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le parti à venir en question: qui saura défendre
imazighen?
Par: Hasan Banhakeia (Université d’Oujda)
«Si la lengua se salva, se
salvara todo.» (Si la langue est sauvée, tout sera sauvé.) [Jordi Pujol]
Je vais y avancer une réflexion à propos du naissant tourbillon «de partis à
venir ou en vue» qu’il faut confectionner pour avoir un Maroc démocratique,
ouvert et moderne. Par extension un Maghreb propre. Comment l’envisager ne sera
point la question débattue ici, mais plutôt je discuterai comment ce parti à
venir va «dévisager» le citoyen amazigh.
Un avant-projet relatif à la constitution des partis, préparé par le
gouvernement et les partis marocains, vient d’être proposé, et notre propos est
tantôt de le lire, tantôt d’avancer quelques remarques à ce sujet.
Qu’apporte-t-il alors de nouveau? Ou bien ne sert-il qu’à renforcer les
interdictions vis-à-vis de l’amazighité?
Désormais, faut-il remettre en question la constitution de plus de vingt partis
au Maroc qui sont dits éloignés des préoccupations du citoyen, du propre aveu de
leurs leaders? Ou faut-il revoir les textes de la Constitution? Faut-il encore
sceller l’interdition du religieux, du linguistique, de l’ethnique et du
régional, si la grande ambition de fonder une démocratie (basée sur l’autonomie)
est naguère citée?
De fait, cet avant-projet est récriture d’une conceptualisation politique fort
connue, «vétuste» et «commune» aux pays de l’Afrique du nord (ce qu’on appelle
UMA: Union du Maghreb arabe). L’article (42) de la Constitution algérienne,
l’article (8) de la Constitution tunisienne, l’article (1) de la Constitution
mauritanienne et l’article ubiquitaire du texte fondateur de l’Etat libyen
prohibent de manière unanime la création d’un parti qui s’appuyerait dans ses
principes, objectifs, activités ou programmes, sur une religion, une langue, une
race, un sexe ou une région. Soyons francs: des partis islamistes il y en a et
de très bons, des partis arabistes ils existent et de très forts (plus arabistes
que les propres baathistes du Machrek)…
Justement, il est de souligner que cette interdiction «civilisatrice» ne
concerne, dans les calculs normatifs et virtuels, que la fondation d’un parti
amazigh.
Il est temps de revoir, non seulement au Maroc mais dans tout le Maghreb, cette
«composition» et cette «vision» des structures politiques pour qu’ils puissent
réconcilier l’institutionnel, le constitutionnel et l’histoire. Et ce sera, là,
la base réelle d’une vision démocratique de l’Avenir.
1. Peut-il le parti «à venir», selon l’esquisse de l’avant-projet, savoir mener
à bien sa nouvelle-ancienne fonction: organiser les marocains et les
représenter? Peut-il être un projet qui réaliserait le développement social,
politique, culturel et économique?
2. Le parti concourt à tracer l’équilibre politique (le sien) bien que la
réalité socio-économique aille de secousse en secousse. Celui qui va venir
(c’est-à-dire ce parti prochain) peut-il secouer suffisamment les choses pour y
mettre de l’ordre et assurer l’équilibre démocratique?
3.Au Maroc, les partis sont nombreux: ils naissent vite, se «coagulent» vite,
disparaissent vite, reprennent vie et s’éternisent… sans pouvoir fonder un
discours propre ou une vision particulière, capables de «résoudre» le nœud de
ces crises infinies qui s’acharnent sur le pays.
Ce multipartisme, âgé de plus de quarante ans, est-il alors démocratiquement
sain et politiquement enrichissant? Le parti est-il alors l’Expression
appropriée du peuple? Par ailleurs, qu’a-t-il fait pour défendre la culture, la
langue et les droits de l’homme amazigh qui sont menacés de disparition?
En face de tamazight, ce multipartisme n’est pas pluriel. Il a une seule voix:
il est un monolithe lancé à la chasse des traces de l’amazighité.
4. Ici, chaque parti a des ombres mouvantes qu’il essaie de tisser ombrages
immobiles. Est-elle possible alors la pratique politique dans la fixation? Par
politique nous entendons cette tendance à «défendre» le citoyen, à l’«éveiller»
et à «l’inciter» à déchiffrer les aliénations et à se retrouver dynamique et
positif dans son milieu: préparé ainsi pour se réapproprier des droits
légitimes. Car dans l’idéologie d’un parti il y a toujours défense d’une
identité-culture. Là, qui saura défendre les Imazighen s’ils ne peuvent pas
avoir un parti propre?
Maintenant, hélas, le politique se confond avec cette tendance à l’aliénation.
Souvent, l’élu ou le leader se recherche une carapace populaire, pas
«démocratique», dans la simplification, la mystification, la promesse indue et
l’effacement. Ainsi, il arrive facilement à se réfugier, et par conséquent à
amoindrir l’intérêt général pour des droits spécifiques. Se couvrir pour bien
montrer! s’avère la devise ou bien la philosophie de ces politiques.
A travers l’histoire des Indépendances, le parti maghrébin, en général, s’est
fixé des interdits qui ne peuvent point affranchir le citoyen, ni l’éveiller. Il
se fixe incessamment des vérités «saugrenues», et planifie de manière unanime
des restrictions, et entend curieusement (par le dire) satisfaire le citoyen et
être son porte-parole.
Existe-t-il alors un vrai parti hic et nunc, à travers l’histoire de ce pays
éternel: le Maroc? Au début de la partition, il y avait mouvement national
apparu promptement au lendemain de la publication d’un texte «accusateur»:
l’amazigh, misérable, blessé et persécuté par les colons, y est saisi comme
l’ami des français… Ce mouvement –composé de petits bourgeois, éduqués à l’école
française et rassasiés- sait parfaitement lire le texte. D’ailleurs, il va
naître de cette rupture avec le paysan dépassé, le montagnard exilé, l’homme du
siba, l’analphabète sage, puis croître dans la crainte de ce groupe «allié» des
français, enfin mûrir (et s’enraciner alors) dans leur négation: à quoi bon, en
fin de compte, l’existence de la Marge?
5. Le parti traite le marocain comme s’il n’avait pas d’histoire très ancrée
dans la nuit des temps. Il le fixe instantanément afin de bien l’oublier.
Versons le parti dans une dimension historique afin de le légitimer et de le
réconcilier avec l’être maghrébin.
6. Consultons, avec courage, l’Histoire: le parti est né des calculs du
mouvement national, et ce mouvement des politiciens «organisés et citadins»
prend naissance d’un mythe (pour ne pas dire fabulation intériorisée et adoptée
comme Vérité fondatrice de l’équivalence amazigh-ennemi politique).
Cet amazigh haï tend à devenir l’antonyme du parti fondateur de la nation sans
qu’il ait rien fait dans ce sens: il est cette personne qu’on déteste, cet être
invisible et indivisible qui dort au fond de nous. Comparable à cette Cendrillon
qui ne peut vivre le foyer, la famille, la réunion, la fête, le bal… il lui
suffit de rêver!
7. Peut-il exister un parti «non ethnique» ou «non linguistique» au sein de
l’Union du Maghreb arabe (dit UMA)? Des partis humanistes au sein de la Libye
arabiste ? Des partis libéraux au sein de la Tunisie arabiste? Des partis
progressistes au sein de l’Algérie arabiste? Des partis participatifs au sein du
Maroc arabiste? Tous les partis de ces pays se valent non seulement de par leur
idéologie «incendiaire» mais surtout par leur inimitié nourrie envers le local,
l’autochtone, le propre, alors comment vont-ils s’unir ou s’organiser pour
résoudre les problèmes de ce bout de monde? De par l’ethnie amazighe. De par la
langue amazighe. De par l’amazighité. Ces trois éléments sont leur point
d’identification; et sans ces éléments distinctifs, rien ne peut les définir, ni
les légitimer. Et l’état empathique de ces partis ne peut, hélas, fonder une
réelle idéologie.
8. Du pouvoir, ces partis ne se délectent que du pouvoir. L’idéal, c’est le
pouvoir. La fin, c’est le pouvoir. L’organisation, c’est le pouvoir. La
représentation, c’est le pouvoir. La légitimité, c’est le pouvoir. Le droit,
c’est le pouvoir
Du vrai changement «démocratique», n’en parlons pas. Il ne peut être, bien qu’on
le veuille, un pouvoir propre.
9. Ici, le parti ne peut exister que comme faisant partie d’un système. Il est
même système. Sa raison, très systématique. C’est pourquoi, dans sa pratique, la
différence est à bannir, le regroupement à disperser, la réelle idéologie à
effacer, l’appartenance à dispenser, et des raisons ne manquent point pour
défendre d’autres regroupements, d’autres idéologies, d’autres appartenances
(qui ne sont nullement les siennes). Le préétabli définirait ce système. Et, en
conséquence, les partis en sont une pièce maîtresse, rouages indispensables mais
fragiles.
10. Cet avant-projet est également contre nature: en vue de renforcer la
présence de la différence politique il veut fonder des partis sans voix. Et des
citoyens sans parole. Rappelons le commencement de toute vie: Si nous perdons la
langue, nous perdons tout: l’expression ne sera, la communication n’aura pas
lieu, l’interaction (avec l’autre) nous placera dans le vide… ou l’effacement.
Que sera-t-il des institutions sans cette différence?
11. Curieusement, le parti maghrébin, dans son essence, condamne la nature. Il
s’annonce sous forme d’un ensemble d’opérations à défaire des réalités pour en
extraire la stabilité «instable» ou l’équilibre «déséquilibrant». Et il a sa
propre culture, pas celle de ce bout de monde dans lequel il croît, mais une
culture ramenée de loin, depuis des terres très lointaines. Car cette culture
lui assure le Pouvoir infini.
Ce doit expliquer pourquoi les partis maghrébins considèrent la réalité ethnique
(celle des Imazighen) comme un handicap (pour ne pas dire un danger imminent).
Où faut-il rechercher leur réalisme politique, qui est censé être la condition
sine qua non de la raison politique?
12. Ces partis sont aussi le discours du pouvoir. Il n’y a pas de réelle
opposition: ils sont indistinctement le même corps. Le flou. Le discret.
L’effacé. L’incommunicable. Le malentendu. L’indéchiffrable. L’insignifiant.
L’absurde. Surtout, l’inversé. Cette dernière qualité dérive amplement de leur
philosophie commune adoptée envers le propre. Ils incarnent cette autorité qui
est bien consciente de sa fin irréversible: l’éveil est là, tout proche… Et les
partis ont la tâche de «surseoir» cet éveil.
13. En conséquence, les militants des partis sont bien éduqués (pour ne pas dire
aliénés). Ce sont bien des rêveurs arrangés d’un éveil qui s’accrochent à ce
sommeil doux «qu’est l’aliénation», à ce lit vaste «qu’est la parole magique»,
liés corps et âme à des «causes» lointaines… Ils ont aussi un seul tempérament:
le ressentiment envers le propre. Dans la littérature du parti, c’est bien cet
effacement qu’il faut creuser, et dans les congrès (et dans les ateliers), le
soin prochain du propre est annoncé, hurlé, crié… puis soudainement effacé des
textes fondateurs.
La conjoncture interpelle l’union, et de la désintégration qu’en faire?
Cette éducation dépasse les partis pour se retrouver plus palpable dans les
associations de droits de l’homme. Là, l’humain est investi également de
restrictions: l’homme n’est pas totalement humain. Il y a des hommes humains, et
des hommes pas humains. Le propre est à mettre nécessairement (ou par la force
des choses) dans le second.
Et lors des élections, pour gagner facilement des voix le propre surgit fort
dans les gorges des candidats et des leaders…. Et le lendemain, qui est la
pratique du pouvoir, sera le temps de les éteindre...
14. Certes, l’indifférence envers le propre, c’est l’ossature de la politique
générale du parti maghrébin. Pourtant, il est question d’une indifférence tout à
fait particulière: elle établit tant de réponses malléables avant toute
interrogation censée déterminer la destinée de ce bout de monde. Le propre est
dit malpropre dans le débat de l’avenir. Le propre ne peut pas construire un
pays, ni un destin, ni une ouverture sur le monde moderne.
Le propre tue… car il est criminel;
Le propre détruit… car il est anarchique;
Le propre est un mal… car il est propre.
Et tant d’autres préjugés… politiques.
15. Le parti, c’est le parfait art de ne pas écouter cette voix populaire qui
clame fort: Justice à nous! Justice! Il a sa propre conception de la justice, à
entendre comme cette forme d’ordonnance et de légitimation des appareils de
l’État.
Au Maghreb, la dramatisation est vivante: à chacun son rôle, l’action est
apprise par cœur, pas le temps pour des rationalisations futiles! Le parti
encadre les citoyens sans les organiser, il les compatibilise sans les
représenter. Car l’Histoire a tissé tant de scènes tragicomiques.
16. L’avant-projet désagrège le parti pour l’emmener dans l’approfondissement de
la rupture –qui est toujours là- existant entre citoyens et partis. Les citoyens
font-ils confiance aux partis? Et de là aux institutions
17. Le parti d’ici est une fiction infinie où l’auteur retisse des fils et des
fils, ramende les striures et recolle les tissus tout en sachant qu’Ariane ne
saurait rien de son art. Que les citoyens n’aient plus à s’efforcer pour suivre
ces courbures, ces élans, ces voûtes, ces chutes, ces montées, en un mot ces
labyrinthes «politiques». Le parti s’exalte à se décrire fiction sans limites,
sans débordement sur le vrai, le réel ou le représenté.
18. Le parti a sa Mémoire particulière où le propre est malpropre, l’autochtone
un étranger, l’ici versé dans l’ailleurs, le présent rejeté dans l’absent.
Surtout, l’infini rendu fini. Car cette Mémoire est tronquée…
Que faire alors de ces griefs «historiques» contre l’Histoire qui tuent la
Mémoire? Peuvent-ils servir le pays, les citoyens et l’avenir? Et les partis ne
se lassent pas de parler d’unité, de nationalisme…
19. Le parti maghrébin, en général, se dit traduction des espoirs d’une classe
indéfinie. Le parti fonde la nation, pas la race. Il découvre les Idéaux d’une
Nation qui puissent traduire l’a-venir d’une Nation. Il devient alors
incarnation d’une Nation. Elle se proclame partout arabe (langue, race, ethnie,
région et religion se confondent!)
La définition «particulariste» est là.
20. L’esprit du parti n’est pas, au fond, patriotique, il exclut solennellement
l’âme de la citoyenneté marocaine. Ce bout de monde peut-il être s’il n’est pas
défini selon son identité propre? A sa place, les institutions disent autre
chose, même les établissements qui ont naguère le rôle principal de préserver
cet héritage identitaire, fonctionnent dans le sens inverse… Justement, il faut
y voir des velléités belliqueuses contre tout ce qui est fondamentalement
amazigh.
21. Bien que les partis soient actifs, leurs manifestes s’énoncent comme des
refrains: trop de paroles pour ne rien exprimer. De même, nulle frontière
idéologique ne les sépare. De fines affirmations soufflent le même air dans
leurs règnes. Leurs décisions et projets retracent l’inconnu car le connu les
tracasse: il n’est pas légitime. Tout un système de valeurs (qui n’ont rien de
mérite) fouette l’air à contretemps…
De l’écho, n’en parlons pas!
22. Ah, le droit! Taisons-nous. Passons à autre chose.
23. Au fond, dans ces vagues projets politiques, l’homme (pas le citoyen)
s’enlise dans l’Amnésie infinie qui change de mue comme l’éternel serpent. Qui
est-il? Où va-t-il? Que fait-il? Sont des questions fatidiques, mais peu
recommandables.
24. Si le parti unit les hommes, et si la politique se veut conception de
l’homme dans son milieu, qu’est-il de l’amazigh dans son amazighité
nord-africaine?
Et pourquoi une telle prohibition identitaire?
25. Certes, les Imazighen ne peuvent pas «faire» leur politique, ils s’assignent
plutôt le devoir de réaliser celle des autres. Peut-il y avoir un vrai parti
«représentatif» s’il n’est pas le miroir du réel? Éliminer ou ignorer ce qui
existe, c’est cela s’organiser pour faire de la politique? Taire la langue des
gens ou effacer, c’est cela représenter?
26. Depuis quand penser à soi et à son devenir est à voir comme un abaissement
moral, un acte raciste, un appel à la division, un chaos assuré? Depuis quand
revendiquer ses droits par le biais d’un parti politique est un acte dangereux?
27. Le linguistique est prohibé par le politique, précisément dans la formation
d’un parti. Cela pose problème à toute vision qui se veut démocratique: Peut-on
interdire cette œuvre commune à une ethnie? Peut-on interdire cette construction
symbolique et historique afin de parler d’expression démocratique? Peut-on enfin
interdire cette œuvre indistincte du peuple pour défendre le peuple dans la
pratique partisane?
28. Peut-être y aura-t-il une autre définition du parti? Ici, le parti est vu
comme une structure dépositaire d’intérêts particuliers où planifier au jour le
jour est précisément la philosophie du lendemain. Le parti change d’idéologie
plus facilement que de chemise. Pas de pragmatisme positif, pas de soucis pour
l’intérêt général. Au fait, y a-t-il un parti qui se voue à
l’anti-autoritarisme?
29. L’avant-propos se veut une construction idéologique qui se ramène à la
négation. Son esprit est une négation de l’homme marocain du fait qu’il ignore
son histoire, voire la conteste.
Rappelons que le parti est essentiellement une affirmation qui enrichit tant
d’affirmations, il ne peut se hisser nullement sur la négation.
30. Enfin, la légitimité démocratique et le faux multipartisme font un ménage
difficile où la cohabitation est nulle. Les Imazighen ont besoin de référence
politique, et le parti en est une dans un État de droit: il saura traduire leurs
préoccupations, défendre leurs ambitions et leur assurer des intérêts pour
l’avenir du pays.
Depuis quand la langue est-elle dangereuse? Ou un fait à interdire? Que disent
les partis marocains de l’arabisation (s’il vous plaît pas de la langue arabe)?
Il y est justement question d’une «cause nationale, nationaliste et
civilisationnelle!»
Prenons l’exemple méditerranéen, la démocratie espagnole, qui se renforce comme
modèle par Convergencia i Unio ou Esquerra Republicana Catalana, par le Parti
National Basque, par le Bloc National Gallègue… qui assurent de par les langues
à cette monarchie un statut de démocratie plurielle.
Si la constitution marocaine est censée interdire la formation de parti à partir
de considérations linguistiques, ethniques, religieuses…, condamnés au «mutisme
idéologique» les Imazighen ne pourront point reprendre leurs droits de par
l’exercice politique. Qui va les défendre?
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