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Congrès Mondial Amazigh

Algérie : Non à l’impunité

 

Le chef de l’État algérien poursuit sa campagne en faveur de son projet de "charte pour la paix et la réconciliation nationale", visant à faire avaliser par le peuple, sa démarche et ses méthodes pour mettre fin au terrorisme et à l’instabilité chronique que connaît l’Algérie.

 

Faut-il le rappeler, la non-violence, la tranquillité et l’amitié entre les personnes et les peuples, sont des valeurs civilisationnelles bien ancrées dans la culture amazighe et sont largement partagées par la communauté humaine. Par conséquent, pour le principe et dans l’absolu, nous ne pouvons ni être indifférents ni refuser toute initiative qui viserait à restaurer un tant soit peu l’entente et la paix, mais à condition que soient réunies les conditions politiques, juridiques, économiques et morales indispensable pour garantir la réussite d’un tel projet.

Qu’en est-il dans la réalité ?

En matière de ce qui tient lieu de politique de l’État pour ramener la paix civile, en l’occurrence faire déposer les armes par les GIA et mettre définitivement fin au terrorisme, il y a eu depuis 1999 plusieurs initiatives : loi sur la "concorde civile", loi sur la "Rahma" et autre "grâce amnistiante". Selon quelle logique il faut passer à une autre loi (la charte proposée) sans avoir fait le bilan des précédentes ? Après plus d’une décennie de barbarie intégriste, comment faire admettre que l’amnistie des terroristes va ramener la paix, alors que ceux-ci, une fois amnistiés, se comportent de manière arrogante et provocatrice et n’ont renoncé ni à leurs méthodes violentes, ni à leurs objectifs d’instaurer un État islamique ? Combien de terroristes amnistiés sont retournés au "maquis" ? Où en sont les promesses de l’application d’une justice équitable mais implacable pour les coupables de crimes ? De quels moyens, de quelle liberté et de quelle crédibilité dispose la justice algérienne pour appliquer la loi dans toute sa rigueur ?

Pourquoi les causes de l’émergence de l’islamisme et son expansion en Algérie ne sont jamais examinées ? Pourquoi la responsabilité de l’Etat algérien dans la création et l’encouragement de l’islamisme (par l’école, les médias, les prêches dans certaines mosquées…) n’est jamais mise en cause ? Pourquoi les responsabilités individuelles et collectives au sein du pouvoir algérien n’ont jamais été établies ? Pourquoi les Etats notamment arabo-islamistes étrangers qui ont soutenu matériellement, financièrement et politiquement le terrorisme islamiste en Algérie ne sont jamais mis en cause ? Comment parler de paix alors que tous ces facteurs de troubles sont toujours en action ?

La charte proposée n’évoque que le terrorisme islamiste, oubliant la terreur dans laquelle l’Etat algérien a toujours fait vivre les Amazighs et particulièrement les kabyles. Comment parler en effet de réconciliation nationale tout en faisant totalement l’impasse sur les exactions commises en Kabylie en 1963 ? En 1980 au cours du printemps amazigh ? En 94/95 lors de la grève des écoliers ? En 1998 lors de l’assassinat de Lounès Matoub ? Et pendant le printemps noir de 2001 ? A ce sujet, que sont devenues les promesses faites par le chef de l’Etat, d’appliquer strictement les conclusions de la commission Issad qui ont clairement mis en évidence les responsabilités du massacre qui a coûté la vie à 127 personnes en Kabylie, tuées par les gendarmes ?

 

Tous les kabyles, de l’intérieur et de l’extérieur de la Kabylie ont subi dans leur chair et dans leur âme des blessures indélébiles. Pourquoi n’est-il pas question dans ce projet de charte, de la Kabylie comme victime expiatoire du régime algérien ? Sans devoir de vérité, sans justice, sans reconnaissance, sans réparation, comment vont-ils faire le deuil de leurs douleurs ? Comment vont-ils retrouver la paix de l’âme ? La paix avec eux-mêmes et avec les autres ?

 

La charte proposée rend longuement hommage à l’armée et aux forces de sécurité. Cet hommage concerne-t-il aussi les gendarmes qui ont tué en Kabylie ? Concerne t-il aussi ceux qui ont torturé les jeunes à Tkout (Aurès) en 2003 ?

 

En tout état de cause, il ne saurait être question pour nous d’accepter une quelconque forme d’impunité parce qu’elle n’est ni légale, ni juste, ni morale et parce qu’elle encourage la répétition des drames. Pour pardonner il faut d’abord arrêter, juger et condamner les auteurs et les responsables des crimes et réparer les préjudices subis par les victimes. Et qu’il soit bien clair que c’est au fautif de demander pardon à la victime et non l’inverse. Et qu’il soit bien clair également que nous n’accepterons jamais que ces lois d’amnistie soient détournées pour protéger les criminels, cacher la vérité, ou pour faire oublier. Le devoir de mémoire s’impose pour pouvoir dire : "plus jamais ça !".

 

Par ailleurs, depuis des siècles notre langue, Tamazight, est rejetée, combattue et nos valeurs ancestrales méprisées. Depuis toujours, les Amazighs dans ce pays ont été en première ligne pour les efforts, jusqu’au sacrifice suprême mais finissent toujours par être écartés in-extrémis du fruit de leur sueur, de leurs larmes et de leur sang. Depuis1962, les Amazighs sont exclus des avantages de l’indépendance de ce pays, après en avoir été les principaux artisans et après en avoir payé le prix le plus fort. Plus de 40 ans après, ils sont toujours marginalisés, agressés, frappés, tués, exilés…Chez nous, une colonisation en chasse une autre, une colonisation en remplace une autre…

 

Aujourd’hui, de très nombreux kabyles en particulier, ne survivent que grâce aux ressources que procure l’émigration interne et externe. Les jeunes qui ont crié en 2001, "vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes déjà morts", se laissent gagner par le désespoir et beaucoup, beaucoup trop, ne trouvent pas d’autre échappatoire que dans le suicide. Qui a pensé à eux ? qui a pensé à leur demander pardon ? qui a pensé à la réparation des préjudices physiques, matériels, psychologiques et moraux subis ? Pourquoi le projet de charte reste silencieux à ce sujet ?

 

Réconcilier les algériens entre eux, c’est d’abord les réconcilier avec eux-mêmes. Cela a été à maintes reprises rappelé par les animateurs du mouvement amazigh. Et cela passe avant tout, par leur réconciliation avec la véritable histoire du pays, avec sa civilisation plurimillénaire fondée sur les principes de démocratie et de tolérance, avec sa culture authentique et sa langue amazighes. Mais rien de cela n’est mentionné dans le projet de charte proposé.

 

En définitive, il s’avère que le projet proposé au suffrage des électrices et des électeurs, ne repose pas sur un diagnostic lucide et honnête et passe à côté des réponses essentielles. La paix et la réconciliation se décrètent moins qu’elles ne se construisent. Pour le moins, ce projet aurait dû contenir de manière explicite la reconnaissance de l’amazighité de l’Algérie et le statut de langue officielle pour Tamazight, la reconnaissance des crimes d’Etat commis en Kabylie et la proclamation d’un pardon officiel, ainsi que l’annonce d’un vaste plan de rattrapage économique et social pour cette région meurtrie.

 

En conséquence, le projet de charte "pour la paix et la réconciliation nationale" ne représente même pas une promesse crédible et ne semble être en réalité, qu’un moyen d’absoudre les auteurs et responsables des crimes, qu’ils soient islamistes ou décideurs au pouvoir. Par conséquent, le Congrès Mondial Amazigh appelle au rejet de ce projet et au boycott du référendum organisé le 29 septembre 2005 en Algérie.

 

Ulac Smah Ulac, Pas de pardon sans vérité, justice et réparation.

 

 

Paris, le 17/09/2005

 

Le Bureau du CMA.

 

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