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régénération de l’humain à
travers les symboles zoomorphes dans les contes
par: Hassan Banhakeia (université d’oujda
«L’homme est un animal sociable» (Montesquieu)
L’analyse suivante s’inscrit dans un projet ambitieux, entamé depuis de longues
années, visant à étudier les rapports existant entre la littérature orale et la
mémoire populaire. Elle se réfère au champ des contes, tradition bien ancrée en
Afrique du nord, qui représente fondamentalement une vision particulière du
monde.
Notre corpus, composé de quinze contes différents, se base sur quelques contes
rifains recueillis entre 1987 et 1989 dans la région de Ayt Sidal et Ayt Nsar
auprès de personnes âgées (actuellement hélas décédées!), tout comme nous
consultons ici quelques contes recueillis de la région d’Ayt Znasen.
Soulignons au passage qu’écouter un conte est un exercice facile, et y
rechercher des symboles suppose une série de difficultés au niveau de
l’interprétation.
Ainsi, notre enquête, réalisée grâce à un magnétophone suivie d’une
transcription et couronnée par une traduction de tamazight vers le français,
constitue manifestement une altération du conte qui vit dans l’oralité
«naturelle», et en conséquence l’intégrer dans le système de l’écrit renforce
encore l’éloignement de l’authenticité. Néanmoins, partout nous avons l’habitude
de lire le conte «comme un texte écrit», et nous y suivons la tradition.
D’ailleurs, faut-il le dire, heureusement que le mythe de l’écrit a peu égaré
les marocains de leur propre culture: et le conte vit encore dans ses aires
naturelles…
Il est de noter également que le conte est à définir comme la parole commune
d’un peuple. Il en est la pensée profonde, mais également une expression
nécessaire, détournée et symbolique. Il en représente aussi l’aire
d’affranchissement total: c’est avec lui l’imagination qui crée précisément
l’univers. Il est enfin la survie de la parole, dite langue, tout en
s’investissant comme l’instrument de sa propre langue… dont il est lui-même
l’instrument, faisant de cet amalgame «positif et intellectuel» à la fois la
parole et la pensée. Quels contes ont survécu à travers la parole? Quelle langue
aurait pu survivre pour nous véhiculer tant de contes depuis des temps
lointains? En Afrique du nord, parole et conte sont attachés à l’Histoire du
peuple qui, ayant connu tant d’invasions et de génocides, sauvegarde, du même
coup, ses contes et les contes d’autres peuples méditerranéens (à tradition
orale ou écrite indistinctement).
Ici, nous allons approcher cette interaction entre la parole millénaire et la
pensée infinie (fondatrice) qui constituent l’imaginaire populaire, et axer
davantage notre étude sur le rapport humain-animal. De fait, les contes que nous
regroupons ici sous l’axe de «contes d’animaux» offrent au lecteur une variété
de démultiplication, et nous ne nous abusons guère sur la possibilité de les
analyser dans un tel système cohérent et binaire: homme / animal. Notre propos
est d’étudier le symbole zoomorphe et son fonctionnement à travers les
différents rapports à l’homme, autrement dit les rapports entre le naturel et le
culturel. Les contes marocains offrent diverses significations d’une telle
jonction fondatrice dans la pensée humaine.
Pour nous, l’animal constitue une partie de la nature, et il est aussi doté de
mouvement et de spontanéité, donc plus proche de l’homme (culturel). Il serait
aussi l’incarnation du contact avec l’humain d’une part dans la domestication et
les bienfaits, et de l’autre dans la saisie des sens du monde.
Aussi bien allons-nous nous référer à la symbolique zoomorphe mais sans
prétendre nullement cerner toutes les formes de l’animal. Plutôt, nous
entreprenons de rechercher les interprétations «possibles» du rapport
régénérateur animal / humain. Par ailleurs, les dictionnaires définissent
«régénération» comme l’acte de:
1°- usage rare: reconstituer une partie détruite d’un être vivant;
2°- en religion, et par extension: faire renaître à la pureté, à la vérité, au
bien;
3°- au XIVe siècle: renouveler en redonnant les qualités perdues.
Notre analyse s’appuie sur le premier et le troisième sens puisque la seconde
acception nous emmène à nous situer à un niveau d’analyse «subjectif». Autrement
dit, il est pour nous, d’expliquer l’usage du symbole zoomorphique tantôt comme
une «compensation» symbolique de l’humain «détruit», tantôt comme son
«idéalisation». Ainsi, derrière le zoomorphique, et notamment la classification
zoologique, il y a à dégager d’une part différentes conceptions de l’être et de
l’univers, et de l’autre divers rapports qui les unissent.
Rappelons que le symbole, à l’instar du mythe, est l’expression d’un ensemble
complexe de visions (partielles ou totales), de représentations (cohérentes ou
contradictoires) de la réalité. Il se définirait comme une Représentation
précise (nommé, sous forme d’objet) de quelque élément de la nature en vertu
d’une correspondance pour signifier quelque chose de construit et d’abstrait.
En outre, il est totalement lié aux idées «extraites» au niveau de
l’interprétation, et que le système des «symboles» est un ensemble de traits
culturels qui constituent l’identité dans sa totalité. Des questions se posent
au niveau du fonctionnement des symboles dans le conte rifain:
- Le symbole «d’animal» fait-il partie de la structure du conte?
- Quels sont ses significations et fonctionnements par rapport à l’homme mis en
scène qui est dans un état précis: quelqu’un de «détruit»?
- Y a-t-il une logique de tels fonctionnements qui pourraient «sauver l’homme»
de son errance, sinon l’idéaliser?
Il n’en demeure pas moins que la présence du zoomorphique est à prendre comme un
ressourcement de l’imaginaire au sein d’un conte. Elle en est notamment
l’inspiration. Cependant, il est de déceler les différentes significations du
zoomorphique à travers les contes rifains pour signifier la présence humaine
dans une telle production.
I.- DE LA SYMBOLIQUE ZOOMORPHIQUE, EN GENERAL
Les symboles zoomorphiques tendent à «objectiver» le réel, se manifestant sous
forme de système. Ils supposent la transfiguration, la métaphore, la métonymie,
le mythologisme… Par une telle symbolisation, l’on découvre la représentation du
monde humain dont les signes sont révélateurs de l’abstraction.
En outre, ces symboles sont principalement corrélés à l’histoire des êtres. De
même, par le fonctionnement symbolique, le conte assure au patrimoine
nord-africain une continuité tantôt dans l’imaginaire collectif, tantôt dans le
réel «changeant». L’on remarque aussi dans le corpus des contes recueillis que
les symboles sont attachés fortement à l’Histoire de l’homme nord-africain, à
ses sentiments, à ses rêves, à son modus vivendi, à sa vision du monde… Ces
éléments sont intéressants à analyser dans la production des contes, genre qui
exprime par excellence la pensée populaire à travers l’histoire, dans la mesure
où ils révèlent le côté «caché» de l’humain par le biais d’autres éléments. Ici,
dans notre corpus, bien que le symbole ait divers emplois, il a une seule
fonction au sein d’un système de valeurs: assurer la reconnaissance entre
l’homme et l’animal. Et c’est au lecteur de décoder le système des valeurs qui
«se cachent» derrière cette symbolique. De fait, dans la confection d’un symbole
se confondent des valeurs culturellement objectives et des désirs subjectifs (du
conteur). Le symbole, en général, sert à fonder l’être dans ses formes et signes
d’identification. Le symbolique fonctionne dans ces contes en tant qu’ensemble
d’éléments qui assurent le mouvement vers l’intérieur de l’être, une rencontre
avec la prise de conscience.
Par ailleurs, le discours du conte est tributaire du culturel, du collectif et
de l’être défini. Précisément, ce discours renforce et consolide l’imaginaire
ethnique. Pour interpréter le symbole, il est utile d’analyser les
correspondances possibles du conte, les images retracent la réalité,
représentant «poétiquement» (peut-être magiquement) le réel: elles ont une
signification totale, respectant par là la loi de l’analogie: «Tout est à
l’origine de tout». Il revient au lecteur de répertorier les valeurs qui se
«cachent» derrière le symbole et de les «investir» de significations car il
produit une activité spontanée et première.
Loin d’être une action purement ludique et esthétique, les contes deviennent un
moment de réflexion profonde sur la destinée de l’être ethnique. L’être amazigh,
investi d’un rapport spécifique à l’environnement, imagine son mode de vie à
travers les contes. Il définit ses rapports à l’animal, et crée des projections.
Dans la création d’un symbole «animal» se confondent toujours des valeurs
culturellement objectives et des désirs subjectifs (du groupe ethnique). Par
conséquent, le problème de la définition des limites entre les deux aires se
pose: l’humain et l’animal font partie de la même totalité…
La dimension symbolique est présence dans les contes, voire une nécessité
fondamentale. Elle apparaît sous forme de comparaisons, d’allégories, d’images,
de paraboles, de mythes, de fables… pour fonder un système total de l’être dans
le monde nord-africain. Des signes zoomorphiques, une vingtaine, comme «ifis»
(hyène), «aqzin» (chien), «tadbart» (pigeon), «yis» (cheval), etc…, abondent
dans notre conte, constituant ainsi un lexique fondamental de tamazight. Le
symbole «animal», investi de divers emplois, ne révèle qu’une seule fonction:
systématiser la culture… En définitive, par le symbolique «animal», les contes
fondent des images d’identification ou de définition de l’être, c’est-à-dire des
images primaires, pour ne pas dire primitives.
Dans ces contes, y a-t-il une hiérarchie des symboles? Quelles sont les
significations (ou les charges idéologiques) de ces formes? Rappelons que le
symbole est la perfection dans l’union entre le réel (nature, l’environnement)
et l’esthétique (l’imaginaire construite de l’homme), entre l’objet et le sujet,
et qu’il est également le reflet idéal du subconscient collectif émergeant de
l’inconscient du conte. Ainsi, il faut dire que le conte met à nu l’origine des
symboles archétypes de la langue, de la tradition et de l’être, d’où la
difficulté de notre analyse.
II. LE MONDE ANIMAL ET SES RAPPORTS À L’HOMME
D’après ces contes, le monde qui nous entoure, renferme l’œuvre de l’homme, mais
aussi des présences «compagnes» que sont les animaux. Ces derniers sont des
objets, c’est-à-dire des êtres au service de l’homme: «Les objets du monde
extérieur n’ont de valeur intrinsèque autonome. Un objet ou une action
acquièrent une valeur, et, ce faisant, deviennent réels, parce qu’ils
participent, d’une manière ou d’une autre, à une réalité qui les transcende.»
(Le mythe de l’éternel retour, p.14) Ainsi, l’homme demeure le Centre ou
l’Idéal, et les animaux ses exemplaires.
Si les contes quêtent des symboles dans le réel, c’est précisément dans
l’objectif de les investir de définition. Cela se réalise à partir d’un ensemble
de manifestations, de détails recueillis par le conteur. A partir du répertoire
(paradigme) des symboles du conte, il y a mise en relief des analogies, des
énigmes et des métaphores confectionnées afin d’expliquer l’humain.
Voici un tableau de quelques symboles «animaux» utilisés, ces signes expliquent
peu ou prou la charge culturelle dans le conte rifain:
1) IGHYAL, AGHYUL (âne)
* Souvent, le conteur utilise «hacak!» quand il présente et cite cet animal
(conte 9) ; (c.13)
*ils servent fondamentalement, dans les récits, pour labourer et transporter…
«Yiwey tyuyya n yighyal, yiwey akid s asghar, cway n wghrum, iruh.» (c.1)
«Csint rbezz nsent x yij n wghyul.» (c.1)
* Il est aussi un jouet pour les enfants: «Ttugha ghar s ij n wzouq, ghar ad
tghab, ad taggwej cway x wexxam ns, itteffegh wrba nni yettirar xaf s, yennay
xaf s; tuhher temzva, war tufi mamec gha ad as tegg» (c.3)
Pour bien saisir sa fonction dans les contes, il faut conférer à:
Aghyur ighettren ihenjaren: attrape-nigaud
War yessin mechar ikessi ughyur: il ne sait juger les efforts d’autrui
2) UCCEN (chacal)
* Le chacal appelle l’ogresse: «henna» (grand-mère) et entretient de bons
rapports avec elle (c.1)
* Il lui donne aussi des conseils: «-a henna tamza maghar war te-trebbid? Ij n
wass a temghared ad t-taffed i l3qayeb nnem xmi gha tewsared.
tenna s tamza:
-Ghark ssehh, ta qao war days xemmegh!» (c.1)
* Il a un autre côté «méchant»: il dévore «lebhayem» le troupeau de brebis et de
moutons (c.2), (c.4)
* En conséquence, il est souvent chassé par les paysans, et capturé par «lmendaf»
(guet-apens) (c.4)
pour bien saisir sa fonction, il est nécessaire de se référer au proverbe:
«Uccen war ikesseb»: le chacal ne peut pas élever le bétail, on ne peut confier
quelque chose à quelqu’un qui n’est pas digne de confiance.
3) IZMAR (agneau)
* Il s’agit d’un animal peu présent dans les contes. Il signifie l’agneau
(tétant) (c.4), (c.2)
4) IFIS (hyène)
* Il attaque souvent le troupeau de «vaches» et de «veaux» (c.4)
Pour étudier une telle fonction, référons-nous à l’expression courant: Yegga am
yifis (pour signifier une personne sans scrupules)
5) AQNENNI (lapin, lièvre)
* Dans les contes, il apparaît comme un animal qui aide le protagoniste: «-uc
ayi cway, ad ac inigh; ad ac inigh ij n rhajet.» (4)
6) AOELOUL, YAZIDv (coq)
* Il est présent dans les domaines de «tamzva» (c.1); (c.9)
* Il sert à informer: «Aoeloul d wqzin qqimen traghan.
-Lila! Lila! Mmis oemmim aqat barra.
Lila tesghuy xaf sen:
-war xaf i ddehcem!» (c.1)
cf. Il est à rattacher à l’expression: Yegga yazidv (pour signifier l’air à la
fois hautain et bas de quelqu’un).
7) AQZIN (chien)
* Il est aussi présent dans les domaines de «tamzva»
* Il sert essentiellement à rapporter des informations, notamment à informer
tamzva
* Par rivalité, il se bagarre avec le coq: «aoeloul d weqzin mmenghen, msewtan»
(c.1)
* Les deux animaux informent tamzva de tout: «D uoeloul d weqzin qqimen traghan:
-Lila d mmi s oemmi s rewlen! Lila truh aked mmi s oemmi s!” (c.1)
* Il est, en fin de compte, utilisé par l’homme malin, et en conséquence puni
pour rien: “yeqqen aqzin nni degg ict n cjaret, yuley ij n ideydey degg ij n
rfarε, yettawey it usemmid yeccat aqzin nni yetzu.” (c.5); “asemmid
yettawey azdud nni yeccat aqzin ghar uzedjif yetzu, yesghuyyu. Iwa tahenjirt nni
tghir as baba s aqat dinni.” (c.6)
8) AYDI (chien)
* Cet animal accompagne le chasseur (à identifier souvent avec le protagoniste)
(c.4)
* Cet animal fait peur à l’ogresse: “-gwdegh ittan nnec! Aghac ij n ucenkuk,
qqen ten zzay s!» (c.4)
* Si le chien touche le sol, il n’a pas de force (c.4) (cf. Mythe de l’Atlas)
Cf. Personne de mauvaises mœurs
9) ASIWAN, ISIWANEN (buse, milan)
* Il s’agit d’un oiseau porte-malheur: «mara tufim tnayn n isiwanen tmenghan war
ten fareq” (c.1)
* Animal mythique et légendaire: «-ruh ghers i yij n yizmer tmelh-t, tessers-t
zzat i ij n tarya. Isiwan ad asen a zzay s ccen, ad swen aman, wen zzi sen
iserden mmi c aqa war izemmer ad ifarfar.» (c.1)
* Oiseau adoré: «yezra ca n iqubεan degg ij l r3ucc sghuyyun s raz. Iqubεan
nni d arraw n usiwan. Ami ten yezra amenni, yettef ij n umya, ighers as, yuca
sen t: qqimen ttetten armi jiwnen.» (c.4)
* Oiseau “salvateur”: «Asiwan nni yekkar yarra s aysum nni id as yuca zi tmessat,
yeqqim war yes3ukkuz.»( c.4)
10) TAFUNAST (vache)
* Elle représente le sacrifice pour avoir la bonté de Dieu: «tenna i waryaz nnes:
-mara texsed a xaf nnegh yesmeh arebbi ixess a nghars i tfunast a!» (c.2)
* La femme peut se métamorphoser en vache: «tenna s tacna nnes:
Mara texsed a cem wtegh s thezzamt inu x w3rur a tdewred d tafunast, a tecced
arrbi3 a ; xmi gha tkemmred, εawed a wtegh s thezzamt inu x w3rur a tεeqbed
3awed d tamettut.» (c.2)
* Lors de la métamorphose, elle peut être rédemptrice: «tekkar tqess aysum n
tfunast nni, tessenwi t, tegga amensi, tecca ar ami tejiwn. Arraw n tfunast nni
qqimen xezaren. Mermi mma tecca tnettar ixsan n yemma tsen, nihni kessin ten,
jemmεen ten. Nihni ad csin qaε ixsan nni, ruhen ar ami iggwjen x
wexxam, ntin ten. Ami ten ntin, teghmi d ij n cjart n tiyni.» (c.2)
cf. Femme grossière et grosse
11) TIGHEYDT N WEZGHAR (gazelle)
* Cet animal est également tributaire d’une métamorphose: «yeswa zi tara nni,
netta ad ye3qeb d igheyd.» (c.2)
cf. Jeune fille, pucelle
12) ALGHEM (chameau)
* Il est souvent en troupeau dans les contes (c.11)
* C’est un animal très cher pour le propriétaire: «-a mmi, a tahhred a t3ezzed
war t3ezzid am targhent tacemlalt.» (c.3)
* Car son lait est bon (c.11)
* Et il a aussi une fonction magique: -ixess ad tawyem aghi n terghent ittilin
degg uhidur n yemma s.
Mamec yegga ughi ya? Mani ttiri terghent a? Targhent a ttili degg wjenna, degg
ict n tmurt war t yiwid ura d ijn.» (c.4)
* Cet animal habite le septième ciel: «Ami yiwed ajenna, yufa targhent nni gha
yezziy tettes. Netta iwessa t usiwan, yenna s:
-qa malla tezra nnegh, aqa ad nnegh tecc s tnayn id nnegh!
Iwa yufi t tettes, ige3d ghars mahend ad t yezzi.» (c.4)
cf. Animal adoré
A ce propos, il est de noter l’entrée du Dictionnaire Touareg-Français de
Charles de Foucauld qui dit:
«Fakrou: de la chamelle du prophète Saleh// Des impies ayant tué Fakrou, Dieu
les métamorphosa en bêtes sauvages, d’où l’expression «imenghi n Fakrou» (tueurs
de Fakrou) qui signifie «bête sauvage» (par extension «laid»).» (p.314) Il
serait intéressant d’y étudier les points parallèles.
13) (A)YIS (cheval)
* A l’encontre de l’âne, dans les contes il sert pour se promener, monter et
partir à la chasse (4) ; (c.9)
* Le lait de l’ogresse le rend faible: «tuca rum i iyisan ; rum nni tegga xaf s
cway zi ughi n iffan nnes.» (c.9)
* C’est aussi un animal fidèle: «Iwden ghar yij n ssedjah d uyis nni a ten
yendar din, netta ad ye3qeb ghar bab nnes ar anu. Yendr as asghun, yessiry it
id.» (c.9)
cf. Animal adoré
14) TAZERMUMIT (petit lézard)
* Il est décrit dans les contes comme un être magique et expérimenté: «Netta
yamenni d yij n tnayen tzermemmuyin qqiment tmenghant ar ami yict zzay sent
tedren ; tenniden truh ttazer, tekkes ict n terbi3t, thekk as i wanzaren, d
tenni ad tfaq. Yezra tarbi3t nni, iruh, ura d netta, yegga i uma s amenni ;
ihekk as anzaren, netta ad ifaq.» (c.4)
cf. «Ddez azedjif i uzermumi qber i gha yedha d fighar» (écrase la tête du
lézard avant qu’il ne se métamorphose en serpent.) Cela veut dire: Il faut
enrayer le petit mal avant qu’il ne s’aggrave.
15) TASEKKURT (perdrix)
*Il sert d’aliment pour l’aigle qui va dans les sept cieux: «Yisi t x wεrur
n s ; yeqqim kurma gha yadef ij n ujenna, yecc as ict n tsekkurt» (c.4)
* La perdrix est aussi un état de métamorphose d’une fille belle: «tarbibt nnes
tegga s ict n tessineft di wzellif, nettat a tedwel t tasekkurt. D tasekkurt nni
truh ghar wurtu n ujedjid, tbedd degg ij n wxrij n ughanim.» (c.6) puis «Iruh
ujedjid yettef tasekkurt nni, yessekk as x uzedjif, yufa days tissineft nni id
as tegga tmettut n baba s. Yekks as tt, iwa tedwer d tamettut.» (c.6)
«iwa teqqim tmecd-as, nettat a tettef ict n tessineft tegg-as-tet degg wzedjif.
ca d nima tedwer d tasekkurt, tferfer, tuca ghar ij n wedrar yu3ra.» (c.10)
* Elle aide les bergers à chasser le loup: «deg wedrar-enni tasekkurt-enni
tddeffar initcan d lebhayem nsen.
mi d gha yas ghar sen ca n wuccen teqqar-ir i initcan uca ttazzren xaf s.
nettat ttruh ttett min itghiman zeg weghrum nsen.» (c.10)
* En outre, elle chante et loue les moissonneurs (c.10)
* Elle est, curieusement, désirée par le prince comme épouse ! (c.10)
* En lui arrachant l’aiguille, elle redevient fille belle. (c.10)
cf. fille fine, gracieuse
Tegwar am tsekkurt: elle marche finement.
16) (A)MUCC (chat)
* Il porte un nom, par exemple il s’appelle ‘Mesoud’ (c.6)
* il s’agit d’un animal magique: «mara tessiwles awal nnem d llwiz, mara trud
imettawen nnem d anzar, malla ddehced taddehact nnem d tfuct.» (c.6) et «-ruh
malla tessiwled d tikaccawin d ifighran, mara trud d idammen, mara ddehced d
tadjest.» (c.6)
17) TADBART (pigeon)
* Il apparaît comme un être magique, doté de parole: «tidbirin nni qqiment
ssawalent jar asent: zix d yessi s n uruhani nni ma ked yegga l3ahed. Ami swint,
ssersent affriwen n sent dewlent t tirbatin. Iruh, netta, ghar waffriwen nni
yisi yijen, yeffar it: tin yufant affriwen n sent dewlent t tidbirin, ferfrent,
ruhent ; tenniden, teqqim d tarbat war tufi affriwen n s: tessiwer, tenna s:
-wen li gha d yerren affriwen inu yeghna-t arebbi.» (c.7)
cf. Jeune fille, vierge gracieuse, pucelle
18) TASERDUNT (mule)
* Il est un moyen de transport (c.8)
19) LOEWDA (jument)
* Animal stérile, il sert d’allégorie aux femmes malheureuses: «Tugha ghar s,
tanya, seb3a n t3ewdiwin ura n nihenti war ttirwent.» (c.9)
«tiεewdiwin, kur ict yarrz xaf s ij n uzedjad.» (c.9)
* Elle met au monde une «tejdeot» (comparée à une ogresse !) (c.11)
* Ce petit dévore les chameaux et sa propre mère: «tijdeot-enni tecca yemmas.»
(c.11)
20) (A)FIGHAR (serpent)
* Animal dangereux: «Yemmerqa degg wbrid ij n ufighar yexs a t yezεef.»
(c.9)
21) TAMZVA (ogresse), AMZIW (ogre)
Deriv. Verbe: «Amez»: prendre, saisir
Tummezt: contenu du creux de la main
*Personnage imaginaire. Est-elle un animal ou un humain? Un monstre?
* L’ogre a sept têtes (c.12)
* Il vit aux dépens des villages, par le chantage… (c.12), (c.13)
* Elle vit dans une maison haute et grande: «cwiya d nihenti ad awdent zzat i
yij n wexxam yu3ra» (c.1)
* Elle a chez elle de grands pots, des jarres, des tapis, des sacs, du bétail…
(c.1) ; (c.9) ; (c.13)
* Elle apparaît au début généreuse: «-Ad ruhegh ad swejdegh atay ; sersemt beεda
arraw ncent ad tareyhent, qa tuhrent.» (c.1)
* Elle est maligne: «tesseghfel yemma s n terbat, tisi tt, teffar itt, tegga
zzat i yemma s ij n udeydi» (c.1)
* Elle mange beaucoup: nous avons l’expression «Turu day-s tamza»
* Elle dévore les ânes: «hedd ittett aghyul n sent, te3qel itt, te3qel tmettut
nni xaf sent i3arden.» (c.1)
* Elle dévore les bébés: «-malla ccigh cem, aysum nnem ad ayi yerseq di teghmas,
idammen nnem ghar d taneqqitt deg w3eddis inu !» (c.1)
* Elle parle aux humains, leur demande conseil et les dévore: elle a dévoré «bucrawet»
(c.3)
* Elle a des sœurs: «necc ad ruhegh ad εerdegh yessma.» (c.3)
* Elle a une fille: «Ami texzar temza di trakna, tufa idaren d ifassen n yelli s
; iwa ileqq nni, tekkar a terz taberrakt, s3a u la s tezmir.» (c.3)
* Elle meurt par le feu: «mara texsed ad mmtegh, ruh aked yessma m ghar ragwaj,
ggent fus deg wfus, terwahent s tazzla, ndarent iman ncent x tberrakt ; xmi gha
tewda tufint ayi, teccent ayi.» (c.3)
Tamza d yessma s ggint mamec dasent yenna, uca nihenti ad arghent, ad harqent.
* Elle parle aux ustensiles: “Tamza tragha x tyudar qa3 nnes, qaε lehment
ghar s” (c.1)
* Elle a peur des chiens: “-Gwdegh ittan nnec! Aghac ij n ucenkuk, qqen iten
zzay s!» (c.4)
* Elle a donc de longs cheveux. (c.4)
* L’ogre chante le village: il mange et dévore une fille à chaque fois (c.4)
* Elle est souvent infanticide (c.5)
* Elle enchante les chevaux par le lait de ses seins (c.9)
* Elle a de gros seins qu’elle met sur les épaules pour travailler ou être plus
forte: «tegga iffan nnes ssa d ssa, x tghardin. Truh ghar wdrar nni a t teghder.»
(c.9)
* Elle se revendique toujours comme faisant partie de la famille: «tanutt)
(c.1), «3emti» (c.9).
* Elle peut creuser et déplacer les montagnes (c.9)
* Elle épouse celui qui la vainc: «wen dayi gha igherben ad ayi yeghder ad
t-awyegh.» (c.11)
* Elle apparait comme une personne autoritaire, elle maltraite le mari: «mara
tru yelli ac ccegh, mara war dayi teswejded mayen gha ccegh, ac ccegh.» (c.11)
* La fille de l’ogresse est ogresse: elle dévore les bébés, anthropophage (c.11)
IL EST D’OBSERVER:
1) En plus de leur valeur, les animaux sont à diviser entre «aquatiques»,
«terrestres» et «célestes» et par là nous aurons la vision chez les imazighen de
la terre, de l’eau et du ciel. La classification zoologique se présente ainsi:
TERRESTRE:
*DOMESTIQUE:
A) Utile: IGHYAL ; AGHYUL (âne) ; AQZIN (chien) ; AYDI (chien) ; ALGHEM
(chameau) ; YIS (cheval) ; MUCC (chat) ; TASERDUNT (mule) ; L3EWDA (jument).
B) Comestible: IZMAR (agneau) ; A3EL3UL, YAZID (coq) ; TAFUNAST (vache).
*NON DOMESTIQUE: AQNENNI (lapin, lièvre) ; TIGHEYDT N WEZGHAR (gazelle) ;
*SAUVAGE: UCCEN (chacal) ; IFIS (hyène) ; FIGHAR (serpent) ; TAZERMUMIT (petit
lézard).
ANTHROPOMORPHE: TAMZA, AMZIW
CELESTE:
ASIWAN, ISIWANEN (buse, milan); TASEKKURT (perdrix) ; TADBART (pigeon).
2) Les animaux aquatiques et marins sont absents du conte. L’espace de la mer
est presque absent.
3) La symbolique zoologique subsume également la transfiguration, la métaphore,
la métonymie, le mythologisme…, en un mot, une métamorphose de l’homme. Une
telle présentation survit dans nos traditions.
4) Nous ne trouvons pas les animaux suivants: icfar (tortue), agharda (rat),
aslem (poisson), takettuft (forumi), etc… Pourquoi une telle absence?
L’imaginaire de ces contes est d’un répertoire limité...
5)Qu’est-ce que la parole de l’animal dans le conte? Exprime ce que l’humain ne
peut pas révéler?
6) Dans le cas de l’ogre ou de l’aigle, se nourrir de la chair humaine n’est-il
pas seulement une pratique liée à l’interdit?
7) Les actions «être» (ili/iri, lla/dja) et son antonyme «non-être», «devenir,
se métamorphoser» (dha, dwer) sont présents dans une logique où toutes les
manifestations apparaissent possibles.
8) Le combat du héros contre le monstre heptacéphale est analogue au récit
mythologique chrétien de saint Georges qui affronte et tue le dragon. Dans Le
Folklore de la France, tome I, de P. Sébillot, 1904, à la page 468, nous avons
d’autres saints gaulois: saint Samson, saint Julien, sainte Marguerite, saint
Bié, etc… ils éliminent le dragon sans lutter. Pour les chrétiens, le monstre
est tricéphale. Chez les Imazighen, il est heptacéphale . Quelle serait la
signification?
9) Les métamorphoses des animaux en humains sont fréquentes. L’humain ne se
reconnaît pas en tant que tel, dans la mesure où il cesse de l’être (c-a-d
humain). L’homme se métamorphose en un animal pour refaire son humanité au
retour.
10) Lors des métamorphoses, la naissance miraculeuse de Mqidech apparaît la plus
importante à étudier, surtout que la technique des correspondances entre mules
et femmes est bien menée.
11) Quel animal symbolise le «maître des lieux» ou les «autochtones»? Pour les
anthropologues, ce sont les serpents et les dragons qui les représentent
parfaitement ! Conte des monstres, les conquérants doivent lutter pour occuper
leurs terres, et cela peut-il expliquer au niveau de la réception, la timide
«présence» des reptiles dans nos contes?
12) Enfin, les symboles de la réalité absolue (arbre de la vie, de
l’immortalité, de la jouvence…) font défaut dans ces contes populaires.
IV. DE L’IMAGO MUNDI A TRAVERS LA SYMBOLIQUE ZOOLOGIQUE
Les symboles véhiculent une série d’images sur le monde. L’imago mundi
(l’univers dans son essence) est intéressant à déchiffrer dans l’univers des
contes. Soulignons ici que l’image, en général, se produit dans l’au-delà des
mots, elle vit à travers le textuel (ici le contique) pour atteindre la
dimension symbolique. Ainsi, l’interprétation du symbole est explicite dans la
mesure où il n’y a pas de complexité au niveau du rapport image-signification,
ce qui change ce sont bien les formes de réalisation.
Nous nous sommes satisfait de quelques significations manifestations explicites
des contes étudiés. Elles renvoient toutes, et de manière explicite, à
l’identitaire. C’est par l’animal que l’humain s’investit de significations.
Cela s’explique par le fait que l’identité se présente comme quelque chose de
nomade, sans point de fixation. Le recours à la nature pour se retrouver est en
soi-même une recherche pour connaître son être. Est-elle alors possible la
fixation à travers l’usage des symboles «animaliers»? Le conte sonde alors le
réel afin de voir clairement la vérité des choses. La nature lui sert
d’intermédiaire. Le moi (du protagoniste) et la nature (animal) forment un seul
corps.
Aussi est-il de noter que dans le conte, l’au-delà est tributaire du réel
objectif. Il est le déterminant des différents états. Sont-ils des symboles
archaïques? Comment représentent ces contes l’Être Suprême? Seulement dans
l’exemple de «tamza» ou «amziw», cette figure serait le symbole du Commencement,
une forme qui n’est pas achevée («Un non fragmenté»... De par l’emploi de ces
animaux, il y a réalisation de l’être archaïque. Ce dernier serait ce héros
défiant l’écart qui le met en marge. Il s’oppose à l’histoire qui est faite
forcément, irréversibilité...
EN CONCLUSION
A travers les contes, par l’emploi des symboles zoologiques la nature demeure
polysémique; ses significations sont multiples. Par l’emploi des symboles
«animaux», le conte se veut d’essence purement emblématique, il est la pure
union avec la nature, c’est-à-dire avec sa propre nature. Là, nous saisissons le
rapport de ces contes aux réels, et surtout à la fabrication de l’imaginaire qui
en découle. Ainsi, le zoomorphisme, métamorphose en animal, se précise en tant
que manifestation d’une identité culturelle.
Enfin, pour le Maghrébin, le conte est le peuple, l’histoire. Il est à chacun,
pardon à tous. Il est de chacun, c’est-à-dire de tous.
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