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La
popularité des festivités du nouvel an amazigh n’est-elle pas une raison
suffisante pour officialiser l’événement?
Par: Abdelaziz Sadik
Introduction
Le rituel des fêtes du nouvel an amazigh est l’une des pratiques culturelles
amazighes anciennes et qui continue à se pratiquer encore de nos jours dans
différents pays de l’Afrique du Nord (Tamazgha), malgré les invasions de grandes
civilisations de cette terre qui a toujours été convoitée pour sa situation
géographique stratégique, sa beauté et ses richesses.
En effet, cette région de l’Afrique a connu les invasions des Phéniciens et des
Carthaginois (1100 av.J.C à 147 av.J.C), les invasions des Romains (146 av.J.C à
432 J.C), les invasions des Byzantins (533 J.C à 633 J.C), celles des Arabes (à
partir du sixième siècle) et celles des Français et des Espagnoles (à partir du
vingtième siècle).
Il est donc intéressant de savoir comment le peuple amazigh a su garder sa
culture et sa langue durant toute cette longue période pendant laquelle il a
subi plusieurs tentatives d’assimilation culturelles et linguistiques et il s’en
sort relativement, chaque fois, sein et sauf. Nous n’allons pas répondre, ici, à
cette question car cela nécessite des études plus profondes. Mais nous voulons
juste tirer l’attention des chercheurs à l’importance capitale de comprendre ce
comportement miraculeux qui a permis à ce peuple de conserver sa langue et sa
culture durant toute cette longue période.
Aperçu historique sur l’an amazigh
Le nouvel an amazigh coïncide toujours avec le 13 janvier du calendrier
grégorien. Le peuple Amazigh fête cet événement les 12, 13 et 14 janvier de
chaque année chrétienne pour réaffirmer son attachement à ses valeurs
culturelles ancestrales.
Le nouvel an amazigh porte plusieurs noms: on l’appelle «ikhef n usgwas», «haguza»,
«îd n uherwîd», «îd n ennayer», «îd n tegwlla», «tagwlla n ennayer», «ennayer»,
«bennayu n îd n ennayer» etc.
D’après les chercheurs dans l’histoire ancienne des peuples de la Méditerranée
et de l’Afrique du Nord, le nouvel an amazigh remonte à l’année 950 av.J.C quand
le roi amazigh Chichoungh a pu vaincre et soumettre l’une des plus grandes et
prestigieuses civilisations de l’histoire humaine. Il s’agit de la civilisation
des Pharaons de l’Egypte ancienne. (1)
Ainsi, Chichoungh fut le premier roi amazigh ayant régné sur l’Egypte entre 950
av.J.C et 929 av.J.C. C’est, donc, à partir de cet événement que le peuple
Amazigh a pu commencer l’écriture de sa propre histoire. Ainsi, nous sommes
aujourd’hui à l’année 2956.
Evidemment, des populations amazighes ont vécu et continuent de vivre encore, en
Egypte. En effet, il y a 20000 Siwis qui parlent quotidiennement tasiwiyt
(tamazight de Siwa) et qui n’utilisent l’arabe et l’anglais qu’avec les
étrangers. (2)
Les écrits parlant de cette époque et de la région de l’Afrique du Nord,
affirment, également, que le calendrier amazigh a été adopté par les Grecs à
l’époque du dictateur Roman, Jules César qui l’a pris des Imazighen en 45 avant
J.C et l’a officialisé par la suite. (3)
Ce calendrier n’a cessé d’être utilisé en Europe qu’au 16ème siècle (1582 J.C)
lorsque le pape Grégoire 13 a proposé l’adoption du calendrier chrétien, appelé
aussi grégorien. (4)
Cependant Imazighen continuaient à utiliser le calendrier amazigh sous le nom de
«asgwas n tiyreza» (l’année du labour) ou, en arabe, «assana alfilahiya» ou tout
simplement «alfilahi» (l’année agraire).
Le déroulement des festivités du nouvel an amazigh.
Il convient de noter avant d’entamer la description des festivités du nouvel an,
que cet événement est fêté, sous différentes appellations, dans tous les pays
amazighs (Tamazgha): aussi bien par les populations arabophones que par les
populations amazighophones et aussi bien dans les villes que dans les compagnes.
En effet, Emile Laoust rapporte dans «Mots et Choses berbères» que «la nuit de
janvier», « îd n ennayer» porte des noms qui diffèrent selon les régions. Les
Ait Youssi l’appellent: asgwas ujdid «l’an neuf», les Ait Segheruchen, Izayan,
Ichqeren: îd n haguza «la nuit de la veille, les Ait Warain l’appellent biyanu,
terme que l’on retrouve dans l’expression: bennayu n îd n ennayer «bennayu de la
première nuit de janvier» par laquelle les Ksouriens de Timguissin désignent le
feu de joie qu’ils ont alors l’habitude d’allumer.
D’après les croyances populaires, un démon, sous les traits d’une vieille,
passe, cette nuit-là, par toutes les maisons et par toutes les tentes. (5)
Au Maroc comme en d’autres pays amazighs, le rituel des fêtes du nouvel an
amazigh, se résume, en général, en un repas assez copieux et différent du
quotidien suivi des rites destinés à écarter la famine, augurer l’avenir,
consacrer le changement et accueillir chaleureusement les forces invisibles
auxquelles croyait l’amazigh. Ainsi, d’après E. Laoust (idem. (5)), on mange:
-tagwlla bouillie épaisse, chez les Ait Mzal, Ida Oukensous, Ait Issaffen, Tlit,
Iznaguen, Idouska, Igliwa, Ihahan;
-du couscous à gros grains appelé berkoukes, chez Illalen;
-des produits végétaux (les sept légumes) «sbaä lkhdari», à Tlit, «sa lekhdert»,
chez Ait Issaffen;
-les volailles (chez les Ait Tamemt: l’usage est de manger deux poulets, «autant
qu’on a d’oreilles»); mais cette pratique n’est pas généralisée d’après E.Laoust;
-de l’urkimen, préparation composée de toutes sortes de grains cuits avec les
pieds de l’animal égorgé à l’Aid Lékbir1;
Evidemment, ce repas est servi au souper de la première nuit de janvier.
Cependant, Plusieurs régions font un second repas la deuxième nuit voire même un
troisième repas, la troisième nuit, chez Imsfiwan2 et Nzout3, notamment. Le
repas de la deuxième nuit diffère selon les régions. En effet, chez les Ntifa4,
il est constitué de poulets et des œufs; chez Imsfiwan, on mange berkoukes et
chez les Nzout, on mange ibriyen (sorte de couscous dont les grains sont un peu
gros) avec zegziw (les sept légumes).
Chez les Ntifa, après le repas de la première nuit, il est d’usage qu’une des
femmes de la maison prenne une poignée du couscous et la dépose sur le montant
supérieur de la porte de l’habitation «imi n laätebt n berra». Chez Imsfiwan, le
repas de la première nuit est le tagwlla appelé aussi tarwacht. Lorsque le repas
est cuit, une des femmes de la maison prenne une petite quantité dans un
ustensile avant de saler le reste et le servir. Après le repas, la même femme
met des boulettes de tagwlla non salé dans des cuillères qui seront posées dans
un endroit non couvert, exposé à l’air. Le lendemain, la même femme, qui doit
reconnaître la boulette de chaque membre de la famille, examine les boulettes de
tagwlla et tire des présages d’après la nature du poil, du brin de laine ou de
plume que le vent y a déposée au hasard. Si on y trouve, par exemple un brin de
laine, on sera propriétaire de nombreux troupeaux de moutons et si on y trouve
une plume, on possédera beaucoup de volailles etc. Chez les Ntifa, la femme de
la maison examine de la même manière la boulette de couscous et tire des
présages.
A Nzout, le repas de la première nuit est constitué du tagwlla comme chez
Imsfiwan et des œufs comme chez les Ntifa à la deuxième nuit.
Chez Ihahan5, avant de se coucher, les femmes déposent sur la terrasse, trois
boulettes de tagwlla correspondants aux trois premiers mois de l’année: janvier,
février et mars, sur lesquelles elles jettent une pincée de sel. L’examen des
boulettes, le lendemain, leur fournit des renseignements sur la nature des
événements météorologiques qui vont survenir: la boulette sur laquelle le sel
est tombé en déliquescence, indique, celui de ces mois qui sera particulièrement
pluvieux.
Chez les Ait Mzal6, entre autres, avant de servir tagwlla, on jette dans la
marmite une petite pièce de monnaie, un noyau de datte «aghwourmi n tiyni» et
parfois l’écorce de l’argan «ireg n wargan». Celui qui trouvera, dans sa
boulette la pièce de monnaie sera riche; celui qui tombera sur l’écorce de
l’arganier deviendra pauvre; et, celui qui trouvera le noyau de datte, possédera
de nombreux troupeaux.
Le repas de la seconde nuit est constitué de poulets et des œufs. Chez les
Ntifa7, il faut une volaille entière par personne. La femme enceinte en mange
une en plus pour l’enfant qu’il porte en son sein. Chez les Kabyles8, la famille
la plus aisée sacrifie une volaille par membre: le coq pour l’homme (sexe
masculin) et une poule pour la femme (sexe féminin). Un coq et une poule pour
une femme enceinte dont l’espoir qu’elle n’accouche pas d’une fille.
Chez les Ntifa et Nzout, avant d’aller se coucher, chacun serre dans un nouet,
les coquilles des œufs qu’il a mangés, fait dans le pan de son vêtement où elles
restent toute la nuit. Toutefois, ce rite est pratiqué, chez Imsfiwan, à la nuit
de Amâchour «(nouvel an musulman). Les anciens prétendent qu’agir ainsi, c’est
s’assurer de ne point manquer d’argent dans le cours de l’année nouvelle.
D’après E.Laoust, la femme des Ntifa procède au renouvellement des pierres du
«four traditionnel», «takat» en les jetant à l’extérieur pour les remplacer par
de nouvelles pierres dans l’espoir de vivre dans la paix et la prospérité dans
le cours de l’année nouvelle. Chez les Chaouis et les Kabyles9, on procède
également au changement des pierres du kanun (inayen n l’kanun).
Chez Imsfiwan, d’après les croyances populaires, on mange tagwlla pour avoir de
la pluie, berkoukes pour avoir une bonne récolte d’olives et des poulets avec du
«trid» (sorte de pain très mince fait du blé), pour que tous les membres de la
famille ne manqueront pas de vêtements dans le cours de l’année nouvelle. Il
faut également mettre tous les légumes se trouvant dans la maison sur le toit
avant la première nuit de ennayer sinon, ils seront transformés en rats.
Au nouvel an amazigh, on formule des vœux et les enfants chantent dans les rues
des chants spécifiques à cette occasion.
Conclusion
Le calendrier amazigh a été inventé par le peuple amazigh sur le sol amazigh
(l’Afrique du Nord). Il n’est donc ni importé ni emprunté. C’est un produit
marocain, algérien, libyen… Bref, le nouvel an amazigh est un produit
typiquement amazigh. C’est pourquoi le peuple amazigh n’a jamais cessé de le
fêter.
Pour sa part, le mouvement amazigh a commencé à le célébrer chaque année, en
l’intégrant dans le programme de ses activités culturelles, depuis la création
des premières associations amazighes. Actuellement, le mouvement amazigh
organise, à chaque occasion du nouvel an amazigh, des grandes fêtes, un peu
partout au Maroc.
Ainsi, les responsables des associations amazighes, font tout pour réserver de
grandes salles afin d’organiser des spectacles au public Marocain, aussi bien
dans les villes que dans les compagnes. Pour eux, faire participer le grand
public à la célébration de cet événement, c’est l’attacher à sa culture et à ses
valeurs ancestrales.
Car d’après l’adage, un pays qui oublie son passé ne peut pas avoir son avenir.
C’est pourquoi, il est légitime que le peuple amazigh récupère sa mémoire
séquestrée dans les camps de l’idéologie «arabo-islamobaathiste» depuis des
centaines d’années.
C’est aussi le temps de réclamer, en plus, de l’officialisation de la langue
tamazight, l’officialisation du calendrier amazigh. Il est inconcevable, pour un
citoyen marocain conscient de son identité amazighe, de voir l’état offrir des
vacances à l’occasion du nouvel an musulman ou du nouvel an chrétien et faire
restriction au nouvel an amazigh. Autrement dit, comment peut-on concevoir que
l’état partage des moments de joie avec d’autres peuples alors qu’il ignore
complètement ceux de son véritable peuple?
Un état qui se veut démocratique, doit respecter surtout la volonté de son
peuple, son identité, sa culture et son histoire.
Bref, il convient à l’état marocain, s’il veut être respecté par son peuple,
d’être avec lui et non pas contre lui. Ainsi, il doit déclarer, sans tarder, le
nouvel an amazigh, une fête officielle au même titre que le nouvel an chrétien
et le nouvel an musulman.
Notes:
(1): Journal Tamunt n°10. Février 1996. Rabat (Maroc)
(2): Izûran : magazine socio-culturel n°10. mars/avril-2000. Tizi-Ouzou. Algérie
(3) : Journal Le Monde Amazigh n°14-15. Janvier-2002. Editions Amazigh. Rabat.
Maroc.
(4) : idem (3).
(5)Emile Laoust « Mots et Choses Berbères ».Collection Calques. Edité par
Société Marocaine d’Edition.1983-Rabat (Maroc)
1 Cet exemple illustre parfaitement l’impact des fêtes musulmanes sur le repas
du nouvel an amazigh. Réciproquement, à l’occasion de certaines fêtes musulmanes
comme : Achoura, l’Aid Lékbir, l’Aid El mouloud et l’Aid El fitre, plusieurs
régions marocaines font des repas typiques aux repas de la première nuit du
nouvel an amazigh, notamment le couscous, tagwlla, et berkoukes, entre autres.
2 Imsfiwan ou encore Imsiwan sont des populations amazighes qui ont des terres
aussi bien à la montagne qu’à la plaine. D’après ces populations elles-mêmes,
dont je suis moi-même natif, on mange le tagwlla, la première nuit, berkoukes,
la deuxième nuit et les poulets, la troisième nuit.
3 Notre ami et collègue, Ait Lehri Omar, âgé au moins d’une quarantaine d’années
et natif de Nzout, nous a affirmé que les populations de sa région fêtent îd n
ennayer en trois nuits comme chez Imsfiwan.
4 Cet exemple est cité par E. Laoust dans son livre : «Mots et choses berberes».
4 Exemple cité par E. Laoust (idem. supra.)
5 Idem. 5
6 Idem. 5
7 Voir article de Madjid Boumékla publié dans Le monde Amazigh n°14-15. du 31
janvier. Rabat (Mapoc).
8Idem 8
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