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Neccin nxes ad nili!
Par: L.Azergui
Février 1998, Faculté de droit de Meknès. Lors d’une soirée
artistique organisée par le Mouvement culturel amazigh estudiantin, un jeune
militant de Biya (Al Houceima) monte sur scène et chante «Inasen i medden neccin
nxes ad nili» (dites à tout le monde que nous voulons exister). Un poème
mélancolique d’un poète inconnu pour nous, jeunes militants du Sud-Est du Maroc.
Il s’appelait Abdesslam Achahbar.
Les paroles de la chanson ont fait le tour du campus. Photocopiées et
distribuées, elles étaient pour nous une sorte d’hymne à l’image de «Kker a Mmis
Umazigh» en Kabylie.
7 ans après, je découvre la face cachée de notre triste hymne des années
universitaires.
23 juillet 2004 au Festival Amazigh Méditerranéen de Tanger, le groupe Imetlaâ
(sans abris) monte sur scène et chante «Ad nili». La foule se déchaîne.
L’émotion se lisait sur les visages de tous ceux qui ont connu Abdesslam. Il
revient avec force dans les discussions. J’interroge mes amis Mohamed, membre
d’»Imetlaâ» et Said Zerouali, jeune chanteur talentueux d’Aberkan (Rif), sur la
chanson. Said, très sensible, me met en contact avec Fettah, le frère de
Abdesslam. L’histoire qu’il me raconta est tragique. Elle m’avait secoué.
Abdesslam Achahbar est porté disparu depuis 1992. La nuit l’avait entassé, avec
plusieurs autres désespérés, sur une barque d’immigration clandestine en
Espagne. Il ne reviendra jamais. Il avait 23 ans.
Les chants de ce jeune talent de Biya, qui s’est senti poussé à fuir la misère
et l’oppression subies par le Rif, résonnent de plus en plus sur sa terre. «Abdeslam
avait composé une série de poèmes prestigieux que beaucoup d’autres chanteurs
amazighes du Rif ont chanté, dont «Imetlaâ» et Najib Amazigh», me dit son frère.
Un groupe amazigh de Hip Hop de Hollande a même repris l’une de ses célèbres
chansons «Fouad Iwaddar» (Fouad s’est noyé!). Le poème raconte l’histoire d’un
jeune qui a choisi d’immigrer clandestinement et qui meurt noyé dans la mer.
Etrange histoire. Abdesslam trouvera le même sort que le personnage de sa
chanson quelques années plus tard.
Des dizaines d’autres poèmes écrits et chantés par Abdesslam existent. Son frère
pense les éditer, accompagnés d’une traduction.
Abdesslam, mort à la fleur de l’âge, demeure l’un des grands poètes qui ont
marqué leur temps. Sa poésie, puisée dans les souffrances du Rif et de la lutte
des Imazighen pour la dignité, est d’une force extraordinaire.
Ce jeune, qui aspirait à une vie digne et qui s’est sacrifié pour la liberté,
mérite qu’on lui rende hommage en publiant notamment ses textes.
Pour que Abdesslam, qui a tant rêvé de notre existence, puisse exister au moins
dans la mémoire de son peuple qu’il a tant aimé, mettant nous au travail pour
que sa poésie soit éditée.
Abdesslam, repose en paix. On existera.
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