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L’esprit de TawizaPar: Houssa Yakobi L’article qui suit est un témoignage de reconnaissance d’une dette envers deux penseurs amazighs: mon ami feu Behri et M. Boudhane. Les lecteurs avisés savent que les deux peseurs partageaient un certain nombre de qualités: l’abnégation dans l’effort de production et l’acharnement à faire entendre la voix des imazighens. En plus des affinités que nourrit l’amitié, M.Boudhane et M.Behri appartiennent à la race des hommes qui sacrifient tout pour une cause. Mes propos peuvent paraître flatteurs(laudatifs). Qu’importe. La question est de savoir pourquoi on est, souvent, incapable de louer les efforts des intellectuels amazighs (par pudeur ou pur atavisme?) Bref, j’annonce la couleur: je dédie cet article à M.Boudhane tout en ayant une pensée, comme on dit, pour un ami qui nous a quitté trop tôt… A propos de TawizaDans le milieu des associations culturelles amazighes, il n’existe pas à ma connaissance, d’écrits sur le système Tawiza, contrairement aux associations de développement et des coopératives. Ainsi peut-on lire une description du fonctionnement de Tawiza dans la Revue de l’ODECO où il s’agit d’une contribution de chercheurs amazighs: MM. Ayt H’ddout Ahmed et Maroini Lahcen. IL convient en tout cas de revisiter la notion de Tawiza et d’essayer de réactiver ses implications en tant que système de gestion communautaire. Pour ce faire, je définirais Tawiza comme étant un recours à la conjugaison des efforts communautaires afin d’accomplir des tâches que les individus ou les familles isolés ne peuvent assumer seuls. Ce qui revient à dire que Tawiza se caractérise par un élan de solidarité appliqué à un ensemble de pratiques vitales telles que: - Tiwila ( tawila): fonction de berger assumée à tour de rôle; - moissons et labours collectifs ; - mullit : tour consacré au partage des eaux d’irrigation ; - mise en commun des outils de production; - aménagement et entretien des pistes et sentiers; - (re)-construction des canaux d’irrigation ; - partage de la viande après l’abattage d’un bovin; etc. Avant de commenter les pratiques inhérentes au système Tawiza, il convient de rappeler que l’Agdal (gestion des aires de pâturage) était pratiqué dans le même esprit de solidarité. .L’Agdal et Tawiza peuvent apparaître comme des garants de la cohésion des groupes (taqbilt, tigemmi, ighess…) Certaines de ces pratiques communautaires sont encore respectées: les membres de la tribu apportent des repas à chaque famille frappée par le décès d’un proche (une veillée importante a lieu chez la famille du défunt le soir qui suit l’enterrement). S’il arrive encore que des champs soient moissonnés à tour de rôle, cette pratique tend à disparaître au détriment d’un système de prêt: on prête une journée de travail qui doit être remboursée en nature ou en argent. Le prêt diffère du système Tawiza dans la mesure où le «prêt de main-d’œuvre» peut être facturé et surtout contracté entre deux individus (alors que Tawiza impliquait toute la tribu). On assiste donc à une transformation progressive de l’organisation communautaire: pratiquée en cérémonie de deuil et lors de l’entretien des canaux d’irrigation, Tawiza ne l’est plus quant aux travaux saisonniers (labours et moissons). Cette année (2004), l’entretien des pistes de Tarda (commune rurale de Zawit Cheïkh) a pris du retard car les gens étaient occupés par la cueillette de leurs propres oliviers! Là encore, assiste-t-on au recours à des ouvriers payés pour remplacer les gens qui ne sont pas disponibles (ou ayant choisi de faire autre chose que de participer au travail collectif). On l’aura compris, le système Tawiza ne convient plus aux personnes qui placent l’intérêt particulier au dessus des intérêts de groupes. Ce qui était vécu comme une contrainte nécessaire est de plus en plus ressenti comme corvée inutile car tout le monde était tenu de participer à Tawiza y compris les personnes inaptes aux tâches à exécuter (les personnes âgées, ou moins aptes physiquement, étaient présentes sur les chantiers pour préparer le thé, chercher l’eau potable et… haranguer les travailleurs fatigués ou tricheurs !). A propos de l’ Agdal… L’Agdal désigne des aires de pâturage interdites aux troupeaux pendant une période déterminée . Ces aires sont situées dans les plaines et les plateaux de basse altitude (transhumance d’hiver) et dans les hauts plateaux (transhumance d’été). Cette réglementation était confiée à un expert (« Amghar n ugdal ») et motivée par des raisons d’ordre écologique . Avant les transhumances d’hiver, les éleveurs devaient attendre que l’herbe soit haute et résistante pour être broutée sans être déracinée. Cette période de repos permettait à certaines plantes de développer une floraison génératrice de graines et… à l’Amghar N Ugdal d’exercer son sens de l’observation des cycles biologiques! Bref, l’ouverture de l’Agdal était annoncée par un crieur public, lors d’un rassemblement, en général le jour du souk. On assiste alors à des «processions» de bétail et de nomades qui vont converger vers les prairies. Les périodes de transhumance étaient attendues par les gardiens de troupeaux car la mise en commun du bétail les soulageait pour se livrer à des jeux d’adresse, à des rondes (danse de l’Ahidus), accompagnées de joutes oratoires. En fait, la fonction de l’Agdal ne se limitait pas à la nourriture des troupeaux dans la mesure où elle permettait aux jeunes bergères et bergers de s’initier à la vie communautaire… je garde un souvenir d’enfance inaltérable des nuits passées au clair de lune où les accents des Ait Hdiddou, des Ait Wirra et des Ait Melbekht étaient mêlés au chant de… ma bien aimée! Ces amours pastorales et la douleur de ma nostalgie ne sont peut- être pas accessibles à ceux qui croient que le terme Agdal ne s’applique qu’à certains quartiers des villes dites impériales et… ceux qui prennent les locaux de l’IRCAM pour une Tour d’ivoire! PS. L’abandon, dans certaines régions du Moyen Atlas, de la pratique de l’Agdal conjuguée à la déforestation et au défrichement a eu des conséquences graves: érosion et inondations spectaculaires…
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