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Imazighen
et le conflit du Moyen Orient Par:
Lahcen OULHAJ, professeur d'économie, Rabat
Les discussions
autour du conflit du Moyen-Orient sont souvent interminables, passionnées et
parfois violentes. Les participants aux débats sont assez souvent confus, gênés
et peu cohérents. C'est qu'il s'agit en fait de deux conflits en un seul et
non d'un seul et unique conflit opposant israéliens et palestiniens. En effet, le double
conflit du Moyen Orient oppose, d'un côté, l'Etat d'Israël à la nation
palestinienne et, d'un autre côté, la civilisation universelle, tolérante
et démocratique au despotisme théologique arabo-islamiste. Le premier conflit
concerne une situation classique de colonisation et de violation de droits économiques,
politiques et culturels élémentaires. Sur ce premier volet, toute personne
normalement constituée ne peut que se trouver du côté des palestiniens et
de leurs droits contre la colonisation et la domination israélienne. Tout un
chacun doit donc soutenir les aspirations nationales palestiniennes et dénoncer
la colonisation israélienne. Les palestiniens ont droit à leur territoire
qui leur a été attribué par les Nations-Unies en 1948 et à leur indépendance
nationale politique sur ce territoire. Aucun problème à ce sujet et les israéliens
de gauche, eux-mêmes soutiennent ces droits. Le second conflit
qui oppose l'Etat d'Israël aux arabes de manière générale et aux
palestiniens arabo-islamistes en particulier est beaucoup moins clair et très
problématique. N'empêche que tout démocrate, toute personne moderniste ne
peut que se trouver du côté d'Israël. C'est certainement cette dernière
partie qui représente les valeurs universelles de droits humains, de tolérance
et de démocratie véritable. L'autre partie ne se (elle-même) conçoit pas
comme partie faible. Elle prétend détenir la Vérité et prétend l'imposer
par la force et la violence au monde entier et non seulement aux israéliens. C'est cette double
nature du conflit qui fait que les positions des uns et des autres sont loin
d'être claires. Les gouvernements démocratiques sont pour et à la fois
contre les palestiniens et sont pour et à la fois contre les israéliens. Et
ils ont raison, comme on vient de voir. Ils ne peuvent être qu'avec les
droits politiques des palestiniens et contre la colonisation israélienne. Ils
ne peuvent être qu'avec l'Etat démocratique, tolérant et séculaire d'Israël
et contre l'obscurantisme et le terrorisme furieux qui prétend acheter le
paradis en tuant les infidèles, en
imposant la Vérité au monde, en refusant aux non-musulmans tout autre statut
que celui de Dhimmi ou de mort. C'est ce caractère
double du conflit que le président Arafat tente d'exploiter à sa manière en
tenant un double, voire un triple discours, selon la langue utilisée. En
arabe, il appelle au Jihad. En Anglais, il met l'accent sur la colonisation,
la domination et l'Apartheid. En hébreu, un troisième discours est tenu par
les responsables palestiniens, celui de la paix des braves et de «mon ami
Rabin». La première
Intifada s'insérait dans le cadre du droit international et elle a valu aux
palestiniens le soutien de la communauté internationale pour qu'ils
recouvrent leurs droits nationaux. La deuxième Intifada relève du Jihad et
elle leur a coûté le silence des démocrates face à la riposte musclée de
Sharon. C'est l'existence de l'Etat d'Israël qui est visée par les
bombes-suicides. Nous, Imazighen, prétendons
être des démocrates laïcs. Notre position doit être claire: 1- Soutien aux
droits nationaux des palestiniens. Ce peuple a droit à un Etat souverain, démocratique
et moderne. Il a droit au développement économique, social et culturel dans
ses frontières reconnues par les Nations-Unies en interactions positives avec
tous les autres peuples de la planète. Il ne doit être ni dominé, ni
dominant. Il s'ensuit que l'Etat d'Israël doit impérativement démanteler
les colonies de peuplement installées dans les territoires attribués aux
arabes par les Nations-Unies en 1948. 2- Toute forme de
terrorisme-Jihad doit cesser de la part des palestiniens. Ceux-ci doivent
reconnaître juridiquement et dans les faits l'existence de l'Etat d'Israël.
Les arabes doivent reconnaître le droit aux israéliens d'exister, de vivre
en paix avec leurs voisins. Les arabes doivent reconnaître des droits
identiques aux leurs aux autres peuples. Ils doivent cesser de se considérer
supérieurs aux autres peuples et les Etats arabes doivent entretenir des
relations normales avec les autres Etats de la planète. Ils doivent cesser de
se considérer détenteurs d'un message ou de la Vérité à faire régner. Cette position qui
consiste à soutenir les palestiniens sur un registre et les israéliens sur
l'autre registre n'est pas difficile pour les marocains que nous sommes. On
peut se souvenir de l'époque de la colonisation du Maroc par la France avant
1956. Quelle a été la position des nationalistes marocains? Ils étaient
clairement opposés à la colonisation et pour l'indépendance du Maroc. Mais,
sur le plan civilisationnel ou culturel, les nationalistes marocains adhéraient
à la civilisation universelle que représentait la France. C'est cela qui a
permis au Maroc de passer sans heurts de la situation de colonisé à la
situation de partenaire partageant les mêmes valeurs et coopérant avec
l'ancien colonisateur. Confondre les deux
registres aurait amené les nationalistes marocains à jeter le bébé - le
colonisateur français - avec l'eau du bain - la civilisation française. Le
Maroc n'a heureusement pas fait ce choix. L'Algérie l'a fait et elle est en
train d'en payer le prix. Le Maroc ne l'avait pas fait, au début du moins.
Car, depuis le milieu des années 1970, nos arabo-islamistes, en arabisant
l'enseignement, n'ont pas cessé de tenter de nous détacher de notre
environnement naturel, la Méditerranée, et de nos valeurs ancestrales faites
de tolérance et de liberté, pour nous mettre sous la houlette du
Moyen-Orient obscurantiste et despotique. Pour nous Imazighen,
il n'est donc pas difficile de dissocier les deux conflits qui secouent le
Moyen-Orient et de soutenir tour à tour l'une et l'autre partie dans chacun.
Il s'agit d'être sur le plan politique du côté des palestiniens et d'être
culturellement du côté d'Israël. Il s'agit de soutenir les droits nationaux
des palestiniens et de fustiger la terreur arabo-islamiste, c'est-à-dire
soutenir les droits nationaux des israéliens. En un seul mot: soutenir
l'existence côte à côte de deux Etats-Nations, Palestine et Israël tels
qu'ils ont été définis par les Nations-Unies en 1948. Comme le conflit
est de nature double, on comprend bien le fait que chacune des deux parties
met en avant un aspect pour occulter l'autre. Pour se défendre sur le plan
international, les palestiniens présentent le conflit sous l'unique aspect de
colonisation et de domination classiques. Dans le même but, les israéliens
présentent l'unique aspect de conflit culturel. Pour traiter l'aspect occulté
du conflit, chacun recourt à l'histoire pour prendre trop de liberté dans
son interprétation. L'histoire peut tout justifier et face au passé on ne
peut être qu'éclectique. Chacun choisit l'époque qui l'arrange. Et pour
l'opinion interne, c'est un autre registre qui est invoqué, celui des
croyances religieuses. Et sur ce plan, aucune discussion interne n'est
possible. On peut évidemment
poser le problème sur un tout autre plan qui arrange plutôt Israël. Celui
de savoir qui a commencé le conflit et sur quel registre. Aucun doute, ce
sont bien les Arabes qui, pour des raisons théologiques et culturelles, n'ont
pas accepté le partage de 1948 et qui ont lancé la guerre pour supprimer
Israël. On sait que la guerre a été remporté de justesse par ce dernier
qui n'a d'ailleurs occupé ni la Cisjordanie passée sous la tutelle
jordanienne, ni la bande de Gaza passée, elle, sous la tutelle égyptienne.
Ce n'est qu'en 1967, qu'Israël a occupé ces deux territoires au terme d'une
guerre recherchée par les Arabes, non pas pour libérer des territoires qui
n'étaient pas occupés, mais pour jeter les israéliens à la mer. Evidemment,
les Arabes peuvent invoquer la période d'avant 1948. Et on pourra remonter de
manière interminable dans le passé pour déboucher sur le problème
insoluble de l'œuf et de la poule. Un dernier point
s'impose avant de clore ce papier. Il s'agit de répondre à ceux qui ne
manqueront pas de nous rétorquer la chose suivante: «Vous soutenez les
droits nationaux des palestiniens. Mais vous refusez la violence des attentats
suicides. Alors, dites-nous comment recouvrer ces droits sans violence.»
Notre réponse doit être que, d'abord, comme chacun sait et dit, il y a
violence et violence. La violence dirigée contre des civils par des gens qui
se font sauter est immorale. Elle ne vise qu'à saper le moral des citoyens
d'Israël pour provoquer un exode et anéantir l'Etat d'Israël. Il y a une
autre violence pouvant être justifiée. Celle qui sera dirigée contre les
seuls militaires. Ensuite, il faut se
rappeler que ce n'est point la violence qui a libéré l'Algérie, ni
d'ailleurs le Maroc ou la Tunisie, de l'occupation française. Si cela est généralement
admis dans le cas de ces deux derniers pays, dans le cas de l'Algérie, on
n'avoue pas toujours, même si les observateurs algériens objectifs le
reconnaissent volontiers, que la révolte algérienne a été vaincue et écrasée
militairement depuis 1958 et que si l'Algérie a été libérée en 1962,
c'est grâce au soutien politique international, puis français même (le Général
De Gaule). Les droits
nationaux des palestiniens sont reconnus mondialement. Si les palestiniens
s'en tiennent à ces seuls droits, l'activité diplomatique et le combat
politique suffiront pour obtenir gain de cause. En plus, il y a toutes sortes
de moyens pacifiques de lutte pour l'indépendance politique. C'est ma
conviction profonde et l'exemple de Ghandi est plus qu'édifiant à cet égard.
S'ils veulent détruire Israël, ils n'y arriveront pas, car ils seront seuls
et, face à la riposte, ils essuieront, au minimum, le silence de la communauté
internationale qu'ils ne comprendront pas. Et ce ne sera pas tout. Mais, mêlons-nous,
nous marocains, de ce qui nous regarde. |
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