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La poésie amazighe: entre l’oralité et l’écriture ou le combat continuel pour l’identité

Par:  Ali Khadaoui, Poète et chercheur en anthropologie amazighe (Maroc)

       Ce texte porte sur la poésie amazighe au Maroc, engagée depuis quelques décennies dans un processus de passage de l’oralité à l’écriture qui m’interpelle en tant que poète et chercheur depuis bien longtemps. La poésie est certainement le genre le plus prolifique de la littérature amazighe. Au siècle dernier, cette littérature suscitait déjà l’intérêt des chercheurs occidentaux, dont les études ont eu le mérite d’éclairer un patrimoine longtemps négligé par les élites arabo-islamiques plutôt soucieuses de mettre l’accent sur des apports proche-orientaux le plus souvent fantaisistes ou fantasmagoriques.

       Bien plus, ces travaux de collecte, de transcription et de traduction d’une partie d’un immense corpus littéraire initient en réalité le mouvement du passage de la littérature amazighe de l’oralité à l’écriture, même s’il faut attendre le début des années 1970 pour voir apparaître les premières véritables productions écrites sous l’impulsion du Mouvement amazigh.

Dans le sillage d’une revalorisation et d’une promotion de la culture amazighe, une nouvelle poésie écrite émerge dans une tradition essentiellement orale, servant de locomotive à d’autres nouveaux genres comme le théâtre, le cinéma et même le roman. Cette poésie compte déjà des dizaines de productions qui introduisent les notions d’auteurs, d’édition et de lecteur dans un espace essentiellement oral. Cette mutation interpelle les chercheurs, qui ne cessent d’interroger les pratiques menant au passage de la poésie amazighe de l’oralité à l’écriture. Ils cherchent à entrevoir les perspectives d’avenir de cette nouvelle poésie, dont les problèmes ne peuvent être saisis qu’à travers les rapports qu’elle entretient avec l’oralité traditionnelle, mais aussi à travers l’état actuel de la langue et de la culture amazighes par rapport aux scripturalités exogènes qui dominent depuis des siècles.

La littérature amazighe contemporaine et ses mutations:

       Les sociétés modernes ont tellement sacralisé l’écrit qu’elles oublient qu’elles proviennent toutes de cultures orales. Depuis l’Antiquité, de grandes civilisations se sont organisées autour de l’oralité, qui a assuré la transmission de leur savoir, de leur savoir-faire et de leur savoir-être, et ce, jusqu’à nos jours pour certaines d’entre elles. La plupart des sociétés continuent à fonctionner avec les deux formes de communication, orale et écrite, dont les frontières sont perméables, car l’une se nourrit de l’autre.

       La littérature nord-africaine, comme la littérature africaine en général, s’exprime de deux manières différentes: par la voix et le geste (tradition orale), et par l’écrit, qui se présente le plus souvent dans des langues exogènes comme l’arabe, le français, l’espagnol, l’anglais, etc., autrement dit, dans les langues des colonisateurs.

       La littérature amazighe est constituée de textes créés pour distraire, amuser, instruire, mais aussi pour informer et éduquer. Comme pour les griots, le patrimoine oral des imdiazn (poètes professionnels) relève de la littérarité traditionnelle.

La littérature orale traditionnelle:

       La littérature amazighe traditionnelle, essentiellement orale, comprend les différents genres de la littérature orale qu’on retrouve en Afrique: l’épopée, la chronique, le conte, la légende, le mythe, le proverbe, la morale, la devinette, l’anecdote, l’énigme, la poésie, etc. Ces différents genres de la littérature amazighe font partie intégrante du patrimoine immatériel amazigh, transmis de génération en génération au moyen de l’oralité, grâce à une mémoire collective où les femmes ont joué un rôle déterminant de par leur fonction centrale dans la constitution et la pérennité de la famille et la socialisation des enfants. Elles sont de ce fait les gardiennes par excellence des spécificités profondes du peuple amazigh. C’est ainsi que la littérature orale amazighe est largement féminine de par les genres (contes, chants, etc.) et les sujets dont elle traite (amour, mariage, henné, etc.), à l’occasion des différents rites qui ponctuent la vie de la communauté amazighe traditionnelle.

       La littérature orale amazighe était, comme le montre son immense répertoire, une littérature forte, variée et riche. Mais à cause de l’arabisation et de la marginalisation linguistique, politique et économique, il n’y a pas eu de renouveau de cette littérature orale dont la créativité dans les différents genres s’est figée, se plaçant dans une situation de précarité. Cela n’a pas empêché cet héritage de constituer un réservoir intarissable où puisent les auteurs marocains et étrangers.

Littérature et statut de la langue amazighe:

       Si on ne peut dissocier le destin de la littérature de celui de la langue qui lui sert de véhicule, le premier problème que rencontre la littérature amazighe est celui du statut de la langue dans laquelle elle s’exprime. La littérature amazighe n’a aucun statut au Maroc malgré la création d’un Institut royal de la culture amazighe (IRCAM) en 2001 et son enseignement depuis 2003 dans certaines écoles, à titre expérimental.

       Cinquante ans après «l’indépendance», la littérature amazighe n’a pas encore trouvé sa place naturelle dans les universités et les centres de recherche, car la langue qui lui sert de véhicule n’a toujours pas de statut juridique, laissant cette littérature en marge des institutions officielles et hypothéquant son avenir. Cette mise en garde nous paraît nécessaire afin d’éviter d’aborder la littérature amazighe à partir de concepts et de méthodes élaborés dans les langues et pour les littératures dominantes (arabe et française). En effet, cette non-reconnaissance officielle de la langue amazighe constitue en elle-même un obstacle épistémologique, car toute comparaison avec les littératures scripturales dominantes est impossible.

       Le genre le plus prospère et le plus vigoureux de la littérature amazighe est la poésie. Elle est l’avant-garde de cette littérature émergente et du combat politique et identitaire amazigh qu’elle exprime.

La poésie amazighe au Maroc: entre oralité et écriture:

       L’absence d’une histoire de la poésie amazighe rend difficile toute tentative d’effectuer la typologie d’une pratique qui se caractérise par sa diversité et sa pluralité[1]. En effet, le manque de données historiques, doublé de la fragmentation de la langue amazighe en trois variantes régionales[2], met le chercheur dans une position délicate quant à l’appréhension de toutes les pratiques poétiques dans ce qu’elles ont de commun et de spécifique, ce qui nous pousse, malgré une longue expérience dans le domaine, à plus de prudence et de réserve, mais surtout à nous concentrer sur un échantillon représentatif de tout le Maroc. Seulement sur le plan terminologique, il y a autant de termes que de genres poétiques dans chaque région du Maroc amazigh.

       La poésie amazighe, en tant qu’art du langage, fonctionne comme toute poésie et tire sa spécificité de la culture et de la civilisation amazighes, plusieurs fois millénaires. Dans ce sens, cette poésie est le reflet de l’homme amazigh, de sa cosmogonie, de ses attentes et de ses angoisses, qu’elle exprime et suggère à travers ses rythmes, ses images, ses harmonies musicales, ses chorégraphies et sa gestuelle. Mais cette poésie se ressent également des mutations qu’a connues et que connaît encore aujourd’hui la société amazighe, si bien qu’on peut distinguer deux types de poésie qui correspondent à deux périodes: une poésie traditionnelle liée au chant, et donc à l’oralité, qui compte encore aujourd’hui des dizaines de poètes; une poésie moderne écrite qui émerge dans une dynamique sociale et culturelle caractérisée par des changements rapides dans la société. Cette nouvelle poésie n’établit nullement une frontière imperméable avec l’oralité, car si certaines productions présentent une rupture partielle avec la tradition orale, d’autres évoluent en continuité avec cette dernière dans la mesure où elles puisent dans ce patrimoine et en respectent les règles.

       Dans la société amazighe, qui a perdu l’usage de son propre alphabet tifinagh depuis longtemps (sauf chez les Touaregs), la notion d’analphabétisme est une notion exogène, dénuée de sens local. C’est ce qui explique que le poète amazigh se compare sans complexe et sans réserve aux lettrés qu’il méprise même et dont il se méfie, car ils introduisent un savoir et des valeurs externes au groupe, ce qui risque de semer la zizanie dans ce dernier.

       Comme un aâlem[3] qui s’appuiera sur les livres, ou un universitaire qui s’appuiera sur une thèse pour justifier sa compétence, le poète amazigh, chaque fois qu’il prend la parole, rappellera donc son droit à cette parole considérée comme sacrée dans le contexte culturel et social où elle se produit. Dans de telles conditions, il n’est pas donné à n’importe qui de devenir poète, statut qui nécessite un parcours initiatique doublé d’un long apprentissage pratique, qui font du poète coutumier un intellectuel de la société amazighe traditionnelle.

       C’est une poésie dite «dans» et non «pour» le public, ce qui lui confère une présence réelle dans la société à travers ighimi n imdiazn (les prestations des poètes), ahidous ou ahwach (les danses collectives amazighes où s’entremêlent duels poétiques, chants et danses). Parce qu’il ne s’agit pas de rapports de force et de pouvoir, la poésie prend souvent la forme d’un dialogue entre poètes. Intimement liée à la société amazighe rurale traditionnelle, avec ses mythes et ses rites, la poésie amazighe tire sa spécificité d’une cosmogonie paysanne et d’une histoire millénaire transmises par la communication orale. Les poèmes sont relayés de bouche à oreille, de génération en génération, de contrée en contrée, et arrivent même à dépasser le cadre de la région. Dans ce sens, le poète amazigh traditionnel, homme ou femme, accompagne les événements de son groupe, y participe même, les immortalise à travers des poèmes épiques transmis oralement de génération en génération.

Poésie amazighe de tradition orale et éthique:

       Si la bénédiction d’un saint est un préalable important pour devenir poète, elle reste insuffisante: une formation auprès des poètes confirmés est nécessaire, de la même façon qu’elle l’est pour les étudiants qui se forment auprès de professeurs qualifiés. Pour accéder à la caste des poètes, le cursus est long, semé d’examens où le public a son mot à dire. Petit à petit, le jeune poète prend sa place dans la hiérarchie des poètes, car il y en a une: l’audience de certains d’entre eux dépasse la tribu, la région et parfois même le pays.

       L’oralité amazighe entoure la poésie d’une éthique que tout vrai poète ne peut transgresser. Cette éthique trouve sa raison d’être dans la croyance profonde que la parole est un don divin assorti de conditions et d’obligations, et que ce don en tant que pouvoir n’est accordé qu’à certains élus. Le poète est donc conscient (il sait ce que Dieu lui a donné) que son autorité lui impose en même temps des devoirs à l’égard de Dieu, de sa communauté et de l’humanité en général. Parmi ces devoirs, plusieurs obligations: prodiguer sagesse et savoir (veiller au respect des valeurs morales et dénoncer toute dérive; informer le groupe dans sa langue; dire la vérité; défendre le groupe contre tout danger; à la manière des griots, conserver les informations dans sa mémoire et les transmettre aux générations suivantes.

       De ces obligations découlent donc plusieurs fonctions pour l’amdiaz, le poète traditionnel, dans la société amazighe: il est la conscience vivante du groupe, le gardien de ses valeurs morales et spirituelles, son protecteur, son journaliste, son historien et sa «bibliothèque» où sont conservées toutes les informations les plus importantes, surtout celles qui concernent les événements qui ont marqué l’histoire du groupe positivement ou négativement. Ce sont ces fonctions qui ont amené les poètes amazighs à privilégier le réel et même l’action dans leur démarche en temps de crise et non une absence ou une insuffisance d’imagination comme cela a été avancé.

       La résistance armée contre les deux occupations française et espagnole au siècle dernier prouve que la poésie ne peut être qu’au cœur du monde. En effet, le poète amazigh traditionnel a utilisé son pouvoir de parole pour exhorter les hommes à combattre, à aller de l’avant, à se sacrifier pour la patrie, ce qui a donné naissance à une poésie de la résistance où des figures comme Moha Ouhammou Azayi, Abdelkrim Al Khattabi, Assou Obaslam émergent de cette poésie comme de beaux tableaux éternels. Les batailles d’Anoual, de Elhri, de Tazizawt, de Baddou, de Bougafer, etc., n’ont pas laissé nos aèdes indifférents. C’est le cas de Taougrat, la poétesse aveugle des Ait Skhman, qui promet aux Français une résistance sans fin:

Tamazirt ennex ed ujjan imuyas s uburz

Ur asn i telli iwid itzallan exf iblis

Emk inghan es wass eggid atten tezzâa tawukt inw[4]

       Beaucoup de poètes ont participé aux batailles, comme ce poète anonyme qui, lors de la bataille de Tazizawt, se moque de son vieux fusil dans ces termes:

A bouchfr awa ighezzif ak ughenbou datâmmart ghas s waggou

Ur da tessoufought all izery urumi d iyyis ay ettagh effiras[5]

       Ces vers montrent à quel point l’inégalité des armes en présence a été décisive dans l’issue de la guerre de résistance. Par ailleurs, la cruauté des Français est telle que les repères habituels des Amazighs sont totalement bouleversés. Mais c’est aussi une violence qui a remis tragiquement à l’ordre du jour des valeurs comme la dignité, la liberté, l’honneur. Devant la lâcheté, la cupidité ou la trahison des uns, se trouvent honorées et célébrées la grandeur et la dignité des autres. Des valeurs que le Maroc indépendant va à son tour mettre à rude épreuve. Malgré tous les sacrifices consentis pour la patrie et la liberté, la région des Atlas fera encore une fois les frais de la politique d’exclusion et de marginalisation, ce que résume Lahcen Ahinach, poète des Ait Yussi, dans ces vers:

Ullah ar da neggan all ktix max isar a lâbad I n fafa

Ella eggarx izdwan g ixf inw ujdx ad iffegh dignx lahmaq

Is annayx lhaqq a yImazighen is enga ti ughrib urt en li

Ullah amrid i yait l’Atlas ar isul Digol ghurun

Mani aqbil izayan emmutnenn eg Tizi Isli eggun âari

Ixla Saghro exlan Imermucn assenna ghas itizza irumin

Liman asd ekkerx ad utx is da nannay agllid infayax

Maca estiqlal enna numz ca ur ax issaha essâad iberrcinax[6]

       Le poète nous rappelle ici que l’indépendance n’a pas su panser les blessures de la guerre contre les Français. Au contraire, elle a ravivé les rancœurs qui ont fini par retrouver le chemin de la violence.

       Cette exclusion de l’amazighité des institutions de l’État par l’élite citadine arabo-islamique, doublée d’une marginalisation économique du monde rural, a eu pour conséquence un exode massif vers les villes attrayantes et, par ricochet, la naissance du Mouvement amazigh, en tant que continuité politique de la résistance armée. Un mouvement qui va faire du passage à l’écrit de la littérature amazighe une de ses priorités. Mais aussi un mouvement dont l’influence sur les poètes de tradition orale est visible comme c’est le cas chez Mohamed Ajana qui, déjà dans les années 1980, criait:

Iwa hak yun uâttib ennax ighzan g ul

Tamazight ufix eccan enns idda xs eghdar

Mer tannaym dghi memmis umazigh may gan

Iga aârab ur ifar awal ennx amm zman

Awi âydat an msal ekkud ur nemmzla

Tedda luqt ella tuhil ula maymi neddur

Tga am lmtul n wass idda edduhr enns zrin

Dghi yiwd lâasr han amalu ns ighezzif

Cekkax ard idda yid eggwdex ad izl injda[7]

       Le poète perçoit clairement – et le dit – que l’arabisation des enfants est une menace à l’identité amazighe. La langue amazighe, critère fondamental de l’identité amazighe, est ici présentée comme vivant une rupture induisant un changement d’identité chez les jeunes Amazighs.

       Dans ce contexte hostile à l’amazighité, la création littéraire se focalise sur la poésie qui devient naturellement le fer de lance d’une contestation de la marginalisation et de l’exclusion qui frappent l’amazighité dans son ensemble. Une poésie résistante, dans le sens où elle poursuit une tradition de combat pour la survie d’une identité.

       La poésie orale traditionnelle offre ainsi la seule possibilité de revenir sur cette époque cruciale de l’histoire du Maroc. Elle reste, avec la littérature en français sur le sujet, le seul témoignage sur les étapes de la progression militaire coloniale et sur la résistance inégale livrée par les tribus amazighes des Atlas.

       Dans la société amazighe, où la création poétique est soumise à l’autorité collective, le poète se trouve dépositaire des vérités historiques qu’il doit transmettre aux générations montantes, car l’histoire officielle a toujours occulté ou déformé ces vérités. Une poésie comme celle de Sakkou, de Bouazza N Moussa, d’Ajana Mohamed ou d’Ihinachn éclaire des zones d’ombre de notre histoire récente. Nous disposons ainsi d’un répertoire immense, qui nous permet de remonter jusqu’à bien avant la pénétration européenne pour découvrir des vérités historiques que la culture dominante a, bien entendu, essayé d’étouffer.

La tradition écrite amazighe: l’énigme de l’écriture tifinagh:

       La civilisation amazighe a toujours été considérée comme une civilisation de tradition essentiellement orale, alors qu’il est indéniable qu’elle a utilisé, depuis bien longtemps, un alphabet propre à elle: le tifinagh. Malgré la disparition de cet alphabet de l’usage officiel et social depuis longtemps, son utilisation privée l’a rendu omniprésent dans l’espace pictural de la culture amazighe. Aujourd’hui, nous avons la certitude que cet alphabet et l’alphabet éthiopien sont les seuls alphabets d’Afrique.

       Le tifinagh est une écriture autonome dont les corpus divers (non inventoriés de manière systématique et précise) ne se retrouvent que dans le nord de l’Afrique, plus particulièrement au Niger, au Mali, aux îles Canaries et en Égypte, autrement dit, sur tout le territoire historiquement connu comme étant l’aire géographique et linguistique amazighe. Même si plusieurs formes régionales ont été relevées, les lettres communes aux différentes régions sont les plus nombreuses et permettent à certains chercheurs d’affirmer que toutes les variantes proviennent d’un seul prototype – dont la date de création est encore obscure –, qui s’est morcelé en éléments autonomes, comme la langue amazighe elle-même[8].

       Parmi les diverses inscriptions répertoriées (pariétales, sur œufs d’autruche, sur bois, ou sur d’autres supports), les plus anciennes remonteraient à plus de trois mille ans, et certaines, surtout celles qui sont liées à l’art rupestre, pourraient être encore plus anciennes[9]. Plus de 1300 textes répertoriés en Afrique du Nord, malgré certaines tentatives, attendent encore les chercheurs pour être déchiffrés.

       L’alphabet tifinagh ne provient pas du punique puisque certaines inscriptions sont antérieures à ce dernier[10]. On pourrait donc affirmer qu’il s’agit d’une création autochtone.

       La qualité de la graphie, la densité des usages urbains et ruraux, leur diversité (inscriptions officielles, funéraires, messages à caractère pratique, jeux, poèmes), attestent que l’écriture amazighe a connu à l’époque de Massinissa un usage officialisé et courant. Elle était au seuil d’un usage national[11] avant de connaître un arrêt brutal.

       On suit l’usage de cette écriture jusqu’à la fin du monde antique, comme en témoignent des textes gréco-latins. Ensuite, on tombe dans «un trou noir», pour reprendre une expression de Salim Chaker. Cependant, il est aisé de constater que la disparition des inscriptions urbaines coïncide avec l’époque romaine, donc avec le coup de force d’une autre scripturalité dominante et dominatrice. À cette remarque, il faudrait en ajouter une autre: les Vandales avaient interdit tout usage du tifinagh sous peine de mort[12].

       Cela suffit-il à expliquer l’arrêt brutal de l’usage officiel du tifinagh comme écriture, et sa continuité dans les usages privés, surtout artistiques et utilitaires, difficilement contrôlables? Nous pensons que le développement de la picturalité amazighe – les arts visuels en quelque sorte – a été une réponse de la société amazighe à l’interdiction de l’utilisation de sa propre écriture par les envahisseurs romains, vandales et autres.

       Seuls les Touaregs, surtout les femmes, ont conservé l’usage, certes limité, mais courant, de cet alphabet jusqu’à aujourd’hui. Toutefois, depuis les années 1960, on assiste à une recrudescence de l’usage du tifinagh par le biais de lettres privées, de publications, de recherches et même à travers la conception de logiciels à usage dactylographique. Paradoxalement, le tifinagh a aujourd’hui été officialisé au Maroc et reconnu internationalement, alors que la langue amazighe, qui est enseignée dans certaines écoles du pays, n’est pas encore officielle. Mais d’ores et déjà, de plus en plus de publications de différents genres voient le jour en tifinagh.

       Enfin, l’alphabet tifinagh entretient des rapports étroits avec l’espace pictural amazigh. Lorsque les Romains et les Vandales en ont interdit l’usage public, les Amazighs ont continué à l’utiliser dans la sphère privée, notamment dans la poterie, la scarification, le tatouage, et surtout le tissage (certains tapis amazighs anciens auraient été des résumés de contes et légendes ou d’événements importants), mais aussi comme écriture de la sorcellerie. Il faudra cependant attendre les années 1970 pour qu’apparaissent les premières véritables productions écrites amazighes en tifinagh.

La nouvelle poésie amazighe:

       Nous entendons par nouvelle poésie amazighe toutes les productions d’intention esthétique, qu’elles soient écrites, publiées, parues dans les journaux et les revues, simplement distribuées lors de rencontres associatives ou diffusées par les médias modernes tels que les cassettes audio ou vidéo, la radio, la télévision et Internet. Ces productions ont vu le jour dans les quatre ou cinq dernières décennies et elles ont marqué, avec d’autres genres littéraires écrits, le réel passage de la littérature amazighe de l’oralité à l’écriture.

       Nous nous intéressons depuis des années à la pratique poétique d’un certain nombre de poètes connus et moins connus. Parmi les poètes contemporains, les plus vieux sont natifs des années 1940 et 1950, les plus jeunes des années 1990. Il s’agit pour la plupart d’écrivains et de militants amazighs qui s’expriment à travers une situation politique et littéraire caractérisée par l’exclusion de leur langue et de leur littérature, par la marginalisation économique et sociale de leur région.

       Ce sont des créations d’individus de différents horizons sociaux, intellectuels et professionnels qui enrichissent l’expérience littéraire amazighe dans son ensemble. Cette nouvelle pratique poétique tournée vers l’esthétisme se distingue aussi par des caractéristiques textuelles propres sur les plans linguistique, structurel et thématique, mais aussi par le statut social et la fonction des poètes. Ces derniers sont tous, contrairement aux poètes de l’oralité, des lettrés issus du système scolaire où dominent les langues et les littératures arabes et françaises et d’où sont exclues, évidemment, la langue amazighe et sa littérature.

       L’apparition de l’écrit dans la poésie amazighe introduit d’autres notions qui s’imposent dans l’univers littéraire et obligent le chercheur à les mettre au cœur de ses préoccupations. La critique littéraire ou, du moins, les études littéraires doivent se convertir pour se conformer à l’évolution thématique, scripturale et institutionnelle de la littérature au Maroc en général. De nouvelles préoccupations se sont exprimées au regard de la réalité littéraire, donnant l’occasion d’intégrer de nouveaux concepts dans l’univers théorique.       De plus en plus, la littérature amazighe s’impose aux analystes de la littérature nord-africaine comme une donnée qui permet de mieux cerner cette dernière. Elle contribue au renforcement de la critique littéraire africaine.

       Malgré la jeunesse de cette expérience fondatrice, l’importance de la production constitue la preuve que la littérature amazighe écrite est en train d’introduire des bouleversements sans précédents dans l’oralité traditionnelle, aussi bien au niveau qualitatif que quantitatif, dans un espace littéraire qui va profiter amplement des expériences littéraires universelles. Des genres modernes sont même apparus: des pièces de théâtre, des nouvelles, des essais, des romans, des scénarios de films.

       Les véritables prémices du passage de la littérature amazighe de l’oralité à l’écriture remontent aux années 1970, années qui ont marqué un tournant dans la vie littéraire amazighe au Maroc avec la publication en 1974 du recueil Imouzzar (Cascades), une production collective de l’Association marocaine de recherche et d’échange culturel (AMREC). Une nouvelle génération d’écrivains au moins bilingues est née, proposant une autre image du Maroc, des Amazighs et de leur littérature. L’essor associatif a largement influencé le parcours poétique de cette génération, où les poètes ont participé amplement à la renaissance de la littérature amazighe dans son ensemble.

       C’est aussi un mouvement urbain qui a gagné les campagnes et qui s’inscrit dans la conscience moderne de l’identité amazighe en utilisant les outils de cette modernité, comme les droits de l’homme, l’écriture, les médias, les conférences, etc., pour défendre les droits de l’amazighité. C’est un mouvement qui reprend le combat amazigh de la ruralité vaincue.

       Dès le départ, ce mouvement inscrit le passage de la littérature amazighe de l’oralité à l’écriture dans une stratégie à long terme visant à moderniser cette littérature, ce que résume feu Ali Azayko, l’un des plus grands militants du Mouvement amazigh, dans la préface du recueil de poèmes de Mohamed Ouagrar intitulé Tinitin (Les envies), publié en 2004: «Wanna iran ad isker kra n twuri ifulkin i tmazight, ar ittara s wawal amazigh» (Celui qui veut faire quelque chose de bon pour Tamazight, qu’il écrive en langue amazighe).

       Autrement dit, il s’agit d’une prise de conscience de l’importance que l’écrit a prise dans la société, et de l’impossibilité pour la langue amazighe de se maintenir et de maintenir avec elle tout un héritage littéraire précieux si cette langue ne devient pas une véritable langue d’écriture. En effet, à toutes les époques, beaucoup d’Amazighs ont écrit dans d’autres langues que la leur, et sont considérés comme des non-Amazighs par l’historiographie officielle[13]. D’où ce mouvement qui encourage l’écriture en amazigh, afin de sauver les trésors de l’oralité, mais aussi afin de promouvoir la littérature amazighe qui ne peut plus survivre uniquement par l’oralité et grâce à elle.

       Dans cette opération de passage de l’oral à l’écrit, la poésie se trouve à l’avant-garde d’un mouvement qui a bouleversé la littérature officielle marocaine jusque-là cantonnée dans les littératures arabe et française. C’est donc une poésie autochtone émergente dont les caractéristiques fondamentales semblent être l’hétérogénéité, la périphérie et l’engagement. Par hétérogénéité il faut comprendre l’absence de modèle référentiel bien établi: nous avons affaire à des expériences autonomes, constituées chacune par sa propre singularité.

       Mais ces questions légitimes semblent occuper une place secondaire par rapport à la question cruciale, celle qui consiste à sauver un patrimoine – oral et linguistique – de la mort qui le guette. L’urgence n’est donc pas uniquement liée aux problèmes posés par la question des règles académiques de la versification ou par celle d’une histoire littéraire à écrire, mais aussi et surtout au souci d’un sauvetage de la langue et de ce qui nous est parvenu comme éléments littéraires et artistiques d’une civilisation millénaire.

       La poésie amazighe écrite est au cœur de toutes ces préoccupations dans la littérature marocaine et nord-africaine. Elle s’est imposée comme une nouvelle voix à la périphérie du paysage littéraire officiel nord-africain, qu’elle a fini par transformer. Le passage à l’écrit que nous vivons au Maroc depuis quatre décennies constitue une dynamique de l’histoire littéraire qui impose au chercheur la reconnaissance d’un phénomène dont la présence est d’autant plus remarquable qu’il était absent du champ littéraire auparavant.

Le corpus:

       Le corpus de cette nouvelle poésie est composé aujourd’hui d’un important répertoire de chants, de recueils de poésie qui connaissent une diffusion de plus en plus large. Les journaux amazighs Tawiza, Agraw, Le Monde Amazigh et plus récemment Forum Amazigh, ont publié et publient encore des centaines de poèmes en langue amazighe[14].

       Le recensement, la classification et l’étude de ces productions sont nécessaires afin de faire la lumière sur les tendances poétiques et stylistiques de la nouvelle poésie amazighe actuelle. Il est nécessaire d’interroger ces pratiques afin d’entrevoir les perspectives d’avenir de la littérature amazighe en général et de sa poésie en particulier, cette dernière étant en pays amazigh la locomotive de tous les arts du langage.

       Cette nouvelle poésie est née dans des conditions difficiles caractérisées par un climat politique et littéraire des plus défavorables. En effet, les poètes amazighs s’expriment dans un contexte où la langue amazighe n’a ni reconnaissance ni statut juridique et où la culture amazighe est exclue des institutions officielles, menacée par la politique d’arabisation tous azimuts menée par les tenants de la culture dominante, qui ne cachent pas leur intention de tout faire afin que la culture autochtone amazighe disparaisse.

       Malgré cela, la poésie amazighe écrite est d’une vigueur remarquable. Elle compte déjà des dizaines de recueils de poèmes publiés, et chaque mois ou presque apparaissent des ouvrages nouveaux. Ces productions naissent pour la plupart en marge des institutions, que ce soit dans un cadre associatif, à compte d’auteur, à l’échelle nationale ou même internationale, et certains poètes arrivent à se faire publier dans des revues, des anthologies ou sur Internet.

       La langue et la littérature amazighes ne sont pas encore admises dans les universités marocaines et les circuits institutionnels, ce qui en rend l’inventaire difficile. De plus, les textes chantés et (ou) diffusés par les moyens de communication audio et audiovisuels n’entrent pas dans la compilation des recueils publiés de poésie écrite. Il faut toutefois signaler que les poètes/écrivains/chanteurs sont aujourd’hui nombreux dans les trois variantes de la langue amazighe. Parmi les plus en vue, on peut citer Khalid Izri, Mimoun Lwalid, Ammori Mbark, Mohamed Mellal, Aggorane, le groupe Saghro et Saîda Aâqil.

       En observant le corpus classé par année de publication, on peut remarquer la naissance timide de la poésie amazighe écrite (trois recueils dans les années 1970), puis une progression lente pendant les années qui suivent, pour assister enfin à une nette explosion des publications entre les années 2000 et 2008 (27 publications: plus de la moitié de toutes les publications depuis le premier recueil). On remarque aussi une représentation presque égale entre les trois principales régions géographiques auxquelles correspondent les trois variantes linguistiques amazighes[15].

       L’appel d’Ali Azayko a été entendu: le passage de l’oralité à l’écriture, posé comme passage obligé de la littérature amazighe afin qu’elle sorte de la léthargie où l’a placée l’exclusion institutionnelle de la langue amazighe du système scolaire et la domination des langues écrites arabe et française, semble sur la bonne voie. Cependant, cette volonté des militants amazighs de faire évoluer la littérature amazighe de l’oralité à l’écriture révèle un changement culturel dont on ne perçoit que les prémices, étant donné la nouveauté du phénomène. À cet appel de Ali Azayko, Mastaoui avait ajouté une autre consigne dans la préface du recueil Iscraf (Les chaînes) dans laquelle il affirme que «la vraie poésie doit exprimer les souffrances du peuple ainsi que ses espérances», rejoignant par là les poètes de l’oralité dont la poésie est toujours engagée politiquement ou socialement.

       Émergence et engagement caractérisent donc le passage de la poésie amazighe de l’oralité à l’écriture. Mais cette volonté d’écrire suffit-elle pour garantir une production de qualité? Ne met-elle pas en danger la tradition orale? Comment les poètes vivent-ils cette situation?

Hétérogénéité des pratiques:

       Le passage de l’oralité à l’écriture a créé une grande confusion chez tous les intervenants de cette opération. Cela ne se passe pas sans douleur. Mais c’est peut-être le prix que doit payer la culture amazighe pour atteindre l’universel et féconder la poésie amazighe tout court.

       L’hétérogénéité qui caractérise les pratiques poétiques amazighes d’aujourd’hui pose un problème épistémologique: comment rendre compte de la variété et de la diversité non seulement des contextes de production, mais aussi de la poétique des écrivains, qui semble être en adéquation avec les réalités socioculturelles de leurs régions? Autrement dit, comment considérer cette réalité littéraire éclatée, émergente, qui ne répond pas aux canons et aux critères d’analyse forgés dans et pour d’autres langues et leurs littératures, notamment l’arabe et le français?

       L’absence d’une standardisation de la langue ouvre la voie à l’improvisation et au laisser-faire, de même qu’à l’influence des langues dominantes et de leurs cultures respectives. Des procédés d’écriture en amazigh existent. Mais ce sont des propositions individuelles qui ne dépassent pas le cadre d’expériences d’écriture qui ont pour objectif la publication, et non la confection d’une orthographe qui demanderait de toute façon un travail d’équipe et des moyens que seules les institutions officielles peuvent offrir.

       Plus que toute autre littérature, la création écrite en langue amazighe demande une recherche lexicale, syntaxique et phonétique importante eu égard à la présence de trois variantes correspondant aux trois aires linguistico-géographiques, à l’absence d’une reconnaissance officielle et d’une langue standard, mais aussi à l’utilisation des trois alphabets en présence: le tifinagh, le latin et l’araméen (dit arabe). Ce contexte induit automatiquement une diversité des pratiques qui rend difficile l’étude de la poésie amazighe dans son ensemble et l’établissement d’une typologie globale satisfaisante.

       Le corpus amazigh contemporain reflète l’œuvre de poètes de tous âges, tous scolarisés et d’un niveau d’instruction élevé, et duquel se dégage un lot de jeunes encore inconnus du public. Certains poètes utilisent la variante locale sans effort, ce qui limite l’influence de la production à la région et accentue les différences entre les variantes. Ou bien, dans une volonté de puritanisme qui fait la chasse aux emprunts qui ont envahi la langue amazighe, mais aussi dans une volonté d’unification de la langue, ils utilisent un parler que ne comprend pas le large public. Ainsi, les poètes-écrivains participent activement à l’unification et à la standardisation d’une langue longtemps cantonnée dans ses variantes régionales. De plus, les productions présentent de sérieuses différences d’usage en ce qui concerne de nombreux détails au sujet des sonorités, du lien entre les morphèmes, des clichés, des problèmes de ponctuation, des néologismes et des calques.

Les relations qu’entretiennent ces textes avec la tradition orale:

       Parmi les poètes contemporains, on peut distinguer deux catégories: ceux qui sont nés dans la société amazighe rurale traditionnelle et ceux qui sont nés dans les villes avec un rapport très faible à l’oralité amazighe.

       Le premier groupe est constitué de personnes ayant un pied dans l’oralité rurale par leur naissance et leur appartenance géographique, sociale et culturelle, mais qui ont en même temps l’autre pied dans la scripturalité, par leur scolarité, leur emploi et le lieu où ils habitent. Il ne faut pas oublier que le Mouvement amazigh moderne est né dans des grandes villes comme Rabat, Casablanca, Fès, Agadir et Oujda, et que l’exode rural permanent fait que le nombre des citadins dépasse aujourd’hui, pour la première fois, celui des ruraux. Ce groupe se distingue aussi par la maîtrise de la langue amazighe et une grande connaissance de cette culture (histoire, proverbes, devinettes, contes, légendes, mythes et, surtout, des pans entiers de poésie traditionnelle).

       Le deuxième groupe est issu des nouvelles générations urbanisées et scolarisées dans un contexte d’arabisation et, par conséquent, marquées par une maîtrise moyenne, voire faible, de la langue amazighe, doublée d’une connaissance assez rudimentaire de la culture illustrée par l’ignorance totale ou partielle de la poésie traditionnelle.

       Les conditions politiques et sociales unissent tous ces poètes dans un combat identitaire mais aussi politique, qui donne à leur production une certaine cohérence thématique par rapport à l’hétérogénéité des pratiques des techniques d’écriture. Leur écriture demeure toutefois singulière et influencée par leur propre rapport à l’oralité. Certains ont voulu rompre avec l’oralité dans une sorte de révolte, l’oralité étant tenue responsable de l’état précaire de l’amazighité. D’autres essaient de concilier l’écriture et l’oralité dans un souci de complémentarité et de continuité anthropologique. Mais tous puisent d’une manière ou d’une autre dans les trésors de l’oralité et la reproduisent dans leurs travaux.

Les lieux de rupture:

       Lorsque l’écriture est introduite dans une tradition orale, elle est souvent destructrice car elle gomme bien des aspects de cette tradition. En effet, la tradition orale ne se réduit pas uniquement à la littérature, mais elle englobe tous les aspects de la civilisation d’une société donnée. L’histoire du peuple, les événements marquants, les généalogies, les arts, les sciences, les us et coutumes sociopolitiques et le droit sont conservés et transmis par la parole et les gestes. Tel est le cas de la civilisation amazighe depuis des millénaires. Cependant, l’histoire officielle et la culture dominante ne prennent en charge que ce qui légitimise le pouvoir et renforce son image dans la société. De ce fait, certains événements, même récents, comme la résistance armée contre le colonialisme, ainsi que certains illustres personnages comme Massinissa, Yughurta, Moha Ouhammou Azayi ou Abdelkrim El Khattabi ne figurent pas au programme de l’historiographie officielle.

       Mais l’intrusion récente de l’écriture en langue amazighe dans la tradition orale vient bouleverser une pratique à la fois poétique et sociale, fondée sur les interactions réelles, directes et immédiates entre poètes-chanteurs et auditeurs, et sur la réception du message. En effet, la pratique de l’écriture consigne tout et emprisonne la voix, privant ainsi la poésie de cette « liberté énonciative initiale qui lui donne vie et confère aux poètes la latitude de disposer de leurs créations selon leur disponibilité et selon surtout leur inspiration[16] ».

       Les poètes traditionnels, qui étaient déjà méfiants à l’égard des doctes de la foi islamique car ils les soupçonnaient de vouloir les détrôner en tant que représentants et gardiens de l’authenticité amazighe, prêtent aujourd’hui les mêmes intentions aux poètes amazighs de l’écriture, comme si cette écriture était introduite du dehors. Ils leur reprochent de ne plus défendre la tradition comme il se doit contre ce même pouvoir qui ne légitime et n’encourage que sa propre littérature écrite, et non celle du peuple qui demeure toujours orale. Ce discours, certains poètes-écrivains le considèrent comme dépassé car il ne permet pas de théoriser la situation de l’amazighité ni d’entrevoir l’issue de siècles de domination dans une prise de conscience nationale panamazighe qui dépasserait les clivages tribaux le plus souvent responsables des divisions qui ont conduit à la perte de contrôle des Amazighs sur leur destin. D’où l’appel historique des poètes-écrivains pour une écriture qui rompt avec l’oralité traditionnelle.

       Azayko est le véritable pionnier de la poésie amazighe moderne avec des recueils comme Timitar (Signaux, 1988) et Izmuln (Les cicatrices, 1995). C’est une poésie écrite, libre, imprégnée de la violence physique (expérimentée par le poète lui-même) et symbolique subies par l’identité amazighe. C’est une poésie que nous qualifierions d’innovatrice et d’engagée, qui rompt avec le registre oral:

Que loin du chemin amazigh,

nous sommes

dès le moment de naître.

Des données, les cicatrices;

Celles égarées;

C’est de l’écrit.

Le script

N’a point livré

Ce qu’est le remède de l’écriture…

       Ces vers d’Azayko tiré de Izmuln, traduits par Ha Oudadess, appartiennent bel et bien à un autre registre que celui des rways (chanteurs itinérants) ou des imdiazn. C’est un registre écrit empruntant des règles de versification non pas à la poésie traditionnelle, avec ses règles strictes, mais à la poésie moderne dite libre. Sur le plan esthétique, la disposition des strophes, la métrique, les rimes, la ponctuation, les groupes sonores, la violence du vocabulaire utilisé (izmuln: cicatrices), la répétition qui présente une insistance et une mise en valeur de certains thèmes, la violence des images, certaines inattendues (« s’ils lisent… les cicatrices; des fleurs sous … la peau… »), tout cela fait une poésie forte et belle à la fois, qui ne rompt qu’en apparence avec la poésie traditionnelle.

       On remarque dans ses œuvres la récurrence de termes liés à l’écriture tels « écrit », « script », « écriture », comme si le poète était hanté par celle-ci. C’est qu’il est convaincu que l’avenir de la littérature amazighe n’est plus dans l’oralité, mais dans l’écriture. Cependant, c’est peut-être au niveau des métaphores que la poésie écrite est la plus forte, car les analogies établies dépassent les réalités du terroir ou de la région pour englober des réalités abstraites et universelles. En effet, si la fonction de la métaphore dans la poésie traditionnelle est descriptive et pittoresque quand l’analogie porte sur la forme, la taille, la couleur et même le mouvement de l’objet décrit, cette fonction devient esthétique et sensuelle dans la poésie écrite d’Azayko, car l’analogie porte en général sur une impression ou une sensation, comme dans les vers suivants du même recueil Izmuln:

Rad issanen igh ghran izmuln ghassad

Is ellan ijddign-n tudert-gh du tafrkit iqqorn

N izmuln inu[17]

       Dans ce cas comme dans bien d’autres, le passage de l’oral à l’écrit affecte la structure de la langue et entraîne le développement d’un nouveau style littéraire, qui se différencie du langage habituel de l’oralité, mais qui ne rompt nullement avec elle car elle continue à inspirer les créateurs qui ne font qu’élargir l’espace de la poésie amazighe.

       Sur le plan technique déjà, aucune graphie n’est capable de reproduire toutes les caractéristiques de l’oralité, en particulier les gestes, les mimiques, les intonations, les expressions vocales et même la ponctuation. Celle-ci reste un exercice délicat, car les écrivains se trouvent devant au moins trois influences: l’oralité amazighe, ainsi que les ponctuations arabe et française. En l’absence d’une orthographe standardisée, le problème reste entier. Même chose pour les calques: on crée trop de termes qu’on calque sur l’arabe ou le français[18], ce qui dénature souvent une sémantique amazighe mise à rude épreuve. D’autre part, la plupart des poètes ne connaissent pas les travaux des linguistes ou les ignorent volontairement, d’où les largesses qu’ils prennent avec l’écriture qui, si elle demande d’abord l’inspiration, exige aussi autant de transpiration.

       Chez le poète traditionnel, le champ lexical est limité à sa région, donc à son parler régional, qui est compris par toute sa communauté. Par contre, le poète moderne, par sa conscience nationale et identitaire amazighe, par son bagage lexical limité qui l’oblige à chercher ses mots dans les dictionnaires existants, est appelé à utiliser une langue standardisée où sont représentés les lexiques des trois variantes régionales, ce qui participe à l’unification de la langue et, par là, à son uniformisation par les créateurs, mais ce qui en fait aussi une langue puritaine, d’où sont exclus  tous les emprunts . Cette rupture avec la langue de la communication quotidienne pousse  les poètes à créer des néologismes à longueur de texte ou reprendre  des termes déjà en usage chez les militants amazighs, mais inconnus du public – par exemple: tilelli (liberté), azul (salut!), tanmmirt (merci), amaynu (nouveau), tamukrist (problème) –, créant ou risquant de créer une langue artificielle et compromettant ainsi les chances d’une véritable promotion de la langue et de la littérature amazighes.

       Un autre lieu de rupture: le fait que seule une petite minorité de lettrés peut accéder à la poésie écrite aujourd’hui, alors que le poète de l’oralité traditionnelle était compris par toute sa communauté. Pour certains, la scribalité[19] des textes oraux amazighs ressemble fort à un processus exogène dans la mesure où elle établit un hiatus entre le poète et sa communauté. Cette affirmation doit être nuancée, car ce hiatus existe toujours entre les élites et la communauté, entre certains poètes de l’oralité et les jeunes arabisés qui ne maîtrisent plus la langue amazighe et dont la culture est rudimentaire.

Les poètes de la continuité ou de l’«entre-deux»:

       Les poètes de la continuité ou de l’«entre-deux» sont des poètes comme Mohamed Moustaoui, Brahim Oubella, Omar Taos ou Ali Khadaoui. Ils sont tous militants amazighs, écrivains et enseignants, et leur pratique poétique est qualifiée «d’entre-deux» eu égard à leur statut à la fois de poète-chanteur et de poète-écrivain moderne, revendiquant le statut d’auteur confirmé et plusieurs fois publié[20]. Les textes de ces poètes constituent une continuité de la tradition orale qui demeure ce réservoir où puise tout écrivain amazigh. Que ce soit des poèmes écrits dans des styles nouveaux ou des vers composés sur le modèle métrique traditionnel, la présence de la voix chez ces auteurs constitue indéniablement une persistance de l’oralité dans la poésie écrite.

       La continuité entre les registres de l’écrit et de l’oral se voit très bien sur différents plans, surtout dans la ponctuation et les métaphores. Comme si la rupture entre l’écrit et l’oral introduisait la peur de perdre l’essence même de la poésie amazighe. C’est, pour Benhakia, «une tendance à rester soi-même, à fuir toute fixation ou aliénation, à se rattacher encore à l’oralité[21]».

       Les changements sont tellement légers qu’on ne s’apercevrait pas qu’on passe de l’oralité à l’écriture si l’écriture n’était pas là pour nous le rappeler. On retrouve des poèmes chantés dans leurs recueils écrits et édités, ce qui en fait un modèle apprécié autant par la société traditionnelle que par les élites. La poésie tend ainsi à s’adapter au lieu et à l’époque, à l’auditoire traditionnel et au lecteur moderne, dans un souci d’éviter la rupture avec le public, de participer à sa prise de conscience et de faire avancer le peuple sur le chemin de la sagesse et de la lucidité. Ainsi, si certains genres comme le roman, la nouvelle ou le scénario constituent des nouveautés par rapport à l’oralité traditionnelle, la poésie écrite, malgré certaines tentatives de rupture, opère dans un mouvement d’ensemble qui allie innovation et continuité, dans la recherche constante d’une langue médiane.

       Cependant, le sentiment que la poésie doit être engagée domine encore les productions. Cette caractéristique semble unir ces poètes: l’importance accordée au message au détriment des règles de versification en usage dans la poésie traditionnelle. Ceci transparaît dans le choix de la symbolique et des images, qui sont en général fortes et accrocheuses. Derrière ce choix, une urgence: l’attachement à une identité, et l’engagement pour sa défense et sa sauvegarde, comme l’exprime Mayssa Rachida Marraaki dans Ewc-ayi-tawarjit-inu (Donne-moi mon rêve, 1999):

Neccin d Imazighen d Imazighen zi mermi

Ighezran n idammen izi nexs tirelli

Izewran isghemiyen tamezgha tsrudji

Abrid d wenni d wenni[22]

       Le passage de l’oralité à l’écriture peut être compris comme une captivité de la voix de la poésie orale, étant donné que celle-ci n’existerait pas sans cette voix, accompagnée ou non d’autres ingrédients comme les gestes et la posture. En effet, c’est la voix qui, en plus des règles strictes de versification, permet au poète traditionnel de «casser» (rez) ou même de «tuer» (ingh) la parole ordinaire pour faire naître ensuite des poèmes que les poètes eux-mêmes «déclament» devant un public attentif et captivé. Mais ne déclame-t-on pas la poésie française, arabe ou toute autre poésie?

       La voix de la poésie est toujours présente, mais ce n’est plus la même voix: de collective elle devient individuelle, portée par les moyens techniques modernes.       Contrairement à certaines idées reçues, le poète traditionnel travaille en toute conscience, la structure du poème, sa thématique et sa rythmique, beaucoup plus qu’un poète-écrivain, pour la simple raison qu’il est instantanément évalué par l’auditoire, qui le félicite pour sa réussite ou le sanctionne pour la faiblesse de son art.

       La poésie écrite interpelle l’oralité dans chacune de ses créations, où l’on peut encore trouver des bribes de littérature orale: des extraits de proverbes cités, des chants non traduits, des glossaires, des noms de héros de l’histoire amazighe.

 Au fond, toute la question n’est-elle pas de savoir comment saisir au mieux l’âme de l’amazighité et la communiquer aux autres? J’estime qu’il n’y a pas de moyen plus efficace qu’une « écriture totale », par laquelle on parvient à concilier l’esprit de nos contes et légendes de la tradition orale aux plus pertinentes exigences littéraires. Ce qui suppose avant tout une parfaite maîtrise des règles de l’écriture, mais aussi des traditions amazighes, sans lesquelles nous n’accoucherions que de productions similaires à celles déjà écrites en arabe « où le parler hiératique des personnages déteignait sur leur caractère et du coup ils n’avaient plus rien d’humain; ce n’était plus du sang qui coulait dans leurs veines mais des règles de grammaire[23]».

***

       L’écriture exige une graphie qui ne pourra jamais prendre en charge toutes les exigences de l’oralité telles la voix et les gestes, mais aussi tout ce qui entoure le rituel collectif de la création poétique orale traditionnelle. Cependant, d’autres moyens modernes, surtout audiovisuels, permettent à la poésie écrite de continuer à puiser dans l’oralité et à la chanter. Ils permettent aussi à cette dernière de continuer à exprimer une conception spécifique du temps et de l’espace.

       La nouvelle poésie amazighe opère bien des ruptures dans la littérature amazighe marocaine, au même titre que d’autres genres comme le roman, la nouvelle, le théâtre et le cinéma, en introduisant l’écriture dans un domaine resté longtemps essentiellement oral, tout en gardant des liens solides avec la tradition orale (référentiel culturel, transcription, traduction, présence de la voix).

       Mais est-ce le destin de tout art d’être élitiste? Même dans la tradition orale, il existe un écart entre la langue du poète et celle du public. Dans ce sens, le passage à l’écrit est globalement jugé positif pour la littérature amazighe, malgré les interrogations qu’il pose. L’écrit lui permet une large diffusion qui dépasse les frontières étatiques, une promotion universelle, une critique qui lui permettra d’écrire sa propre histoire, une meilleure préservation et donc une transmission sûre aux générations suivantes.

       Cependant, la création dans le domaine amazigh demeure tributaire d’un certain nombre de paramètres qui deviennent les principales revendications du Mouvement amazigh: la reconnaissance de la langue amazighe en tant que langue officielle; l’enseignement de cette langue et de cette littérature à tous les Marocains, au même titre que les langues arabe et française; la simplification des règles de grammaire et d’orthographe; la publication et la diffusion des œuvres comme pour les deux autres langues dominantes; l’accès équitable des créateurs aux médias; la traduction dans la langue officielle dominante et dans des langues étrangères.

       Dans des conditions favorables, cette poésie connaîtrait un développement sans précédent, eu égard aux potentialités réelles existantes, qui tirent leur force d’une tradition millénaire dominée par un combat éternel pour la liberté et la dignité. « Amazigh » ne veut-il pas dire « homme libre »? Quoi qu’on écrive, et d’une manière ou d’une autre, l’amazighité reste présente dans toutes les œuvres des poètes-écrivains amazighs. C’est une autre manière de la revendiquer.

       Une esthétique amazighe se maintient donc encore aujourd’hui au Maroc comme certainement dans d’autres régions d’Afrique du Nord. Elle témoigne d’une civilisation où l’art de vivre et de créer est intimement lié à une harmonie écologique et humaine merveilleuse, malgré les marques d’une altérité visiblement menaçante. Oralité et écriture se complètent et viennent exprimer une singularité culturelle et identitaire à partir de laquelle on peut aller sans risque vers l’universalité. Il est souhaitable que les recherches prennent en charge l’étude approfondie des rapports qu’entretient cette poésie avec l’oralité traditionnelle.

       À travers les poètes amazighs, de l’écriture ou traditionnels, en plus d’autres formes d’expression, ce sont les Amazighs «qui signifient au monde leur existence en tant qu’êtres humains conscients de leur spécificité[24]», ainsi que leur volonté d’être, de demeurer libres de leur destinée malgré les vicissitudes de l’histoire, au prix d’une résistance qui a connu et connaît encore des formes diverses et dont la poésie n’est que la partie visible de l’iceberg. Comme a déjà dit Jean Dutourd de l’Académie française: « Rien n’est plus déchirant qu’une langue que tue brusquement l’histoire sous les yeux même de ses poètes! »

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Notes:

[1] Lhoussain Skanfal, Histoire de la littérature amazighe: introduction théorique, Rabat, Al Maârif Al Jadida, 2006, p. 89.

[2] Au Maroc il existe trois variantes de l’amazigh: le tachelhit dans le sud et le sud-ouest, le tamazight dans le Moyen-Atlas (Maroc central) et le tarifit dans le nord.

[3] Terme arabe qui signifie savant, théologien.

[4] « Notre patrie que les guépards nous ont léguée avec fierté / Ne sera jamais à ceux-là qui prient Satan / Même s’ils me tuent le jour, la nuit mon écho les chassera. » La traduction est une opération de transfert toujours délicate. Le passage à l’écrit peut dépersonnaliser le texte oral des effets de l’oralité. Les traductions que je propose dans cet article sont donc un essai qui se concentre sur le sens tout en essayant de garder les images intactes.

[5] « Ô mousqueton  ton long bec plein de fumée / Ne fait jaillir la balle qu’après que l’ennemi et son cheval soient passés. »

[6] « Par Dieu ô mon fils je dors et quand je pense à notre sort je me réveille / C’est cette injustice faite aux Imazighen comme si c’était des étrangers / Par Dieu, sans les Atlassiens de Gaulle serait encore chez vous / Où est la tribu Izayane décimée à Tizi Isli dans la montagne / Ceux de Saghro et Imermucen ont été détruits à cause des Français / C’est la foi et la liberté qui m’ont amené au combat / Mais de l’indépendance nous n’avons rien eu, la chance nous a quittés. »

[7] « Voici une plaie qui a creusé mon cœur / Tamazight perd de plus en plus sa noblesse / Savez-vous ce qu’il est advenu du fils d’Amazigh / Il est devenu arabe et ne sait plus notre langue comme avant / Concertons-nous avant de nous perdre / Le temps presse arrêtons de tourner en rond / C’est comme le jour, nous sommes en après-midi / Déjà le soir arrive et son ombre s’étale / J’ai peur que la nuit n’égare les voyageurs. »

[8] Ahmed Skounti, Abdelkhalek Lemjidi, El Mustapha Nami, Tirra: aux origines de l’écriture au Maroc, Rabat, Al Maârif Al Jadida, 2003, p. 27.

[9] Mazel, Énigme du Maroc, Paris, Robert Laffont, 1971, p. 233.

[10] Skounti, Tirra, p. 27.

[11] Salim Chaker, Cours de langue berbère, Aix-En-Provence, Édisud, 1986.

[12] Ibid.

[13] Parmi ces penseurs citons Apulée, Saint Augustin, Tertullien, Essiouti, Ibn Khaldoun, Ibn Rochd, Azzayani, Khair-Eddine, Abehri, Choukri et tant d’autres.

[14] Il faut toutefois signaler quelques auteurs publiés par l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM), l’organisme d’État créé en 2001 pour réhabiliter la culture amazighe mais boycotté par la majorité des poètes pour complicité avec un pouvoir qui continue à se réclamer exclusivement de l’arabo-islamisme et qui entretient une politique d’exclusion de fait de l’identité amazighe.

[15] En 2007, plus d’une trentaine de poètes amazighs ont adhéré à Poètes du Monde, une organisation qui regroupe plus de 6000(six mille) poètes de tous les pays du monde. Certains de leurs poèmes figurent sur le site de Poètes du Monde dans la rubrique « Africa », section « Tamazgha ».

[16] Miloud Taifi, « Poésie, don de dieu, consignée dans de la ferraille », Aziz Kich (dir.), La littérature amazighe: oralité et écriture, spécificités et perspectives, Rabat, IRCAM, 2004, p. 214.

[17] « Ils sauront s’ils lisent les cicatrices d’aujourd’hui / Que les fleurs de la vie se trouvent sous la peau endurcie / de mes cicatrices. »

[18] Abdallah El Mountassir, « De l’oral à l’écrit, de l’écrit à la lecture: exemple des manuscrits chleuhs en graphie arabe », Études et documents berbères, 11, Paris, Inalco, 1994.

[19] Youssef Ait Lemkadem, « De l’oralité à la scribalité: le cas particulier de timdyazines », Aziz Kich (dir.), La littérature amazighe: oralité et écriture, spécificités et perspectives, Rabat, IRCAM, 2004, p. 239-247.

[20] El Houcine El Moujahid, « Poétique de Mohammad Moustaoui ou “Poésie de l’entre-deux” », Aziz Kich (dir.), La littérature amazighe: oralité et écriture, spécificités et perspectives, Rabat, IRCAM, 2004, p. 217-221.

[21] Hassan Benhakeia, « Problèmes de ponctuation dans le texte poétique amazigh », Aziz Kich (dir.), La littérature amazighe: oralité et écriture, spécificités et perspectives, Rabat, IRCAM, 2004, p. 375-397.

[22] « Nous sommes Imazighen, Imazighen depuis toujours / Des rivières de sang nous léguons à la liberté, / Des racines qui font croître et rêver l’amazighité / D’un chemin, d’un chemin juste. »

[23] Yacine Tassaddit, « La littérature amazighe entre représentation et réalité », Aziz Kich (dir.), La littérature amazighe: oralité et écriture spécificités et perspectives, Rabat, IRCAM, 2004, p. 69.

[24] Paul Pascon, « 30 ans de sociologie au Maroc (Textes anciens et inédits) », Bulletin économique et social du Maroc BESM, nos 155-156, janvier 1986, p. 60.

 

 

 

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