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Dda azayku , quelques
souvenirs
Par: Hha Oudadess (Rabat)
Dda Azayku! Qu’ai-je à dire? Que me suis-je rappelé?
Qu’ai-je oublié? La peine reste grande; l’esprit n’est pas encore reposé. Je
m’en vais, seulement, dire ce dont déborde le cœur.
Ô délice de compagnie! De jour ou veillée de nuit. Nous faisions le tour de
toute chose. Chacun s’exprimait comme il voulait; et l’autre le ramenait sur le
chemin. Si nous étions en désaccord, nous le résolvions par un «penses-y,
penses-y». Une, parmi d’autres, est que tu me disais «Le temps à venir est celui
de la culture et des peuples; n’aies crainte. Patiente, seulement. Il nous faut
réfléchir, faire du bon travail; c’est sûr que la lumière sera faîte». Ou
encore, quand nous nous retrouvions, lors de rencontres des Imazighen, et que je
te disais après que quelqu’un soit intervenu «Celui-là est un ennemi de
tamazight». Et tu me rétorquais «Non, il n’est pas mauvais. Pour le moment, il
ne peut pas comprendre plus; Il finira par comprendre». J’ai encore le désir de
parler de la largesse de ton esprit mais je ne sais plus quoi dire. Même si
j’allongeais le discours, je ne pourrais en faire le tour. Je dis qu’un vers
amazigh peut en rendre compte.
Le chemin est long, disent-ils
Nous en sommes capables.
Nous nous sommes connus en 1967. Nous étudiions à l’université, toi l’Histoire
et moi les mathématiques. Il y avait aussi quelques amis, tous étudiants à la
Faculté des Lettres de Rabat. Je vous écoutais, en train de discuter. Je n’avais
pas quoi vous dire sur les mathématiques; et qu’en auriez-vous fait!
J’accumulais vos propos sur la culture, sur l’Histoire, etc… Depuis ce temps-là,
j’ai compris que le point de vue sur nôtre Histoire était vieillot. Je me
souviens, lorsque vous vous confrontiez, que tu parlais du pays avec estime et
respect.
Et tu devins Professeur d’Histoire. Et tu nous ramenas des idées
révolutionnaires. L’une d’elles te conduisit en prison. Il y’en a deux autres
qui sont bonnes. La première est que nous pouvons dire que Tarik Ouzayyan est
l’un des fils de Tihîyya (Dihîya). La deuxième est qu’il y a eu deux Ôoqba; ce
qui a causé de la confusion dans certains écrits sur notre Histoire. Celui qui
veut en savoir plus sur tes point de vue peut se reporter à «Histoire du Maroc
ou les interprétations possibles; Centre Tarik ben Ziad, Rabat (2002)». Et il y
trouvera, entre autres, l’article qui lui permettra de connaître le sens de
Amezêmud (Masmoudi), Asnagh (Zenagui) et de Aznat (Zenati).
Parlons un peu de poèmes (poésie). Au début, nous avions invité le grand amedyaz
(aède) Moha Lbazz afin de l’écouter une semaine durant. Il n’oublia rien, de ce
qu’il savait, à nous dire. Nous le questionnions et il nous répondait. Il nous
rapportait même les chants des juifs du Gheris. Je ne sais pas, jusqu’à présent,
ce que chacun, de nous, recherchait. Ce dont je me souviens c’est que nous
voulions tous comprendre et que nous comparions mot à mot. Chacun visait son
propre but.
Arrivons en à tes propres poèmes. Je n’en écrivais pas, moi-même, en aucune
langue. Mais je trouvais les tiens délicieux. Et tu m’expliquais, tout ce que je
voulais, avec patience. Et tu me lisais tes poèmes. Merci beaucoup. Lorsque je
te présentai mes premiers poèmes, en français, tu me dis qu’ils sont bons. Tu me
dis encore que d’autres sont bons. Vint un temps où tu me demandas «Pourquoi
n’écris-tu pas en tamazight?». Je te répondis que je ne pouvais pas; que
j’ignorais, pour commencer, beaucoup de mots en tamazight. Tu me rétorquas «Ecris,
quand même; tout ce qui te vient à l’esprit, tu l’écris; tu arriveras à quelque
chose de bon ». Quand je t’ai montré mes premiers poèmes en tamazight, tu me dis
quelque chose telle que «Hêhô, t’y voilà; ils sont bons». Merci.
Revenons aux tiens. N’est-ce pas toi qui as dit
Genvilliers, de brume couverte
Qu’y couvre-t-elle?
La bravoure
La misère
Et la peine dans les cœurs.
Quand certains suivaient une idéologie de gauche ou de droite ou de l’arabisme,
tu optais, quant à toi, pour celle de la vie. Tu allais chez les ouvriers
immigrés en France, en particulier ceux de Genvilliers, et tu écrivais et lisais
pour eux des lettres (en tamazight) afin qu’ils reçoivent des nouvelles du pays
et en donnent à leurs familles. Tu en dis beaucoup, dans ce poème, sur la
misère. Ainsi, il y a ce vers qui exprime le pessimisme
Un jour, qu’ils attendent, n’arriva point.
Mais tu le finis sur une note d’espoir
N’est point lointain parmi nos jours
Le grand jour…
C’est bien toi qui as dit, parlant à ta mère, lorsque tu as été arrêté à cause
de tamazight
Au nom de Dieu, Ô Maman
A quelqu’un qui te rapporte
Que ton fils est arrêté
Ne pleure point et rétorque:
Je sais que voleur il n’est pas.
Je t’avais dit: Ô Dda Âeli, même si tu ne disais plus aucun autre vers, ces
mots-ci suffisent pour toi; avec seulement ceux-ci, tu es le patriarche des
poètes jusqu’aux temps infinis. Tu as mis toute la parole dans les vers suivants
C’est tamazight qui l’éleva
Sur les genoux de sa mère
C’est elle qui orna ses yeux
Le jour de sa naissance
C’est elle qu’il parla
Lorsqu’ils incendièrent son cœur
Il la parla aux fleurs
Ecloses dans les yeux de sa mère.
Que reste-t-il à dire? Tu fais de notre langue tamazight notre mère et tu poses
notre mère à la place de tamazight (notre langue). Tu imagines que les mains de
notre mère deviennent celles de tamazight et qu’elles ornent les yeux de nos
nouveaux nés. Tu ajoutes que les fleurs éclosent dans les yeux de nos mères. Et
qu’elles parlent tamazight, qu’elles la parlent aux bébés des Imazighen. Bravo,
pour toujours.
Tu en as vu beaucoup: L’accident, en voiture, près de Bordeaux; la prison (une
année), la maladie (Plusieurs années), etc… Mais, comme Abehri, tu as gardé goût
à la vie et, plus que tout, le sourire. Ceci est l’un des signes de ton niveau
de sagesse; celui des grands maîtres. Ta spécialité, l’Histoire, t’a appris – et
tu nous le répétais sans cesse - que le problème est difficile et qu’il n’est
pas facile pour les gens de notre pays de se retrouver afin de ne plus
poursuivre des mirages. Mais tu ne restais pas inactif. Tu répétais des vérités
simples dont tu espérais qu’elles ouvriraient les yeux de tout un chacun. Tu
vis, avant de nous quitter, l’ouverture hésitante qu’il y a eu. Peut être
t’a-t-elle satisfait. Quant à moi, ce n’est pas ce que je recherchais.
Tu ne fais pas partis des bavards. Toujours, lorsqu’on se retrouvait, tu
écoutais beaucoup et parlais peu. Propos succincts mais de grande charge. C’est
comme si j’entendais ton cerveau fonctionner lorsque tu parlais. Tels les
montagnards – et tu en es un - qui disent «Une seule parole en vaut une
centaine». Tu n’as jamais forcé quelqu’un à admettre ce que tu dis. C’est comme
si tu avais vu que ce que tu avais atteins était loin; et que tu te disais:
c’est goutte par goutte que la rivière finit par déborder.
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