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TAMAZIGHT, MODE D'ÊTRE OU LA QUESTION DE L'AUTHENTICITÉ Par: Hassan Banhakeia (Université d’Oujda)
Je ne suivrai pas l'écoulement de tes heurts Qui me crient: «Attends! La vie est là! Attendons vivre avec les autres, autrement.» Je me tais, je regarde et je meurs. Voilà tout!
Parler de la question du devenir, c'est débattre l'authenticité de l'être dans ses différents processus. Quand on parle de l'authenticité, l'on s'achoppe à une conception du vrai, du réel et de l'être. Authenticité, développée par un point de vue simpliste s'avère le contraire de l'altération et de l'incertitude, elle se définirait, pour nous, comme cet état naturel (objet) qui se constitue de vérités profondes propres à un individu en tant qu'être historisé et socialisé (sujet) au sein d'un collectif. Elle est alors synonyme du mode d'être. Qu'est-il de l'amazigh? Il apparaît simultanément comme un devenir infini et une identité finie, comme une présence signifiante et un statut d'absence. Son authenticité, c'est la définition de son être dans le concret et l'abstrait qui explicitent l'origine irréductible. De là, il est nécessaire de reposer les questions autour de l'être amazigh, de déconstruire ses points de fixité ou de fixation et de rechercher une redéfinition des aspects de ce mode d'être. I - Amazigh, devenir infini L'تtre amazigh est un devenir sans fin; des mouvements continus ou discontinus, propres ou étrangers, tissent sa vision du monde où il demeure un éternel inconnu qui se recherche une identité. Certes, il est là toujours, bien que les présences étrangères aient tout le temps essayé de l'effacer, de le réduire à une fin. L'amazighité a pu survivre à ces combats en adorant le puissant, le terrible et le cruel entre les siens ou chez les ennemis, et en maniant l'étranger jusqu'au point de se l'approprier, l'on dit alors que le degré de sa malléabilité est très important. En outre, elle croit aux lois des conquérants religieux, politiques, médiatiques ou culturels afin de survivre, elle défend l'altérité pour se définir, elle s'étend sur des espaces en prenant d'autres noms, elle érige des monuments en les nommant autrement… Bref, l'amazigh continue à fonder ce Vide insondable de son être avant d'instituer son être historique et civilisationnel. Son indéfinition dérive donc de sa conscience tronquée et altérée, bien qu'il soit d'une part un Ego naturel parce qu'il est objet sans aucun pouvoir d'autonomie, et d'autre part une Conscience car sujet muni d'un pouvoir précis. Par conséquent, tamazight, est-elle un principe actif? Possède-t-elle des qualités et des aspects valables? Agit-elle sur le monde des choses, sur l'univers? Est-elle un être en devenir capable de se déterminer? Quoi qu'il en soit, si l'on approche l'amazighité dans son hic et nunc, l'on observe maints aspects émanant de son être profond (sous forme d'éléments fixes et de fixation) et d'autres mobiles (qui sont derrière la mutation de l'être). Elle est à la fois vivante et morte, avouée et implicite, capable de communiquer et incapable, cohérente et décomposée, utile et inutile, moderne et anachronique… Il s'agit là d'une position complexe à définir du moment qu'elle signifie à la fois le positionnement de l'objet et celui du sujet. Voilà une attitude ambivalente! L'on trouve que la présence devient absence, et la mémoire décrite comme effacement. Comment est-il possible alors à l'amazigh de réagir vis-à-vis de ce contexte si difficile à définir? Tout ce qui a trait à l'amazigh soulève des questions irrésolues, à première vue déplacées mais au fond essentielles. Ce qui nous entoure rappelle à tout moment cet état des choses et des vérités, l'inauthenticité de tamazight et la force des autres langues-cultures qui entendent la substituer. L'incertitude est là, à attendre l'avenir de cet être culturel pour l'emmener sur son Vide. Le positionnement de tamazight reste alors la situation de cet héritage au sein de la société maghrébine. L'exclusion devient à ce moment plus logique que l'insertion de tamazight dans la fixation de la société maghrébine! L'amazighité devient incompréhensible quand il est question de définir ses rapports d'organisation dans le quotidien et l'institutionnel. II - Tamazight: Absence de l’être, absence du statut Sans reconnaissance, rappelons-le, il n'y a pas d'existence. Le mode d'être devient lieu de l'impossible. Au sein de la réalité, dans ses multiples formes et significations, il n'y a pas d'être pour l'indigène maghrébin. Pourquoi? Il est barbare, berbère et esclave tout court. Là, ce ne sont que des préjugés. Cherchons-les pour analyser leurs vagues raisons! L'absence provoquée de l'être amazigh, faut-il le dire, est un acte de prostitution généralisée; la société autochtone ne reconnaît plus ses points de fixation. Pourquoi un tel acte bas? Elle tend à ignorer son Etre, pour s'approprier des Apparences qui sous-tendent les manifestations du Rien. L'être amazigh vit alors dans son propre exil, entre la déchéance et l'oppression il ne reste à l'amazighité point d'autre repère d'identification. L'authenticité devient un redressement lointain pour l'être-à-venir en Afrique du Nord. Est-il alors trop tard pour que l'amazighité s'affranchisse de l'absence de l'être pour avoir le statut d'existant? Le nouveau mode d'être altéré suscite des questions autour du mode authentique: Tamazight, pense-t-elle son être? Y a-t-il une perception du monde à partir de tamazight? Arrive-t-elle à fixer l'univers des objets dans ce milieu, son milieu naturel? L'être amazigh est, en général, absent car il n'a pas de conscience de soi, de ses limites et de sa tendance au recouvrement. L'amazigh ne se définit en tant que sujet que s'il y a réalisation de l'être et la reconnaissance émise par l'autre, tandis que le plus important c'est son autoreconnaissance. L'autre ne reconnaîtra jamais un Moi qui vit dans l'absence. La présence ou la réalisation sont le devenir. Où est-il ce devenir vu inexistant? Où est-elle la reconnaissance jugée déplacée? Si l'amazigh ne représente rien, mis dans l'état d'objet, l'amazighité, quant à elle, s'avère substitution, altération et acculturation. Donc, le mode d'être s'avère une phase qui déterminerait les syncopes du devenir vers un temps fort (en tant que sujet), ou vers un temps faible (en tant qu'objet). Le mode d'être est une résolution d'un réel objectif relié à une subjectivité intelligente. L'amazigh développe une propension à s'identifier avec le faux pour cacher le vrai, le réel. Son portrait est proche de celui du renégat avancé par E.M. Cioran: «Il se rappelle être né quelque part, avoir cru aux erreurs natales, proposé des principes et prôné des bêtises enflammées. Il en rougit, et s'acharne à abjurer son passé, ses patries réelles ou rêvées, les vérités surgies de sa moelle. Il ne trouvera la paix qu'après avoir anéanti en lui le dernier réflexe de citoyen et les enthousiasmes hérités.» (Précis de décomposition, Gallimard, coll. Idées, Paris, 1949, pp.86-87) C'est bien l'amazigh qui essaye de nier ses aïeux, n'admet pas son monde et refait le système idéel afin d'outrepasser sa prétendue infériorité. Comme il est difficile de reconnaître les raisons de sa «faiblesse identitaire», de sa dissolution culturelle, de sa décomposition historique et de sa nature altérée, une question invariable et unique revient tout le temps: Comment se fait-il qu'un peuple disparaisse dans son propre espace? Qu'est-il advenu de son espace? Comment la subjectivité intelligente n'a-t-elle pas pu faire obstacle à cet effacement? Dans la réalité nord-africaine, les Imazighen n'ont que le simple sentiment d'être. Ils ne peuvent aller au-delà du simple et vide “Necc” (Moi), sans pouvoir rajouter à cette vague identification aucun autre propos de construction. Ils ne peuvent se définir ni dans la société, ni dans l'histoire, ni dans la pensée humaine… L'expérience identitaire s'avère impossible, d'autant plus que l'expression en “tamazight” se trouve graduellement prohibée, allant du sein familial (foyer) à l'institution (cité). Cette absence de “cité” est en construction alors que la destruction identitaire prend corps à tous les niveaux. Le sujet amazigh se trouve conduit dans le processus de la réification. Dans ce parcours, il ne s'arrête pas au niveau de l'état-objet, mais il se dilue dans l'Autre. Cette mise dans l'état d'objet est historique. Il est mis dans un état où le devenir ne peut le faire ressortir à former partie de l'histoire. Par contre, l'amazighité devient sens de négativité constante. Mais, le devenir est parfois possible dans sa réversibilité; la dégradation est de plus en plus enrichie. S'il y a reconnaissance de l'amazighité, sachons-le, c'est toujours en tant qu'assujettissement. Les Imazighen sont vus historiquement comme des serfs, des esclaves. Leur comportement dans la société en est une meilleure illustration de ce que développent les thèses hegeliennes. L'amazigh dépend essentiellement d'un système qui le renie totalement en tant qu'être autonome. Où est la conscience de soi? Question complexe. Comment est-elle la conscience de soi chez l'amazigh? Evidée. Vidée. Vide. Par conséquent, le statut se trouve nettement déterminé: Loin d'être un Moi qui exclut totalement l'autre, car l'autre habite essentiellement le Moi, l'amazighité (en tant qu'être) se révèle un espace nourri par des oppositions difficiles à définir. Peuvent-elles alors les consciences de soi présentes sur le sol maghrébin se réconcilier? Possible dans le jeu démocratique par la reconnaissance mutuelle, par un investissement équitable dans le réel. Les exemples ne manquent dans les pays du nord de la Méditerranée. Impossible dans une aire d'inégalité déséquilibrante. III - La conscience de vivre en marge… L'on dit que vivre en marge, c'est pire que mourir. Ce n'est pas vrai. Vivre en marge, c'est contempler librement le monde se mouvoir et rester fixe, sur un point dans la position de l'objet. Si de la réalité émane la vérité, l'amazighité est supposée véhiculer la reconnaissance d'un être en débris, d'une lutte d'agonie. L'amazigh est sans cesse jeté dans un monde indéchiffrable, dans un ensemble de systèmes tissés de convictions étrangères, de fois lointaines, de réalités inconnues; déchiffrer les motifs de cet univers serait tendre à s'éloigner de son origine. La conscience d'un amazigh est celle d'un vaincu: il s'attache davantage à la vie (qui est fondamentalement négation pour lui) sans vivre (qui est fondamentalement un droit total et intègre). Il se positionne dans l'état de l'objet, esclave de ses mouvements d'hésitation. L'amazigh choisit son état de chosification au lieu d'aller vers la mort… Selon Hegel, l'amazigh reste dans l'état de l'animal. D'où son indolence à réagir devant des critiques fascistes qui lapident continûment le sujet amazigh. Le peuple amazigh est vague à définir; son essence un pur échec dans le devenir. Son mode d'être est un autre échec plus cuisant en tant que devenir à-venir. Son impuissante expression relève de son incapacité à changer, à dominer ou à maîtriser le destin de l'Afrique du Nord. Les préjugés mènent tamazight à l'incertitude. Pourquoi? Tamazight n'a de dogmes solides qui la défendent. Faut-il les créer? Oui, et c'est la seule issue! Il faut dire: «Tout se crée.» Mais, entre les Imazighen, rares sont les voix qui embrassent cette conviction, d'où la continuité à vivre en marge au lieu de penser à redéfinir son mode d'être. IV - Redéfinition des aspects de l’être Si l'on sait bien qu'il n'y a pas d'idée construite pour être neutre, et si c'est l'homme qui la crée à seul dessein de la faire signifier, que dire alors de cette allergie chez les amazighistes à fonder une vision ou un système de significations. Encore, si l'idée de tamazight se réveille-t-elle sous l'effet de la douleur d'être, ce n'est point un drame si elle tend à prendre parti, à signifier, à «s'idéologiser» ou à investir cet héritage nord-africain d'une vision qui pourrait le sauver de sa léthargie ou de son impuissance à répondre à des discours purement idéologiques, mais surtout antagonistes à notre être. Faut-il tout d'abord doter l'amazighité de déterminations positives, ensuite l'investir d'activités pour enfin la définir dans un système relationnel où elle est appelée à cohabiter avec d'autres modes et d'autres visions du monde? L'identification, voire cette recherche de définition du sujet amazigh, est toutefois un exercice-discours qui tendrait à fixer un mode d'emploi capable de faire mouvoir la question amazighe. Aussi doit-on rappeler que si le sens de ce qui est présent s'efface chez le locuteur qui vit dans la peau d'un déraciné, c'est bien à cause de cette appréhension à prendre parti, à identifier «systématiquement» l'univers amazigh. Ce dernier se manifeste inconnu pour les siens, que dire alors de la vision des autres, l'amazigh se plaît surtout à approfondir la réflexion sur son être en tant qu'alter Ego. Il est faussement Sujet, n'arrivant même pas à atteindre le statut d'un objet. Pour être éternel, il faut la trace, un indice matériel. Si le tifinagh a plus de 50 siècles, qu'en sont devenues les traces de définition de l'amazigh? Si notre histoire a plus de siècles, qu'est-il advenu d'elle? En un mot, qu'est-il advenu de l'être amazigh vu en tant que totalité? Que faire? Les recherches d'un intellectuel restent au fond des efforts d'un individu, mais celles d'une institution sont une fixation. D'où l'urgence à demander dans ces institutions afin de fonder nos Ideaux absolus et d'en créer d'autres. En conclusion, l'amazigh vit essentiellement dans l'attente infinie de l'Etre, de prendre enfin sens au sein de son univers. L'amazighité est appelée à se multiplier indéfiniment pour être car elle vit dans l'aire de la réductibilité ou de la réduction systématique qui l'emmène irréversiblement au Vide. Ainsi, son Histoire devient une simple histoire (fiction) où toutes les intrigues sont possibles et les vérités de possibles improbabilités. Loin de plus en plus de l'authenticité irrécupérable… H.Banhakeia |
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