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Une traversée au
mythe d’Imi N Lchil
Par: Zaid Ouchna
Adrar est le nom donné ici au plateau de l ‘Assif Melloulen,
aux cimes du haut atlas Est du Maroc. C’est un très beau must jonché d’une série
des Igherman (des bourgs) à une altitude allant de 2900 m, pour Tizi N
Taghourghist, jusqu’à 2150 m pour L’Ighrem d’Imi N Lchil, de son véritable nom:
Imi N Lkil. Un détroit étalé sur une latitude de près de 50 km à la rive de l’Assif
Melloulen (le flot). Ce dernier alimentant le barrage d’Afourar du coté de Bni
Mellal.
Ses habitants, dans leur écrasante majorité, appartiennent au groupe Amazigh des
Ayet Hdiddou, une frange de la célèbre confédération des Ayet Yaf Lman,
elle-même une organisation de farouches résistants qui avaient tenu par la gorge
l’armée de Lyautey et ses acolytes au mont de Baddou et de Hamdoun. L’étalage du
groupe des Ayet Hdiddou ne se limite pas à cette paillette de l’Adrar, d’autres
partagent leur territoire avec le groupe maringouin et allié de toujours les
Ayet Merghad. Ensemble, ils se sont établis à l’aval de Tizi (le col) aux
sources de L’Assif n Ghris. Une division longe les sources de l’Assif n Ziz à
Outerbatt, d’autres sont du coté Ouest (Imdghas) à Mesmrir aux sources du
Toudgha et également du Dadés, au sud ils habitent l’Ighrem n Igwlmimen à
Goulmima en parfaite harmonisation, au Nord ils se sont pareillement installés à
la vallée de Ayet Âyyach près de Oudad, actuelle Midelt et enfin une tranche non
négligeable s’est essaimé vers le moyen atlas et dans des ex villes impériales.
Avancer donc un chiffre pour dénombrer cette population relèverait de l’utopie.
Les Ayet Hdiddou de l’Adrar en général, ceux du Melloulen en particulier, vivent
de quelques terres irriguées le long de l’Assif Melloulen, de très maigres
parcelles de terrain pour une récolte qui ne viendra à bout de la suffisance de
deux à trois mois que péniblement; et encore quand la crue de Melloulen veut
bien le permettre. C’est pourquoi ils se sont donnés, à l’image de leurs voisins
Ayet Merghad, à l’élevage champêtre du bétail, notamment: des chèvres, des
moutons, des brebis, des dromadaires et quelques vaches. Le mulet ici, sert de
moyen de transport de base.
Le parcours du Melloulen commence après Tizi n Taghourghist à 15Km au sud de l’Igherm
n’Ougdal. Ce dernier est le plus beau de l’Adrar, le plus pittoresque et le plus
isolé. Celui de Timariyin est à 6 km de là, et un peu plus loin celui de Aqdim.
De l’autre rive de l’Assif, l’Ighrem des Ayet Âmer. C’est à la proximité de
celui-ci, dans un espace dégagé des lacs secs, ou ait lieu le fameux
rassemblement des éleveurs de bétail (Agdoud/Moussem). En effet, les Ayet
Hdiddou se rassemblent le deuxième week-end de septembre de chaque année pour
vendre leur productivité en bétail pour s’approvisionner en vivres en prévision
de la rudesse des hivers glacials particulièrement interminables, étant donné la
haute éminence. Cette pratique antique est très courante chez tous les Imazighen
des cimes des atlas. Les Ayet Merghad, le groupe voisin, se rassemblaient, et
encore aujourd’hui, à leur tour chaque année le courant du mois d’août
alternativement à Timdwin N Udrar ou à Azag n Tizi. C’est à dire à une trentaine
de kilomètres à vol d’oiseau de celui des Ayet Hdiddou. Au sud, la confédération
Amazighe des Ayet Âtta se rassemble dans la même configuration au cœur du Mont
Saghro au lieu dit: Sidi Sâid. Ce groupement Amazigh est le plus nombreux de
tout le pays; à lui seul, il occupe un espace égale au sixième du territoire
marocain. Il y en a d’autres le long des plateaux du haut atlas notamment à
Laâzib n Ikis, à Ouikaymden...etc. Certes, l’Agdoud des Ayet Hdiddou est le plus
connu, - nous allons voir les raisons plus loin - c’est pourquoi
l’administration coloniale en profita pour y installer un bureau d’état civil.
Le mekhzen à son tour vit là une aubaine pour y instituer ses règles par le
biais de la Zaouia de Tilmi. L’Izerf (la loi Amazighe), qui régit jusqu’à nos
jours dans certains cas, devrait laisser sa place au Chraâ: la loi
arabo-musulmane.
Après le bourg de Ayet Âmer, en légère décente et en direction du nord à une
douzaine de kilomètres, l’Ighrem de Bouwzmo pointe à l’horizon. C’est ici le
chef lieu des meilleurs résistants et des combattants, avant et après
l’indépendance, ceux du mont Baddou, ceux de l’armée de résistance, ceux d’Ajdir,
ceux du Sahara...etc. Ils se sont illustrés dans presque toutes les causes
Amazighes en général. C’est aussi le bourg qui a donné naissance au grand poète
AMENDAL qui mystifia, sans le vouloir et sans le savoir, toute la région grâce à
un de ses poèmes qui portait sur les deux lacs. Selon des témoignages recueillis
sur place à Bouwzmo et dans la périphérie ou la narration séculaire garde toutes
ses dimensions, Amendal serait un pasteur et poète à la fois. Il accompagnait
toujours ses troupeaux, un fifre à la main. Il chantait la bonne annotation
qu’elle magnifiait sur les cimes, il était sage et vivait toujours au singulier
aux hauteurs de Tizi n wanou (2900m) non loin de l’Agdal. Il était connu des
habitants de toute la vallée de Melloulen. Les hommes comme des femmes
répétaient ses chants et ses poèmes au long des journées. On donnait beaucoup
d’importance à sa maîtrise du langage au point qu’on l’appela: le visionnaire.
Amendal était aussi le symbole de la sagesse, de la parole juste et de la parole
percutante. Même arrivé à un âge avancé, à l’image d’un aigle indomptable, il
aurait préféré la vie dans le massif aux élévations de l’Adrar. Un jour, des
bergers l’auraient trouvé mort à Tizi n Wanou. Ils alertèrent les habitants, qui
se sont déménagé massivement pour lui rendre un dernier hommage et l’enterrer
sur les lieux mêmes, comme il l’aurait souhaité. Selon des témoignages transmis
par voix orale de génération à une autre, recueillies dans des régions du
voisinage, le corps d’Amendal aurait été trouvé hors de sa tombe le lendemain de
son enterrement. Les habitants l’auraient remis dans sa dernière demeure ; mais
deux jours plus tard, on retrouva son cadavre gésir à même le sol déterré encore
une fois. C’est ainsi que les habitants auraient décidé de construire une carrée
autour du corps qui servirait d’enterrement à sens inverse. Par la suite, les
gens avaient sacralisé les lieux à cause de la forte croyance à l’indécis, qui
sévit toujours dans cette contrée. L’endroit deviendra alors une destination
pour les pèlerins afin d’y émettre des vœux sur leurs propres sorts. Après tout,
le cas d’un poète enterré au sens opposé du sol ne court pas toutes les régions!
La vallée du Melloulen continu vers le nord avec l’autre frange des Ayet Hdiddou,
nommée Ayet Iâezza; réputée pour être libérale que la précédente: Ayet Brahim,
très conservatrice. C’est une suite des Igherman, qui gisent sur des collines
aux abords des maigres parcelles de terrain cultivables, dont Mouttizli (celle
du lac) à une douzaine de kilomètre de Bou Ouzmo. Puis vient le bourg d’Imi n
Lchil devenu aujourd’hui un village comme les autres avec ses peupliers au décor
austère et un «souk» sinistre et sale. Il s’est fait un peu plus triste par la
banalisation car il abrite, désormais, l’occasion de danses et de réjouissances
spontanées. Voir Imi n Lchil et mourir!! Bof, il faut bien passer par-là.
En remontant une sorte de pente de trois kilomètres, on arrive dans un cadre
enthousiasmant de TIZLITT (signifiant en Tamazighet le petit lac) à 2200 m
d’altitude. Tizlitt est un réceptacle naturel d’une eau claire dans un éther
rustique, surprenant et bon pour la méditation et la prospection. Un peu plus
loin, à droite, l’étendu de IZLI: le lac ou le grand lac par rapport au petit
antérieur. L’endroit est tout simplement sensationnel! C’est ici, sur le col qui
domine les deux lacs, que le poète Amendal aurait trouvé son inspiration. C’est
ici qu’il aurait composé le fameux poème (Tamdyazet) qui bluffa l’histoire de
toute la vallée (ses vers sont en cours d’assemblage). Dans le rythme de Wacht
(danse locale), il désigna les deux lacs comme étant de très beaux yeux satinés
qui auraient piégé Ayet Hdiddou à se sédentariser aux atterrages en pleine
montagne. Une même eau séparée par une arête de trois kilomètres à l’image des
deux franges locales Ayet Brahim et Ayet Iâezza. Il aurait imaginé le petit
lac-Tizlitt- comme une marié – Tislitt- d’un coté, et de l’autre le marié – Isli-
pour le grand lac: Izli. Il invoqua la difficulté naturelle de leur jonction et
donc condamnés à gésir chacun de son coté. Plus tard, ce poème sera relayé par
toutes les bouches de la vallée. Il est repris et chanté par les habitants dans
toutes les occasions car le chant ici, accompagne toutes les besognes; dont même
la marche! Heureusement qu’un peuple qui chante ne meurt jamais. Par la suite et
à force de l’usage, les deux lacs allaient prendre les deux dénominations à la
fois, l’une réelle: Izli, Tizlitt; et l’autre poétique: Isli, Tislitt.
A droite des deux lacs, à une poignée de kilomètres du coté Est, l’Ighrem de
Tilmi est au pied de Tizi n Inouzar (le col des pluies) qui fait effet de la
délimitation du territoire des Ayet Hdiddou. Ce bourg abrite la Zaouia- une
institution politico-religieuse et Arabo-musulmane. Ses habitants sont
originaires de «LEQBELT», qui signifie à la fois l’Est ou l’horizon du soleil.
Ce sens, a fait dire aux folkloristes des télévisions des arabophones de Rabat,
comme ceux de Casablanca que cette légende provient de l ‘Est, et pour eux ce
cap n’est autre que Oujda! Certes, une demi-douzaine des habitants de la Zaouia
de Tilmi était de genèse ou d’idéologie arabe car ils avaient une double
mission; celle affichée est d’islamiser la vallée. Alors que le non-dit, c’est
de l’arabiser et par voix de conséquence détruire les valeurs régies. Une charge
à ce jour de 2005 qui reste tout de même très loin d’être acquise; c’est
beaucoup trop prétentieux de penser qu’on peut dompter des mammouths par des
chéchias rouges. Pourtant, ces missionnaires auraient utilisé des glorioles
frénétiques où le sacré s’est étroitement lié avec le mensonge. Ils se sont
passé pour des «sidi» signifiant à peu près: des béatifiés. Mais les Ayet
Hdiddou n’avaient pas branché; des histoires connues de tous dans la région sont
là pour le confirmer. C’est ainsi que la Zaouia délégua un orateur déguisé en
chanteur. Il aurait repris les chants d’Amendal qu’il répéta devant les
péristyles des Igherman le long de la contrée, en sachant au préalable, que le
résonnant de ces vers auprès des habitants est très considérables depuis
l’époque de l’auteur. Avec une sorte de mandole traditionnelle, il s’est donné
au gagne-pain du troubadour. Il s’est présenté lui-même aux gens en tant que «Lmoughenni»
qui veut dire en arabe: chanteur. Au bout de chaque chant, il glissa, avec cette
finesse orientale, une des recommandations islamiques; mais aussi des louanges à
l’Est arabe. Finalement, les gens l’avaient adopté et accepté. On le surnomma: «Oulemghenni»,
puis Hmad Oulemghenni et par la suite: Sidi Hmad Oulemghenni. La faculté de
«sidi», l’aurait gagné non pour son appartenance à la Zaouia de Tilmi, mais
parce qu’il a tout simplement appris quelques versets du Coran par cœur.
Après sa mort, la Zaouia aurait demandé aux habitants du bourg des Ayet Âmer de
lui permettre son enterrement aux alentours des lacs secs; c’est à dire près du
lieu du rassemblement annuel des éleveurs de bétail ou l’Agdoud. Les sédentaires
auraient consenti, sous réserve d’interdiction des visites des lieux. La preuve
c’est que les Ayet Hdiddou avaient repoussé le parage des «Zaouaia » jusqu’aux
fin fond des confins de leur terroir; une du coté Nord et l’autre au Sud-ouest.
Elles portent toutes les deux le même nom révélateur: TILMI.
Des années plus tard, Tilmi auraient réussi finalement à construire un mausolée
dans un espace analogue; mais au voisinage de l’Agdoud. Ce dernier, ne céda
finalement que le nom et deviendra: Agdoud n Oulemghenni. Il continu toujours de
rassembler les éleveurs de toute la région et d’ailleurs. Les enjeux s’opèrent
de l’autre coté de la pierre tombale dont Tilmi, encore une fois, en a profité
pour seller des mariages des jeunes à la manière arabe et musulmane au lieu de
celle régie par l’Izerf. Ainsi, Les «Âdoul» affilaient chaque année sous des
tentes pour officialiser des fiançailles.
Pendant les années quatre vingt, les «soukistes» et des folkloristes en a voulu
tirer parti par deux fois en le baptisant: le moussem des fiançailles! D’une
part, ils voulaient ranimer le secteur tourisme qui ne profitait qu’à une bande
de démolisseurs. De l’autre, il fallait à tout prix avilir tout ce qui est
Amazighe notamment des occasions de ralliements. Cette orientation fallacieuse a
échoué en 1997 grâce au travail judicieux d’une phalange de militants Amazighs-
dont je faisais partie. L’Agdoud retrouva alors un autre parafe; néanmoins moins
sauvage: le «moussem d’Imi N Lchil». Cependant, la Zaouia, celle d’Errachidia
cette fois-ci, ne l’entend pas de cette oreille. Elle s’est déguerpie carrément
de ses réserves, mettant ainsi du coté l’islam, et opère dans une mission
utopique pour arabiser ce qui ne le deviendra jamais.
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