens unique, elle doit être mutuelle, car elle est réelle. Il faut prêcher par l'exemple. Donner pour recevoir en retour, c'est la loi de la sagesse. Nous devons débattre et accentuer les concepts de culture et de politique, car ils intègrent et prennent en considération tous les sujets. D'ailleurs, depuis plus de 50 ans les gouvernements des pays de Tamazgha (Maghreb) utilisent les mêmes techniques et moyens pour diviser les peuples: répression, récupération, emprisonnement, reconnaissance des uns (les arabophones), refus à l'existence des autres (les amazighophones)… Au Maroc, comme en Algérie les dirigeants arabo-islamp-baâthistes soutenus par des imazighen de service, veulent nous berner et nous aveugler avec des instituts amazighs aux responsabilités limitées et liées. Dans ce cas précis, voyez-vous la responsabilité n'incombe pas seulement à l'autre! Au Maroc, les instances de l'institut amazigh ont réussi à imposer la transcription originelle de l'alphabet amazigh (Tifin Nnegh). Faut-il se plaindre, le rejeter ou s'en réjouir? J'ai constaté que la réprobation est plus forte que l'approbation, surtout du coté des amazighophones d'Algérie. Or dans ce pays contrairement au Maroc, le débat n'est pas encore amorcé. Inconscient on se complaise dans une situation floue, mais que l'on considère acquise. Cette situation semi-confortable, telle une «bombe à retardement», elle peut éclater et devenir une crise majeure au mauvais moment. Un moment que je crains nous sera plus défavorable que favorable pour avoir laissé la situation ambiguë et floue perdurer. Là aussi, quelle sera notre réaction? La responsabilité n'incombe pas seulement à l'autre! Blâmer les autres comme nous sommes habitués à le faire depuis trop longtemps maintenant? Il est vrai que le choix de la transcription de l'alphabet est important et primordial, mais faut-il pour autant arrêter tout et s'adonner à d'interminables discours et débats qui détruisent l'unité plus qu'elle ne rassemble les énergies et les bonnes volontés. Pour le moment, moi je dirais la clé de la réussite est dans la production en Tamazight, peu importe la transcription. D'ailleurs je suis convaincu que la transcription la plus utilisée et la plus pratique pour produire finira par s'imposer. Ne dit-on pas que la langue appartient à ses locuteurs? Un peu comme la langue vernaculaire. En Algérie par exemple, la génération de l'indépendance continue à utiliser le français académique, car elle est persuadée que la langue française est encore forte dans ce pays, or dans le quotidien de la nouvelle génération, elle est largement déclassée par la langue arabe. Il suffit de regarder la réalité des gens pour s'en rendre compte. À Tizi-Ouzzou par exemple, on ne dit plus Tanemmirt, encore moins Merci, mais Nmmartek…etc. À qui incombe la responsabilité? Dirions-nous comme toujours, c'est la faute des autres? Pour terminer si la cause amazighe avance lentement à Tamazgha (Maghreb), et ce grâce à d'énormes sacrifices humains, à l'extérieur de ses frontières, c'est-à-dire en occident où une forte communauté d'imazighen vivent, elle est loin de répondre aux attentes malgré les moyens et le potentiel dont elle dispose. Je dis communauté pour ne pas employer le mot «diaspora», car ce dernier mot sous-entend la présence d'une maturité à certaines épreuves. Pendant nos inerties, nos chicanes personnelles et notre rejet mutuel même le problème du Sahara Occidentale sera le pont qui unira les arabo-islamo-baâthistes du Maroc et d'Algérie sur le dos des Imazighen. Dirions-nous comme toujours, c'est la faute des autres? Au Canada par exemple où je vis présentement, une communauté peut être reconnue rien que par l'importance de l'identification de ses membres comme telle, or quand on consulte les statistiques canadiennes pour identifier les communautés de Tamazgha (Maghreb), on se trouve en face d'une multitude d'identification: arabe, kabyle, amazighe, berbère... **Au Canada pour le commun des mortels toutes ses communautés sont des «ethnies» différentes les unes des autres. À qui la faute? À qui incombe la responsabilité? En France, les imazighen de Kabylie ont fait couler beaucoup d'encre sur leurs mécontentements à cause du silence du Président Jacques Chirac à propos de la répression en Kabylie, lors de son dernier voyage en Algérie. **La communauté Kabyle forte de près de 1,5 millions de membres en France n'a pas été capable de former un bloc pour un lobbying de pression. À qui la faute? À qui incombe la responsabilité? De toutes les façons, les imazighen en général depuis les temps anciens rejettent toujours la responsabilité sur les autres, même quand le grand Masinissa a tué Sifaks pour lui prendre son État et sa femme, c'est la faute aux romains. Quand Yugurten a tué de sang froid ses deux frères adoptifs pour leur ravir leur État, c'est aussi la faute aux romains. Juba II était un grand savant, mais toute sa vie au service de Rome, vous ne voyez pas de nos jours des Imazighen à l'image de Juba II au service d'autres. C'est la faute à qui? Quand Kahina (d'ailleurs on arrive même pas a s'entendre sur son vrai nom: Dihya Damya Kahina) a ordonnée elle-même à ses enfants de se convertir à l'Islam: c'est aussi la faute des arabo-musulmans. Quand Abdelkrim El-Khettabi est emprisonné, ensuite forcé à l'exil et que Abane Ramdane et Ben Berka ont été enlevés et assassinés avec la complicité des imazighen, c'est aussi la faute des espagnols, des arabo-musulmans et des français. Plus près de nous, quand Matoub Lounès a été assassiné par la complicité des siens, c'est aussi la faute des arabo-musulmans. Même en France, quand la «diaspora» est incapable de jouer dans la cours des grands du Show Bis, elle annule le spectacle, et rejette la responsabilité sur d'autres (sans les nommer, comme d'habitude: les imazighen sont champions de l'anonymat: une faiblesse qui bourgeonne à toutes saisons chez nous). Ces étrangers qu'on accuse depuis la nuit des temps demeurent chers aux Imazighen: Il suffit qu'ils prononcent le mot Berbère pour qu'ils soient adulés. Leurs écrits sont devenus des bibles des imazighen en autant que deux ou trois lignes leurs soient consacrées. D'ailleurs, des livres sur Tamazgha (Afrique du Nord) édités il y a vingt et cinquante ans, et parfois plus sont inconnus de tout le monde. Dès que ces livres sont réédités avec des titres au mot Berbère, les imazighen se les arrachent. Pour les Imazighen qui écrivent, soit ils sont ignorés, soit ils sont dénigrés, soit ils sont très critiqués surtout par ceux qui font rien. D'ailleurs, comme l'a signalé dans le journal Izuran de Juin 2002 le poète-écrivain Hamid Mezaoui:«La production en Tamazight ne trouve pas de lecteurs». Les imazighen font Tamazight en Français, en Arabe et en Anglais, mais rarement en Tamazight. Lors d'une de mes interventions en France en Tamazight dans un débat sur l'autonomie de la Kabylie en 2002, les conférenciers eux-même (qui sont des spécialistes de Tamazight: selon eux bien-sûr) me demandent de traduire en Français à défaut d'intervenir dans la langue de Molière. À qui la faute? - À qui incombe la responsabilité? On se dit amazigh pour se différencier. Se différencier de qui? des arabes! oh! non, là je ne suis pas d'accord, car souvent nos comportements et les leurs n'ont rien de différents sur plusieurs points. Mais nous avons la «parlotte», la langue «fourchue» pour convaincre, du moins se convaincre soi-même. Faire un travail sur soi-même et accepter ses défauts et ses insuffisances est plus difficile que n'importe quel travail d'Hercule. La colombe inter-amazighe est assassinée. À quand sa ressuscitation? Un dernier mot; malgré ce point de vue alarmant, je demeure tout de même très optimiste, car je suis persuadé que le nouveau millénaire sera le siècle des cultures. Je suis persuadé aussi que ceux qui oeuvrent honnêtement et avec le cœur pour Tamazight, finiront par atteindre leurs objectifs. Les nouvelles générations et l'Histoire en seront témoins. Le retour aux sources devient pour la majorité des peuples incontournable pour se retrouver soi-même, faire face à ceux qui assassinent les cultures et surtout à la sauvagerie de la société technicienne qui écarte l'Homme. Arav Benyounès (écrivain Canada) Contacter l'auteur: Taralsan@sympatico.ca Visiter son site web: http://aravbenyounes.ifrance.com
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