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une langue à couper Par : H. Banhakeia (Université de Nador) Si l’indifférence totale vis-à-vis du propre procrée de la confusion, si le même déni provoque, au son de clichés, l’illusion d’être et si la même aliénation se fait manifestations multiples de l’être, l’âme d’un peuple pourra être prise pour une tumeur. Une fois arrachée, que reste-t-il à faire du propre? Sous forme d’exercice surnaturel, son traitement purement «démagogique» crée alors des voies tumultueuses à venir. Ceci a subséquemment des répercussions sur tous les individus dans leur rapport au corps de la culture, dans leur identification comme êtres historiques. De l’expression de l’amazighité en Afrique du nord il en reste peu. Rien que du «folklorique» pour révéler la barbarie, cette barbarie qui s’amoindrit… Nul ne le sait mieux que l’Amazigh qui vit infiniment non seulement la négation, mais la «grandeur d’être renié». Sans âme qui survit, et avec un cœur martelant d’autres sons, il se réfugie dans une altérité variable. Bien qu’il possède une culture parfaitement uniforme, une langue plus ou moins homogène, d’un «âge» de premier idiome – le plus ancien de toutes ces langues qui subsistent dans l’aire méditerranéenne, il est «situé» sur une voie sans issue. Est-il temps, peut-être, qu’il disparaisse culturellement, obéissant à la loi céleste de la tour «confondante»? D’ailleurs, après la chute d’Eve et d’Adam sur terre depuis le paradis, le second châtiment «divin» est la multiplication des langues (la Tour de Babel), pire que la pluralité des «races» ou des «teints de peau». Cette pluralité, loin de signifier la différence enrichissante ou l’ignorance divine, implique la confusion pour une oreille suprême et intolérante. Sans dieu propre, tout est voué à disparaître. L’Histoire multiplie encore les péchés, et que dire des silences «légaux» ! En outre, tout se réduira au culturel : les «lois d’évolution des peuples sont ainsi faites qu’elles impliquent nécessairement l’apparition et la conservation des différences nationales dans les domaines de la langue et de la culture.»1 Par de tels actes, on réalise la civilisation «suprême». Par contre, l’amazigh, sans lois propres et suprêmes, se trouve détruite par un processus de glottophagie à venir… afin d’éviter la confusion au Maghreb! Supériorité du medium de la foi… pour une civilisation suprême. Certes, dire que l’amazigh se voit uniquement comme un musulman ou comme un amazigh «arabophone», et rarement comme possesseur d’une identité ethnique et linguistique, est indéfiniment de la pure fiction. Plutôt une illusion: l’on embrasse la foi pour continuer à être mieux, sinon à quoi bon la foi, qui redouble sûrement une autre foi. Une conversion, non une métamorphose. Que dire alors de cette préservation linguistique millénaire devant de sauvages incursions culturelles et linguistiques? Que dire de cette résurrection recherchée pour cette langue «déracinée», coupée? Tend-il toujours à retrouver sa singularité en empruntant d’autres voies? Comment cohabiter avec des institutions qui sont la même négation? Tout se confond devant celui qui essayerait de délier tant de corps hétérogènes et oxymoroniques… Peut-elle l’écriture annuler la confusion? Ils sont rares les Amazighs qui connaissent que leur langue possède son propre alphabet. Question rarement posée: Pourquoi la tamazight qui était écrite durant plusieurs siècles avant le latin et l’arabe, a-t-elle perdu sa pratique scripturale? Rares sont alors les Imazighen qui confient au succès de leur langue en la scolarisant. Ils ne croient pas à la logique : scolarisation = renforcement et expansion. Donnez-lui une chance, elle croîtra en moins d’une génération. Mais, cette tradition écrite s’avère une pratique politique… La supériorité «prétendue» des langues étrangères sur la langue propre en est d’une part le résultat d’une aliénation parfaitement orchestrée selon une mythologie «indéniable», et de l’autre par le couronnement des mythes des traces ou des inscriptions. S’écrire est en soi, au regard de l’autochtone aliéné, un acte tautologique. L’amazigh se laisse alors hanter par une autre mémoire, et son amazighité devient un non-lieu. Saint-Augustin, en confessant ses péchés d’être soi-même, se coupe la langue, s’auto-efface tout en créant un bijou latin, une œuvre catholique. Les exemples se multiplient à l’infini. Dans les temps modernes, à la religion s’adjoint la science écrite, et derrière la supériorité de la technologie produite apparaissent ainsi d’autres mediums… Ecrire l’amazigh serait-ce le salut? Un moyen pour éviter la destruction finale? L’écrire, c’est la rendre culture infinie. L’écrire, c’est la protéger, tout en édifiant des limites d’identification. Mais, il y a l’écriture du corps, dans le corps, sur le corps… et là le choix du non effacement. L’absence annulée. Le tatouage, l’identité métaphorique, bleu comme l’océan qui ne tarit. Mais, peut-elle exister ou survivre une écriture sans profondeur divine?Le céleste et le politique se font même corps, développant les mêmes limites. Ici, et ainsi va subsister la culture amazighe en Afrique du nord, et elle survit «réellement» tant qu’elle n’est pas pointée du doigt «politique». Le silence, l’absence, l’effacement… l’épargnent davantage. En absence d’institutions propres, disséminées à la suite des conquêtes étrangères, la préservation de l’amazighe a été de même grâce d’une part à la solidité et à l’accumulation de la production orale, et d’autre part à la structure logico-syntaxique malléable de la langue elle-même, mais sans atteindre le suprême. Tout ce qui l’accueille est creux et léger, sans profondeur «métaphysique». C’est pourquoi, le système graphique ou la graphie est moins important, quoiqu’il puisse sauver provisoirement cette culture de la perte. Pourquoi ne disparaît-elle pas alors cette amazighité? Toujours malléable est-elle face au regard conquérant? Certes, elle possède toutes les conditions «politiques» pour disparaître. Elle est apolitique dans une gestion totalitaire! Structurellement, l’on pense à une démagogie institutionnelle, illusion aux passions excitées. L’enthousiasme tarit un jour ou l’autre, et à la fin s’institutionnalise au gré des rapports de force. En Algérie et au Maroc, le HCA (Haut Commissariat) et l’IRCAM (Institut Royal), couronnement d’une excitation, prétendent apporter le salut à la «culture locale», étant promulgués par de minuscules articles. Peut-elle subsister une institution sans le consentement gouvernemental –l’Establishment? nous interpelle la Conscience. Le HCA et l’IRCAM doivent véhiculer proprement la signification d’une mission nouvelle, s’écartant de l’arabisme. Comment concilier cet intégrisme avec son antonyme historique - l’amazighité? Que dire des programmes scolaires et d’autres outils pédagogiques confectionnés pour que l’amazigh langue soit scolarisable et apte pour les nouvelles ‘prérogatives’ du XXIe siècle? Cela sonne faux, apportant néanmoins un postulat: l’amazigh est la langue à couper…Sous forme d’établissement en dehors de tout establishment, le HCA et l’IRCAM sonnent, certes, le même glas pour l’amazigh. Ce sont des institutions qui n’arrivent pas en retard, mais s’instaurent dans la marge «politique» d’une idéologie arabiste pure. Ils sont la démagogie de l’Etat-Autre. Par voie de conséquence, l’amazighité, vidée de toute charge historique, se trouve en train de se réapproprier l’altérité comme identité, et il revient aux Imazighen de s’habituer à ne pas être eux-mêmes. Ces deux institutions ne peuvent pas sauver les meubles de tout un grand peuple, ni sa mémoire vaste ; «postcolonialistes» qu’elles sont, au sens propre du terme, tendent à la pétrification de l’identitaire, du propre. Elles offrent les dernières ablutions au corps à enterrer. Où va tamazight, corps fini? Personne ne le sait, personne ne peut prétendre son avenir ou faire un juste pari. Ses emprunts de l’altérité continue la revigorent, offrant à son propre être des métamorphoses capables de lui préserver le salut «pathologique». Par ailleurs, on n’aura garde d’oublier qu’une langue unique est le rêve des impérialistes, des ennemis de la différence. «Une nation, une langue.» est le vieux slogan des nationalistes européens du XVIIIe siècle. Au nom de la fausse, de la maudite, de la mystificatrice unité, les gouvernements anachroniques piétinent le Berbère, le casant dans la division ou la réfraction. Qui est le réfractaire? Celui qui refuse de plier à la force des «effaceurs»… Il faut reconnaître un fait extraordinaire : toute langue se métamorphose d’une manière ou d’une autre. Vu la rareté des moyens pour instaurer une tradition écrite et restaurer les institutions d’une telle culture, l’amazighe connaît une métamorphose darwinienne. Elle ne peut évoluer, vouée à la disparition face à des langues «fortes» et «armées». Combien reste-t-il de jours, de mois ou d’années pour la réalisation de la métamorphose finale? Cette disparition se fait-elle naturellement? Pourquoi se fait-elle au nom de la scolarisation dans la langue des autres? Et les programmes de la scolarisation faits par des «intellectuels» militants? Au Maghreb, ces «dé-penseurs» sont des intellectuels désespérés, conscients de leur mauvaise foi et de leur Misère. De vrais salopards… L’amazigh a, peut-être, cessé de se révéler comme un sujet intéressant pour les chercheurs étrangers (historiens, linguistes, anthropologues), mais il apparaît intéressant à soi-même, là une destruction du sentiment d’infériorité intériorisée. Il est maintenant un sujet qui existe en tant qu’être-pour-moi. Voilà la prise de conscience dans toutes ses dimensions et extensions. Ces chercheurs de laboratoire peuvent changer facilement de position au moment de défendre une position : ils pourraient dire A, ensuite B, encore C, ensuite ils ne savent plus que dire ou qui défendre. En conclusion… Sans un dieu, l’écrit n’a pas lieu d’être. Les Imazighen, loin d’être des «scientifiques de laboratoire» alloués loin de chez soi, de simples membres neutres et postcolonialistes, sont appelés à revoir le suprême quand la langue est à amuïr, et par conséquent à fonder une idéologie positive (ou positiviste). Tout amazigh tient désespérément à sa vie, pas à la continuité de sa culture / langue. Comment peut-il entrevoir le propre dans cette tresse d’identités «confondantes»? Peut-il «détresser»? serait une autre question complexe, hautement politique cette fois. Note 1-Nikolaj Sergeevic Trubeckoj & Patrick Sériot, N.S. Troubetzkoy l’Europe et l’humanité, écrits linguistiques et paralinguistiques, col « Philosophie et Langage », Editions Mardaga, p.115
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