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Les
"dialectes" du tamazight et l’introduction de la langue amazighe
dans le système éducatif Par:
Madjid Alaoua, Ph.D. Traduit
de l’anglais par: Ali Amaniss
Présentation :
M.Boudhan avait récemment abordé, dans son journal Tawiza numéro 60, la standardisation du tamazight avec un article (en arabe) intitulé "Quelle conception pour un enseignement d’une langue amazighe commune et unifiée ?" Dans cet article, il avait proposé, en particulier, d'enseigner tous les parlers du tamazight en même temps, à tous les élèves et à différents niveaux de la scolarisation, chose qui pourrait avoir évidemment un bénéfice, tout en laissant le temps agir en faveur de la synthèse et de l’émergence d'une langue indépendante et unifiée, en aidant éventuellement à sa constitution. A mon sens, il y a trois voies possibles dans ce domaine: (1) Celle de M.Boudhan qui consiste à enseigner tous les parlers et progressivement à tous les élèves, et le temps décidera du standard. (2) L'autre alternative qui voudrait imposer, à partir d'en haut, à tous les élèves quel que soit leur parler d'origine, un standard reconstitué (plus ou moins formel et abstrait.) (3) Une troisième voie médiane s'ouvre entre les deux: On s'inspire fortement des parlers locaux, tous les parlers sans exception, par un travail lexicographique et de reconstruction grammaticale, et on propose un standard plus ou moins voisin des parlers locaux, tout en permettant aux élèves de s’inspirer de leurs propres parlers dans la rédaction par exemple, et laisser le temps agir en faveur de sa généralisation à l’ensemble des élèves. On pourrait en même temps améliorer au fur et à mesure le standard proposé en l’adaptant aux besoins réels et en l’améliorant dans sa grammaire et dans son lexique, à la place qu’il soit abstrait et plus au moins figé comme dans la deuxième solution, ce qui pourrait le rendre théorique et loin de la langue courante.
Chacune de ces trois solutions a des avantages et des inconvénients. Je propose ici l'avis d'un spécialiste linguiste (source : www.amazighonline.com/Studies/language) sur ce problème de la normalisation et de l'introduction du tamazight dans le système éducatif. Cet article, qui fait le tour de la question, aborde différents niveaux de la normalisation du tamazight : Le niveau lexical, le niveau phonétique, le niveau morphologique, le niveau syntaxique, la problématique de l’alphabet de transcription en exposant les divers inconvénients et avantages des trois alphabets : Tifinagh, arabe et latin; et finalement il aborde l’enseignement de la langue, proprement dit. De plus, l’auteur expose le problème du néologisme et le danger d’un néologisme poussé à ses extrêmes au détriment du lexique amazigh utilisé dans la langue courante. Il propose également l’adoption d’un alphabet phonétique dans l’objectif d’aplanir les différences dialectales, entre tous les dialectes du tamazight, qui, d’après l’auteur, sont essentiellement d’ordre phonétique et ne touchent pas le fond de la structure même de la langue.
D’après le contenu de son article, il paraît que l’auteur est d’origine kabyle. Je ne le connais pas, ni directement ni indirectement, et par conséquent, je ne peux pas en dire plus sur sa formation professionnelle, à l’exception du fait qu’il détient un doctorat, visiblement en linguistique. L’article :
Les dialectes du tamazight et l’introduction de la
langue amazighe dans le système éducatif
La langue amazighe se compose
de beaucoup de dialectes qui, à leur tour, se composent également de
beaucoup de sous-dialectes. Tous ces dialectes et ces sous-dialectes sont
parlés sur un vaste territoire qui s'étend de l’est à l’ouest couvrant
l'étendue entre l'oasis de Siwa en Egypte et l'Océan Atlantique au Maroc, et
du nord au sud, couvrant la zone entre la côte méditerranéenne de l'Afrique
du Nord et le Burkina Faso. Malgré le fait que la majeure partie de ce vaste
territoire était à l'origine la terre des Imazighen (Berbères), tamazight n’est
aujourd'hui parlé que dans des zones plutôt limitées. La plus grande
région où tamazight est parlé, en prenant en compte plusieurs pays, est
celle habitée par les nomades touarègues dans le sud. Cependant, la
majorité des Berbères est concentrée au Maroc et en Algérie. Presque la
moitié de la population marocaine est amazighophone, alors qu'environ 30% de
la population amazighophone en Algérie est concentrée en Kabylie et dans le
massif de l'Aurès. Si on procédait à des recherches statistiques sur les
Berbères, on arriverait probablement à pas moins de 15 millions. Cependant,
la langue amazighe n'existe pas vraiment comme langue homogène dans le sens
d'une réalité socio-communicative, mais elle est parlée dans différents
pays et dans différentes versions, parmi lesquelles certaines sont tout à
fait différentes les unes des autres. D'une manière générale, plus les
zones amazighophones sont moins fermées géographiquement, plus les dialectes
correspondants sont proches linguistiquement les uns des autres.
A l’exception des dialectes
de l'île de Djerba en Tunisie, Siwa en Egypte, Aoudjila et Neffousa en Libye
et d'autres dialectes moins connus qui sont parlés par les populations moins
nombreuses, il est possible de classifier la langue amazighe en 7 dialectes
principaux:
1. Le dialecte kabyle (y
compris les dialectes parlés dans le massif de Chanoua et de l'Ouarsenis)
dans le nord de l'Algérie.
2. Le dialecte Chaouia dans
le massif d'Aurès dans le sud-est de la capitale algérienne.
3. Le dialecte Mzab dans le
désert du nord de l'Algérie.
4. Le dialecte Rifain au nord
du Maroc.
5. Le dialecte Tamazight au
Maroc Central.
6. Le dialecte de Tachelhiyt
au Maroc méridional.
7. Le dialecte Touareg
(parlé notamment dans le sud de l'Algérie, le nord du Niger et du Mali, et
au nord de Burkina Faso.)
Pour des considérations de
l'enseignement, ces 7 dialectes peuvent, en outre, être réduits à 3
dialectes amazighs principaux : le Touareg, le berbère algérien (Chaouia,
Kabyle et Mzab) et le berbère marocain (Rifain, Tamazight et Tachelhiyt.) Il
existe naturellement des dérogations à cette classification. Par exemple, du
point de vue de certains aspects linguistiques, certains dialectes peuvent
être rapprochés des dialectes les plus éloignés que des dialectes les plus
proches, géographiquement parlant. C'est le cas, par exemple, du dialecte
rifain au Maroc qui a plus de similitudes phonétiques avec les dialectes du
nord de l’Algérie qu'avec d'autres dialectes marocains moins éloignés,
tel que le tachelhiyt. Ces dérogations concernent également les
sous-dialectes. En effet, il y a des sous-dialectes dans le dialecte kabyle en
Algérie qui sont, sur certains aspects, plus proches des dialectes marocains
que des autres sous-dialectes du kabyle lui-même. Cependant, quoique les
sous-dialectes de différents dialectes puissent avoir quelques
caractéristiques linguistiques communes, la communicabilité mutuelle
pourrait ne pas être possible du tout, tandis qu'il y a de la
communicabilité mutuelle quasi-entière à l'intérieur des dialectes, même
si ces dialectes ont des sous-dialectes qui diffèrent beaucoup les uns des
autres. En fait, bien que deux Kabyles viennent de deux côtés opposés de la
région de Kabylie, et parlent deux sous-dialectes très différents, ils se
comprennent cependant sans problème. C'est pour cette raison qu’il est
légitime de parler du dialecte kabyle, du dialecte touareg, etc. en tant que
dialectes relativement homogenèses. En fait, ils sont homogenèses à un tel
degré qu'on pourrait dire qu'ils constituent des langues séparées.
Cependant, vu la répartition de la langue amazighe en de nombreux dialectes
et sous-dialectes, on pourrait être amené à croire qu'on ne pourrait pas l’enseigner
en tant que langue unique. La question est en effet très discutable. En fait,
la situation de la langue amazighe n'est pas très différente des autres
langues officielles dans le monde. En effet, il n'y a pas une seule langue qui
ne soit pas différenciée en dialectes et sous-dialectes. La différence
entre la langue amazighe et n'importe quelle langue officielle est que cette
dernière avait déjà fait l’objet d’un processus de normalisation
impliquant, au pire, un dialecte dominant. Par exemple, la langue française
avait repris essentiellement le dialecte de l'Île de France que parlait
l'élite dirigeante. La plupart des langues officielles connues ont été
sujet au même phénomène. C'est le cas de l’anglais, du danois, de l’allemand,
etc. La langue amazighe n'a jamais été enseignée et c’est la raison pour
laquelle il n’y a jamais eu le besoin de la normalisation de l’un ou de l’autre
des dialectes de la langue. Tout les Berbères régnant à travers l'histoire
ont été instruits dans des langues étrangères. Par conséquent, la langue
amazighe n'a, malheureusement, jamais été prise en compte à travers sa
constitution comme langue nationale. Puis, théoriquement, la langue amazighe
n'est pas aussi différente des autres langues, et la langue peut facilement,
en fait, faire l’objet d’une normalisation en choisissant l’un ou l’autre
de ses dialectes sur la base de certains critères fixés. Certaines personnes
pourraient penser que ceci convient, mais beaucoup d’autres réagiraient
sûrement contre une telle solution. Même les Kabyles, qui sont probablement
les plus grands défenseurs de la langue amazighe, penseraient que ceci n'est
pas équitable. Nous vivons dans des temps modernes qui, malgré tout, sont
imprégnés d'humanisme et d'idées d’égalitarisme. Beaucoup de savants du
tamazight pensent qu'une langue amazighe normalisée doit être reconstituée
sur la base d'une sorte de reconstruction. Avant de discuter les avantages et
les inconvénients de la normalisation, voyons voir ce que cela pourrait
impliquer sur d'autres plans. Il n'y a aucun doute qu'une telle question, en
plus d’être une question linguistique, implique également beaucoup de
politique.
Jusqu’à ces dernières
années, la langue amazighe n’a jamais été reconnue comme une composante
active dans les pays où elle est parlée. Dans la constitution algérienne de
1996, le terme "amazighité" (= identité berbère) est apparu dans
les textes officiels pour la première fois. Ceci ne signifie pas que la
langue amazighe a été dorénavant reconnue comme langue officielle ou même
nationale, mais simplement qu'on pourrait enseigner la langue si cela s’avérait
nécessaire. Récemment, le Président Bouteflika avait déclaré que la
langue amazighe ne sera jamais officialisée, et sa nationalisation pourrait
seulement devenir une réalité si tous les Algériens l'acceptaient au terme
d'un référendum. Ceci pour montrer que la question identitaire était
devenue une affaire d’élection. Il existe des millions de Berbères en
Algérie et dans les pays voisins, dont beaucoup ne parle même pas la langue
arabe, et qui sont encore reniés dans leur droit de s’instruire dans leur
langue maternelle. Malgré qu’il prétende être démocrate, M. Bouteflika,
sans aucun doute, réitère le même discours dictatorial que pendant le
passé, et qui affirme que la totalité des Algériens sont des arabes, et que
sa langue est exclusivement l'arabe. En prenant en compte ces éléments, la
question de la normalisation de la langue amazighe ne peut pas être débattue
sans la considérer sous l’ongle de deux aspects: l'aspect politique et
l'aspect linguistique.
L'aspect
politique
La langue amazighe, partout
où elle existe et où elle est parlée, a été systématiquement niée
institutionnellement, toutes les revendications de sa reconnaissance ont été
violemment combattues, et les auteurs de ces revendications ont été traités
de séparatistes. C'est du moins le cas en Algérie où les défenseurs de la
langue amazighe, au cours de toute l'histoire moderne du pays, ont été
combattus sans aucun ménagement. Quelques politiciens ont même prétendu que
le tamazight n’était qu’un dialecte arabe. C’est ironique si l’on
prend en compte les rapports entre le tamazight et la langue arabe, on
pourrait prétendre que c’est plutôt le contraire qui est vrai puisque
tamazight est probablement plus ancien que la langue arabe. En fait, de tels
propos n’étonnent pas du tout dans des États dictatoriaux. De tels propos
stupides ont été également dits en ce qui concerne le Kurde en tant que
dialecte de la langue turque. Revenons encore en Algérie. La classe
dirigeante n'a jamais et n'est toujours pas prête à accepter le fait que
l'Algérie est un pays multilingue. Avec ce manque de bonne volonté, l'on
pourrait craindre qu’en plus des raisons idéologiques basées sur
l'exclusivisme de la monoculture arabo-islamique, il puisse y avoir également
des motifs de pouvoir personnel derrière la négation des droits légitimes
de la langue amazighe. En effet, de tels droits prépareraient le terrain à
une démocratie réelle. La démocratie déclarée en Algérie est simplement
une façade pour tromper le monde. Un vrai État démocratique en Algérie est
très dangereux pour l'élite dirigeante, qui dès lors devrait rendre compte
de sa responsabilité de la situation d’avant la crise durable dans le pays
et la violation constante de tous les droits civiques au cours de l'état
d'urgence continu. Reconnaître et respecter les droits de la langue amazighe,
signifierait que tous les autres droits doivent être respectés, et ceci
n'est pas en faveur des dirigeants qui, selon certains dissidents, sont
uniquement intéressés à maintenir un minimum de crise pour se maintenir
eux-mêmes au pouvoir. C'est pour cette raison que la langue amazighe ne
serait jamais autorisée au statut de langue officielle ou même de langue
nationale aussi longtemps que l'Algérie est dirigée par ce que certains
appelleraient une mafia de clans.
Les dirigeants algériens savent très bien que la langue amazighe est composée de nombreux dialectes dont beaucoup ne sont pas inter-communicables. Les jours qui avaient suivi les émeutes sanglantes de 1988, il y avait un véritable espoir pour une ouverture démocratique: Les partis politiques étaient autorisés et les journaux avaient prospéré, dont deux étaient publiés en tamazight, principalement en kabyle. Cependant, l'interruption du processus démocratique d’alors avait créé une véritable crise, et une dictature masquée avait commencé. Les deux journaux amazighophones, qui ont été sensés promouvoir la langue amazighe en tant qu’une seule langue, avaient eu des embarras financiers qui avaient mené à la suspension de leur publication. L'existence de ces journaux avait pu avoir dérangé les dirigeants dans le sens que ces journaux ont été écrits en une seule langue, à savoir le kabyle, mais dans un kabyle très modifié, caractérisé par des mots nouveaux, des expressions et des néologismes qui ont été principalement empruntés à d’autres dialectes du tamazight. Ces journaux auraient pu avoir joué un rôle très important en harmonisant la langue et ce n'était évidemment pas dans l'intérêt des dirigeants. On pourrait alors se demander pourquoi ils n'avaient pas fait la même chose avec les informations télévisées diffusées en tamazight. Mais il existe une différence majeure. Les informations télévisées sont diffusées en trois dialectes: Kabyle, Chaouia et Mzab. Beaucoup prétendent que ce dédoublement de la langue a été calculé afin d’empêcher toute revendication d'officialisation. En fait, il n’y a aucune limite à ce que les dirigeants pourraient énoncer afin d’asphyxier n'importe quelle revendication en faveur de la langue amazighe. En réaction au rapport que tamazight ne sera jamais officielle, M. Bouteflika avait répondu en traitant la forte protestation des kabyles comme du terrorisme intellectuel. La chose la plus triste dans ce langage d’oppression est que, plus la langue amazighe est mise sous pression, plus grande sera la résistance contre la langue arabe, et par conséquent contre le processus d'arabisation.
Voyons maintenant, donnons-nous des circonstances favorables, supposons que le tamazight peut être reconnu comme langue officielle et nationale. Cette langue doit par conséquent être largement diffusée, une grande part doit être faite sous forme de l'écrit. Maintenant, la question est de savoir quel système d'écriture doit être employé ? La réponse la plus évidente pour beaucoup de savants du tamazight est le système de transcription latin. En fait, un bon système de transcription à base de caractères latins existe déjà et il a été utilisé et l'est encore pour écrire la langue amazighe. Beaucoup de travaux dans le cadre des études amazighes a été mené à bien dans ce système. Mais la question de savoir quel système à utiliser n'est pas aussi simple que cela. En posant la question de savoir s'ils reconnaîtraient la langue amazighe, s'il leur arrivait d'accéder au pouvoir, certains islamistes répondent par l'affirmative, mais à condition qu'elle soit transcrite en caractères arabes. En fait, le tamazight peut être transcrit dans n'importe quel système, et les caractères arabes conviennent bien en effet à la langue amazighe du fait que c'est une langue consonantique comme l'arabe, dans le sens que les voyelles ne sont pas représentées dans l'alphabet, mais ils jouent un rôle morphologique dans la langue. En outre, ceci est renforcé par le fait que le Tifinagh, qui avait été utilisé et l'est encore par les Touaregs et même par les Kabyles aujourd'hui, et qui semble être un ancien alphabet du tamazight, est également un alphabet consonantique. Par conséquent, il y a en fait uniquement des avantages théoriques dans l'utilisation de l'alphabet arabe. De plus, ceci pourrait résoudre le problème de savoir qu'un nom donné en kabyle, par exemple, pourrait commencer par une voyelle a (abidi = "manteau" par exemple) ou bien par une voyelle i (ibidi) dans d'autres sous-dialectes. Il y a également le problème de savoir si une voyelle médiane, comme dans agrVs (V représentant la voyelle) doit être u (agrus = "glace") ou i (agris). Tous ces problèmes peuvent être résolus en évitant d'écrire simplement la voyelle. L'alphabet Tifinagh peut également résoudre tous les problèmes mentionnés ci-dessus, exactement de la même manière. En effet, beaucoup de gens, pour des raisons sentimentales, préféreraient probablement l'alphabet Tifinagh. Cependant, si nous considérons maintenant cette question, on pourrait conclure, pour des raisons pragmatiques, qu'il est probablement plus avantageux d'utiliser le système basé sur les caractères latins, et déjà bien établi. La question des voyelles instables n'est pas un problème. Les variantes du même mot peuvent simplement coexister sans se déranger. En outre, le tamazight n'est pas aussi consonantique qu'il l'a été et autant que l'est encore la langue arabe, par exemple. Il existe des mots tels que i = "à", "pour", a = "qui", u = "fils de" qui sont des mots complètement dépourvus de consonnes. Puis, que dirions-nous à propos de la plupart des mots masculins qui commencent, dans le tamazight d'aujourd'hui, par des voyelles: "amalu"= "l'ombre," uccen"= "chacal", "irgazen"= "hommes" ? Il n'y a aucun doute que la reconnaissance totale du tamazight s'engage sur une piste difficile. Il y a trop de conflits d'intérêts, idéologiques et personnels dans le même temps. Seul un véritable État démocratique peut ouvrir la voie à une reconnaissance honnête et véritable des droits de la langue amazighe. Une reconnaissance de tels droits n'est pas une simple formalité, mais requiert sûrement beaucoup de moyens et de support, économiques et pédagogiques dans le même temps. Dans tous les cas, la première condition pour que le tamazight puisse survivre et se développer, c'est la volonté politique, le support gouvernemental doit être considéré comme le facteur clé dans la promotion de la langue standard du fait que c'est le gouvernement qui contrôle le système éducatif (Johani p.36.) Ce qui reste à faire, après cela, n'est qu'une simple affaire de travail.
Maintenant, supposons que le tamazight est parlé dans des États différents et souverains, la question de savoir si le tamazight doit être standardisé et même harmonisé dans sa version globale ou dans ses versions algériennes, marocaines, etc. nécessite un débat. Il n'y a pas de doute que la tâche de la standardisation du tamazight dans les limites d'un État est moins difficile et l'évolution de la langue serait plus uniforme. La standardisation entière de la langue amazighe peut ne pas assurer nécessairement une évolution uniforme de la langue à travers ces différents pays, politiquement parlant. Même les langues internationales tels que les langues anglaise et française se développent différemment du fait qu'ils sont parlés dans différents pays. Par exemple, le français du Canada n'est pas exactement le même que le français de France. Naturellement, il y a communicabilité mutuelle entre les différentes versions du français, néanmoins ils demeurent différents. Un autre exemple beaucoup plus approprié sont les langues scandinaves: danois, suédois et norvégien qui sont des langues indépendantes et différentes sur beaucoup de points. Il y a cependant beaucoup de communicabilité mutuelle entre elles. La même chose pourrait être dit du tamazight s'il doit être enseigné en tant que le tamazight marocain, le tamazight algérien, et ainsi de suite. Cependant, en normalisant la langue amazighe dans sa composante globale, on pourrait craindre que le développement de la langue soit identique à ce qui est connu de la langue arabe. Tandis que les différentes versions de la langue anglaise se développent selon les populations qui la parlent, la langue arabe se développe indépendamment des versions arabes parlées dans les différents pays arabophones. En d'autres termes, la distance entre l'anglais ou le français parlé et écrit est très étroite, alors qu'il est énorme entre les versions arabes populaires parlées, particulièrement les versions de l’Afrique du Nord, et l'arabe écrit. Il n’y a aucun doute qu’il est beaucoup plus facile d'alphabétiser les gens dans leur langue maternelle que dans des langues pseudo-maternelles. En outre, une culture et un enseignement nationaux réussis, sur une grande échelle, est beaucoup plus facilement réalisable avec une langue maternelle quotidienne et développée.
L'aspect
linguistique
Comme mentionné auparavant, la langue amazighe est constituée de beaucoup de dialectes et de sous-dialectes que nous ramenons en trois dialectes principaux, en combinant les dialectes proches les uns des autres. Les dialectes algériens, tels que le Kabyle, le Chaoui et le Mzab, peuvent être groupés ensemble en un seul dialecte et même en une seule langue. La même chose peut être fait en ce qui concerne les dialectes marocains, dans le sens que les dialectes Rifain, Tamazight et Tachelhiyt, peuvent être groupés ensemble en un seul dialecte ou en une seule langue, à l’instar des dialectes algériens. Puis, nous avons le grand dialecte touareg qui peut être groupé avec les petits dialectes voisins de ce type, ceux du Ghat et de Ghadamès, et d’autres dialectes voisins, pour constituer un grand dialecte ou même une langue. En fait, le dialecte touareg est probablement le seul dialecte qui pourrait présenter de sérieux problèmes dans la standardisation globale du tamazight. Le touareg constitue presque déjà une langue indépendante puisqu’il diffère considérablement des autres dialectes du point de vue lexical et phonétique. En dépit de cette différence, le touareg peut en fait entrer dans le processus de standardisation sans occasionner trop de coûts. Nous reviendrons sur ce point plus tard. Voyons maintenant quels sont les aspects qui différencient les divers dialectes du tamazight les uns des autres et sur quels aspects sont-ils plus semblables les uns par rapport aux autres. Il y a quatre aspects principaux à considérer: l’aspect lexical, l’aspect syntaxique, l’aspect morphologique et l’aspect phonétique.
L'aspect
lexical
Quelle est la différence entre les dialectes du tamazight en ce qui concerne leur vocabulaire ? Les Imazighen, à travers l’histoire, avaient connu de nombreuses invasions de peuples étrangers: Phéniciens, Romains, Byzantins, Vandales, Arabes, Turques, Français et Espagnols. Cependant, les Arabes avaient influencé le plus les berbères, et la langue arabe avait assurément laissé les plus grandes traces sur la langue. En fait, la majorité des berbères avaient perdu leur langue maternelle, sous l’islamisation, en faveur de la langue arabe qui était devenue, par conséquent, leur langue maternelle et quotidienne, mais c'est une version de l’arabe qui est plus ou moins influencé par tamazight. Néanmoins, en dépit de l’impact des langues des conquérants, le tamazight avait gardé encore un grand pourcentage de son vocabulaire originel, particulièrement avec le dialecte touareg qui, pour des raisons en rapport avec leur mode de vie, avait gardé le vocabulaire le plus pur parmi l'ensemble de tous les dialectes du tamazight. Comparée à d'autres langues dans le monde, on peut en effet dire que Tamazight est une langue tout à fait conservatrice. Ainsi, étant donné que tamazight, dans toutes ses différentes versions, avait été influencé par exactement les mêmes langues, le vocabulaire, y compris les mots étrangers, ne diffèrent pas raisonnablement d'un dialecte à l'autre. Presque chaque mot, amazigh ou étranger, d'un dialecte donné, peut être retrouvé dans un autre dialecte ou du moins dans l'un de ses sous-dialectes. Par exemple le mot amazigh agdid = "oiseau" existe dans certains dialectes, tel que le touareg, mais il n’existe pas dans les sous-dialectes kabyles les plus connus, et pourtant on le retrouve dans des sous-dialectes moins connus. Ainsi, d'un point de vue lexical, la langue amazighe ne présente pas un problème sérieux. Cependant, il existe une exception en ce qui concerne les dialectes touareg et rifain. Le premier en plus d'être parlé dans des zones sous influence du français et de l'arabe, il est également parlé au Mali, au Nigeria et au Burkina Faso, et par conséquent il est plus ou moins influencé par les langues des populations noires environnantes. Le dernier a été influencé par l'espagnol sous la conquête espagnole. Ainsi, à l'exception d'une petite quantité de mots espagnols dans le dialecte rifain et de mots provenant des langues appartenant aux populations noires dans les sous-dialectes du touareg méridional, la langue amazighe n'est sûrement pas différente raisonnablement d'un dialecte à l'autre. En conclusion, dans le cas du processus de la normalisation du tamazight, l'influence des langues étrangères peut être considérée, à long terme, comme une extension et un enrichissement de la langue.
L'aspect
syntaxique
Tous les savants du tamazight sont unanimes que l'aspect le plus unificateur de la langue amazighe est son aspect syntaxique. Tamazight, dans toutes ses versions, révèle quasiment les mêmes caractéristiques syntaxiques. En d'autres termes, la syntaxe du tamazight est actuellement régie, dans ses moindres détails, par exactement les mêmes principes. Cependant, s'il existe certaines différences, s’il est absolument nécessaire de parler de différences, en ce qui concerne certaines structures, il existe certaines structures qui peuvent être retrouvées dans certains dialectes mais pas nécessairement dans d'autres. C'est par exemple le cas du sujet prépositif dans ce qui est appelé l’état d’annexion dans les phrases nominales qui sont normales et tout à fait fréquentes en kabyle, mais pas dans tous les autres dialectes. Bien qu'il existe des structures syntaxiques qui caractérisent uniquement certains dialectes, ces structures sont néanmoins prévisibles en partant des principes fondamentaux communs sous-jacents. Néanmoins, bien que tous les savants du tamazight soient d’accord en ce qui concerne la prévisibilité syntaxique, les études et les recherches sur d'autres langues ont montré que les structures syntaxiques n’apparaissent ni ne disparaissent arbitrairement dans les langues, mais le font selon des principes fondamentaux bien définis. Il n’est donc pas étonnant du tout de trouver certaines structures dans un dialecte du tamazight et pas dans d’autres. Ceci peut être expliqué par la prévisibilité syntaxique. En conclusion, d'un point de vue syntaxique, la langue amazighe demeure une, et dans le cas de la normalisation des dialectes, les différences qui peuvent être observées sont loin de constituer un problème majeur.
L'aspect
morphologique
Les aspects morphologiques et phonétiques, que nous verrons ci-dessous, sont indubitablement les aspects les plus différenciés de la langue amazighe. C’est précisément sur ces aspects que les dialectes du tamazight sont plus ou moins différents les uns des autres. La différence peut être assez grande pour que la communicabilité mutuelle s’avère impossible. Cependant, comment les dialectes du tamazight sont-il arrivés à être différents sur ces deux aspects ? Dans n’importe quelle langue, les mots, chargés de sens, sont également des formes, et les formes changent avec le temps. En fait, les plus grandes différences morphologiques peuvent être réduites à des différences phonétiques. D’autres différences sont dues au fait que certains dialectes avaient gardé la majorité des caractéristiques morphologiques originelles du tamazight, tandis que d’autres, au moyen d’analogie, avaient simplement abandonné les formes originelles. C’est le cas, par exemple, des formes verbales, communément appelées les participes, qui existent en touareg sous trois formes distinguant les formes plurielle et singulière d’une part, et les formes féminine et masculine, d’autre part. C’est également le cas de la particule prédicative "d" conservée par certains dialectes, tel que le kabyle, et que d'autres dialectes avaient perdu ou avaient partiellement perdu, tel que le touareg. Il y a également des différences qui sont dues au fait que les dialectes avaient simplement développé des variantes des formes originelles. Cependant, quoique ces variantes puissent être tout à fait différentes d'un dialecte à l'autre, elles peuvent être néanmoins reconstruites pour retrouver les formes originelles sans trop de coûts. En conclusion, nous pouvons facilement dire que les différences morphologiques telles que décrites, ne poseront pas de sérieux problèmes dans la standardisation de la langue amazighe.
L'aspect
phonétique
L'aspect phonétique est
apparemment celui qui est censé poser le plus de problèmes dans la
normalisation et l’homogénéisation de la langue, particulièrement du nord
au sud. En fait, les dialectes nordiques semblent être très loin de
dialectes méridionaux. Par exemple, des dialectes nordiques tels que le
Kabyle, le Chaoui, le Rifain, etc. sont caractérisés par des consonnes
douces qui sont complètement absentes dans les dialectes méridionaux, tels
que le Touareg, le Mzab, le Tachelhiyt, etc. Il existe beaucoup d'autres
caractéristiques phonétiques qui différencient les dialectes du tamazight.
Par exemple, le nombre de voyelles dans le Touareg est plus grand que dans
d'autres dialectes de tamazight. En outre, la voyelle est très stable dans le
Touareg tandis qu'elle demeure très instable dans beaucoup d'autres
dialectes. D'autres différences peuvent être mentionnées, mais la question
la plus intéressante est celle de savoir si tamazight peut être normalisé
et harmonisé au niveau phonétique. Beaucoup de gens diraient probablement
que non. Mais si on étudie soigneusement ces différences, on aboutirait à
la conclusion que la majorité de ces différences n’est pas pertinente du
tout. En d'autres termes et linguistiquement parlant, elles ne sont pas
phonologiques et ne méritent pas qu’on leur donne beaucoup d’importance.
Alors, comment ce problème peut-il être résolu en normalisant la langue ?
Nous pensons que le problème peut être résolu en optant pour un système
phonologique strict et nécessaire de transcription. Cela veut dire que toutes
les caractéristiques phonétiques, dans n'importe quel dialecte, qui ne sont
pas pertinentes ou qui semblent avoir une moindre importance, ne seront pas
représenté dans le système. C'est le cas, par exemple, des voyelles "e"
et "o" du Touareg, pour lequel la rentabilité linguistique
est de toute façon mineure. Quoique Prasse, dans son étude de la voyelle
"e" basée sur des exemples concrets, ait conclu que c'est
une voyelle antique de Tamazight que seul le Touareg avait conservée, il est
improbable que ces voyelles soient proto-amazighes parce qu'elles constituent
la plupart du temps des variantes respectivement de "i" et de
"u" et apparaissent normalement dans des contextes
prévisibles. D'autre part, la voyelle instable devrait être conservée (pour
des raisons esthétiques afin d'éviter d'écrire xmmm =
"penser" et écrire au lieu de cela la forme la plus esthétique
xemmm) et stabilisée pour satisfaire les besoins du touareg. Le choix
d'un système phonologique strict d'écriture implique, à long terme,
l'avantage d'affaiblir les différences phonétiques entre les différentes
versions du tamazight. Il n’y a aucun doute qu'un système phonétique
d'écriture dans lequel toutes les caractéristiques phonétiques d'une langue
sont représentées est préférable, cependant dans le cas d’une langue,
comme tamazight, qui a besoin d’un grand travail de standardisation et de
normalisation, un système phonologique est la seule alternative. En fait, il
n’existe aucune langue pour laquelle la version écrite correspond
entièrement à la version parlée, pour une raison simple: la langue écrite
a tendance à être conservatrice, ce qui n'est pas le cas de la langue
parlée qui change avec le temps.
La normalisation de la langue
amazighe en vue de son intégration dans l'enseignement: Toute réflexion
ayant pour sujet la normalisation et la standardisation de la langue amazighe
en vue de son intégration dans l'enseignement doit impérativement se poser
au moins les questions suivantes:
1)
La promotion du tamazight en tant qu'une seule ou plusieurs langues.
2)
La contribution du néologisme.
3)
L’importance d'un système commun d'écriture pour tous les dialectes.
4)
Le statut du tamazight comme langue maternelle d’enseignement.
1.
La promotion du Tamazight sous forme d'une ou de plusieurs langues
Dès que la question de l'enseignement du tamazight se pose, on est par conséquent confronté au problème de savoir si tamazight sera enseigné en tant qu'une seule langue ou en tant que plusieurs langues. C'est en fait un dilemme tout à fait inévitable. Comme souligné ci-dessus, tamazight est déjà médiatisé en Kabyle, Chaoui et Mzab, trois dialectes dont nous avons expliqué qu’ils peuvent être fusionnés en un grand dialecte ou même en une langue indépendante. Nous reviendrons plus tard sur la possibilité de travailler vers la normalisation de la langue amazighe à l'intérieur des limites des États existants. Maintenant considérons les deux options suivantes:
a.
La promotion du Tamazight en tant que langue unifiée
Auparavant, nous avons employé des termes tels que la normalisation et la standardisation sans définir exactement ce que nous voulions dire par-là. Nous avons pourtant donné des arguments que tamazight pourrait sûrement être standardisée et même être homogénéisé à long terme en optant pour un système phonologique commun d'écriture. Mais nous avons également avancé que de nombreux savants du tamazight, et les berbères en général, disent qu’une certaine sorte de reconstruction de la langue pourrait être requise dans le processus de standardisation. Mais permettons-nous de supposer que tamazight pourrait être reconstruit. Cela exige irrémédiablement un travail d’unification méticuleux des dialectes existants par des choix linguistiques pertinents. Une telle reconstruction peut en fait avoir des avantages et des inconvénients. Des avantages dans le sens que nous aurons une langue standardisée à tous les niveaux, que nous pourrions facilement enseigner au niveau national, à savoir aux personnes non-amazighophones qui voudraient apprendre tamazight sans avoir à choisir entre plusieurs versions de la langue. En outre, une langue normalisée au niveau national sera beaucoup plus appropriée pour donner des arguments solides contre la politique actuelle qui refuse une officialisation de la langue. D'autre part, une reconstruction du tamazight implique, comme inconvénient, une modification sensible des dialectes existants à un tel degré qu’ils seront incompréhensibles pour le public. Une langue amazighe reconstruite ne sera ni complètement kabyle ni touareg ni n’importe quel autre dialecte.
Une langue amazighe reconstruite risquera de devenir la langue de l'illettré, de la même manière que le latin dans le passé, avant les langues populaires, telles que le français, l’espagnol, etc. et de la même manière, à certains égards, que la langue arabe aujourd'hui. Une langue amazighe reconstruite nous rappellera, d’une façon ou d'une autre, la langue arabe classique vis-à-vis des dialectes arabes existants dont certains, comme c’est bien connu, sont peu inter-communicables. Cela voudrait en fait dire que les Berbères devraient être berbérisés et cela nous rappellera la politique désastreuse d'arabisation (des "Arabes"), chose qui n’est pas du tout souhaitable. Dans tous les cas, une telle tâche impliquera des pertes, et le succès éventuel d'une reconstruction sera seulement obtenu après une période très longue. Reconstruire une langue ou la normaliser sur la base d'un dialecte dominant est une tâche à long terme (voir Jahani, on the new Persian, pp 50, 1989.)
b.
La promotion des dialectes existants vers des langues indépendantes
Dans un tel processus, on
pourrait se demander si des dialectes très proches, tels que le Kabyle et le
Chaouia, par exemple, peuvent être fusionnés ensemble à cause de leurs
affinités. Une telle option implique, de toute façon, autant d’avantages
que d’inconvénients. Des avantages parce que les dialectes promus au degré
de langues indépendantes préserveraient leurs spécificités intrinsèques
dans le sens qu'aucun dialecte ne subira aucune modification sensible qui
pourrait l'aliéner, comme ce sera le cas d’une langue amazighe
reconstruite. La seule modification que ces dialectes-langues auraient à
subir est celle impliquée par un néologisme nécessaire. D'autre part, les
inconvénients qu'un tel travail impliquera, est que les dialectes promus au
degré de langues, seront de plus en plus éloignés les uns des autres, et
les arguments, qui formeraient la base en faveur d’une officialisation
de la langue amazighe, n’auront aucun impact politique. Ces nouvelles
langues reconstituées sont susceptibles d’avoir, sous la pression
politique, un statut de langues locales affaiblies sans aucun impact au niveau
national.
Dans un cas comme dans
l'autre, il s'avère cependant être très important de travailler vers la
normalisation d'un système commun d'écriture. Un tel système, que nous
avons discuté ci-dessus, devrait être strictement phonologique afin
d'affaiblir l'impact de toutes les particularités phonétiques de n'importe
quel dialecte, qui sont susceptibles de gêner la communicabilité mutuelle
entre les différents dialectes. D'ailleurs, un système commun d'écriture,
à long terme, aura pour effet l'homogénéisation du tamazight au niveau
phonétique. Le lexique, et à un moindre degré les différences
structurales, apparaîtront alors comme un enrichissement de la langue.
Beaucoup plus important, dans un tel aménagement de la langue amazighe, est
le fait que ceci constitue en effet une troisième alternative qui aura
réellement, au niveau pratique, les deux avantages des deux options
ci-dessus. En fait, cette alternative ne suppose aucun travail de
reconstruction important, et l'enseignement de tamazight sera identique qu'en
enseignant les dialectes déjà existants et enrichis, les uns les autres, par
le vocabulaire et les expressions idiomatiques propres à chaque dialecte
(voir Gudschinsky, p. 136, 1979, Venezky, pp 47-48, 1977.) L'enrichissement
des dialectes se ferait naturellement d’une manière qui convient à chaque
dialecte. Étant donné que ce système d'écriture est commun, les
différences phonétiques inquiétantes, comme on pourrait le prévoir,
disparaîtront finalement peu à peu. Une telle situation linguistique est en
fait partiellement connue des langues scandinaves. En dépit de l'inexistence
d'une orthographe commune, ces langues sont néanmoins inter-communicables
grâce notamment à une partie plus ou moins commune du vocabulaire conservé
et au fait qu'on enseigne plus ou moins toutes ces langues dans ces pays. Avec
la normalisation d'un système d'écriture comme décrit ci-dessus, les
dialectes du tamazight seront en effet plus près l'un de l'autre, plus que
les langues scandinaves actuelles, par exemple. Il semble certain qu'un
système d’écriture commun dans une langue donnée a un effet
d'homogénéisation sur cette langue. Si l'orthographe des versions diverses
de la langue française n'avait pas été identique, le français de la
Suisse, du Canada et de la France etc. auraient été beaucoup plus
différents les uns par rapport aux autres. Cela aurait été également le
cas de l’anglais, de l’espagnol, de l’arabe, etc.
2.
Le problème de la néologie
Il
n'y a pas de doute que tamazight, pour des raisons connues,
souffre du manque d'un vocabulaire adaptable aux besoins de la
communication moderne et à la création d'un niveau abstrait de la langue, et
par conséquent de la nécessité d’un néologisme afin de combler les
brèches dont la langue souffre actuellement. Les travaux sur tamazight, qui
peuvent être utilisés dans ce domaine, existent déjà. C'est le cas, par
exemple, de la thèse de Ramdane Achab et des travaux de Mouloud Mammeri.
Cependant, comme on peut le constater aujourd'hui, le kabyle est tellement
chargé de néologisme qu'il est peu reconnaissable. Un néologisme vraiment
nécessaire est profitable, mais lorsqu'il est exagéré, il risque d'être
aliénant. Par exemple, il y a de nombreux kabyles qui sont incapables de
comprendre complètement le kabyle diffusé dans les informations
télévisées pour la simple raison que le dialecte a été tellement nourri
de néologisme que seule une petite partie peut s'identifier à lui-même. Il
n'est pas du tout nécessaire de créer des néologismes au détriment des
termes déjà existants sous prétexte que ces termes sont d'origine
étrangère. Il est bon de noter que l'anglais, par exemple, qui est la langue
étrangère la plus enseignée au monde, avait conservé un petit pourcentage
de son vocabulaire originel sans être pour autant une langue moins pure ou
moins appréciée. En fait, l'impact linguistique d'une langue étrangère sur
une langue donnée ne peut qu'enrichir cette langue. C'est pour cette raison
qu'une réflexion prudente est nécessaire lorsqu'on travaille sur le
néologisme.
3.
La signification d'un système d’écriture commun à tous les dialectes du
tamazight
En considérant le dialecte kabyle seul, on peut constater à première vue que ce dialecte est lui-même fortement diversifié au niveau de son système phonétique. Pourtant, grâce à une étude simple, on découvre que cette diversification phonétique constitue uniquement de simples variations et qu’elle n’a absolument aucun impact sur l’intelligibilité du dialecte. Dans de nombreux cas, la même diversification entre les dialectes du tamazight est en fait due à de simples variations phonétiques. Par exemple, la labio-vélarisation, qui caractérise fortement de nombreux sous-dialectes kabyles, est probablement une innovation locale qui ne devrait pas être prise en compte au niveau du tamazight, parce que, d’une part, cette caractéristique phonétique ne constitue pas un phonème indépendant (excepté dans certains cas rares où elle est probablement apparue suite à des accidents phonétiques); et d’autre part, parce qu’elle n’est pas connue dans tous les dialectes et même dans tous les sous-dialectes kabyles. La spirantisation est un autre exemple.
4.
Le statut du tamazight comme langue maternelle d’enseignement
La langue est par excellence le support de l’expression de la pensée. Une société de la culture ne peut être fondée que sur une utilisation libre de la langue à tous les niveaux. Lorsque, pour des raisons politiques, une langue est tenue à l’arrière plan et privée de toute promotion lui permettant de s’élever au niveau de la langue d’éducation et d’enseignement, cela devient un handicap certain, et cesse par conséquent de produire les valeurs nécessaires à la construction d'un État démocratique et égalitaire. Toutes les études dans le domaine de la langue, en tant qu’outil d’expression et de communication, insistent sur l'importance cruciale des langues maternelles ou des langues natives. Par conséquent, le mépris de la langue amazighe en Algérie et ailleurs, pour des raisons politiques, a eu des conséquences désastreuses sur l'apprentissage des langues étrangères. Le résultat est que l’arabe classique et le français, les seules langues d’enseignement, sont devenues les langues de l'élite et donc le lot de l'illettré, et par conséquent cela a pour résultat la situation désastreuse du système éducatif en Algérie, pour ne mentionner que ce pays particulier. Tandis qu'environ 90% des étudiants ont passé leurs examens du deuxième cycle à l'école secondaire dans un pays comme le Danemark et environ 80% en France, les statistiques en Algérie, par exemple, sont tout à fait différentes. Il n’y a aucun doute que si les langues maternelles des Algériens, qui sont l’arabe dialectal et le tamazight, avaient été promues et enseignées, la maîtrise des langues d'enseignement, telles que l'arabe classique et le français, ne serait que meilleure, et le niveau d'éducation aurait sûrement été beaucoup plus élevé qu’il l'est actuellement. Le succès de l’apprentissage de la langue étrangère, sur une grande échelle, est intimement lié à l’enseignement préalable des langues maternelles. Ainsi, pour assurer une plus grande connaissance de l'arabe classique et du français, les seules langues actuelles d’enseignement, il est nécessaire d'enseigner aux enfants amazighophones du moins, la langue amazighe exclusivement pendant les trois premières années scolaires.
Remarques
finales
Il s'avérera être de grande importance que les nouveaux professeurs de la langue amazighe aient non seulement une bonne formation pédagogique, mais également une excellente connaissance pratique de la langue. La limitation obligatoire de tamazight, en tant que langue domestique, a eu pour effet malheureux la stagnation de la langue. C'est pourquoi une excellente connaissance de la langue parlée (ceci ne signifie pas naturellement que la langue écrite soit négligée) devrait prendre une grande part dans la formation du professeur de la langue amazighe. Il est bien connu que lorsque les amazighophones et les arabophones, particulièrement en Algérie, s'expriment en tamazight ou en arabe dialectal, ils ont l'habitude fâcheuse de les mélanger au français, et cela est dû, pour une grande part, à la stagnation de la langue. Le succès de l’introduction de la langue amazighe dans le système éducatif dans les pays dans lesquels elle est parlée dépendra, dans un certain sens, des critères suivants:
1) Le support politique (cf. Janahi, p. 65, 1989) 2) L’extension et l’enrichissement de la langue par un néologisme approprié et nécessaire. 3) Le choix d’un matériel didactique basé sur une pédagogie qui prend en compte l'importance des langues maternelles dans l’apprentissage des langues. 4) La formation d’un groupe de pédagogues qui correspond aux besoins et aux objectifs de la langue.
Lectures
supplémentaires
Achab R. 1998(?), (Thèse sur
la néologie berbère), INALCO, Paris.
Allaoua, M. - 1994, Variations
phonétiques et phonologiques en kabyle, pp.63-76 in Etudes et documents
berbères, 11, Paris. - 1997, Sur les pronoms
personnels: questions d'autonomie primitive, pp. 7-23 in Acta Orientalia,
58, Oslo.
Blomfield,
L. 1933, Language, New York.
Chomsky,
N. & Halle, M. 1968, The Sound Pattern of English, New York.
Galand, L. 1988, Le
Berbère in Les langues dans le monde ancien et moderne, Paris.
Gudschinsky,
S. S. 1979, A Manual of Literacy for Preliterate people, New Guinea.
Jahani,
C. -
1989, Standardization and Orthography in the Balochi Language, Uppsala. -
Jahani C. (ed.). 2000, Languages in Society -Eight sociolinguistic Essays
on Balochi, Uppsala.
Mammeri
M. 198 , Amawal, Edition Imedyazen, Paris.
Ray,
P. S. -
1962, Formal Procedures of Standardization, pp. 16-41 in Anthropological
Linguistics, 4. -
1963, Language Standardization, Studies in Prescriptive Linguistic, the
Hague.
Prasse,
K. -
1972, Manuel de grammaire touarègue tome 1, Copenhague. -
1973, Manuel de grammaire touarègue, tome 2, Copenhague. -
1974, Manuel de grammaire touarègue, tome 3, Copenhague.
Suojanen,
P. 1992, Aspects and Identity: Rights and obligations of Ethnic Groups, pp.
5-16 in Nordic Journal of African Studies, Uppsala.
Venezky,
R. L. 1977, Principles for the Design of Practical Writing Systems, pp. 37-54
in Advances in the Creation and Revision of Writing systems, Paris.
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