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Femme amazighe et droits culturels
Par: Said Anarouz
Dans l’article intitulé «Femme amazighe et développement», publié dans le numéro
précédent de Tawiza, on a vu comment la femme amazighe participe intensément à
la vie symbolique de sa communauté: fêtes, cérémonies de noces, de mariage, de
funérailles… tissage à travers lequel elle exprime sa personnalité, ses
aspirations et ses déceptions. La femme occupe donc une place cardinale dans la
sauvegarde et la reproduction de notre culture amazighe. S’il en est ainsi, la
femme amazighe jouit-elle de droits qui lui permettent de s’épanouir dans son
environnement culturel et social et contribuer à son développement?
La notion de droits culturels est aussi ambiguë qu’imprécise puisqu’elle évoque
la notion même de culture qui est vague et diffuse dans la vie sociale et trouve
sa concrétisation dans tout ce qui se rapporte à la société: Organisation et
rapports sociaux, organisation politique, économique, militaire… Tout
comportement, individuel ou collectif soit-il, puise sa force et sa légitimité
dans la culture où il s’enracine.
L’individu se nourrit depuis son bas-âge de légendes, de coutumes, des us et des
habitus de sa culture maternelle pour faire face à soi-même, aux autres et au
monde.D’ailleurs, on parle de culture ou de langue maternelle pour mettre
l’accent sur le rôle prépondérant de la mère dans la formation et la
construction de l’identité de ses enfants Ceux-ci se détachent progressivement
de leur mère (rupture du cordon ombilical,sevrage…) sans pour autant donner lieu
à un sevrage culturel. L’histoire et la culture maternelle se prolongent
organiquement dans l’expérience des générations futures marquant ainsi la
continuité et la cohérence de cette culture. Le patrimoine maternel reste donc
le socle primordial qui constitue la pièce maîtresse dans l’édifice de la
personnalité de l’homme amazigh. Ce socle n’est pas définitif mais s’enrichit
avec de nouvelles expériences et de nouvelles histoires personnelles.
Le premier regard qu’on jette sur le monde qui nous entoure est imprégné par
l’héritage maternel. L’enfant passe par ce que Jaque Lacan appelle «le stade du
miroir» ou le corps de cet enfant est, dans la tête de celui-ci, encore en
fusion avec celui de sa mère. A cet âge l’enfant ne prend pas conscience de son
indépendance physique. De cette fusion et de ce contact charnel symbolique avec
la mère, résulte une influence concrète et évidente sur la conduite, le
comportement et la personnalité de l’enfant. La mère, de ce fait, joue un rôle
prépondérant dans la transmission des significations qu’elle donne aux choses du
monde à son enfant. Celui-ci puise donc sa force et son énergie dans le
patrimoine maternel.
La femme dans sa dimension maternelle assume une fonction historique qui
consiste à prendre en charge la préservation de la culture qu’elle transmet à
ses enfants dans ses différentes manifestations. La femme dans notre société
amazighe est porteuse de nos valeurs et notre âme dans son acceptation
anthropologique. Elle est de ce fait, gardienne des repères identitaires.
Reproduction et production de nouveaux modèles et de nouvelles formes
d’existence est le lot principal de la femme amazighe à travers sa présence
effective dans les scènes quotidiennes de notre vie symbolique. Source d’amour
et d’inspiration, la femme amazighe œuvre pour sauvegarder l’authenticité et
restaurer la mémoire collective menacée par les flux méditerranéens et
orientaux.
L’enfant amazigh s’épanouit dans le milieu naturel qui est le sien, un milieu où
l’histoire familiale est sa principale référence et son principal viatique
spirituel. Mais cet enfant nourri de légendes, de chants d’amour de la mère et
de la terre est vite projeté dans l’école; cet espace représente un univers trop
différent de l’univers familial où la mère est dispensatrice de l’enchantement
et de la poésie. L’école et son cortège de souvenirs traumatisants constituent
une transgression à l’héritage maternel dans la mesure où elle nie cet héritage,
s’en moque dans les meilleurs des cas .Kateb Yacine est très lucide sur ce
point: «Jamais je n’ai cessé, même aux jours de succès près de l’institutrice,
de ressentir au fond de moi cette deuxième rupture du lien ombilical, cet exil
intérieur qui ne rapprochait plus l’écolier à sa mère que pour les arracher,
chaque fois un peu plus, au murmure du sang, aux frémissements réprobateurs
d’une langue bannie secrètement, d’un même accord, aussitôt brisé que conclu…
Ainsi avais-je perdu tout à la fois ma mère et son langage, les seuls trésors
inaliénables – et pourtant aliénés.»(J. ARNAUD, Le cas Kateb Yacine)
L’ingratitude affichée ouvertement à l’égard du travail de la mère constitue un
véritable sabotage à notre édifice culturel .La négation de la culture
maternelle, encore vivante, nourrissante et porteuse de potentialités artistique
et intellectuelle importantes a pour objectif de contraindre l’amazighité de
travailler à sa propre disparition. La politique éducative, de ce fait, vise la
généralisation brutale, irrémédiable de l’oubli de soi au profit de l’hégémonie
arabo-musulmane étrangère à la réalité de la femme amazighe et à son histoire.
Briser la continuité des actions qui respectent les valeurs et la culture de la
mère en brimant l’amazighité par son élimination des secteurs vitaux tel
l’école, c’est exposer la femme et tous les membres du peuple amazigh aux
dérives idéologiques, les priver de leurs références ancestrales et les
assujettir aux définitions officielles qui sont les mécanismes d’accaparement et
de contrôle des pouvoirs.
Reconnaître les droits culturels de la femme amazighe, doit nécessairement
passer par la reconnaissance de son histoire, de sa mémoire, de ses légendes, de
sa poésie, de ses pratiques sociales superstitieuses ou mystiques soient –elles
et assurer le développement de son identité. Un défi difficile à relever surtout
lorsqu’on est en présence d’une culture politique qui n’écoute pas son
environnement immédiat et qui est sclérosée dans des structures archaïques; une
culture qui travaille et s’acharne avec tout les moyens pour réduire
l’amazighité à l’état de résidu .
«Lorsqu’on parle de droits culturels de l’homme,on est contraint de se référer à
une conception dominante de la culture, qui ne manque pas d’avoir une influence
sur le droit en général et sur le droit de l’homme en particulier pour se
limiter à une approche juridique de la problématique en la matière ».1
On assiste donc aux effets dévastateurs de l’hégémonie dominante qui ne tolère
pas la pluralité des voix et qui travaille partout pour les éradiquer.
1-A. BOUDAHRAIN,Les droits économiques,sociaux et culturels en équation au
Maroc,éd.Al Madariss,1999.
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