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problèmes et règles d’insertion du schwa en tarifit: analyse de cas et propositions (2ème partie) par: h.banhakeia et farhad el hossaien (Université de Nador) 2.- LA MOBILITE «NECESSAIRE» DU SCHWA La convention parémiologique, héritée des arabisants et des orientalistes, veut que l’on classe les mots selon les radicaux, notamment en syllabes. Ce classement précis dénote non seulement le désintérêt pour les trois voyelles, mais la suppression totale de la quatrième. Néanmoins, la dérivation montre des mots, nécessitant la présence du schwa pour signifier… Au sein des phrases, la mobilité du schwa est notoire dans les formes substantives et verbales; précisément «sous l’influence d’affixes, la voyelle neutre (notée e) peut se déplacer dans le mot.» (1) Ce mouvement, qui fait la vitalité de la langue, illumine sur l’évolution historique du lexique. L’émergence du schwa dans la plupart des variantes offre à la langue parlée plus d’économie de l’effort de fluidité et de mobilité. Par exemple, ces fonctions sont d’un grand intérêt dans la conjugaison du verbe *mnev . Nous avons: *imnev et *ttmenva. Du singulier au pluriel, la voyelle neutre se déplace parfois pour préciser le sens. La fluidité «sémantique» est alors présente. Citons un autre exemple, précisément du substantif, comme *amdel / *imedlan. Ici, le schwa du singulier rétrograde d’une position et devient un «a» au pluriel. Comment alors retenir cette règle d’économie de l’effort, de fluidité et de mobilité.? La retenir serait évidemment déformer la langue écrite «visée»… En outre, la mobilité du schwa fait non seulement son intérêt dans la constitution d’un mot, mais également un indice de son existence «morphologique»: *susem / susmet; *fter / fetret; *ffev / teffved / iffev/ neffev… En général, c’est l’usage qui rend le placement du schwa facile, exact et «poétique»; et il revient au locuteur de se fier à un tel usage «nécessaire». Cette réalité phonétique va être traitée par des linguistes de manière hâtive, pressée par la règle à découvrir, par le calque formel sur d’autres systèmes «étrangers». Curieusement, quand le linguiste «étranger» s’attaque à la tradition amazighe, il se pose en maître de l’art de prononcer / articuler le dialecte amazigh. La langue amazighe ne peut se réduire à des règles «carrées» et de laboratoire: elle n’existe pas in vitro, et il y a la présence de cette tranche «réelle» qui en fait un langage humain, comme toutes les langues: se trouvant face à des généralités et à des exceptions «enrichissantes». 3.- SONORITE ET VOYELLE NEUTRE Si les voyelles sont le noyau d’une syllabe de par leur sonorité, la sonorité des consonnes détermine la syllabation. En effet, la sonorité de la consonne a une influence effective sur la vocalisation, et par conséquent sur la syllabation dans la langue rifaine. Quant aux semi-voyelles (w, y), elles déterminent partiellement la sonorité. Précisément, en tant que «e muet», le schwa existe au niveau de la base, du radical. Citons: *kker / kkar; *krez / karz; *ver / var; tter / ttar; *ffer / ffar; *mjer / mjar…De même, nous avons une présence, timide mais effective, dans des radicaux comme *(e)vz; *(e)ns; (e)zd … Enfin, le schwa est présent dans le verbe constitué de deux consonnes à l’aoriste: *sel; *nev… II.- REGLES D’INSERTION DU SCHWA EN LANGUE RIFAINE Soucieux de réduire le poids des préoccupations suscité par la présence du schwa dans le lexique amazigh, nous allons proposer ici une série de règles qui pourraient faciliter les rapports entre l’oral et l’écrit, et contribuer ainsi à ce processus problématique de la standardisation. Ces propositions prétendent être une étude théorique sur la langue enseignée à l’école marocaine du fait qu’elle mette à nu les problèmes du schwa. 1.- LE SCHWA SEPARANT PLUS DE DEUX CONSONNES IDENTIQUES: Nous constatons deux cas: a- l’insertion du schwa avant la consonne géminée: *Memmi; *Nenna; *Nennuv; *Ttett… b-: l’insertion du schwa après la consonne géminée: *Ittveççeç; *Sebbeb; *Zemmem; *Tammemt… 2.- LE SCHWA SEPARANT DEUX CONSONNES IDENTIQUES DANS LE «RADICAL VERBAL»Nous énumérons: *Mlel; *Lvev; *Fses; *Smem; *Arruyses… 3.- AVANT LA CONSONNE GEMINEE OU LABIO-VELAIRE L’emplacement antérieur à une géminée ou une labio-vélaire est sujet à différentes situations: A.- Avant la consonne géminée: *Aãemmiä; *Ajenna; *Ameddukl; *Timenna; *Tneqq… B.- Avant la consonne géminée labio-vélaire: *Tasekæart; *Tçekæa; *Adegåar; *Tegåar; *Azegåav; *Asegåas… C.- On n’insère pas le schwa avant la consonne géminée si elle est précédée d’une semi-voyelle (y/ w): *Awääaë; *Awããeg; *Awddeb; *Awggeä; *Awppec; *Awssar…D.- On n’insère pas le schwa ni avant, ni après la semi-voyelle qu’elle soit géminée ou pas excepté si elle est suivie ou précédée de plus de deux consonnes, comme dans les exemples suivants: *L’existence d’une semi-voyelle au sein d’une syllabe neutralise ou infirme l’insertion du schwa: *Arws, *Iyzm, *Nnwm, *Nnwmt/nnwnt,*Aylemt/aylent… *L’existence d’une semi-voyelle géminée au sein d’une syllabe neutralise l’insertion du schwa: *Axyyq, *Acwwaf, *Afwwj, *Akyyf, *Apwwas, *Arwwp, *Avwwv… 4. L’INSERTION DU SCHWA ENTRE DEUX CONSONNES IDENTIQUES NON GEMINEES: Cette proposition a une importance dans le processus enseignement-apprentissage de l’amazighe à l’école puisqu’elle permet d’éviter la confusion entre la consonne géminée (deux consonnes identiques) et les deux consonnes identiques non géminées. L’exemple: temmurded va être prononcé *temmurd et écrit *temmurdd. Dans cette prononciation, *Temmurded (tu as rampé) et *Temmurd (elle a rampé), le critère phonétique n’est pas respecté. Cela pose problème: un seul terme avec deux prononciations influence sur la réception. C’est pourquoi nous proposons l’insertion du schwa comme dans les exemples suivants: *Arukses; *Anixses; *Isennanen; *Farrnen; *Ssnen; *Imeççyanen… 5. DEUX CONSONNES (les bilitères) A.- Les verbes en deux consonnes non identiques. Dans ce cas précis, nous insérons le schwa au milieu: *Nes; *Sel; *Del; *Æeë; *Nev; *Mer; *Xes… Et, dans le cas de la conjugaison de ces verbes bilitères, le schwa se place après la deuxième consonne, selon la formule CeC--------CCeC, comme dans les exemples suivants: * Nes // ad nsev; * ver // ad vrev; * Xes // ad xsev; * Sel // ad slev; *Ûeç // ad Ûçev… B.- Deux consonnes dont une géminée qui commence le mot: Dans les mots contenant deux consonnes dont une géminée, le schwa est inséré après la consonne géminée. La preuve de l’existence du schwa dans cette catégorie de mots est que lors de la formation des noms d’action ou des noms d’agent apparaît à la place du schwa une voyelle pleine (a-u): *Qqen-------aqqan; *Ffev-------ufuv; *Ddez------addaz; *Ffeç -------affaç; *‘çel ------aççal Pour les verbes composés de consonnes identiques ou labio-vélaires le schwa n’a pas lieu d’être, comme dans les exemples suivants: *Kk; *Gg; *Cc; *Jj… Pour les verbes composés de consonnes identiques labio-vélaires, le schwa n’a pas lieu d’être, comme dans les exemples suivants: *Gå Pour les verbes composés d’une consonne et d’une semi-consonne, le schwa est absent: *Ny; *Wc C. Les prépositions: Pour les prépositions constituées de deux consonnes distinctes, on insère le schwa au milieu: *Deg; *Zeg; *ver; *Xef 6. TROIS CONSONNES (les trilitères) Le schwa est placé, dans la majorité des cas, après la deuxième consonne. Cette règle s’applique généralement aux verbes dont le principal procédé de dérivation du nom d’action est la préfixation de a, d’où la forme: accac. Nvel(ccec)---anval(accac) Cmes(ccec)---acmas(accac) Cette proposition prouve l’existence du schwa. Ce dernier se transforme en voyelle pleine (a) dans la formation du nom d’action à partir de ce verbe. Ainsi, la séquence /C1C2C3/ se réalise [CCeC], comme dans les verbes suivants: *Nvel; * ³fes; *³jen; *³qeb; *Æfeã; *Cäen; *Fser… Il est noter que les cas non retenus dans cette proposition sont: *Zenz; *Zerz; *Sers. En effet, ces verbes n’obéissent pas à la règle car leurs noms d’action ne sont pas de la forme (accac) mais plutôt de celle de (acerci), comme dans: *Azerzi; Azenzi; Asrusi.Donc, la forme C1C2C1 (où la première et la dernière consonnes sont identiques) va se réaliser en: C1eC2C3. Notons que si le mot (de trois consonnes) se débute par une consonne géminée, le schwa se place avant la dernière consonne (si elle n’est pas précédée d’une voyelle). Nous avons: *Ccren; *ïïÃen; *Mmtem; *Ddzen; *Ssnen; *Ffren… D’autre part, si le mot (de trois consonnes) dont une consonne géminée (qui n’est pas précédée d’une voyelle pleine) au milieu ou à la fin du mot, le schwa est inséré après la consonne géminée. Nous avons: *Agarrem; *Aoebbeç; *Ifassen; *Asummet; *Abesser; *Tiqqet…7.- QUATRE CONSONNES (les quadrilitères): Dans le cas des verbes qui comportent quatre consonnes sans l’existence de gémination, on insère le premier schwa après la première consonne et le deuxième avant la dernière consonne: cccc------ceccec Nous avons: *frfr------aferfer; smlc-----semlec…. Et ajoutons: *Nezreq; *Gemgem; *Sezdev; *Bejbej;*Amãebäi; *Texsed… Nous observons une certaine distinction au niveau de la prononciation entre les deux schwas. Si le premier tend à être un lubrifiant, le second s’approche phonétiquement d’un «a». Cela est plus clair dans le processus de la nominalisation (formulation du nom d’agent): *Aseqsaq; *Aqefqaf; *Azefzaf… Dans les mots de quatre consonnes dont la première est géminée, le schwa est inséré après la consonne géminée et avant la dernière consonne si elle n’est précédée d’une voyelle, comme dans les exemples suivants: *Ttesliv; *Ttedzev; *Ssenjem; *Ssefled; *Ssemvar; *Ssevder… 8.- CINQ CONSONNES (les quinquilitères) Dans les verbes de cinq consonnes distinctes le schwa s’insère après la première consonne et avant l’avant- dernière consonne. Nous avons: *Lemdent; *Bedoent; *Mepäent; *zedvent; *Feäëent; *Zedvent… Et si le verbe est à la forme factitive le schwa s’insère après la deuxième consonne et avant l’avant- dernière consonne. Nous avons: *Sbesren; *Smercen; *Smevren; *Sfesrem… - Ces conclusions peuvent être appliquées sur un certain nombre de verbes dont les consonnes sont distinctes. Quant aux verbes contenant des consonnes géminées, d’autres règles s’imposent, plus problématiques.Nous schématisons comme suit: 2c 3c 4c 5c 6c 7c Nv Lmd-------slmd--------slmdn-----slmdnt------sslmadnt Cc ccc------- cccc -------ccccc -----cccccc-------ccccaccc Nev lmed-----selmed------slemden---slemdent-----sselmadent Cec ccec----- ceccec-----cceccec –cceccecc-----cceccacecc Force est de noter que: * les verbes de trois consonnes distinctes: le schwa s’insère avant la dernière consonne; * les verbes de quatre consonnes distinctes: le schwa s’insère après la première consonne et avant la dernière; * les verbes de cinq consonnes distinctes: le schwa s’insère après la deuxième consonne et avant l’avant- dernière; * les verbes de six consonnes distinctes: le schwa s’insère après la deuxième consonne et avant l’avant-dernière consonne… En conclusion… Bien qu’émanant d’une réalité phonétique qui ne peut que s’imposer dans le processus de la standardisation de l’amazigh, le schwa est sujet à des débats irréalistes. Et des chercheurs de prouver son existence, et d’autres de nier son importance dans l’amazigh standard. Il demeure, à notre avis, incontournable dans toute description lexicale, dans toute transcription et dans toute confection d’une grammaire normative. (1) Kamal Naït-Zerrad, Linguistique berbère et applications, L’Harmattan, 2004, p.62BIBLIOGRAPHIE *Cadi, Kaddour, Système verbal rifain: forme et sens linguistique, Selaf, 1987. *Chaker, Salem, Etudes berbères et chamito-sémitiques: mélanges offerts à Karl-G. Prasse, 2000. * Coleman, J. (1996), “Declarative Syllabification in Tashlhiyt Berber”, in J. Durand & B. Laks (eds), Current trends in phonology, CNRS, Paris X & University of Salford, University of Salford Publications, pp. 175-216.* Coleman, J. (1999), “The nature of vocoids associated with syllabic consonants in Tashlhiyt Berber”, Proceedings of the 14th International Congress of Phonetic Sciences, San Fransisco, 1-7 August 1999, pp. 735-738. * Dell, F. & Elmedlaoui, M. 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