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sinyur 2958

  (Février  2008)

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بيان العصبة الأمازيغية

طرد أعضاء من الشبيبة الأمازيغية

بيان المنتدى الأمازيغي

المجلس البلدي للدشيرة يحتفل

بيان جمعية أمزيان بمناسبة السنة الجديدة

بيان جمعية إلماس

بيان الاتحاد الوطني لطلبة المغرب 

 

 

L’écriture amazighe au féminin: Etude thématique de ‘‘Yesremd-ayi wawar’’ de Fadvma El Ouariachi (1ère partie)

Par: Larbi MOUMOUCH (MASTER LANGUE ET CULTURE AMAZIGHES)

Introduction:

Nous consacrons cette présente recherche au domaine de l’écriture féminine amazighe. Un domaine peu étudié, peu exploré. Mais aussi à peine naissant, marquant son entrée dans l’espace de production littéraire amazighe dominé jusque là par la production masculine. Paradoxalement, la femme amazighe s’est faite une place prépondérante dans la poésie orale et dans la production musicale. Le répertoire féminin se distingue par de nombreuses figures de la chanson qui n’ont rien à envier à leurs confrères masculins. De Fatima Ult Telwat à Tabaàmrant, en passant par Rkia Talbensirt et Fatima Tihihit, si l’on se contente de la chanson du Souss, les chanteuses tirrwaysin ont largement développé la chanson amazighe et ont contribué à son élargissement et à sa diffusion auprès du public amazighe. Elles ont également favorisé la modernisation de la chanson de par les mélodies, les rythmes et la thématique diversifiée et originale qu’elles ont su introduire dans l’espace poético-musical amazighe.

Le Rif et le Moyen Atlas n’en sont pas en reste. Nous y découvrons des chanteuses de talent, aux voix mélodieuses et ensorcelantes. Tanadorit, Chérifa, Hedda U 3kki et bien d’autres se sont forgées chacune sa voie, son style particulier, ses préoccupations esthétiques et sociales, malgré les conditions d’un environnement qui n’est pas toujours favorable à l’émancipation de la femme.

La poésie orale a connu aussi des poétesses de renom que la mémoire collective a su préserver au regard de la valeur esthétique de leur poésie et du rôle social qu’elles ont assumé durant les périodes critiques de l’histoire de notre pays. Nous pensons principalement à deux figures féminines authentiques: Mririda N Ayt Atiq et Tawgrat. Cette dernière s’est érigée en figure légendaire de la résistance amazighe contre la colonisation française. Luttant avec les mots, attisant l’enthousiasme et l’ardeur du combat et du courage dans les cœurs des résistants et des combattants, ses poèmes prennent l’allure d’une véritable arme contre les envahisseurs aussi bien que contre les lâches et les récalcitrants parmi les siens.

Il en est de même pour les dizaines de femmes qui ont pris part à cette guerre contre les occupants, s’engageant par leurs moyens, leurs aides et leur soutien à défendre le pays menacé et refouler l’étranger du sol natal et préserver son intégrité et ses structures et richesses convoitées. Il en est ainsi des femmes Ayt Atta qui ont préféré la mort à la reddition et à la soumission suite à la bataille de Bougafer. Mais aussi de nombreuses autres femmes passées dans l’anonymat et condamnées par la marginalisation et l’oubli institutionnels.

La montée de la femme dans la production poétique se caractérise aussi par la diversité des genres et des discours produits. Les chercheurs en littérature orale y ont consacré beaucoup de travaux et ont souligné leur richesse. Ainsi, les femmes amazighes ont excellé dans la production de Tiqsidin, tizrarin, izlan, qui prennent des colorations différentes selon les circonstances et les espaces de production: mariage, travaux domestiques, moissons, naissances, puisée de l’eau, tissage, … Ils y évoquent nostalgie, bonheur, tristesse, chagrin, dureté de la vie, et y donnent élan à leur épanchement lyrique dédié au sentiment amoureux et aux déboires qui fendent leur cœur.

Cette présence imposante de la femme amazighe, quoique relative, dans le champ de production social et symbolique a amené certains chercheurs à qualifier de matriarcale la société amazighe. Ils trouvent un recours dans des éléments politiques, anthropologiques et sociologiques qui ont caractérisé la société amazighe dans son étendue. On cite par exemple la reine Damya (Tihya ou la kahina), Tin Hinan et la femme touareg, Zineb Tanefzawit, … L’historien Gsell nous parla de ces femmes amazighes en ces termes: «Il n’y a pas lieu, non plus, de retrouver des indices d’une gynécocratie primitive dans le rôle qu’ont joué quelques femmes aux temps historiques. Telle Cyria, qui, au IVe siècle de notre ère, prit une très grande part à la révolte de son frère, le prince maure Firmus, contre l’Empire romain. Telle l’héroïne de la résistance à la conquête arabe, la Kâhina, à laquelle, dit-on, son don de prophétie assura un prestige exceptionnel et qui, par l’intermédiaire de ses .ls, exerça un pouvoir presque absolu sur une bonne partie des Berbères. Ce sont encore deux célèbres magiciennes et devineresses, tante et sœur d’un faux prophète, chez les Ghomara du Maroc septentrional, au Xe siècle ; Zineb, magicienne elle aussi, qui, un siècle plus tard, eut une grande in.uence sur son mari, Youssef ben Tach.ne, le fondateur de l’Empire almoravide. Puis, au XIIIe siècle, la mère d’Yaghmoracène, prince de Tlemcen, cette femme virile qui se rendit au camp ennemi pour conclure un traité ; au XIVe siècle, Chimchi, qui, assistée de ses dix .ls, gouverna une partie de la Kabylie ; de nos jours en.n, dans la même région, la maraboute Lalla Fatma, qui fut, en 1857, l’âme d’une insurrection contre la France.

De toutes ces femmes célèbres, il est certain que les unes et très probable que les autres n’ont jamais été investies d’aucune autorité légale. Elles ont dominé grâce à l’ascendant que, par leur intelligence et leur énergie, elles ont exercé, soit sur leurs proches parents, possesseurs légitimes du pouvoir, soit dans un rayon plus étendu. Plusieurs d’entre elles avaient un caractère sacré: magiciennes, prophétesses, maraboutes.» (Stéphane Gsell, Histoire ancienne de l’Afrique du Nord, Tome V, les royaumes indigènes, organisation sociale, politique et économique, 1927).

Notre propos n’est pas ici de faire une apologie de la femme amazighe mais surtout de montrer qu’elle a toujours occupé une place importante dans la société amazighe à travers les diverses contrées de l’Afrique du Nord. Il est en effet avéré aujourd’hui de dire que la transmission de la culture est un rôle principalement féminin. La femme amazighe est la dépositaire de cette culture orale qu’elle transmet de génération en génération. Chez les touaregs, elle est davantage mise en valeur, puisque, en plus du chant et du contage, l’usage de l’écriture n’est pas l’apanage de l’homme. A ce propos, Fatima Sadiqi affirme à juste titre que «les femmes marocaines, parlant ou non l’Amazigh, sont les porteuses par excellence du patrimoine culturel Amazigh, vieux de plus de 5 000 ans. Elles sont les principales détentrices d’un patrimoine qu’elles ont su préserver et qu’elles continuent de transmettre de génération en génération.» Elle assume ainsi, selon Sadiqi quatre rôles: la préservation de la langue, celle de la littérature orale et du collectif, celle de l’art et des bijoux, et enfin la préservation du savoir féminin allant des pratiques divinatoires et thérapeutiques jusqu’à la production de l’écriture (Porteuses du patrimoine culturel amazigh vieux de 5.000 ans: Les femmes ont toujours été de parfaites médiatrices).

Mais l’on est tenté de se poser les questions suivantes: cette constante culturelle est-elle encore maintenue aujourd’hui? La femme amazighe est-elle toujours présente dans l’espace social, culturel et intellectuel? Continue-t-elle toujours à se prévaloir parmi ses congénères par l’action et la production dans les divers domaines?

Ces questions sont vastes et soulèvent de grandes problématiques qui dépassent largement le cadre du présent travail. Mais on pourrait ramener et restreindre notre objet au champ de la production littéraire pour mieux le cerner et en dégager les caractéristiques principales. Et de poser cette autre question: la femme amazighe s’est-elle faite une place dans cet espace? Existe-t-il des écrivaines marocaines d’expressions amazighe? Comment se répartissent-elle sur la carte amazighe marocaine? Dans quel genre littéraire produisent-t-elles? Y a t il continuité ou rupture par rapport à la tradition orale? Quelles aspects – et quelle est leur nature – distinguent-ils leurs écrits?

Ce sont là autant de questions légitimes et profondes qui interpellent tout chercheur qui tente d’aborder l’expérience de la création et de l’écriture féminines amazighes.

Pour essayer de répondre à quelques unes de ces interrogations, nous avons choisi de travailler sur l’expérience d’une figure de la littérature amazighe écrite. Il s’agit de la poétesse rifaine Fadma El Ouariachi.

Ce choix se trouve motivé par plusieurs considérations. Primo, ont une œuvre littéraire peu foisonnante certes mais importante et une expérience importante dans le monde poétique amazighe, ce qui lui a permis de se faire une place privilégiée dans le champ de la production littéraire. Secundo, relevant de la zone culturelle du Rif, elle reflétera sa manière d’aborder et de traiter les réalités culturelles et sociales qui sont les siennes. Tercio, l’étude thématique révélera son expérience poétique, le Moi de la poétesse, son rapport à la tradition orale, et son originalité.

Dans ce qui suit, il sera question d’un premier temps de présenter un aperçu général sur la région du Rif pour en saisir d’abord les conditions de productions et les aspects qui les caractérisent et ensuite les principales formes d’expressions littéraires, orales ou écrites, qui distinguent la région. En second lieu, nous nous consacrerons à l’analyse de l’œuvre poétique de Fadvma El Ouariachi. Nous interrogerons les thèmes dominants qui par leur récurrence et expressivité nous permettront de mieux comprendre l’auteur dans sa subjectivité, ses obsessions.

Cadre général de la recherche:

Aperçu géographique et historique du Rif:

Le Rif désigne actuellement cette région septentrionale du Maroc. Elle s’étend sur le littoral méditerranéen, entre Moulouya et le Détroit de Gibraltar, allant de la tribu de Ghomara à l’ouest jusqu’aux plaines de Moulouya à l’est, et de la rivé méditerranéenne au nord au seuil de Taza la plaine de Msoun au sud.

Si cette zone reste pour les romains «une terre inconnue», et donc peu exploré, elle a été évoquée par les historiens ultérieurs à des degrés différents: par un auteur anonyme dans «Akhbar majmou3a» au 8ème siècle, Albadissi la situe entre Sebta et Tlemcen et Ibn Khaldoun parle lui de «bilad Arrif», «bilad Nkor» (Kitab Al3ibar).

C’est sous le règne des Mérinides que le Rif se constituera comme entité ethnique avec le début des conquêtes européennes pour prendre ensuite un sens administratif la situant entre Ghomara et Oued Nkor.

La délimitation de Rif obéit ainsi aux événements politiques qui l’ont marqué et change suivant les périodes. Même aujourd’hui, on distingue deux parties importantes: le Rif oriental et le Rif occidental.

Pour la composition tribale, Robert Montagne a établi une carte qui comprend le Rif proprement dit. Il y figure quinze tribus qui sont les suivantes (de l’ouest à l’est): Mtiwa, Bni Jmil, Mestata, Ayt Bufraḥ, Ayt Yeṭfet, Targist, Bni Mezduy, Bqiwa, Ayt Weryaghl, Ayt 3mart, Ayt Tuzin, Temsaman, Ayt Ulick et Ayt S3id. S’y ajoutent les six tribus de la deuxième partie: Qel3ya, Kebdana, Ulad Stut, Bni Buyeḥya, Geznaya et Mesṭata. Certains y annexent aussi les neuf tribus de Senhaja de Srayr.

Structures socioculturelles:

De nombreux anthropologues ont étudié la société rifaine comme Jose Maria PANIAGUA y Santos, Angelo Ghirelli, Raymond Jamous et David Hart. Ces deux derniers ont mis en avant la théorie segmentaire pour expliquer les structures sociales qui caractérisent le Rif. R. Jamous a travaillé sur les notions de ‘baraka’ et de ‘l’honneur’ dans la tribu de Qel3iya, pour mettre en lumière les relations sociales liées à la parenté et au territoire que cimente en filigrane l’interdit lié aux éléments structurels du foyer, du territoire, de la femme et de la propriété (terre).

Quant à David Hart, il a poussé plus loin la segmentarité en se démarquant du premier. En étudiant le droit coutumier et les structures arborescentes de la société, il s’est penché sur les notions d’alliance, de vendetta et de justice. Il a ainsi distingué une structure dont le noyau est nnubt (foyer), jajgu (famille), tarfiqt, taxmast et taqbilt (tribu).

Aux niveaux des représentations culturelles et sociales, la société rifaine, comme dans tous les sociétés amazighes, accorde une importance capitales aux valeurs du travail, de la terre, à l’attachement profond au sol et à Twiza comme forme d’entraide et de solidarité tribale mais aussi comme forme de travail et de production social et espace de production culturelle où se créent, se partagent et circule le patrimoine poétique.

Les genres littéraires amzighes

Les formes poétiques amazighes:

La poésie est incontestablement le genre littéraire le plus ancien, le plus connu et le plus productif chez les imazighen. Cette primauté du genre poétique se manifeste dans presque toutes les activités de l’homme et de la femme amazighe: domestiques, agricoles, sociales ; elle accompagne aussi les événements socio-politiques. La richesse des formes poétiques et de la terminologie qui leur est associée constitue en outre une preuve de la productivité de ce genre.

Il existe ainsi plusieurs termes qui désignent les formes et les composants du poème en amazigh. on peut citer: Lqist, tahwact, llgha, izli, tamawayt, tamawact, tamdyazt, tamddaht, tayfart, ahellil, tazrart, tanccadt, tagzzumt, taqsidvt, amarg, urarn, arasal, …

La poésie amazighe est essentiellement orale et souvent improvisée. L’oralité, dans son acception positive, c’est elle qui a assuré à la poésie amazighe sa pérennité et sa force. Elle s’actualise dans les divers espaces de production sociale et traverse les autres formes d’expressions artistiques comme les danses. Improvisée, elle montre les prouesses et le talent du poète et sa capacité à produire sur l’immédiat et à s’adapter à toutes les situations et aux imprévus du moment.

En plus, elle est intimement liée à la musique et à la danse et s’actualise souvent de façon collective. Qu’il s’agisse d’aḥwac, d’aḥidus, de la chanson, ou encore de festivités sociales comme le mariage, la poésie est toujours présente. Elle se colore donc d’éléments musicaux, rythmiques et mélodiques qui l’agrémentent d’un charme et d’un plaisir particuliers et renouvelés.

La poésie traverse aussi le champ religieux. Elle y prend des formes et des teintes qui la distinguent des autres domaines. La tradition religieuse est riche en auteurs qui ont exploité cette forme comme Aẓnag et Awzal. Les poèmes à caractère religieux sont appelés ‘ladkar’ ou encore ‘ahellil’.

Il faut surtout signaler que la poésie orale a doté la langue amazighe d’une grande immunité et lui doit sa richesse et sa finesse, ayant ainsi préservé une grande partie de son lexique, de variété stylistique et de son répertoire d’images poétiques. Son esthétique, la construction codée d’images et de symboles fait de la langue des poètes, rrways et imdyazn, une langue littéraire bien distincte.

Néanmoins il importe de nuancer cette notion de poésie orale. L’écriture n’est pas en fait un phénomène absent ou accidentel dans le monde amazighe. Par-delà la graphie utilisée, la tradition scripturale est attestée chez les imazighen, notamment depuis le Moyen-âge, avec la production des manuscrits religieux et médicaux. Les rrways eux-mêmes, du moins certains d’entre eux, passent d’abord par la notation et la transcription de leurs poèmes.

La production littéraire écrite d’aujourd’hui n’est donc qu’une continuité mais d’une façon plus consciente, plus élaborée et moderne.

C’est vers les années 70 que la littérature amazighe écrite, la poésie en particulier, va connaître sa véritable naissance. Liée au cadre de l’action associative, la poésie écrite prend une teinte identitaire par laquelle les poètes cherchent à affirmer une culture et une identité marginalisées et menacées. Dans le processus d’acquisition culturelle et réhabilitation de soi et la contestation de la domination, la poésie écrite fait ses premiers pas avec des bulletins et publications internes comme Imuzzar (1970), avant que voient le jour les premiers recueils poétiques: Isekraf et Tadvṣa d imeṭṭawn de Moustaoui. Suivis plus tard de Tislit unẓar et Aseqsi de H. Id Belkacem et Timitar et Izmuln de Ali Sidqi Azayku, Tabrat de B. Akhiat, Iledjign n igena de Omar Taous,…

A partir des années 80 et surtout 90, de nouveaux genres littéraires voient leur apparition dans la littérature amazighe, soit par la création ou la traduction: nouvelles, théâtre, roman. Mais c’est l’écriture poétique qui prédomine et se prolifère avec de jeunes poètes qui se tournent vers des préoccupations nouvelles, esthétiques, philosophiques, intellectuelles, rénovant et modernisant ainsi le langage et le discours poétiques amazighes, marquant une certaine rupture avec la poésie orale.

La production littéraire rifaine:

Les formes orales traditionnelles sont très présentes dans le Rif. En plus, des contes, devinettes, mythes, on trouve d’autres formes qui sont spécifiques à la culture rifaine. Dans un article consacré aux formes d’expressions festives, Elyamani Qassouh rapporte de nombreux types de poésie rituelle qui s’actualisent lors de certaines circonstances religieuses ou sociales: asnay n tslit, lmulud, aqqan n lhenni, reoyat n izran.

Mais le genre coté de la poésie rifaine demeure izran. «En effet, le genre dominant, voire le seul vraiment attesté et documenté, est l’izri», affirme A. Bounfour. Il ajoute que ce terme est «une dénomination pour le vers dans son emploi au singulier, et une dénomination du poème comme ensemble de vers, de quelque nombre qu’ils soient, dans son emploi au pluriel.»

Sa structure, sa composition rythmique, sa musicalité, son usage fréquent, son caractère improvisé et la facilité de mémorisation, sont autant d’éléments qui font de lui une forme poétique privilégiée et prisée.

La poésie orale est riche de sa thématique classique faite de considérations humanistes, de la défense des valeurs sociales comme la solidarité, la justice, la fraternité, la dénonciation des maux sociaux. Mais elle chante aussi l’amour, ses déboires et ses chagrins. Les principales formes poétiques sont Amzawar, Remâani, izran n râarur, Izran n aridva, Rehwa, Izran n girra (Y. Qassouh, la poésie amazighe du Rif, approche historique).

La poésie orale rifaine, notamment les izran, se caractérise par sa structure rythmique, appelée ‘rmizan an3aci’ ou encore ‘rmizan n Buya’ qui compte douze pieds ou syllabes:

Aywral yaral yaral ayawral ralla buya

Ou Ayawralla yaral ayaralla buya

L’izri rifain a été prolifique dans la poésie évoquant et témoignant des atrocités des guerres qui ont laissé leurs séquelles dans la mémoire collective. Elle «constitue une mine de donnés, sans égal, sur la vie de la société tribale et sur les grands événements qui ont marqué une période très importante de l’histoire de la région.» (Abdeslam Khalafi, La poésie de résistance au Rif: 1893-1926, Tawiza, n° ). En témoigne cet extrait:

Aya dvhar ubaṛṛan a yassus n yexsan

Wi zayk igharn a zays ighar zzman

La littérature rifaine écrite:

Sa naissance est très récente et plus tardive en comparaison avec la poésie amazighe du Souss. Mais presque les mêmes déterminants ont présidé à cette apparition, de même qu’elle s’est développée dans le même cadre informel de l’action associative. Les circonstances particulières de ce retard sont dues:

-à la marginalisation du Rif qui a souffert de l’embargo et de l’asphyxie progressive au niveau économique et politique, ce qui a retardé son développement et son intégration dans l’évolution et l’ouverture du pays ;

-l’accès à l’enseignement universitaire et la formation d’une élite amazighe confrontée aux expériences des mouvements contestataires européens, forte de son capital culturel et scientifique, et qui a été à l’origine de la création des premières associations amazighes (Alintilaqa Attaqafya) et à l’encadrement et à l’encouragement des jeunes dans les domaines de l’écriture et de la musique.

-L’absence d’outils de diffusion de la production littéraire comme les imprimeries et les éditions et les difficultés matérielles de publication.

Des poètes comme Ahmed Qadiri, Said Elmoussaoui et Marzouq Ouariachi ne peuvent donc qu’attendre des vents favorables à la publication de leurs recueils. Jusqu’aux années 90 qui marquent une forte présence du discours amazighe et une dynamique nationale des associations amazighes, suite au début de l’ouverture politique du Maroc.

La production littéraire rifaine a connu une relance importante et un élan continue ces dernières années, tant au niveau quantitatif, qu’au niveau de la diversité des genres littéraires. Un aperçu chronologique nous permettra bien voir cette richesse et cette diversité. Nous devons ces statistiques à Yamani Qessouh qui a établi une bibliographie générale des publications en rifain (cf. son article Essai bibliographique des genres littéraires écrits en tarifit). Malgré le répertoire riche et l’expérience précoce du Rif dans le théâtre, ce genre n’a connu aucune publication proprement dite, si l’on excepte les ‘‘œuvres’’ publiées dans quelques revues comme Tifawt, ce genre étant destiné à la représentation plutôt qu’à la lecture.  

En poésie:

-Sellam Samghini, Ma tucid ag rehriq inu?, Cordoue, Casablanca, décembre 1992.

-Ahmed Ziani, Ad arigh g uzvru, Utrecht, août 1993.

-Said Moussaoui, Isfufi d u3qqa, Utrecht, 1994.

-Mimoun Eloualid, ZI radjagh n tmurt gher u3ra ujenna, Utrecht, 1994.

-Mohamed Chacha, Cway zi tibbuhrya yad war tiwid, Izuran, Amsterdam1995.

-Mohamed Ouachikh, Ad uyurgh ghar beddu x webrid n usinu, Izuran, Amsterdam1995.

-Ahmed Sadqi, Re3yadv n tmurt, Dabar-Luyter, 1997, Utrecht.

-Mestapha Bouhlassa, Tcum3at, Imp. Benazzouz, Nador, 1997.

-Fadma El Ouariachi, Isermd-ayi wawar, Arrissala, Rabat, 1998

-Aicha Bousnina, 3ad a xfi terzud, Imp. Benazzouz, Nador, 1998.

-Ahmed Ziani, Triwriwt i muray, Impérial, Rabat, 1998.

-Mayssa Rachida EL Merraki, Ewc- ayi turjit- inu, Imp. Ouàkki, Midar, Nador, 1999-2000.

-Najib Zahri, Afrawn usggas, Imp. Ouàkki, Midar, Nador, 1999-2000.

-Ahmed Ziani, Ighembab yarzun x wudem-nsen deg wudem n waman, Imp. Altsir, Casablanca, 2000.

-Hassan ELmoussaoui, Ma tghir as qa nttu, Fédiprint, rabat, 2000.

-Rachida mayssa EL Merraki, Ashinhen iẓewran, Triphagraph, Berkan, 2004.

-Karim Kanfouf, Jar asfedv d usennan, Triphagraph, Berkan, 2004.

-Mohamed Asouiq, Ad isrudji wawal, Fondation Annakhla, Oujda, 2005.

-Said Akoudad, Tiqqet, Almaarif Aljadida, publication de l’Ircam, 2005.

Quelques remarques ici s’imposent:

•12 recueils sont écrits en caractère araméen (arabe), contre 6 en caractère latin et un seulement en double caractère tifinagh/arabe ;

•2 recueils dont les poèmes sont accompagnés d’une version traduite en français (Ziani, 2000) et en arabe (Rachida EL Merraki, 2004) ;

•Les premiers recueils ont été publiés à l’étranger, notamment en Hollande où réside une forte population rifaine. L’émigration est donc déterminante en tant que thématique et facteur de production ;

•La publication a été tardive mais a connu un fort élan surtout durant les années 90, pour s’atténuer durant 2000-2005 ;

•La présence remarquable de trois poétesses Fadma El Ouariach, Aicha Boussnina et Rachida El Merraki qui compte deux recueils poétiques.

Le roman:

•Mohamed Chacha, Reẓ ttabu ad teffegh tfuct, Iẓaouran, Amsterdam, 1997.

•Mohamed Buzaggou, Ticri x tama n tasarrawt, Triphagraph, Berkan, 2001.

•Mohamed Bouzaggou, Jar u jar, Triphagraph, Berkan, 2004.

•Samira Idjis n idurar n Arrif, Tasrit n weẓru, Fondation Annakhla, Oujda, 2005.

Tous ces romans sont écrits en caractère latin, ce qui constitue une forme vulgarisation de cette graphie. Contrairement aux recueils poétiques, ce choix pourra inverser la tendance dans un contexte où l’usage des codes d’écriture constitue un enjeu non dénué de rapports de force.

La nouvelle:

•Bouziane Moussaoui, Rehmert tamqrant, Izaouran, Amsterdam, 1994.

•Walid Mimoun, Tifadjas, Stichting Apuleius, Utrecht, 1996.

•Moustapha Aynidv, Rehriq n tiri, izouran, Amsterdam, 1996.

•Aicha Boussnina, Tiqssisin n Arrif-inu.

•Mohamed Chacha, Ajdvidv umi itweg celwaw, Izaouran, Amsterdam.

Là encore on constate le rôle du pays d’émigration, avec la publication de quatre recueils de nouvelles et un roman. Par ailleurs, il faut signaler la quasi absence de publications en tifinagh. Excepté le recueil de Said Akoudad, aucune autre œuvre n’a été publiée par l’Ircam.

Enfin, la représentativité féminine est encore relativement faible par rapport à la domination masculine. Avec trois poétesses, dont une est aussi nouvelliste, et une romancière, la production littéraire féminine marque une nette avancée par rapport aux autres régions amazighophones du Maroc. Le Rif se place donc en avant-garde puisqu’il n’existe pas encore à nos jours – à notre connaissance – d’écrivaines, poétesses ou romancières dans la région du Souss et encore moins au Maroc central.

Il serait donc très intéressant de se pencher sur cette littérature féminine, d’étudier les caractéristiques structurelles et les aspects esthétiques ainsi que les interrogations et les préoccupations qui les cimentent. L’efficacité de ce travail serait alors d’en déceler les apports novateurs dont elle enrichit la littérature amazighe en général et souligner sa spécificité en tant que telle.

Ce que nous tentons de réaliser ici n’est qu’un premier pas vers la concrétisation de ce projet qui exige à la fois une grande documentation, un cadre de travail plus large et beaucoup plus de temps. Nous nous contenterons donc de travailler sur l’expérience la poétesse FAdma El Ouariachi. Dans ce qui suit, nous passerons en revue son recueil en nous penchant sur sa thématique, en vue de montrer les préoccupations de l’auteur, ses obsessions, l’expression de sa subjectivité et son apport novateur par rapport à la tradition orale.

ETUDE THEMATIQUE DU RECUEIL DE

YESREMD-AYI WAWAR de Fadvma El Ouariachi:

Présentation du recueil:

YESREMD-AYI WAWAR est le premier recueil poétique publié par Fadma El Ouariachi en 1998. Il est paru aux éditions Imprimerie Arrisala, à Rabat. Transcrit par M Hassan Benhakeia, il comporte 20 poèmes accompagnés d’indications spatio-temporelles, précédés d’une dédicace et préfacé par Abdesslam Khalafi. Il est rédigé en caractère latin, dans un format de 12,5x21, en 48 pages.

Le paratexte:

La première de couverture:

On y lit les éléments habituels que comporte tout livre, à savoir le nom de l’auteur, le titre du recueil, une illustration et une indication du genre littéraire dans lequel il s’inscrit.

Le titre est retranscrit en caractère tifinagh kabyle, non utilisé au Maroc. La quatrième de couverture porte un extrait du poème éponyme, lui aussi transcrit en tifinagh. Ce sont les seuls éléments textuels écrits en tifinagh. Ce qui semble indiquer leur valeur symbolique comme affirmation identitaire spécifique.

‘YESREMD-AYI WAWAR …’ est une reprise incomplète du titre du neuvième poème. C’est une phrase verbale, à l’accompli, composée d’un verbe suivi d’un pronom régime de la première personne du singulier renvoyant à l’auteure, et d’n sujet lexical. Le verbe «sermed» (éduquer, apprendre, enseigner) et le nom «awar» (mot, langue, parole) signale d’emblée l’idée initiatique de l’apprentissage, de l’acquisition d’une expérience, d’une formation individuelle où la langue, comme symbole identitaire, et la responsabilité de la parole, assumée par une femme, constituent des enjeux majeurs. Il y’a donc lieu de s’attendre à l’expression poétique du verbe qui se veut acte et action, de la volonté d’extérioriser un refus, une expérience certainement amère.

L’illustration est un tableau réalisé par A. Abdelkalki. Il représente un paysage maritime nocturne éclairé de la lumière lunaire, centré d’une colombe blanche en vol enfermée dans un cercle de fil barbelé, sur l’ombre de laquelle est inscrit en tifinagh le mot «awar» (mot, parole, langue). En dehors du cercle, quatre autres colombes de même couleur prennent leur envol vers le ciel. Au fond, on aperçoit une silhouette sur le sable près de l’eau.

La colombe piégée connote une liberté entravée, ou plutôt l’absence de liberté, l’emprisonnement, la séparation du groupe, l’isolement et la souffrance. Elle exprime un désir viscéral et volonté forte de dire, de s’exprimer, de s’épancher ; de donner libre cours à son élan, à la parole qui briserait ces chaînes et ce silence.

Le sentiment de la solitude, de la souffrance et de la mélancolie est renforcé par la présence de cette personne esseulée sur une plage déserte, par l’élément astrologique, la lune, symbole du caractère lunatique, et par l’atmosphère nocturne et mélancolique. L’aspect romantique du paysage maritime semble défiguré et brisé par la réalité amère et révoltante d’une liberté entravée et opprimée.

L’indication «Izran», «izri» au singulier, qui est une dénomination rifaine de la forme pan-amazighe de l’izli, inscrit le livre dans une appartenance générique bien déterminée. S’il constitue par cette appellation même une référence à la tradition poétique orale, l’auteure l’ayant préféré par exemple à «asefru» ou «timdyazin», comme indication courante sur les recueils poétiques, il constitue néanmoins une orientation du lecteur vers un genre précis, qui scelle d’emblée un pacte de lecture avec lui. Le lecteur est alors devant une situation qui interpelle et canalise ses horizons d’attente et réactive son savoir et ses compétences culturelles et littéraires.

Tous les éléments paratextuels sont donc présents: nom de l’auteur, titre, illustration, indication du genre, informations juridiques, dédicace, préface, photos et extrait sur la quatrième de couverture. La norme éditoriale se trouve donc respectée et fait du livre un produit consciemment conçu pour la diffusion et la consommation.

Composition du recueil:

(Suite dans le prochain numéro)

 

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