uïïun  94, 

sinyur  2005

(Février  2005)

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Timsirin zg arbaï… maca di takufäa d tlkkawt n yiman

Tamawayt

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Du complexe au mythe: deconstruction de l’image politique d’uqba ibn nafiaa
Par: Hassan Banhakeia (Université d’Oujda)

Ici, je ne prétends nullement mener à terme une étude d’histoire car je ne suis pas historien, mais plutôt développer une réflexion à partir d’un contact «historique, civilisationnel et culturel» déséquilibrant entre le Machreq («lever», Arabie) et le Maghreb («coucher», Tamazgha «Berbérie»). J’entends plutôt sonder le passé collectif et l’interpréter afin d’avoir une connaissance objective de l’évolution de notre société, depuis le commencement jusqu’à nos jours. L’arabisation sauvage contemporaine est à corréler à la première présence orientale en Afrique du nord. Ainsi, j’essayerai de saisir, par rétrospection, la logique de cet enchaînement: violence individuelle (d’un homme de guerre) au début, et violence généralisée des institutions (du système) de maintenant.
Cette jonction entre le Machreq et le Maghreb, avant tout violente par le conflit linguistique et culturel, est souvent dite de paix, de reconnaissance mutuelle et de fraternité dans l’histoire anecdotique «officielle». Elle se présente comme l’amalgame constant d’une part entre l’arabité et l’Islam, et de l’autre entre l’amazighité et l’Islam, où il serait difficile de déceler les éléments définitoires de chacun, mais un rappel du commencement du contact entre ces deux univers, peut nous être d’un grand éclairage.
Cette réflexion est, en fait, suite à la lecture d’un texte biographique d’Uqba où le ton élogieux du Conquérant sanguinaire (nommé le pionnier de l’arabité) dérange souvent le cheminement et la cohérence de la narration historique à force de multiplier des digressions de fantaisie, et d’un article de Butaina Chaabane intitulé «Leçons de Rabat» (paru dans «Asharq al Awsatt» le 29 novembre 2004) qui, dans un ton péremptoire, célèbre la grandeur «surpassante» de l’arabité au Maroc où les Marocains excellent simultanément dans leur amour excessif de l’arabité et par conséquent dans leur haine de soi (et de l’amazighité).
La première impression de lecture qu’on a après la découverte d’un tel personnage d’histoire, est difficile à interpréter, voire à expliquer. Comment peut-il ce nom oriental survivre encore dans l’espace maghrébin? Précisément, comment les pancartes, les rues et les établissements de l’Afrique du nord s’enorgueillissent-ils à le porter encore? Cette situation, au fond réelle et antithétique, peut-elle, à elle seule, traduire ce qu’on entend ici par «complexe d’Uqba»? S’agit-il d’un complexe assumé ou consenti pour devenir un mythe patent? Qu’est-il de la critique ou de la lecture déconstructrice qui pourrait montrer que ce complexe nord-africain n’est qu’un nœud «multiplicateur» de supplices pour l’Amazigh? Par ailleurs, un grand et douloureux complexe, au cas où il n’est pas jaugé, expliqué et défoulé, devient irréversiblement mythe fondateur. Cela a été bien le cas d’Uqba, le bâtisseur de l’arabité en Afrique du Nord.
I. – Première représentation de l’Amazigh
Une question nous intrigue à propos de cette jonction déséquilibrante: A quel moment a-t-on récupéré la mémoire d’un tyran comme un modèle politique en Afrique du nord? Tout simplement, ce doit être quand l’institution orientale commence à s’y enraciner: instaurant le légitime (l’arabité), et interdisant l’illégitime (l’amazighité), et s’achève par la substitution du propre par l’exogène.
Tout d’abord, essayons de définir ce premier contact «mythique» qui eut lieu entre le Machreq et le Maghreb dans l’imaginaire «écrit» arabe. Les textes en disent beaucoup et peu: les historiens de l’Orient narrent cet épisode (de jonction) comme étant l’arrivée de la paix, de la sagesse, de l’amour et de la fraternité sur une terre sauvage et athéee. L’islamisation était ainsi spontanée et bénéfique; et par conséquent la conversion, simple et immédiate, s’était réalisée par l’émergence de la tolérance, de la fraternité et de la concertation. Le peuple amazigh, à l’époque païen, judaïsé et christianisé, embrassa l’Islam avec fierté et s’y sacrifia corps et âme, et surtout prit l’arabité comme une délivrance.
D’après «Aljaman», l’historien Cheikh Abu Abbas Naciri écrit: «Lors du khalifat d’Omar ibn Alkhatab, l’Egypte fut conquise et mise sous le gouvernement de Ibn Alaass. Ce dernier reçoit six attroupements de berbères à la tête et barbe rasées.
-Qui êtes-vous? Et que cherchez-vous?
-Nous cherchons à embrasser l’Islam, nous sommes venus car nos aïeux nous l’avaient recommandé.
Et Amr ibn Alaass les envoya alors auprès d’Omar et écrivit pour l’informer à leur sujet.
Devant lui, et par l’aide d’un traducteur, la discussion fut la suivante:
-Qui êtes-vous?
-Nous sommes les descendants d’Amazigh.
Et Omar demanda à l’assistance:
-Avez entendu parler de ceux-là?
-Commandeur des croyants, parla un vieux de Kuraych, ces berbères sont les descendants de Ben Qais Ben Ailan qui partit un jour courroucé contre son père et ses frères qui lui crièrent «Va-t-en ! Va-t-en!» pour lui signifier de prendre le chemin vers des terres arides.
-Quelles sont les spécificités de votre pays? leur demanda Omar.
-Nous honorons les chevaux et nous méprisons les femmes.
-Avez-vous des cités? demanda Omar.
-Non.
-Avez-vous des notables qui vous guident?
-Non.
-Ah, mon Dieu! J’ai été avec le Prophète dans une de ces conquêtes et j’ai observé le peu de soldats que nous possédons, et j’ai pleuré. Le Prophète me dit alors: «Omar, ne t’attriste pas, et Allah honorera cette religion d’un peuple du Maghreb qui n’a pas de cités, ni de tours, ni de souks ni de notables pour les guider», et Omar d’ajouter: «je remercie Allah qui m’a gratifié de leur vue.» Et il les a bien reçus, et les mit au devant de ses armées, et écrivit à Amr ibn Alaass pour les mettre au devant des musulmans, et ils étaient très nombreux. » (1)
En partant de l’hypothèse qu’il s’agit d’un récit véridique sur le plan historique, voilà nos observations qui sont succinctes et hâtives:
─ Cette rencontre «amicale et fraternelle» est opposée à celle d’Uqba (contemporain d’Amr Ibn Laass) qui massacre, incendie et mutile la population «sœur»…
─ La première communication entre les Imazighen et les Arabes s’est réalisée par le voyage physique des nord-africains (visiter l’Arabie et demander de l’aide métaphysique), et à un autre niveau par le biais de l’échange symbolique (traduction indispensable). Cela renforce la différence entre ces deux systèmes-cultures.
─ Le récit fournit peu de détails sur l’aspect «positif» de l’identitaire chez le Maghrébin, et tant de détails sur son aspect «négatif».
─ Les Imazighen se définissent «descendants d’Amazigg», et les autres les appellent «Berbères», dérivé de la langue arabe «Ber! Ber!» (Va-t-en! Va-t-en!). Ce sobriquet, touchant de près l’identitaire, dit trop de ce rapport «exogène» ou «créé toute pièce»... Ce rapport de mystification continue toujours: tout ce qui se rapporte au Maghreb est soit innommable, soit sans nom propre. Cela est à l’origine de la vision négative du Machreq envers le Maghreb.
─ Dans ce récit, le narrateur dresse le portrait de l’Amazigh: tête et barbe rasées. Cela dénote en plus de la tradition (ne pas laisser croître les cheveux et les poils pour des raisons d’hygiène), la maîtrise du métal servant à se raser...
─ Cette anecdote, répétons-le, alimente l’opposition entre les deux cultures. Cette différence va être annulée «discursivement» à travers la narration. La rupture des relations entre les deux univers n’y est pas explicitée, ni précisée. Le récit, de mouture idéologique, recherche à déterminer les rapports naissants après l’apparition de l’Islam: le Maghreb doit servir le Machreq.
─ L’auteur (tout comme l’historien marocain qui cite le récit!) veut fonder et légitimer le paternalisme machrequien sur le Maghreb.
─ L’Amazigh n’a de passé que celui qui est rattaché aux Arabes, et c’est un passé qu’il faut non seulement racheter (l’amazigh était désobéissant au père, et aux frères), mais reconnaître comme propre: l’amazigh n’est qu’un arabe émigré à une certaine époque de l’histoire. Notamment, l’arabe maudit par les aïeux!
─ L’Autre (les arabes, précisément) les identifie comme un sous-groupe maudit par leurs parents communs, ils portent alors la malédiction à l’origine. La finalité de ce récit consiste alors à définir, sur la base d’un souvenir d’Omar, une identité (ethnie) obscure et basse que le Machreq illuminé doit prendre en charge. Là, de manière raisonnée, il y a refus évident de la diversité.
─ Cette recommandation renforce l’idée que l’Islam est innée chez les peuples, et à un autre niveau la recherche de la sagesse et de l’amour par ce peuple «nord-africain».
─ Tout en respectant les vœux de leurs aïeux, les Imazighen nient leur propre culture (cité, souk, notable) devant le calife afin d’avoir la possibilité de se convertir. Comment peuvent-ils réaliser le vœu de leurs ancêtres (imgharen) et nier l’existence de notables qui les guident? Là, ce texte anecodotique serait d’une structuration de contradictions insolubles.
─ Dans leur identification si spécifique: honorer le cheval et mépriser la femme, les Imazighen montrent alors une «conscience négative» de leur être devant les autres. Leurs particularismes ne seraient spécifiques que par opposition à d’autres modes d’être collectif, comment pouvaient-ils alors les avancer de manière claire? Concrètement, la Kahina serait l’annulation de la deuxième spécificité -qui est sans doute tissée par la main «subjective» de l’historien, et en ce qui concerne la première spécificité (domestiquer et élever le cheval), cela tient du vrai. Les textes d’histoire antique (notamment Hérodote dans L’Enquête) est d’un grand apport d’éclaircissement: les Imazighen étaient de grands dompteurs et les meilleurs constructeurs de chars de guerre.
─ L’histoire des Imazighen est inconnue par le calife Omar (censé être un illuminé), et vulgarisée par un cheikh de l’assistance qui fonde l’histoire sur des dires incongrus et racistes!
─ Le calife Omar méconnaît l’histoire des Imazighen au début, ensuite c’est bien le Souvenir qui lui rend subitement visite pour l’illuminer et identifie ainsi les Imazighen comme ce peuple dont le prophète avait parlé et qui sauverait l’Islam. Ces berbères, sans culture ni civilisation, seront les meilleurs soldats de l’Islam (à mettre sous les ordres des autres, et dans les premiers rangs sur le champ de bataille). Et cela continue: mourir ou se sacrifier pour les causes des autres.
─ En outre, il y a explicitement condamnation du style de vie et du système des valeurs. La négation de la cité (culture), des notables (savoir) et des souks (économie) est une exhortation aux conquérants pour partir conquérir l’Occident. Le marché est une organisation socio-économique importante et réalisée par un ou plusieurs groupes. C’est un échange très élaboré.
─ Les arabes interprètent l’histoire sans jamais se soucier à la rapporter avec objectivité. Ils font souvent des complexes de vraies victoires, ensuite des légendes, et enfin des mythes. Cette histoire «bien écrite» va être transmise de génération en génération, et elle deviendra un mythe fondateur qui mouvrait l’histoire de ce Maghreb de berbères, «Machreq d’arabes maudits et damnés». C’est, là, le mythe qui résout l’énigmatique «origine» des Imazighen à travers l’histoire! Ils seraient alors des pécheurs envers l’autorité paternelle (arabe), et envers laquelle les arabes ont été sans cesse bienveillants et respectueux. De cela dérive aussi la nette supériorité morale du Machreq ressentie solennellement vis-à-vis du Maghreb.
─ Ici, en général, le narrateur met en doute la valeur «culturelle et symbolique» des Imazighen, à l’instar des Conquérants chrétiens qui mettent en doute le statut d’humain des Indiens (qu’ils ont toujours identifié à un simple animal). Ainsi, ce contact «civilisationnel» est déséquilibrant car il révèle la «profondeur» de la différence.
─ Qu’une telle narration soit erronée, du fait qu’elle se base sur le «dit à partir du dit» et affirmant la dite supériorité raciale, cela confirme la nature forte et naissante du rapport entre le Machreq et le Maghreb. A ce propos, ce voyage des maghrébins vers l’Egypte occupée, ensuite vers le Machreq rend compte de la hiérarchie «administrative» chez les Arabes…
─ Enfin l’histoire d’Uqba (sous forme d’anecdote et de différentes versions insistent sur l’infériorité du peuple amazigh) va se greffer sur ce premier contact «imaginaire» chez les Conquérants arabes, ceux qui vont arriver pour diffuser la foi musulmane. La nouvelle foi, se multipliant et s’élargissant sans cesse sur les terres du Maghreb, aménera des guerriers assoiffés de butins et de femmes, se trouve mal répandue. Elle apporte deux nouveautés pour les autochtones: l’Islam et la langue arabe. Comme tous les peuples conquis, les Imazighen ont finalement pris la religion, mais non pas facilement la langue (moyen de communication) car ils possédaient la leur, propre…
II.- Uqba, d’une leçon d’histoire à l’Histoire
Les Imazighen ne se convertirent pas facilement et rapidement à l’Islam. La nouvelle religion, véhiculée par une langue étrangère, ne fut pas accessible aux Imazighen. L’Afrique du Nord connaît de longues «futuhat» (ouvertures) qui se font de manière particulière: dans cette action (qui se définit comme cassure d’une structure, finie et close, préexistante» s’entremêlent foi, rapt, viol, butin, corruption et crime. Ces invasions répandaient moins la foi que la violence et la terreur. Les bédouins recherchaient des fortunes dans le Far West de l’univers. Ces cassures sont analogues à celles qui ont eu lieu en Amérique, opérées par les Chrétiens. Dans ces expériences douloureuses, rechercher la fortune sous prétexte de parsemer la foi et massacrer les autochtones afin de les remplacer par les colons et les conquérants… s’avère la philosophie prédominante. Ainsi, Uqba ibn Nafiaa et Christophe Colomb sont de la même chair «dominante», nourrissant le même esprit destructeur et conquérant... Cela nous rappelle la célèbre phrase de Cicéron: «C’est par la religion que nous avons vaincu l’univers.»(2) Bien que le terme «religio» vient de relegare (rassembler) ou de religare (relier), dans la réalité des choses les religieux et les missionnaires ont cherché de par leurs conquêtes plus à massacrer non seulement symboliquement, mais surtout physiquement les cultures dissemblables.
Au fait, qui est Uqba? Les manuels scolaires au Maghreb, tissés à partir d’une idéologie machrequienne, disent unanimement: «Un grand chef militaire, Compagnon de naissance, porteur de prophéties, bienfaiteur des animaux, constructeur de Kairawane (place de la guerre), ville tunisienne, un dévoué de la cause divine, et… », le fondateur de l’éveil, de la fraternité, de l’amour, de la justice et du salut éternel entre frères arabes. Ces textes d’histoire disent aussi que son prénom est énigmatique: Uqba veut dire tantôt “fin” tantôt “seuil”. Il serait cette nomination d’un guerrier musulman qui prétendit avoir atteint la fin du monde (qui n’était que la côte de Souss), et ouvert la porte à d’autres conquêtes. Un prénom de prémonition. La légende dit aussi qu’il avait crié haut qu’il voulait traverser l’Océan, et il galopa jusqu’à ce que le pauvre animal ne pouvait plus avancer: les eaux l’en empêchaient. Il pria: “Si ce n’était pas à cause de cet océan, je conquérrais la terre entière.” On lui attribue aussi: «J’ai répandu l’Islam jusqu’au bout de l’univers»! Sa foi, en fait, ne signifie pas la piété, mais se confond avec la conquête qui veut dire violence et massacre au nom d’Allah! Domestiquer l’amazigh et persécuter toute personne qui ne croit pas en Dieu, furent la double mission que le conquérant arabe assume en Afrique du Nord - à l’époque divisée entre la foi païenne et la foi monothéiste (christianisme et judaïsme). La conquête de ces terres est, aux yeux d’Uqba, du Jihad au nom d’Allah. Il est mort en recherchant la «chahada», en empoignant les armes jusqu’à sa mort, à l’âge de 65 ans! Il serait le premier à exercer cette tâche noblement humaine.
Ce contact humainement “violent” entre le Machreq et le Maghreb a été précédé par d’autres actes de dévastation. Précisément, en 646, le chef guerrier Ibn Abi Sarh, marchant sur l’Ifriqiya (Tunisie) à la tête d’une armée forte, détruit villes et bourgs de l’Afrique du nord, à l’époque sous domination partielle des Byzantins. Le conquérant oriental reçoit une forte somme d’argent comme impôt de guerre «Jizya»(3) pour deux décennies, et il se retire alors pour une amnistie de vingt ans.
Ponctuellement, en 666, un autre chef conquérant arrive au Maghreb, portant le nom d’Ibn Hudayj, à la tête d’une troupe militaire très importante. Il remporte maintes victoires sur les nord-africains, et demande par conséquent la «Jizya», et recherche du butin et des esclaves (surtout les enfants et les femmes). Cette collecte des enfants était pour engrosser l’armée qui allait combattre les Imazighen irréductibles, et celle les femmes pour déguster à la «nouvelle chair». Cela s’avère un fort stimulant pour tout Conquérant. (4) Cet attrait est grand à cette époque-là, et de nos jours, les formes ont changé, mais la même histoire continue…
Uqba, jeune chef militaire, est rentré au Machreq après avoir été captif d’Abu Lmuhajir Dinar, gouverneur non arabe de l’Ifriqiya en 670. Ce dernier menait une politique de pacification en Afrique, il réussit à convertir un grand nombre d’Imazighen sans imposer la supériorité des Arabes. Uqba se plaint au calife. Devant les griefs du «Compagnon par naissance», le grand calife Muawiya s’excuse.
Mais une fois arrivé au pouvoir, le fils du calife, Yazid, offrira en 682 à Uqba un retour triomphal en tant que gouverneur en Afrique du nord, en lui disant : «Adriku-ha qabla an yukharibu-ha!», c’est-à-dire «Sauvez l’Ifriqiya avant qu’ils la détruisent!» Là, pour bien interpréter cette phrase, il faut l’inverser car elle est émise par un Conquérant assoiffé de butins. Autrement dit, les Africains, partiellement islamisés, allaient s’émanciper de la conquête arabe, et il n’y aurait pas de butin pour les gouverneurs du Machreq. Uqba assujettit alors les Imazighen. Il ne sentait que du mépris vis-à-vis des nobles africains. Il se délecte à capturer femmes et enfants pour les vendre dans les marchés de l’Orient. Cette action plaisait tant aux gouverneurs, et cela garantissait en contrepartie à Uqba son poste d’homme d’autorité. Dans ses actions, Uqba ira chercher la fusion totale entre le Machreq et le Maghreb musulmans, une jonction qui serait de valeur unique, et par excellence machrequienne (arabe). Il sera le premier chef musulman à atteindre réellement la partie extrême du Maghreb, le Maroc. Il ira, assiégeant et détruisant bourgs et villes, à travers l’Afrique, exigeant trois cent soixante esclaves à toute cité conquise.
Le chef guerrier avait l’épée facile à dégainer afin de soumettre les impies et ne pas les convertir. Il avait une stratégie «de combattant» très propre. Il s’agit, au fait, d’un Code confirmé:
- il attaque les cités par surprise: la nuit ou quand on ne l’attend pas;
- non respect de contrat avec les non musulmans, et non respect de la promesse et la parole;
- humilier l’ennemi pour bien l’assujettir;
- détruire les ressources pour que l’ennemi capitule.
Parmi ces actions, rappelons les célèbres offenses d’Uqba aux seigneurs amazighs: à un prince de la tribu «Weddan», il lui coupe l’oreille; à un prince de «Khawer» les doigts; au prince de «Jerma» il l’humilie afin qu’il n’oublie pas: ne jamais prendre les armes contre les arabes. Heureusement, ces «exploits» sont rappelés par les textes arabes d’histoire qui disent la «grandeur» de ce musulman pourvoyeur de la foi aux sauvages. Combien d’autres «prouesses» sont-elles gommées? Sont-ils, au fond, des exploits ou des crimes? Ce Code, propre à Uqba, ne reconnaît pas d’acte «raciste» au Maghreb quand tamazight est «fièrement» évacuée de l’école, du parti, des mass-média, de l’administration et des institutions. Car offenser l’amazighité n’est pas censée être une action condamnable.
Tant de contresens tissent cet épisode, lointain et proche, passé et présent de l’histoire des Conquêtes du Maghreb.
Les textes d’histoire rappellent d’autres exploits du machrequien au Maghreb. L’on va même jusqu’à parler de deux miracles afin de renforcer cette étiquette de «Compagnon par naissance», et d’une scène d’humiliation infligée à Kuseyla, un seigneur amazigh.
1°) Uqba sait parler aux animaux
Le premier miracle est celui de pouvoir parler aux animaux. Il avait envers eux un grand amour. En 670, lors de la construction de la cité stratégique Kairawan ubiqué sur un plateau, au centre de la Tunisie, comme base militaire des troupes arabes contre le nord et l’ouest. Il pria les bêtes des forêts avoisinantes de quitter les lieux car il allait incendier les parages. Le lion, la gazelle et l’oiseau partirent en sécurité. Dans cette destruction de la forêt, selon les textes d’histoire, il n’y eut pas de dégât!
2°) Uqba sait avoir des rêves «suprêmes»
Le second miracle est de pouvoir découvrir la direction de l’Est. Un rêve «suprême» le mit en contact avec Allah pour lui révéler la direction du minaret de Kairawan. Il entendit et comprit la voix qui lui désignait l’emplacement juste. Ainsi, d’après ce récit, Uqba est le premier conquérant à déterminer l’importance de cette direction, point d’omniprésence effective.
3°) Uqba sait punir le maghrébin
Le troisième fait est longuement développé par les textes, c’est la scène du mouton égorgé. Uqba avait de la rancune vis-à-vis de Kuseyla, et tout autre notable amazigh. Ce dernier était un seigneur amazigh, qui avait beaucoup d’influence sur les tribus nord-africaines et collaborait à l’islamisation. Il fut converti à l’Islam lors du gouvernement d’Ibn Muhajir.
Un jour, après une victoire sur les Imazighen, Uqba ordonna à Kuseyla d’égorger des moutons (reçus comme butin). Le noble amazigh y vit, selon les textes, dans cet ordre une humiliation et exprima son refus. Alors, le chef arabe l’y obligea. Tout en égorgeant un mouton, Kuseyla essuya ses mains pleines de sang contre sa barbe. Ce qui était une menace dans la culture amazighe. Ibn Muhajir, fin connaisseur des traditions amazighes, prévint Uqba de la menace. Ce dernier ne fit pas attention à une telle velléité «amazighe».
Pour nous, maintes remarques et questions sont à avancer:
Ce récit n’est pas clair, ni cohérent. Comment peut-il Kuseyla évaluer un tel acte comme dénigrant alors qu’il venait de massacrer et de saccager les siens sans aucun remords ni cas de conscience? Dans l’acte du sacrifice, qui est honorifique en Islam, Kuseyla ne pouvait que le lire et le déchiffrer ainsi. Pour nous, il s’agirait plutôt d’une révolte contre la domination «arabe» qui s’acharne à humilier la «race» amazighe, et une réaction immédiate au génocide.
Après une telle humiliation «raciste», Kuseyla s’enfuit chez les Romains. Il se réunit avec d’autres Imazighen, victimes et conscients de l’injustice machrequienne, et ensemble vainquirent Uqba et Ibnu Muhajir dans une bataille en 683. (5) Bien qu’Uqba fut exterminée, le mécanisme d’arabiser par la violence fonctionnera toujours.
La mort d’Uqba tant décriée dans les manuels d’histoire (un homme pieux tué par les traîtres amazighs!) est le péché premier des Imazighen dans l’imaginaire de cet Orient omnipotent et dominant. Le racheter s’avère un exercice toujours en suspens... Certes, ce grand péché historique, commis contre un seigneur arabe, est à racheter, et le rachat s’avère nécessaire et constant de nos jours.
Par ailleurs, le premier racheteur de l’arabité sera bien Tarik ibn Ziyad qui organise l’expédition en 711 vers la péninsule ibérique (6) Il est ainsi le premier fruit du complexe Uqba: un sujet fidèle qui mourra pour servir les arabes (ses exécuteurs à la fin).
Enfin, Uqba n’a islamisé aucun nord-africain, peut-il être alors accepté comme une «délivrance des ténèbres» pour les Imazighen?
III.- Le complexe Uqba
Uqba incarne la supériorité arabe en Afrique. Il a pour fonction essentielle de mater l’impertinence de ces gens qui résistent non pas à embrasser l’Islam, mais à accepter la domination arabe. Dans cette politique de violence, les effets sont soit une résistance totale (de là cet amazigh, qui refuse la domination arabe, sera dit non musulman et digne de mourir), soit un assentiment (de là cet amazigh, qui se reconnaît dans le lignage arabe, passera aux premiers rangs du Jihad afin de se racheter (cf. le conte d’Aljaman). Et il y a un troisième groupe, et c’est celui qui va souffrir plus de l’arabisme, c’est le camp des Imazighen qui hésitent entre les deux antipodes. Kuseyla en est le meilleur exemple: fratricide physique (il extermine les siens, le propre est totalement bafoué), et fratricide métaphysique (il extermine les pieux musulmans, le Paradis est alors perdu à jamais…) Le maghrébin souffrira ainsi d’un complexe difficile à surpasser. Il s’agit, au fait, d’un nœud de questions et d’états ‘contradictoires’. Ce complexe est-il un «défaut» commun et omniprésent chez l’Africain du nord?
Il y a des complexes qui naissent avec l’Histoire dans l’âme d’une collectivité qui se trouve marquée à jamais, traumatisée. Au début, c’est un fait historique qui prend de l’ampleur et de la profondeur pour demeurer là, à jamais, même à déterminer le comportement collectif, et il devient fixé quand l’institution de l’écriture commence à le traiter à partir d’un point de vue politique. Ce complexe n’est pas propre à l’invasion arabe, mais à toute invasion qui a mutilé l’Afrique. Hérité d’une étape traumatique de l’Invasion, il explique le comportement «politique» des Imazighen qui ont peur de s’exprimer proprement, ils choisissent plutôt de le faire autrement (et dans la langue de l’autre), c’est-à-dire ils se retrouvent dans l’expression de l’autre et de l’altérité. Il ne peut pas être l’expression de l’infériorité, mais de l’«infériorisation». Pas celle de la culpabilité, mais de la «culpabilisation». Ce complexe entrave l’expression de soi, cette tendance à se définir. Mais, de par ce trauma, le nord-africain est investi d’une logique d’inversion qui fait en sorte que le «soi» est perçu comme «le contraire de soi», et ce dernier comme un élément identitaire. D’où l’insurmontable problème d’auto-reconnaissance pour le maghrébin. Ce complexe rend difficile la communication, l’expression et la concertation. Il détermine les rapports à l’autre, surtout dans les affaires étrangères. Vis-à-vis des siens, l’amazigh nourrit une angoisse de séparation: il leur reproche de l’abandonner, de le délaisser face à la menace prédominante.
Ce complexe se manifeste même dans la réflexion quotidienne où les nouvelles à propos d’un drame «lointain, notamment au Machreq» l’emportent sur une tragédie locale, ce que salue ‘naïvement’ Butaina Chaabane dans son article, et tant d’autres. A un autre niveau, les partis politiques maghrébins souffrent énormément de ce complexe qui révise les propositions démocratiques car derrière la main de l’Occident (chrétien) s’y cache... A titre d’illustration, rappelons une fameuse: il ne peut y avoir de démocratie dans le monde arabe tant que la Palestine est occupée! Plus proche de nous, du vécu et du palpable, l’amghar (qui était le responsable, le sage et l’illuminé), grâce à ce complexe millénaire, se métamorphose et devient «cheikh» ou «ajarray» (l’indic, le fouineur et le destructeur de toute tendance démocratique), et ainsi de suite.
Pour nous, les traits définitoires du complexe «Uqba» sont les suivants:
1- problème d’identification;
2- autolynchage ou autopunition ;
3- autopréjugés;
4- autodépréciation;
5- recherche du rachat auprès de l’autre ou dépendance;
6- réagir négativement (dire non ou refuser) en face de l’autre ne sont pas possibles;
7- L’affectif est absent quand il est question de l’amazighité, une charge sadomasochiste y est présente;
8- Insécurité, etc…
Dans cette suite d’évènements et processus d’acquisition se projettent nettement différents complexes et des idées «sous-jacentes» de la communauté «arabophone» de l’Afrique du nord. Les Imazighen assimilent «nettement» ce complexe car il met en péril leur survie! L’assimiler serait le neutraliser physiquement, mais point sur le plan symbolique.
Par la suite de ce premier regrouprement, d’autres complexes «orientaux» naissent facilement au Maghreb, et continuent de naître et de changer de forme… et deviennent ainsi mythe fondateur. L’échange entre ces deux pôles se développe alors dans l’exercice de la violence identitaire; Kuseyla est damné dans les manuels d’histoire car il représente la résistance identitaire.
Tant de questions demeurent encore posées sur l’invasion des Arabes de l’Afrique du nord
IV.- Le mythe d’Uqba
Qu’est-ce que l’esprit du mythe? Selon Claude Lévi-Strauss: «Le propre du mythe, c’est, confronté à un problème, de le penser comme d’autres problèmes qui se posent sur d’autres plans: cosmologique, physique, moral, juridique, social, etc. Et de rendre compte de tous ensemble.» (7) Ce mythe va se répandre partout, insufflant la même violence envers le propre. Il est, en effet, un récit, de nature religieuse, qui développe des événements lointains dans l’histoire des «futuhat». (8) Uqba ibn Nafiaa est situé au début de l’arabisation –qui est considérée en Afrique du nord comme le début de l’histoire. Par la suite, Idris premier sera l’intronisation de ce mythe, et le promoteur réel de l’arabisation et de la «modernité». A juste titre, Mircea Eliade verra le mythe comme une histoire sacrée qui narre un événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des «commencements». (9) Le temps amazigh a cessé avec l’arrivée d’Uqba, et l’espace apparaît également métamorphosé, le guerrier régénère le temps dans le sens de lui retracer une voie définie et unique. (10) Il devient, dans la réalité, l’unique calendrier maghrébin, tout comme la conception de l’écoulement du temps est lu comme totalement machréquien.
Par ce mythe, l’on croit surmonter la contradiction Machreq dominant / Maghreb dominé. Ce mythe de la supériorité arabe va naître et, au fur et à mesure que l’Islam se propage parmi les autochtones, le propre se rétrécit et s’efface, et l’étranger se propage et s’enracine. Le propre est à la fin inversé: il fait partie de l’étranger et automatiquement de l’arabité. Opérant à travers ce rapport complexe, il s’avère aussi une naissance «dynamique» de symboles étrangers. Sa vitalité dépasse le physique pour se forger des représentations métaphysiques, en conséquence il est perçu comme une tranche de la vérité métaphysique, enseignée au monde entier. Le trait «sacré» de ce mythe, qui est à rapprocher plus de l’arabité que de l’islamité, a de nos jours un investissement «idéologique» extraordinaire, voire incompréhensible.
L’identification objective du mythe est communicable, c’est-à-dire il est de nature culturelle; et c’est par la culture qu’elle est communiquée sous forme de situations précises. Le complexe d’Uqba est à définir comme un acte inconscient qui traverse la pensée, sous forme de représentations conscientes ou inconscientes. Il peut ainsi organiser, arguer, renforcer et rationaliser le quotidien chez le Maghrébin. Démuni d’un discours irrationnel, le mythe d’Uqba explique l’illégitime historiquement. Il est nécessaire pour l’Arabe en Afrique du nord: il y offre un rappel «historique» aux autochtones afin de créer l’obédience continue. Il peut être imité, censé qu’il est d’être répété pour qu’il s’investisse d’un discours de légitimité. Ainsi, tout acte négatif (ou destructeur de l’amazighité) reproduit exactement ce complexe antique, déjà refoulé, comme une répétition renouvelante du mythe.
Si le complexe se comprend par sa référence à l’objet, son conditionnement est acquis et par les arabophones et par les amazighophones. L’adaptation à cette idée se fait facilement. Il émerge de déterminations inconscientes. La répétition du même acte «uqbien» (arabiser par la force et s’aliéner) devient un fait naturel, logique et indiscutable. Un tel acte est «approfondi» par d’autres conquérants, et aura définitivement le nom de «wala’a» (obédience au sultan) avec Mussa ibn Nusayr, et «taessis dawla» (fondation de l’état) avec Idris premier. Ce mythe mènera alors à l’annulation, définitive et effective, de la confrontation des idées entre les deux pôles dissemblables. Uqba, en tant que mythe fondateur, crée alors le Maghreb arabe, il en est l’origine, la création et la fondation de ce mythe. Il fonde la cité Kairaouane (place de la guerre) qui est vue par les intellectuels comme la fondation du monde maghrébin.
Ce mythe fondateur incarne le Pouvoir éternel. Il légitime l’institution «uqbienne». Il est surhumain. Il développe des actions «imaginaires» ou impossibles ou irrationnels. Il condamne: il est un rappel constant de l’amazigh «traitre», «criminel»… et parfois cela entraîne des exceptions d’être. (11)
V.- L’omniprésence du mythe fondateur d’Uqba
Le passé explique le présent. Y a-t-il une institution au Maghreb qui porte le nom de Kuseyla ou de la Kahina? Le même esprit mythique règne partout: cette négation ou absence révèlent qu’à un temps précis il y eut une approximation violente entre le Machreq et le Maghreb. Aussi est-il que cet esprit machréquien est toujours vivant et fort au Maghreb, aux dépens du maghrébin qui doit s’effacer dans son authenticité.
Ce contenu hérité (substituer l’amazighité) est vu dans différentes formes. Cette expérience est plurielle, elle se répète incessamment. Elle montre une diversité de possiblement possibles qui ont lieu d’être à des époques différentes au Maghreb. Partis politiques, institutions, administration, codes, constitution, écoles… sont explicables de par ce mythe dans leur fondation première. En général, le chef arabe incarne cette époque mythique où l’implantation de l’arabité tend mécaniquement à se réaliser au Maghreb. Mêlant l’appartenance raciale et l’héritage de la foi musulmane (universelle), il punit l’originel et le corrige pour avoir «résisté» au système exogène.
Avec Uqba arabiser est bien dissimulé derrière l’acte de la conversion à l’Islam. Cette action revêt une double signification: elle est présence et absence amalgamées en jonction Machreq-Maghreb. Présence effective elle est, quand elle concrétise cette continuité à arabiser les nord-africains, et absence signifiante lorsque ce projet devient politiquement impossible, comme c’est le cas de l’UMA (Union du Maghreb Arabe). Le pays de résidence d’Uqba, c’est-à-dire la Tunisie, c’est lui qui intensifie encore le plus ce projet de dénaturation (arabisation). Uqba est le pionnier de l’arabisation en Afrique du nord, ce mythe se réalise au jour le jour et partout. C’est un acte réitéré, urgent et accompli avec violence. Les premières croisades, faut-il le dire, commencent en Afrique du nord, fait que renient les livres d’histoire. Chrétiens et musulmans s’entretuent pour avoir les Imazighen dans un camp ou dans un autre. Les Imazighen voguent d’un bord à l’autre, oubliant ce qu’ils sont, leur propre camp. Seul l’amazigh nomade fut l’âme de l’amazighité inconquise et intègre. Ni les chrétiens ni les musulmans ne purent la dompter définitivement. L’Eglise puissante, qui s’inspire des écrits et réflexions de l’évêque amazigh Saint-Augustin, n’a pas un effet total sur les autochtones –plutôt attirés par les thèses donatistes. De même, l’arrivée tonitruante et rigoriste, d’Uqba qui ne cessait de trahir, de mutiler nez, oreilles et doigts des sédentaires, n’atteint point l’amazigh volant: les nord-africains choisirent le kharijisme.
De nos jours, en Afrique du Nord, valent acte d’agression contre l’Islam: fonder un parti politique qui défend l’héritage amazigh, défendre le droit de s’exprimer en tamazight, traduire le Coran en langue maternelle des Imazighen, se référer à l’invasion sauvage des Arabes et parler de la marginalisation des autochtones etc... Ce refus est hérité d’Uqba l’arabisant, l’exterminateur de la différence. Le discours arabiste des partis, des associations de droits de l’homme, de l’intelligentsia est salué haut et fort, pour nous il naît de cet enchaînement de faits et d’événements lointains et proches lors de la conquête uqbienne. Le rachat, à leurs yeux, est nécessaire. Et une conscience investie de mensonges devait mouvoir tout. Et une scène «de race supérieure et de race inférieure»: la race supérieure n’a pas le choix; elle est appelée à commander (qui veut dire dominer). Et un mensonge fondateur qui signifie la négation, souvent dit vérité, et qui s’impose au réel: L’enfer, c’est moi; et le paradis c’est l’autre. Voilà l’équation fondatrice. Par extension, le mythe d’Uqba, cette spirale ouverte sur l’Occident (en premier lieu l’Afrique du nord, et de nos jours l’Europe et l’Amérique) ne cesse son mouvement giratoire, il est la jonction de l’ici infernal et du là-bas paradisiaque… De l’ici à l’au-delà, de l’enfer «terrestre» au paradis «céleste», la foi assure moins que la langue, le voyage tant désiré par les damnés.
En conclusion…
Le premier récit de cette rencontre Machreq/Maghreb est peut-être réel, ou bien selon l’expression de Claude Lévi-Strauss «un miroir grossissant» (cf. la clôture du texte La Potière Jalouse) car la cité, le notable et le souk devaient disparaître aux yeux du Conquérant oriental, même s’ils existaient, afin de légitimer l’occupation et la destruction. Le machrequien recherche donc à fonder sa cité, à nommer ses notables, à écouler les souks du Maghreb selon sa vision propre, et à tout reconstruire à son image.
Ici, nous n’avons nullement l’intention d’avancer que cette définition «historique» est à généraliser comme l’adéquate explication de la personnalité «nord-africaine». Néanmoins, se connaître pour un peuple est un grand bonheur, tant au Machreq qu’au Maghreb. Nous essayons de revisiter l’histoire. Disons: les arabes ne furent point des libérateurs; ils considéraient le Maghreb comme un vacuum. Toujours est-il qu’ils n’essayèrent jamais de comprendre cet univers nu, à leur vision totalisante.
En Uqba il faut voir le commencement: le Maghreb, avant sa venue, était dans le chaos infini!!! Son arrivée est l’amorce d’un contact réel, notamment d’origine linguistique. De ces actes, l’on ne retient que des scènes de violence, de coercition... A son sujet, pourquoi ne pouvons-nous pas parler d’impérialisme linguistique de l’arabe en Afrique du Nord, comme de l’impérialisme européen en Amérique?
Enfin, ce mythe qu’est Uqba a la fonction éternelle d’interdire et de censurer toute aspiration à se connaître et à découvrir sa propre identité au Maghreb, et au Machreq de s’investir comme seigneur légitime sur un univers qui prend fin sur l’Océan Atlantique.
NOTES:
(1) Abu Abbas Naciri, Al-istiqssaa, tome 1, Dar Lkitab, Casablanca, 1997, p.130
(2) Cicéron, De har. Resp., 9.
(3) « Jizya » est le seul souci des conquérants arabes avant la conversion même. Amr ibn Laass demande aux Libyens de Barqa (22 hégire) de payer coûte que coûte, même s’ils devaient vendre leurs enfants. Ensuite, ce sont les Imazighen de Lawat qui eurent également la « jizya », et ainsi de suite…
Par la conversion, l’Amazigh ne paie pas la lourde « jizya », et il ne reçoit pas d’attaque physique (agression), il aura la paix au prix d’une agression «pécuniaire».
(4) Asiouti, « Tarikh alkhoulafae », p.221.
« Dans maintes confessions des sultans dont nous citons la parole de Abdelmalik Ben Marwan (Celui qui désire prendre une esclave pour la dégustation, qu’elle prenne une berbère, celui qui désire prendre une esclave pour la procréation, qu’elle prenne une persane, et celui qui désire prendre une esclave pour le travail, qu’elle prenne une chrétienne.»
(5) Ajoutons à cela les événements suivants:
En 683, Kuseyla chasse les armées arabes de l’Ifriqya. Il accorde la vie sauve aux musulmans. Kuseyla ne fit rien contre les captifs de Kairawan (enfants, femmes et vieux), mais il les a sécurisés. Il meurt en 686 dans une bataille contre les arabes.
La Kahina, prenant la relève de Kuseyla à résister aux envahisseurs, est également tuée en 695 contre les Arabes. L’on dit, toujours selon les textes d’histoire, qu’elle va confier ses enfants aux conquérants!!!!!!
En 704, Mussa ibn Nussayr a une autre politique en Afrique du nord: il instaure le «walaa» rite qui existe toujours.
(6) C’est bien au XI siècle que l’islamisation s’achève en Afrique du nord, mais l’arabisation se fait toujours sans succès (depuis l’invasion des tribus Bani Hilal et Bani Salim). Plusieurs manuels d’histoire fixe à 150 000 arabes au VIIe et VIII siècles lors des premières invasions, et 200 000 Hilaliens venus d’Arabie au VIIIe siècle.
(7) Claude Lévi-Strauss et Didier Eribon, De près et de loin, Editions Odile Jacob, Paris, 1988, p.194.
(8) Le terme « mythe » a pour étymologie le verbe grec « muthein » (parler, converser) et le nom (muthos) qui signifie «parole», ensuite «récit transmis», et à la fin devient un « ensemble de symboles » ou bien « un récit symbolique ».
(9) Mircea Eliade, Le mythe de l’éternel retour, Gallimard, Paris, 1969.
(10) Avant les invasions, l’année amazighe était en harmonie avec la nature nord-africaine. (cf. M.P. Nilsson, Primitive Time Reckoning, Lund, 1929)
(11) Obligés à embrasser des systèmes étrangers, les Imazighen choisissent l’intégrisme. Ainsi, le donatisme en réaction aux Chrétiens oppresseurs, et le « kharidjisme » contre les Musulmans oppresseurs…

 

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