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Tanger: un toponyme amazigh (1ème partie) Par: Mohammed Serhoual (Bu-iseghwane) «Voler son langage à un homme au nom même du langage, tous les meurtres légaux commencent par là» (Roland Barthes). «La toponymie peut parfois nous apporter des renseignements beaucoup plus précis et complexes que la simple trace d’une langue et d’une communauté disparuues: elle nous aidera à cerner les mouvements de populations». (Jean-Louis Calvet). N’étant ni mythologue, ni historiographe, je vais tenter une approche du nom de Tanger d’un point de vue toponymique, ville du littoral et ville de passage, située au nord – ouest du Maroc, cette colombe perchée sur l’épaule de l’Afrique comme dirait Henri Montherlant, à quelques kilomètres de la péninsule ibérique1. Toponymie, diachronie et comparatisme sont complémentaires et seront menés de front, l’apport des disciplines connexes étant salutaire. Dans cette approche, j’examinerai les différentes réalisations du toponyme tout en essayant d’en suivre l’évolution, compte tenu de l’influence des peuplades qui sont venues s’installer dans cette ville. Pour circonscrire notre étude dans un cadre qui est celui l’histoire événementielle, passons en revue ces quelques dates-repères afin de suivre grosso modo l’évolution historique de la ville: Phéniciens: 450 av. J.- C.; Romains: de 146 av. J.-C. jusqu’à 439 ap. J.- C.; Vandales: 439 - 533; Byzantins: 533 – 647; Arabes: 707 ap. J. -.C. , un gouverneur omeyade fut nommé à Tanger en l’An 1000 et quelques; Invasions hilalliennes:1050; Les Portugais à Ceuta et à Tanger en 1415; Les Espagnols à Melilla en 1497; Arrivée massive de réfugiés andalous au Maghreb aux XVIème et XVIIème siècles; Les Anglais à Tanger de 1662 à 1684 et en 1829 et de 1845 à 1886; Les Français en 1832 et en 18442; les Espagnols en 1912, en plus d’autres communautés étrangères venues s’installer à Tanger ( Italiens, Américains, Allemands, etc.). Lorsque Tanger eut accès au statut de zone internationale de 1923 à 1956, elle devint une ville cosmoplite, un pôle d’attraction ayant séduit peintres et écrivains de tout poil. Malgré ces dates, il n’est pas aisé d’affirmer laquelle des trois dénominations - américaine, française ou espagnole - qui prime, après Tanja, en arabe. Les topnymes traités sont relevés dans d’autres pays du Maghreb (Tamazgha); ils appartiennent donc, de manière générale, à la même aire de civilisation, et ils ont été colonisés: le Maroc, l’Algérie et la Tunisie pour ne citer que ces trois pays nord-africains. Pour plus de cohérence, nous incluerons d’autres toponymes qui seront traités par petits groupes formant ainsi des micro - systèmes; ainsi la prégnance de la toponymie endogène sera mise en avant, elle fonctione comme argument à l’appui. Ces noms de lieux sont groupés selon des similitudes globales. La comparaison est d’autant plus utile dans la mesure où elle pallie la rareté des documents écrits; elle tient lieu de diachronie qu’on pourrait qualifier de spatiale, étant donné que les toponymes se caractérisent par une constance plus ou moins stable, ce qui constitue un témoignage en faveur de notre approche; ainsi, faute de diachronie, la comparaison rend service, elle est une espèce d’artefact, d’où l’éloquence de la toponymie qui parle d’elle – même et qui nous parle.Les définitions des deux concepts, diachronie et toponymie, sont présentés brièvement: La diachronie, selon Dubois (1 973: 146) est l’ étude des faits de langue dans leurs succession, dans leur changement d’un moment à un autre de l’histoire… Toute étude diachronique est une explication du système synchronique et les faits diachroniques sont les changements subis par la langue. La diachronie est aussi la succession de synchronies… La toponymie est définie par le même auteur (1 973: 490) comme la partie de la linguistique3 qui s’occupe de l’origine des noms de lieux, de leurs rapports avec la langue du pays ou des langues disparues d’autres pays, est la toponymie. La matière est généralement divisée selon la géographie (il existe des spécilistes des noms de fleuves, des noms de montagnes, des spécialists aussi de telle region. La principale constatation de la toponymie sur un plan general est le peu de rapport qui existe entre les noms des lieux d’un pays et les la langue du people qui l’habite. On explique cela par la forte résistance des substrats dans ce domaine.C’est ainsi que, le sort malgré le sort qui a été reserve aux Amérindiens, la plus grande partie des noms des Etats, aux Etats - Unis sont d’origine indienne (Orgon, Massachusetts, Minnesota, Mississippi, Missouri, etc.). Pour Calvet (1974: 105),la toponymie est sans doute le substrat le plus résistant aux strats succesives de langues qui se suucèdent ou se déglutiissent en un point particulier du globe. Rappel: Les toponymes masculins, font partie du système de la langue amazighe, ils se comportant comme des nominaux, ils sont à initiale vocalique: -a-: azru, arfud, amasin (hydronyme4, Rif) - i- : ifran , imuzzar, imi n tanut -u-: ulmas, comme les nominaux,les noms de lieu en u-sont réduits par rapports aux précédents. La structure des toponymes féminins est comme suit: t----t tafersit, tiffelt, tunfit, ils portent généralement la marque du féminin au début et à la fin comme: TazaÄin, ÃizØuØin, Tittawin , Taliwin. Ces noms de lieux marocains existent en milliers. Nous allons les présenter par familles de mots, en les groupant selon la racine, porteuse du sens lexical fondamental. Nous précéderons par extension toponymique en intégrant des noms de lieux semblables, géographiquement proches ou lointains, abstraction faite des dérivations lexicales, avec des schèmes différents. La racine s’encastre dans un ou plusieurs schèmes, elle est sujettes à des altérations phonétiques au niveau de la structure superficielle. Donc, en plus de l’érosion interne des racines, les noms de lieux sont victimes de distorsions, de manipulations par la langue d’autrui. La suppression pure et simple de certains toponymes de la carte géographique d’un trait de plume est un cas limite. L’onomastique, aidant, pourrait être intégrée dans cette étude, c’est pourquoi nous ferons également appel à quelques anthroponymes, mais c’est la toponymie, en général, qui nous sera d’un plus grand secours. Elle est une mémoire à cheval sur la géographie et sur l’histoire, elle concerne l’espace et le temps, deux concepts philosophiques omniprésents. La spatialité est concrète, visible, elle est là, toujours à sa place. Le Maroc occupe toujours le même espace, il existe toujours en Afrique du nord et nulle part ailleurs, depuis que le monde est monde; il en est de même pour Tanger, seules les transformations apportées par la main de l’homme agissent et peuvent enlaidir la ville et la détourner de sa vocation. L’histoire, quant à elle, est absrtaite et fluide, cette fluidité l’entache souvent d’exactions, d’idées préconçues, d’a priori et de préjugés, elle obéit à l’idéologie qu’elle sous-tend. L’histoire comporte des versions apocryphes, elles peut subir des distorsions; des verbes comme allonger, raccourcir, occulter, exhiber sont monnaie courante; l’histoire cultive un discours pompeux ou allusif, opaque et occulteur. L’histoire officielle du Maroc est à revoir sinon elle est à refaire, une histoire d’élite faite par elle et pour le maintien d’un statu quo. Elle est le lieu d’un certain nombre de figures de rhétorique comme l’emphase, l’enflure, la troncation, l’ellipse, etc. Contrairement à la géographie, elle est neutre et impartiale, l’histoire est porteuse de l’empreinte de l’ idéologie dont elle se réclame.Repères: La mythologie gréco–latine signale que Tanger est une ville fondée par les Romains; cette référence aux Romains est donnée par les encyclopédies, les dictionnaires des noms propres et les ouvrages de vulgarisation. Sa fondation est l’œuvre de divinités comme Tangis et Antée, géant de Posédion de Gaïa. La ville doit son nom, dans ce cas de figure, à Tingis ou Tinga en l’an 4 000 av. J.- C., une ville mythique dotée du jardin des Hespérides. L’existence du toponyme remonte à la période punique, donc bien avant l’arrivée des Romains. Durant l’époque phénicienne, Tanger , jalouse de sa souverainté, fut déjà autonome et battait monnaie; aussi, faut –il signaler que la ville quelle était déjà en contact avec la civilisation espagnole qui remonte au néolitique (cf. Camps 1995: 275 et 300). M. Toufuq (1991: 34) est du même avis, lorsqu’il affirme que le toponyme tinga figurait déjà sur la monnaie punique; la numismatique antique est un argument qui milite en faveur de cette appellation endogène; donc, la ville est d’une création autochtone, elle remonte à l’époque libyenne, le terme libyen est un ancien ethnonyme des ancêtres directs des Imazighen.Les ouvrages d’histoire ancienne font mention de la Maurétanie Tingitane au Maroc et Maurétanie Cézarienne en Algérie en se référant à la division faite par les Romains. En l’an 90 avant J.- C., la Maurétanie Tingitane faisait partie du Royaume amazigh sous le règne du roi Bogud, à l’est de la Moulouya, dont la capitale était Tingis; Bogud, roi et frère de Mastanesosus, régnait sur la Maurétanie Cézarienne, royaume qui se trouve à l’ouest de la Moulouya jusqu’en Algérie avec Iol comme capitale; royaume que les deux rois, Bogud et Mastanesosus, héritèrent de leur père, Bocchus, selon Mme Halima Ghazi- Ben Maïssa (2002: 135). Hécaté de Milet, d’après Brignon [ …], cite aussi Thingé, qui est peu-être Tanger[…], mais ce dernier affirme ailleurs que les écrits ayant trait à cette période ne sont pas fiables et que Notre vision est faussée et fragmentiare. Quel crédit, dit-il , peut-on faire aux textes que nous possédons? Le plus souvent, ils sont brefs, d’interprétation très difficile: inexactitudes, légendes, mensonges calculés mêlés de vérités, mais dans quelle proportion? (cf. Brignon et aures 1986:18), donc suspicion et prudence sont les maîtres mots, et les documents qui parlent de cette période en général et de l’histoire du Maroc en particulier, doivent être maniés avec précaution. La romanisation: Walili, un nom de lieu rebaptisé Volubilis, est une ville préromaine, elle fut construite par les Maures5 si l’on se fie aux inscriptions puniques encore une fois, Volubilis existait déjà au IIIème ou IVème avant J.-C, donc plusieurs siècles avant le roi Juba II (cf. Camps 1995: 158). L’appellation endogène, donc de l’intérieur, choisie par les autochtones eux-mêmes, obéit à la structure nominale N1 de N2 , N1 ayant disparu, et N2 fait référence à alili «laurier», la semi-consonne w- marque l’état d’annexion. Ce nom de lieu est donc motivé par la flore, le laurier. Le même toponyme se trouve ailleurs dans le Rif profond , à 80 km de Nador - Est environ, sous la forme de IÄzar n uriri < ulili « Rivière du laurier » (en tarifit le r est vocalisé: r < l ); il est également repéré mais arabisé ailleurs dans la région de Ouazzane, il s’agit de Éin Dfali « Source des lauriers». Tin-ja, la-pseudo-arabe: La dénomination Tin-ja « litt. (l’) argile (est) venue» de consonance arabe et que l’on croit d’origine arabe. Elle imputée à un récit mythique. Il n’y a pas de rapport sémantique entre Tin et Tan de Tanjat, ce qui relève du non – sens aussi bien en arabe classique qu’en dialectal marocain. Le t final est la marque du féminin, résidu du démonstratif féminin tin, c’est ce que nous verrons par la suite; la dentale en question n’est jamais prononcée en dialectal marocain et rarement en arabe classique, sauf en poésie déclamatoire, mètre et rime obligent. La mythologie arabe, au sens de pure construction de l’esprit, fait référence , encore une fois, comme la mythologie gréco-latine, au déluge à Noé . Tanger serait née du déluge; l’arche de Noé serait venue s’échouer là; une colombe libérée par Noé serait revenue le bec souillé de glaise et Noé se serait exclamé: « èin jÁ !» - la glaise est venue (cf. Benjelloun 1995). Le mode utilisé est bien le conditionnel, c’est ce qui convient aux temps mythiques, le conditionnel est le temps de l’incertitude dans la langue française, le verbe serait est utilisé quatre fois dans une seule phrase. Le renvoi est invraisemblable, étant donné que, à cette époque, le dialectal marocain n’était pas encore connu au Maroc; d’autant plus que l’énoncé en question Tin-ja est une phrase verbale qui dénote une action d’aspect accompli – et non pas un nominal qui sert à la désignation – cet énoncé appartient au dialectal marocain et non à l’arabe classique, en admettant même que Noé le parlait. Cet énoncé, formé d’un nom et d’un verbe ( N. + V.), deux éléments permutables, d’où la modification syntaxique, compte tenu de cette permutabilité: ja ééin « litt. (est) venue l’argile » (V. + N.). Forme plus acceptable que la précédente conformément aux canons de la phrase de l’arabe classique6. Notons la chute du coup de glotte final (al hamza) qui est une particularité commune au phonétisme des parlers marocains. Cette appelleation est également réfutée par M. Toufiq (1991) dans la mesure où le prophète Noé ne pouvait pas se permettre une telle lourdeur stylistique aééinu ja’a (N.+V.). Ce qui corrobore notre argumentation, compte tenu de la chute du coup de glotte final, laquelle est propre du dialectal marocain, nourri de structures amazighes aux différents niveaux: phonétique, lexique et syntaxe. On peut généraliser en disant que tout le monde prononce lma, ssma et non almaa’u, ni assamaa’u (à cause de caducité du coup de glotte, al hamza). Donc èin- ja n’est qu’une fable de création relativement récente (légende qui date probablement desannées 60, il n’ en manquait pas à cette époque-là !), cette fable fabriquée de toute pièces et accueillie avec complaisance par une côterie panarabe; le déluge, non daté, renvoie à la nuit des temps bibliques Tin- ja fait partie de ce type de dénominations apocryphes; pendant cette période l’arabisation battait son plein, l’école faisant partie des appareils idéologiques de l’Etat par excellence, on profitait des petits cours d’histoire du primaire pour matraquer la tête des enfants, à partir des années soixante, au lendemain de l’indépendance, le monoliguisme était imposé , il régnait, le plurilinguisme est l’apanage de l’élite. Les enseignants de la langue arabe, de agents exécutants de l’ idéologie régnante, expliquaient, dans leurs cours d’histoire, le sens étymologique de certaines villes comme Fès et Marrakech conformémént aux appétences de l’idéologie en question. Fas , fondée par Idriss II en 809: Un toponyme comme Fès est motivé par le mot alfa’s « pioche », outil de travail nécessaire, dont le nom est répété sans arrêt par les bâtisseurs, au chantier de construction, puisqu’ils s’en servaient, selon une anecdote fort répandue. Embarrassés, quant à l’appellation de la ville nouveau - née, à cause l’usage de la pioche comme outil de travail fondamental, et à cause des multiples répétions du mot, ils ont choisi le nom de la pioche, al Fa’s, en arabe classique, selon la version en cours. Mais l’arabe classique n’a jamais été une langue majoritaire, tamazight est la langue parlée par les autochtones , et dans ce cas, on l’aurait nommée agelzim. Pour M. Chafik (1999: 144) Fès est construite sur les vestiges d’une autre cité, et le toponyme Fas provient du verbe afas en ancienne tamazight qui signifie « démolir7». Restons à Fès et examinons le toponyme de Boujlud. Boujlud « traduction de Bu –ilmawen , celui aux peaux » > Abi – al – jououd > Bu -ilmawen: Le quartier de Boujloud8 se trouve à Fès, lieu charnière entre de ville fortifiée sous les remparts et la ville moderne9. Ce toponyme comme Fès et Marrakech, obéit, lui aussi, au même procédé, l’homophonie aidant, comme pour Azila, à la subtitution et à l’ arabisation du terme endogène Bu-ilmawen « celui aux peaux»10 < Abu al- junud « patriarche des soldats » selon les indications administratives ayant trait aux quartiers et celles des rues et sur les panneaux d’arrêt de bus11. Le commun des mortels ne se fie pas à de tels changements qui restent lettre morte. Aïn Tawjdate:C’est une localité du Moyen Atlas, située à trente kilomètres de Fès et de Meknès, elle se trouve en fait entre ces deux villes. Littéralement Aïn tawjDat signifie « source de celle dont la queue est coupée », l’étymologie toujours ramenée à l’arabe, ce qui donne Aïn « source, en arabe » et de tawjdat « litt. source de celle qui est trouvée» , on est passé de la racine Jæ de ajØiØ « oiseau» au toponyme arabe signifiant «trouver ». Les petits écoliers avaient la tête bourrée de ce discours ex cathedra non seulement à propos de Fès, mais sur Marrakech aussi. Marrakech < Amur n akuch « passage furtif» ou « terre de dieu »?: Fondée par Youssef ibn Tachfine 1061, la ville de Marrakech, comme Fès, n’a pas échappé à l’étymologie arabe, selon le même principe de bourrage des crânes: murrÁ « passez , forme verbale de l’impératif12» et akush qui signifie « furtivement, à la sauvette, à cause des brigands (sic) », on donc a: V + Adv.; alors que la structure lexicale de Amur n akush « terre de Dieu » est N1 de N2, forme nominale utilsée pour la désignation, interprétation qui tient debout. La racine MR de amur, fém. tamurt signifie « terre » qu’on trouve dans Mauritanie ( forme forgée sur le féminin) et dans Maures, moreno… Quant au terme akush (N2) « Dieu berbère, litt. celui qui donne13» , il renvoie au nom de Dieu chez les anciens imazighen avant leur islamisation (cf. Chafik 1999: 163). Marrakech fut une terre sacrée de la divinité qui n’a rien avoir avec la soi – disant étymologie ayant trait à « la fuite à la sauvette ». L’ancienne dénomination , celle qui précède l’appellation actuelle Al Maghrib était Murrakush, ce qui a donné naissance à des termes comme Maroc, marocain(e), maroquinerie, marocaniser, marocanisation, marocanité, lmarruk… L’explication étymologique attribuée à des origines arabes porte sur des villes anciennes, des villes impériales et de renommée internationale. De nos jours, la création de nouveaux quartiers résidentiels portent des de type Hay al-Adarissa ou Hay al-Qods… Les toponymes sont défigurés de manière insidieuse, ils peuvent être carrément remplacés: Ahermummu est éliminé au profit de Ribat al Khayl de consonance arabe après les évènements tragiques de Skhirat de 1971; mais rares sont ceux qui utilisent ce dernier toponyme. Ce sont les substitutions subtiles qui passent inaperçues et qui réussissent. De tels agissements aberrants ne datent pas d’hier, ils remontent au début des années cinquante, les services d’état civil mettaient des prénoms arabes au lieu de prénoms amazighs comme Fatima à la place de Tlaytmas; ainsi, la femme concernée portait un double prénon, le premier dans le livret de l’époux délivré à Fès, et Tlaytmas , dans le livret de la communauté rurale des environs de Fès. De nos jours, des nouveaux – nés sont encore privés des prénoms de consonance amazighe ayant une charge symbolique et identitaire. Justification: ces prénoms – par ce que amazighs, donc marocains - sont exclus du catalogue anthropnymique du Ministère de l’intérieur du pays: l’amazhigité reste toujours tributaire de l’arabité, nous sommes devant un cas de glottophagie (Calvet 1974). La ville de Alhoceima, construite par les Espagnols pour des raisons de stratégie militaire et commerciales au début du siècle dernier, le 30 sept 1925, se vit attribuer plusieurs dénominations en trente ans. Devenue havre militaire et commercial, elle porta le nom de Port Quemado (mars 1926) au déut du protectorat. Elle fut rebaptisée Monte Malmusi, patronyme du général Général Sanjurju , ce dernier est devenu donc toponyme; un titre de noblesse octroyé au même général qui devient Général Sanjurju , Marqués de Monte Malmusi; dans la même année (en 1926); ensuite elle fut nommée carrément Villa Sanjurju en avril de la même année (toujours en 1926); elle garda ce nom jusqu’en 1936; puis elle fut repaptisée de nouveau Villa Alhoceima de 1932 à 1936; et enfin elle prend le toponyme d’Alhoceima, de consonance arabe, au lendemain de l’indépendance du Maroc jusqu’à nos jours (cf. El Ghadiri 2009: 95). L’île Tura qui signifie «vide, inhabité» devenue Laïla14 < La isla « île, en espagnol » (cf. M. Boudhan: 2004) Tanger, à la française: La francisation de Tanger, toponyme éloigné du terme d’origine, nous rappelle les mots en – ger comme manger, ranger, danger, etc., ce [r] est un intrus par rapport à la racine de départ TNGS, sachant que nous avons affaire à une forme lexicalisée. Ce graphème est phonétiquement imprononçable, il disparaît à l’oral et on ne garde que la voyelle ouverte [Ç]. D’où vient – il, donc ce [r]? Il n’a évidemment aucun rapport avec l’arabe; provient-il de l’espagnol, peut - être? En cas d’emprunt, un certain nombre de règles entrent en ligne de compte pour l’intégration d’un mot étranger (cf. Serhoual 2002: 206 - 217). Le toponyme peut être traité comme emprunt passé en français et en espagnol conformément aux canons de la langue emprunteuse. Voici un exemple d’emprunts français intégrés dans le dialectal marocain: ddifan < du vin « vin » zufri , pl. zzufriya < les ouvriers « ouvrier » trisinti < électricité « électricité » La colonisation française, vu le rapport de force, a rebaptisé des noms de lieux marocains comme Petit Jean, prononcé Btija en dialectal marocain substitué à Sidi Qacem; Al Qunaïtira, < Qnitra < Kénitra devenuu Port – Lyautey; Anfa < Dar el Beida < Casablanca ( cf. Calvet 1974: 105 et Chafik 1999: 60). Les toponymes portent donc les traces de la langue du colonisateur. le processus colonial ne vise pas uniquement les richesses matérielles d’un pays, mais également la culture et le patrimoine immatériels d’un peuple. On peut porter atteinte à un toponyme en le francisant, la francisation, étant à la mode, est plus prisée que l’arabisation, c’est le cas par exemple du toponyme de la capitale politique marocaine: Arribat < RbaT < Raba(t), avec la chute de la dentale t. L’orthographe de la langue française présente un décalage entre le code écrit et le code oral: on écrit par exemple les oiseaux et on prononce [lezwaso], dix graphèmes pour sept phonèmes. La disparition de la finale t ne peut s’expliquer que par son système phonitico – phonologique15. Prononcer Raba(t) ou Casa au lieu de Rrbaé ou Dar al- Bida est une question de prestige, pour celui(ou pour celle) qui se réclame d’une couche sociale, qui veut se dégager de l’arabophonie et se donner une autre étiquette socio-culturelle, celle du francophone. Certains amazighophobes sont scandalisés par de telles évidences, cela leur semble inadmissible, et c’est pourquoi ils tiennent à l’occultation de ces vérités, lorsqu’on ramène, arguments à l’appui, certains toponymes à leur origine, au substrat culturel amazigh. Tamazight est v une langue qui a ses propres racines, et un peuple sans racines ne peut pas tenir debout, la chute peut être inéluctable. Tanger , à l’espagnole: Le [g] qui est une occlusive vélaire sonore, est prononcée [x] qui est une fricative vélaire sourde, un phonème (ou graphème) qui a subi des alérations quant à la prononciation propre au système phonétique chaque langue. Provient – il directement de la fricative sonore palatale [j] arabe? On ne peut l’affirmer pour le moment. Les langues s’approprient les toponymes, une fois acclimatés; l’intégration se fait en fonction du système phonétique et selon la graphie en usage, exemple le phonème [j], qui est une fricative sonore palatale peut être prononncé [g] fricative sonore, ou [x] comme fricative vélaire sourde, en espagnol, selon les règles de séléction de la langue réceptrice. On ne peut s’interroger lequel des trois toponymes anglais, français ou espagnol qui prime? On sait aussi que cette ville a été bombardée en 1844, bombardement qui fut suivi d’un traité de paix avec Bugeaud après la bataille d’Isly16 remportée par les Français à Oujda, suite à une coalition du roi marocain Moulay Abderrahman avec l’Emir Abdelkader. Ce qui est certain, c’est que les deux dénominations à l’anglaise Tangier (comme cavalier, de consonance anglo – saxonne17) et à la française Tanger, d’une part, et à l’espagnole de l’autre, qui proviennent de la forme arabe prétendue, Tanja; néanmoins la prononciation reste la même en français et en anglais, ce même graphème devient [x] en espagnol; mais ce qui suscite encore des difficultés, c’est le morphème final – er , imprononçable en français, comme le – t final en arabe classique; en espagnol, il n’est pas escamoté , tous les graphèmes sont articulés, ils gardent bien leur statut de véritables phonèmes. Là, il est difficile d’être affirmatif devant ce chassé - croisé toponymique, dû au brassage des ethnies et au cosmopolitisme de la ville dont le nom est corrompu, pétri et malaxé au gré des uns et des autres; mais on peut tout de même poser l’hypothèse suivante qui semble plausible que: Tanger en espagnol, aurait une filiation directement arabe qui, elle - même, remonte à Tingis, et le [x] provient du [j] de Tanja, pour s’en tenir à l’oralité seulement. Nous sommes porté à le dire, compte tenu de la proximité géographique de l’Espagne et des liens historiques qui datent du néolotique, en plus de la prégnance du substrat linguistique espagnol qui est beaucoup plus dense que le français. Si on fait le raisonnement inverse, ce sera une autre logique, une autre piste de recherche à suivre. Une anaylse de l’évolution et de ce toponyme à partir d’un dépuillement de documents écrits reste à faire pour une datation exacte et pour lemmatisation qui pourait servir comme entrée encyclopédique fiable. Nous allons examiner tout un paradigme, qui constitue un micro- système linguistico – toponymique: tingis tinghir tinjdad tinduf tinmel tinirifi 18tinkawya tingherhoh, tininihan19Morphologie: L’item lexical tingis est formé par agglutination de deux éléments: tin « celle» + gis « haute», un démonstratif + adjectif. Actuellement, à ma connaissance, cette structure nominale est désuète langue, elle témoigne d’ une forme ancienne qui ne subsiste qu’en toponymie, elle n’est pas créative sur le plan lexical, à moins qu’elle soit réactualisée en néologie. L’analyse morpho-lexicale de tingis permet de dire que ce toponyme est formé des deux éléments: tin-, un demonstratif féminin singulier, un déictique qui denote l’éloignement, par opposition à ta > Ãa « celle-ci » qui dénote la proximité, d’où les oppositions binaires suivantes: wa « dém. masc. de proximité » ~ win «dém. masc. d’éloignement » ta >Ãa « dém. fém. de proximité » ~ tin >Ãin « dém. masc. d’éloignement »20 le second composant, -gis est item lexixal, dont l’emploi est désuet dans certaines régions, il remplacé, comme c’est toujours le cas, par un emprunt; c’est une survivance de la langue, un archaïsme toponymique, dont le sens renvoie à l’idée de « hauteur, d’élévation», c’est donc le lieu qui se trouve en haut, qui surplombe21. M. Chafik (1999:79) en précise le sens ainsi: tag, tawg, yugga « être élevé, en haut, faire saillie au – dessus de, surplomber ». Laoust (1993: 29), lui aussi cite des vers adressés à une mariée dans la matinée qui suit la consommation du mariage; c’est le verbe yugga « surplomber » qui nous intéresse puisqu’il fait partie du toponyme tin-gis: uåbaà-kum, åbaàlxir a-lalla a mulati tazday tyugga aÄbalu. qu’il traduit comme suit: Ton matin, qu’il soit bon, ô Reine Toi pareille au palmier qui surplombe la source (1993: 43) Le schème de Tingis est reconnaissable dans bien d’autres toponymes comme: tinjdad « litt . celle des oiseaux, de ajØiØ « oiseau », tinghir « celle (du) bras » ou « celle (du) bord, du côté ». Compte tenu de la polysémie des racines et le statut de l’oralité dans lequel la langue est confinée, le sens de certains toponymes est opaque, il y a cependant quelques toponymes qui échappent à cette opacité sémantique puisque les items lexicaux sont toujours en usage dans la langue. L’oralité, le manque de consignation par écrit et la polysémie aidant peuvent induire le chercheur en erreur; d’où le piège, le risque de mésaventure dans un terrain mouvant. Mais ce qui sûr et certain ici, donc intéressant pour notre propos, c’est la configuration morphologique du toponyme et sa forme figée, sa syntaxe lexicale, abstraction faite de la signification sémantique. tinduf « celle de l’entrée »; aduf signifie « moelle osseuse, Rif, cf. notre Dictionnaire, racine DF », « la luciole» (cf. Chafik 1999: 93) tinmel « celle (qui) montre, école» L’anthroponyme tininihan (cf. Badi 1995: 199), ayant la même forme, démonstratif + adjectif, est attesté en touareg, langue isolée et restée à l’abri des contacts de la colonisation et des autres cultures venues d’ailleurs, elle conserve cet item intact: tin–ihinan, qui est le prénom d’une femme légendaire22 , celle-ci fut une reine fascinante, elle aurait émigré de Tafilalt au Hoggar, pays touareg en 470 environ. Le second terme ihinan, lui aussi est une survivance du lexique touareg singnifiant « voyager, se déplacer en campement, migrer sans évocation de direction précise ». Chaque langue essaie, donc, de ramener le toponyme à son système phonético - phonolgique, d’où les modifications subies par ce dernier, compte tenu du moule syntaxique et/ou de la matrice lexicale, d’où les nombreux avatars du toponyme. Voyons maintenant quelques toponymes qui gravitent autour de l’orbite de Tanger: Gzennaya, localité près de Tanger, par référence à la tribu du Rif, où se trouve le triangle de la mort: Ajdir, Tisi n usli et Bourid23, Souani < asiwan , fém. tasiwant « buse, cerf-volant (oiseau) », qu’on pourrait rapprocher de aswan (barrage en Egypte) de consonance amazighe, Achaqqar, oronyme « cime, sommet »24, Tahaddart25 , hydronyme, du verbe heddar « ajouter (de l’eau), être en crue, litt. celle qui est en crue »(cf. Notre Dictionnaire, racine HDR). Ben Idder (quartier de Tanger) et Beni Idder (localité près d’Oujda-ouest), idir et Ayt Idder (anthroponymes), de la racine DR «vivre ». Pour rester près de Tanger, voyons ce qu’il en est d’Azila, ville située à trente kilomètres et admistrativement annexée à Tanger, elle également citée avec elle dans les ouvrages d’histoire ancienne. Il s’agit en fait d’une fricative dentale, donc un même phonème, avec seulement un passage de la sonorité à la surdité: [z] > [s], emphatisé, le [s] devient un åÁd [å], d’où un changement de mue pour Azila qui a fait peau neuve, elle est devenue: Aåila(t) et l’ajout du [t] , dentale sourde finale jamais prononcée mais qui fait bien arabe classique, comme celle de Tanga(t). Le toponyme d’ Azila est métamorphosé, moyennant une manipulation subtile et peu coûteuse, qui passe inaperçue, cette manipulation est rentable pour les prosélytes de l’arabisation. Nous avons affaire à une paronymie non-lexicale, une pronymie ou un calembour toponymique26. La création donc d’un toponyme inédit et un sens inédit avec brouillage sonore qui implique un brouillage sémantico – topnymique qui aboutit à une perte des repères; cette substitution toponymique pourrait l’emporter, à la longue, elle passe inaperçue puisque, c’est facile, c’est simple, à moins que la situation soit redressée. Mais, jamais un habitant de Azila ou plutôt Zayla ne peut se réclamer d’être un aåili; mais zaylachi, il le restera toujours conformément aux règles de la déclinaison du dialectal marocain27. Un bon nombre de toponymes comme Azla et Azilal, de la même racine ZL signifiant l’« idée de lumière et de beauté »28, lumière et beauté sont indissociables, la beauté n’est perçue qu’à travers la lumière. La même racine est attestée dans la langue: Izil « être beau »; êe‚en « beau », (cf. Destaing 1914: 35 et Chafik 1993: 267), Azal «clarté du jour, pleine chaleur » (cf. Dallet, 1982: 941) , Azil< azir «(de) jour, ex.: yused s uzir « il est venu de jour, avant le coucher du soleil». (Serhoual 2002, Vol. I: 687) , Pour Ghazi- Ben Maïssa (cf. 2002: 141) Aêila signifie « de bonne qualité29, très bon », Azulay et Azulati « beau, anthroponyme », Azul « salutation, liée au jour, à la lumière ». Nous voyons donc que toutes les significations passées en revue sont convergentes et ne s’excluent pas, elles sont complémentaires puisqu’elles renferment un noyau sémantique commun. Pour faire preuve d’originalité, il a fallu saper l’état originel de la toponymie et les origines des arborigènes; la falsification toponymique est un domaine propice à de telles manœuvres. Le découpage adminstratif, lui aussi, n’échappe pas à un fractionnement qui ne tient pas compte ni des spécificités culturelles, ni des potentilités économiques des régions. Pour rester toujours dans la région nord - ouest, voyons ce qu’il en est de Tétouan, qui se trouve à une cinquantaine de kilomètres environ de Tanger: Tittawin « sources, yeux 30», devenu Tiéwan, Teééawen puis Tetuan ( à l’espagnole) et Tétouan (à la française ), au Maroc; et Taééawin enTunisie, au sud- est, petite bourgade troglodytique touristique. Même remarque pour le toponyme Aššawen, pl. de išš « corne », arabisé en Chafchawn; dans le cas d’une prononciation à la française Chefchaouen la voyelle [Ç], plus ouverte, atteint un degré d’aperture maximal et il devient Chèfchaouène [∫Çf∫awÇn].Ce n’est pas un hasard si on retrouve de tels topnymes disséminés partout sur toute l’étendue de l’Afrique du nord, cela est dû au strat culturel initial amazigh qui caractérise l’ensemble la région, exemples: Oued Zegzaou « rivière bleue, Tunisie». Maémaéa, au Maroc, région de Fès et en Tunisie31, en relation avec Ãmié « matrice, nombril» et Ãameééuà « celle qu’on tète, femme» (Cf. Taïfi 1991: 53 et 405) . Laméa, Laméiyyine, quartier en pleine médina de Fès. Ajdir 32, 2 fois dans le Rif (Beni Waryaghel et Izennayen ou Gzennaya)et au Moyen Atlas (Khénifra33) et Agadir , dans le Sous. Si l’on se permet quelques extrapolations en dehors du toponyme de Tanger, c’est pour mettre l’accent sur l’unité topnymique et sa convergence malgré l’étendue spatiale de Tamazgha, toute une aire culturelle où tamazight est encore vivace. Mais le substrat culurel est là, il est omnipresent, on peut faire l’économie de cette composante culturelle. Une localité située entre Tanger et Tétouan renvoie à la racine ML « idéé de blancheur »: lmellaliyin à laquelle s’ajoutent d’autres comme: Bni Mellal, ville du Moyen Atlas;;Éin Amlal , près de Aïn Taoujdate, entre Fès et Méknès, Tié Mlil , près de Casablanca, Mritch «la blanche » < Tamlilt < Melilla (ville marocaine toujours sous occupation espagnole), Ouad Amlil « rivière blanche»,bourgade entre Taza et Fès, Ayt Mellul; Tyumlilin. La racine ML est également présente en anthroponymie: umlil « blanc », shemlali et ashemlal«même sens », almellali« originaire de Bni Mellal», et Idda usemlal«descendants des Blanc?, anthroponyme ».34La variation toponymique joue également sur le genre: Azru « roc», au Maroc, Moyen Atlas et tazrut avec plusieurs toponymes également au Maroc et aux Iles Canaries35, Agersif, litt. ager « entre » et asif « rivière» , au Maroc et Tagersift en Algérie (cf. Achab 1996: 40), Awrir, par référence à la topographie « élévation, monticule», avec plusieurs toponymes au Maroc et en Algérie, et tawrirt, au Maroc, au nord et au sud. Concernant les topnymes désignant les cols des montagnes tant au Maroc qu’en Algérie, on peut citer quelques uns à titre indicatif et non exhaustif: Tizi n Éezza « col de Éazza, (où Éazza est un anthroponyme ), Rif », Tizi n wuššen « col du chacal, Rif », Tizi n usli < Tizi wsli « col de dalle de pierre, Rif », Tizi n tÄatten « col des chèvrres, Moyen Atlas» Tizi n tiška « col du chèvrefeuille, plante, dans le Haut-atlas, Sous», (Chafik 1999: 90) Tizi n telghemt « col de la chamelle, dans le Haut-atlas, Sous», Tizi n uzezzu> tizi wzzu >tizi uzzu « col du genêt,Algérie » (Dallet 1982: 927) Pour récapituler, reprenons le toponyme de Source (3) de Aïn (2) Aghbal (1) , un véritable creuset qui abrite les strats linguistiques (cf. Chafik 1984): trois mots ayant le même sens et le même référent dans trois langues différentes: le premier en français Source (3) « source » , le second en arabe Aïn (2) « source » et le dernier Aghbal (1) « source » , en tamazight; une lecture à rebours montre que Aghbal (1), appartient au substat amazigh36. Seul une personne trilingue est en mesure de décrypter un tel message toponymique et tautologique; c’est pourquoi, on ne cesse de répéter que l’ancrage dans sa propre culture est nécessaire, cet ancrage n’est pas synonyme de chauvinisme, il synonyme d’ouverture et d’épanouissement. L’ignorance ou la méconnaissance d’un substrat culturel est un handicap pour l’honnête homme soucieux de parfaire sa culture, il a intérêt à faire ses humanités au sens maghrébin37. Cette méconnaissance mène à des maladresses linguistiques propagées, diffuses et vulgarisées, mais rares sont les personnes qui s’en aperçoivent: une chanson comme Meàla yfrane u meàla jamalu « litt. que Ifrane est doux (beau), que sa beauté est douce »; nous là sommes encore une fois en présence d’un toponyme amazigh Ifrane, pluriel externe38 de Ifri « grotte, caverne < ffer « cacher39 »; il y a donc discordance grammaticale en le toponyme Ifrane «les grottes, au pluriel » et jamalu « beauté - sa, sa beauté, au singulier», ce dernier est à l’état d’annexion; donc l’accord grammatical de l’adjectif épithète avec le nom au pluriel n’est pas respecté. Pour la cohérence de notre propos, donnons l’ exemple de Lma bardin « Les eaux (sont) fraîches », on ne peut comprendre le sens de cet énoncé, ni en saisir le désaccord grammatical sans se référer à la structure lexicale, ou en faisant abstraction de la morphologie lexicale: le terme aman « les eaux » est au pluriel, il est invariable, donc toujours au pluriel40; le sens lexical de aman «eaux » est donné uniquement par la racine monolitère M, et le reste relève de la morphologie, d’une grammaire lexicale: le a- initial marque le masculin; le morphème grammatical final –an , qui est une syllabe fermée, dénote le pluriel externe. Donc l’accord adjectival du pluriel se fait sur cette base, d’où le calque lma bardin «Les eaux (sont) fraîches » au lieu de lma bared «L’eau (est) fraîche ». Même chose pour deĥlu Çlina lma « Littéralement. Les eaux sont entrées sur nous, notre maison est innondée d’eau41».L’unité du système toppnymique est évidente, comme celle du lexique dont elle est issue, et malgré l’étendue de l’aire amazighe, soit neuf millions de kilomètres carrés ( cf. Iachchi 2002: 81), cette unité est un signe de convergence et d’unicité profonde. L’étymologie du toponyme tangerois n’est signalée que par référence aux cultures exogènes, la référence endogène est occultée; celle-ci est est ignorée et méconnue et sous-estimée, celle-là est est vulgarisée et largement diffusée et surestimée. Malheureusement, ces déformations, ces métamorphoses et ces substitutions font des ravages de manière libre, anarchique, dirions nous, comme la liberté du renard dans la poulailler, à la radio et à la télévision, sur les panneaux routiers, sur les enseignes des gares routières et ferroviaires, partout; tous ces medias, tous ces supports audio-visuels sont – ils capables d’arrêter de telles anomalies, de corriger ces fautes de désignation, de prononciation et même d’orthographe ayant trait à la toponymie nationale42? Compte tenu de cette densité toponymique, de cette prégnance de l’amazighité qui est une évidence qui saute aux yeux et à l’esprit, il en découle que toute arabité attribuée à l’Afrique du nord est factice et fabriquée de toutes pièces. Ces violations toponymiques trouvent leur origine, bien sûr, dans un cadre encore plus vaste qui est celui de l’arabisation, à tous les nivaux et dans tous les domaines; arabisation des mentalités, de l’environnement humain et géographique, arabisation culturelle et anthropologique, des lieux et des personnes. Une personnalité imminente déclare à ce sujet qu’« Ici [au Maroc] les pierres même continuent de parler berbère » (cf. Chafik 1984: 24)43. Le corpus présenté n’est pas exhaustif, il est néanmoins parlant et témoigne d’une unité géographique et culturelle, d’une étendue du terreau toponymique qui couvre l’espace de l’Afrique du nord. Par conséquent, et pour tirer une conclusion générale, les données objectives, géographiques et historiques, permettent de dire que l’appellation, Al Maghrib al – Arabi « Le Maghreb arabe », est caduque, elle nulle et non avenue parce qu’il ne l’est pas en fait , ni géographiquement, ni historiquement, ni anthropologiquement: c’est un leurre. Le Maroc se trouve en Afrique, à des millers de kiolmètres du Moyen–Orient. L’islamisation du Maroc est un fait, elle fut acceuillie et consentie au Maroc, le reste est une mascarade. Cette mascarade - c’est archiconnu -, est née d’une manipulation et/ou d’un amalgame du religieux et du politique au profit de l’idéologie dominante qui fait tache d’huile. L’architoponyme Al Maghrib al – Arabi dont on nous bombarde, à longueur de journée, dans les medias, est une espèce de terrorisme impuni, il est donc à évacuer de la toponymie nord africaine. (Bu-iseghouan)**** Bibliographie: ACHAB, R. 1996 La néologie lexicale berbère (1945-1995), Paris / Louvain, Editions Peeters, Etudes berbères, 367 pages. ALLATI, A. 1998 TAL: une base toponymique ancienne de l’Afrique du nord et des Iles Canaries, in Nouvelle revue d’onomastique, Paris, no 31- 32, pp. 143 – 156. 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Benjelloun 1995). 2 Bombardement de Tanger par les Français. 3 Certains chercheurs rattachent la toponymie à l’histoire. 4 En plus des toponymes, nous ferons appel à des ethnonymes, hydrnymes et oronymes. 5 Chaque ethnonyme renvoie à une période determinée de l’histoire des Imazighen. 6 Ces changements syntaxiques introduisent des nuances stylistiques laissées de côté. 7 La racine FS est très productive et polysémique, ex. fsu « défaire la laine » fsi « dissoudre », afus main ; ifsus « être léger », Ãifesà « scories de fer ; chanvre », dont certaines comportent un sème commun, celui de la ‘décomposition’(Cf. Serhoual, Dictionnaire… racine FS). 8 C’est une porte en fait ; Fès, à l’instar des villes médiévales, était entourée de hautes murailles de fortification avec des portes fermées à la tombée de la nuit et réouvrtes le lendemain matin. 9 Avec Fès-Jdid (Fas al- Bali, en le pendant) et Dar Dbibegh comme extension, qui sont nouvelles agglomérations, cette dernière est francisée,elle devient la Ville, même en arabe. 10 Bu-ilmawen est un carnaval, une festivité amazighe annuelle à l’occasion de Aachoura, les comédiens portent des peaux de mouton, d’où le mot ilmawen « peaux ». 11 Arabisation qui veut tout ravager même dans le Rif profond, bastion de tamazight où une école est baptisée Ibn ar-Roumi, poète de l’époque abbasside réputé dans l’histoire de la littérature arabe comme porte-malheur. 12 C’est le duel, forme propre à l’arabe. 13 (cf. Camps 1995 : 253). 14 De consonance arabe (pré - islamique) qui fait penser à la poésie idyllique de Qaïs et Laïla, ayant Tristan et Iseult ou Roméo et Juliette pendant. 15 Le français, contrairement à l’espagnol, escamote ses terminaisons. 16 Un autre toponyme qui signifie « marié ». 8 tinkawya non loin de l’oasis de Rhat, dans larégion d’Ajjer, partie occidentale du Fezzan, Libye. 9Les deux derniers toponymes sont empruntés à M. Chafik 2000 : 38). 10tingherhoh17, entre l’Adrar et le Hoggar.11Pour M. Chafik, précurseur de la recherche en langue et culture amazighes, , le prénom tanit est ambigu, la racine N revoie tantôt au verbe « dire » ( 2000 : 30), note 28, tantôt au verbe « avoir des envies » tanit étant la déesse de la fertilité (1999 : 83). 12 C’est ce qu’il est convenu d’appeler al wazn ou aSSigha, en grammaire arabe 13 Je laisse le soin aux anglophones de le décortiquer selon les normes anglo-saxonnes. 14 tinirifi > Tenerife «celle des grillades , du verbe urf signifinat griller (légumineuses), cf. Notre Dictionnaire, racine RF ou celle de la soif(fig.) » , toponyme des Iles Canaries, donné à une équipe de football de la même ville. 18 Nous voyons que chaque phonème joue une fonction spéciale, il n’est pas dénué de sens, comme le veut la phonétique occidentale. 19 Nous voyons que chaque phonème joue une fonction spéciale, il n’est pas dénué de sens, comme le veut la phonétique. 20 Nous voyons que chaque phonème joue une fonction spéciale, il n’est pas dénué de sens, comme le veut la phonétique. 21 Nous voyons que chaque phonème joue une fonction spéciale, il n’est pas dénué de sens, comme le veut la phonétique. 22 On pense à la fameuse chanson très ancienne de Houssin Sloui Tanja ya lÇalya « Tanger, ô, la haute !» 23 dont le monument funéraire remonte au Vème siècle av. J.- C.(cf. Camps 1995 : 275). 24 Une telle dénomination fut donnée par les Français venus décimer la résistance armée qui était atroce pour eux. 11 Cet oronyme remonte à l’Antiquité, il est vraisemblablement antérieur à celui de Tingis. 25 Les mots, et par ricochet, les toponymes ayant la forme t-----t, appartiennent à la lange amazighe ou formés sur elle. 26 Le calembour est la fiente de l'esprit qui vole. V. Hugo. 27 Les zaylachi prononcent le nom de leur ville avec un accent jebli zayla. 28 Eugène Delacroix était séduit par cette lumière, d’où son séjour à Tanger et les toiles célèbres qu’elle lui a inspirées. 29 Le terme utilsé donné en arabe est jayyid. 30 Le même toponyme est arabisé : Éyun sidi Mellouk, près d’Oujda, et bien sûr Laâyoune du Sahara occidental.10 Les toponymes tunisiens cités ont été observés en cours de route, lors d’un bref séjour en Tunisie en 2002, sur les panneaux de signalisation routière, de Soussa vers la capitale. 31 Siège du gouvernement et poste de commande d’Abdelkrim tombé en ruine. 32 Lieu symbolique où fut prononcé le discours royal de la réhabilitation de l’amazighité du Maroc. 33 Si l’on accepte comme dérivé de la même racine avec s- préfixé. 34 Toponyme qui mérite d’être étudié. 13 Allati (1998 :151) cite des cas semblables qui se limitent à l’arabe, tels que : Jbel Adrar « montagne (de la) montagne», Kudyat tawrirt «colline (de la) colline », Aïn Tala « source (de la) source ». 35 Il y a des gens qui portent des anthroponymes amazighs et qui n’en comprennent pas la signification ; alors que d’autres portent des noms ayant une résonance orientale qu’on ne dirait pas marocains des Lotfi, des Abou-X. 36 La langue amazighe dispose de deux pluriels : le pluriel extrene et la pluriel brisé, parfois le locuteur n’a que l’embarras du choix entre les deux : aseggwas, pl. iseggwasen et aseggwusa « année ». 37 Cf. Notre Dictinnaire, racine FR. 38 Le terme est variable en français «eau(x) » et en arabe « mÁ’un, miyÁhun » 39 Enoncés authentiques et enregistrés. 40 Un toponyme comme Imi n tanut «bouche de puits (petits) » est un synthème , il est présenté en arabe sous forme d’une seule unité agglutinée Imintanut, un autre exemple de brouillage, pour occulter la consonance et le sens « Bouche du puits ( diminutif), anu au masculin signifie « puits ». Même chose pour Ifrane qui devient Yfren, toujours en arabe, bien sûr ! 41 Contrairement à ce qui émis à la radio marocaine : ilard bi titkallim arabi «la terre parle arabe», ce qui n’est pas vrai .
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