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Après Chafik, que nous est-il permis d’espérer? Par Hassan Banhakeia (Université d’Oujda)
Ce bout de réflexion paraît plus tard et apparaît à un moment où il faut garder le silence. Que faire? Trop d'hypothèses et de spéculations peuvent surgir pour fausser la réflexion. Y a plein de raisons. Ces raisons malmènent terriblement l'esprit, mais il faut dire avant tout quelque chose de ce vide «irremplaçable» que laisse le recteur à son départ de l'Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM). De la tristesse, de l'amertume ou de la déception immiscée au remords, n'en parlons pas… Y a pas de crise, mais nous sommes tout simplement au carrefour. Des voix ou des appels se croisent, et des voies se multiplient… Aussi est-il juste temps de rendre hommage, de manière solennelle, à Mohammed Chafik, le professeur et le chercheur éminent, et surtout l'homme aux valeurs nobles. Faut dire des choses. Ce que le chercheur défend, il ne s'en est jamais servi pour s'enrichir, pour arriver, pour dominer. Ce que l'homme croit, il en fait une philosophie orthodoxe d'être amazigh. Curieusement, défendre l'amazigh et croire en l'amazighité, pour lui, ne sont qu'une conscience pour secouer l'univers des préjugés séculaires, finement et démagogiquement tressés par l'institutionnel. Son intégrité fait grand poids. Sa lucidité brise les zones de doute ou d'hésitation. Son courage intellectuel est un défi aux temps qui parsèment d'infinies échancrures sur le corps de l'amazighité. Ses travaux académiques sont des monuments: ils relisent l'être, la langue et l'histoire pour les lire correctement. Ce départ a plusieurs significations. S'il vous plaît, n'en parlons pas. Cependant, une chose demeure difficile à taire. Est-ce un reproche? Qui sait? Le «seul reproche» possible à faire au recteur, c'est d'être parti immédiatement après avoir tracé les «rails» de l'amazighité (je veux dire «asekkil amazigh», l'alphabet tifinagh). Mais que sera-t-il de la locomotive qui va être attelée au train? Sera-t-elle une locomotive à vapeur, diesel ou électrique? Et le train? Et les wagons? Après le tifinagh, commencent les défis, les vrais défis. En plus d'épineux, le chemin est long; la locomotive lasse et cahotante; trop de vapeur pour peu de mobilité; les wagons chancelants et ivres; les bandits et les cambrioleurs pullulent sur le trajet, et l'itinéraire demeure une inconnue. A quelle heure faut-il partir? Où arriver? Combien de voyageurs y aura-t-il? Et les conducteurs et les contrôleurs? Autrement dit, pour le recteur il reste d'autres batailles ou champs de bataille à prévoir et à tramer. Sur le plan des rapports avec l'Etat, citons justement quelques exemples : -la reconnaissance officielle de tamazight par la Constitution; -l'ouverture «d'ouverture honnête» des institutions et des administrations sur tamazight et l'amazighité, pas cette issue folklorique (des mass-média) désignée aussi bien pour le mépris que pour la méprise; -l'introduction réelle et effective de tamazight au sein des établissements d'enseignement, et non pas cette entrée «fanfaronne et elliptique» de l'année scolaire 2002-2003 où les maîtres désarmés se plaisent plus aux commérages qu'à enseigner les principes de cette langue «qui vaut rien»… Et sur le plan du travail interne de l'IRCAM, lors de l'élaboration de cette philosophie-politique purement amazighe, il faut citer le prochain défi à réaliser: la standardisation effective, objective et juste. Maintenant, il suffit de donner un point de vue, peut-être erroné, à propos du possible candidat au poste de recteur de l'IRCAM. De même, par un exercice de «praemeditatio malorum» (méditation des maux futurs), il faut discuter à haute voix la question du recteur de l'IRCAM. Il s'agit, pour être précis, dans ce bout de réflexion de voir comment remplacer «un modèle» par quelqu'un qui peut tendre à «être un modèle» aux yeux du mouvement amazigh. Ce quelqu'un peut et doit se reconnaître comme sujet de l'amazighité. Le nouveau recteur ne doit pas oublier l'écho millénaire, oui millénaire, qui résonne inlassablement comme une voix amazighe effacée, négative et méprise, celle qui demande: Que faut-il faire pour que ma place «première» soit légiférée, et non pas légitimée par des institutions «exogènes»? Une voix qui demande justice dans son pays d'origine. Des tabous sont à briser, des lois démocratiques à promulguer, des espaces sont, sinon à partager, à violer et à sillonner, des institutions à refaire et d'autres à réarticuler… Le recteur est amené à élargir son action, à dire d'une seule voix ses intentions qui ne sont que les idéaux du mouvement amazigh. Il sait surveiller, déchiffrer constamment, vérifier et soupeser le parcours de ré-initiation du marocain à son amazighité première. Il peut faire mouvoir l'Histoire dans le sens qui puisse relire tant de chapitres et refaire tout. C'est vrai que quand on ne défend son amazighité que pour résister à cet effacement programmé, quand on défend son amazighité comme être amazigh (et non pas en tant qu'amazigh), quand on défend son amazighité comme partie insoluble du Maroc, alors cette défense devient en plus de légitime, dure à réaliser. En plus d'être un peu la conscience de tous les militants amazighs, le recteur est le point d'équilibre de l'Institut. Il a, en tant que figure, une signification symbolico-politique: elle peut souder, ou du moins totaliser, les trois régions «amazighophones» du Maroc. Au sein d'une structure possible où le Rif risque d'être oublié, où l'Atlas encourt la possibilité d'être mal vu et où le Souss passe par la probabilité d'être mal jugé, le temps est à la sagesse et à la vision démocratique. Ainsi, que l'appartenance régionale soit traduite dans la représentation des membres de l'Institut, mais aussi dans la désignation des postes-clés de cette institution (conseil et départements). En somme, ces propos doivent paraître bien le résultat d'une confusion, mais ils traduisent un bout de réflexion, et l'autre bout, bien que clair et explicite, ne peut être que tributaire de l'indéchiffrable. Hassan Banhakeia
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