|
Réflexions
sur la graphie à adopter pour la langue amazighe Par Dr. A.H. OUSADDEN (Fès) La session que
tiendra le Conseil de l'Institut Royal de la Culture Amazighe le 23-12-2002, a
pour but essentiel de décider du genre de graphie dont il faudra doter la
langue Amazighe pour la sortir enfin de l'oralité. Ce choix vital et
historique et combien redoutable parce que lourd de responsabilité devant le
peuple et devant l'histoire, va aborder un problème très sensible et en
donner une solution qui engage l'avenir national et implique une orientation
historique riche de conséquences. Ce choix est un privilège écrasant qui échoit
au conseil de l'IRCAM qui doit faire preuve d'un esprit de haute responsabilité,
de maturité, de perspicacité et de courage. Après des millénaires,
le peuple amazigh prend enfin conscience de son retard et sa marginalisation,
comme il constate avec amertume que les meilleurs de ses fils aient dû
emprunter souvent langue et identité étrangères pour exprimer leur génie.
Notre langue et la culture qu'elle véhicule, toujours tenaces depuis la plus
haute antiquité, ont profondément souffert de cet handicap scriptural qui
nous a tenu en dehors du concert des nations civilisées, tant est vrai
l'adage qui dit que tout peuple qui ne possède pas d'écriture ne peut guère
concourir au progrès et à la civilisation. Le choix de la
graphie constitue une mission capitale du conseil de l' IRCAM qui doit en
connaître profondément les implications. Chaque conseiller de cet institue
doit en l'occurrence se mettre en face de ses responsabilités et s'exprimer
librement, indépendamment de toute influence ou pression extérieures. Le problème de la
graphie a toujours hanté nos esprits pour avoir été un des objets majeurs
de nos soucis. Il a toujours occupé le centre de nos entretiens et de nos
colloques comme il a remué toute la jeunesse qui rêve de cet atout cardinal. A l'heure où la
communauté internationale, y compris les pays arabes et asiatiques, s'engage
résolument pour l'adoption d'un système graphique universel - en l'espèce
la graphie latine - simple et efficace (et au demeurant rendant bien la phonétique
berbère), système ayant fait ses preuves dans la communication, les progrès
technique et scientifique, il serait pour le moins aberrant que d'aucuns égarés
soient motivés par la nostalgie d'une grandeur orientale révolue, ou par des
sentiments confessionnels et liturgiques, allant jusqu'à sacraliser les
caractères dits arabes mais d'origine araméenne. Si l'authenticité dans ce
domaine, doit avoir le pas sur l'efficacité et le progrès, les Tifinaghs,
caractères authentiquement nationaux par excellence, auront la préséance
sur toute autre graphie. Au demeurant, si le choix se porte sur d'autres
caractères, les Tifinaghs ne seront pas pour autant relégués aux
oubliettes. La sagesse voudra qu'on leur consacre pour mémoire, quelques
heures dans l'enseignement du primaire afin que, depuis cinq mille ans, ils
continuent de servir de témoin que l'amazigh n'est point une langue
orpheline, à laquelle manquerait un des piliers principaux de sa souveraineté. Il s'avère donc
urgent de ne pas se perdre en tergiversations et palabres superflues. Tout a
été dit. C'est pourquoi il faut décider de ce choix avant que des forces
hostiles - occultes ou manifestes - ne viennent effrontément troubler les
consciences après s'être déjà introduites par effraction dans un espace
qui leur est d'ailleurs farouchement interdit, pour nous être légitimement
et exclusivement réservé. Ce choix responsable doit s'exprimer avec lucidité,
courage et détermination, libre de tout complexe, de toute sujétion, de
toute influence politique ou confessionnelle, ne visant que l'intérêt
exclusif des Imazighens. Il doit manifester notre volonté inébranlable de
rattraper, ce faisant, ce retard séculaire et consacrer notre entrée dans le
monde moderne. Il doit s'exprimer avec courage et détermination. Il ne
comporte d'ailleurs aucune subordination culturelle ou inféodation politique.
Il est emprunté comme l'est d'ailleurs tout outil de travail, comme sont
empruntés le système bancaire et la télégraphie. Il ne porte aucune
atteinte à nos valeurs fondamentales qui n'en seront qu'enrichies et renforcées
en s'ouvrant sur le monde moderne. Le conseil doit s'exprimer à main levée
lors d'un éventuel scrutin sur la question et ce, pour écarter toute équivoque,
chacun des votants devant simultanément décliner son identité et le tout
devant être consigné dans un rapport de séance qui sera déposé aux
archives pour témoigner de la responsabilité de chacun devant tous et devant
l'histoire. Tout un peuple palpitant et inquiet nous observe, comme nous
observent des hauts des cimes nos ancêtres anxieux de pouvoir juger de notre
attitude et de notre devoir à honorer leur mémoire, à relever le défit de
l'Histoire et à redresser le Destin.
|
|