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le plurilinguisme déséquilibrant pour la langue propre: situations et interrogations culturelles

Par: Hassan BANHAKEIA

 

«Tu portais alors la cendre à la montagne: veux-tu porter aujourd’hui ton feu dans la vallée? Ne crains-tu pas le châtiment promis à l’incendiaire?» ((Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, p.16)

Totalement ignoré par les institutions politiques et académiques, considéré comme une problématique complexe, le plurilinguisme au Maghreb étonne par les différentes situations où s’entrechoquent langues et cultures. Soucieux de poser des interrogations politiquement correctes, «évitées» par les chercheurs, nous allons analyser les différents rapports entre les langues d’une part, et de l’autre la situation ambiguë de la langue propre au sein de cette pluralité. Ces questions tiennent, en effet, du royaume de l’interdit et de la controverse. Il s’agit précisément d’interrogations nécessaires, incontournables, chargées de significations politiques. Les diversités culturelles sont là comme une réalité, riches comme un atout indéniable, et elles sont un ensemble complexe à classifier en vue de les définir, entre propres et importées; peut-être sont-elles enfin à revoir depuis leur configuration institutionnelle.

Nous n’allons pas spéculer sur le plurilinguisme maghrébin dans sa dénomination. Est-il additif ou soustractif? 1 Les notions de l’identité, de la différence, de la diversité, de l’échange interculturel sont souvent laissées de côté, mais leur traitement ou leur analyse pourrait illuminer assez le Maghrébin dans son rapport à la culture, notamment à ces langues maternelles souvent vues négativement, et par conséquent il y a lieu à revoir la conception de l’identité, de la culture propre et du statut des langues.

Par ailleurs, si c’est fou de discuter le statut, la normalisation et l’usage de la langue amazighe en Afrique du Nord vu la confusion et la complexité d’une telle question politique, c’est bien honteux de la considérer dans le quotidien comme une langue propre des Maghrébins. Face à cette situation de négation pour l’amazigh, il y a un plurilinguisme (arabe et français) déséquilibrant qui prédomine dans les institutions. Précisément, pourquoi aucune part réelle ne revient-elle à la langue propre? Est-il suffisant l’espace du quotidien clos, du familial, du privé? En plus d’être un signe de cohésion, la langue amazighe peut, par contre, témoigner de l’histoire sociale. Ainsi l’étude de notre langue s’avère une chose urgente, d’intérêt national.

Ici, nous entendons revoir ou définir autrement l’identité et la langue, ouvrir le débat utile pour remettre en question tant de postulats-mythes auxquels croient des intellectuels, voyageurs infatigables sur d’autres contrées d’identification, en quête d’idéaux lointains. Cette analyse, répétons-le, fait défaut dans les annales de l’université: il y a plutôt tendance à renier le propre, et à étayer subséquemment des murs croulants de la prétendue vision officielle.

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Il y a en Afrique du nord un plurilinguisme déséquilibrant. Quelle est la nature de ce plurilinguisme maghrébin imposé par les invasions? Quelles situations interpelle l’usage de l’amazighe? Quelles situations pour l’arabe? Quelles situations pour le français? Y a-t-il toujours un continuum dans l’habileté à contrôler et à gérer plusieurs langues? Il est fondamentalement bipolaire: d’un côté il y a l’amazigh en tant que langue propre comme langue réduite, et de l’autre le français et l’arabe comme langues en pleine expansion. Pourtant, étant un phénomène dynamique, il est variation d’un code à l’autre. Ce dynamisme est souvent conditionné par l’espace. Par exemple, les écoles ignorent l’appartenance à cet espace culturel et symbolique propre. Possesseur de différents systèmes linguistiques indépendants, le polyglotte choisit ainsi de parler dans une langue avec ses parents, dans une autre dans l’espace de l’école. Ce comportement varie selon les espaces auxquels le parlant octroie un système de signifiés. Chez les Imazighen, la cité, l’institution, l’éducation et les festivités et tant d’autres situations les poussent, face à un choix de langue/culture, situation plurilingue, à se poser consciemment ou inconsciemment, la question suivante:

- «Maymmi tamazight? I umi qa3? U mi gha tesleh?»

L’invention, la création et l’accumulation d’images disqualifiantes autour de leur culture va de l’extérieur vers l’intérieur: les propres Imazighen croient fermement à leur infériorité, et l’assument pleinement. Ils se plaisent à dépendre du jugement d’autrui, y prennent même goût. Cette intériorisation, sous forme de préjugés, déséquilibre la hiérarchie des langues et de leurs produits, leur statut et la nature des rapports de coprésence. Bref, la tolérance est nulle de la part des institutions, chez le même Amazigh qui ne se lasse de migrer d’une langue à l’autre, s’écartant de ce péché d’être soi-même, vraiment soi-même par la langue, l’expression...

Le plurilinguisme au Maghreb existe, mais il n’est pas reconnu comme réalité politique, d’où la répartition déséquilibrante des droits. Phénomène linguistique naturel, imposé par l’histoire, de portée sociale et psychologique, il dévoile la nature des rapports entre la communauté et ses codes, et c’est le déséquilibre qui est réservé à l’amazighité. Bien qu’il enrichisse les langues, il porte réellement une atteinte négative aux cultures «minorées» ou orales face à des cultures de «papier». Conscientes d’une telle réalité, les institutions maghrébines vont dans le sens de déséquilibrer la pluralité unie dans le propre, de l’annuler avant de la substituer par une autre hiérarchisation. L’espace et les aires d’influence de la langue officielle (arabe et français) sur la langue autochtone (tamazight) sont, en général, vus comme légitimes et indiscutables. Ainsi, cette dernière se trouve réduite au marginal, surtout que la grande partie des peuples de l’Afrique du Nord se cultive principalement dans d’autres langues (arabe ou français ou anglais) non seulement en vue de conquérir d’autres espaces, mais également en vue de reconfigurer le leur.

***

Le plurilinguisme nord-africain2, tout comme le pluriliculturalisme, peut être défini comme une situation linguistique où l’ensemble de la communauté utilise couramment plusieurs langues. Néanmoins, cette définition n’éclaire point le chercheur sur les fondements d’une telle situation si l’on fait fi de l’histoire, de la politique, de la psychologie… Cette communauté est mal définie, et s’il y en a une de reconnue, opprimée dans ses expressions. En outre, cette situation plurielle véhicule des questions intéressantes et tabous vu la nature complexe de la coexistence entre les langues dans le marché linguistique,3 dans un même espace nommé distinctement «tala», «aghbala», «asif», «tawrart»,… faisant écho de l’amazighité première. Démographiquement, culturellement et économiquement, la langue amazighe est sans statut fixe dans son propre espace: elle est continûment bouleversée dans son être-langue, accolée à des langues dominantes, puissantes et armées qui exercent sur elle un façonnement lexical, et à une moindre échelle grammatical. Par voie de conséquence, faut-il croire les chiffres des institutions nationales et de  World Directory of Minorities, avançant vaguement six millions d’Imazighen (non d’amazighophones) au Maroc, et entre quatre et cinq millions pour l’Algérie et prévoyant la disparition de cette langue-culture?

Le premier contact pour l’amazighophone avec le plurilinguisme se fait par le contact religieux: le msid, la mosquée.4 Cette coprésence précoce du propre avec les éléments extérieurs est déséquilibrante: elle se fait par l’annulation du premier (la multiplication des emprunts) et l’expansion officielle des seconds. Une situation d’inégalité, de revalorisation et de dévalorisation simultanées… nul doute. Un statut remis constamment en question. L’amoindrissement symbolique de l’amazighité est là, il se fait à divers niveaux quand le plurilinguisme commence à prendre plus de poids dans la société. Est-ce que l’amazighe n’est plus apte à remplir ses fonctions pour les citoyens du vingt-et-unième siècle? Ces parlants doivent-ils choisir une autre langue qui leur permettrait de remplir ces fonctions-là, vues impossibles, voire anachroniques, pour leur langue maternelle?

A titre de rappel, à travers l’histoire, le plurilinguisme et le pluriculturalisme se sont imposés aux habitants de l’Afrique du nord tel une avalanche historique. Pourtant, ils n’ont pas réussi à métamorphoser définitivement l’identité «première» - issue à notre avis d’un contact ombilical à la terre. La toponymie, celle qui échappe toujours aux travaux d’altération, continue à se nommer «proprement», bien que les crocs de l’arabisation sont allés loin dans une telle initiative politique..

Qu’offrent les textes et les cahiers de l’histoire et de la sociologie? L’on continue à parler du pluriculturalisme5 en Afrique du nord, comme présence historique de diverses ethnies, et d’une présupposée conception des Imazighen, comme un élément parmi tant d’autres, les dénuant de la catégorie de peuple autochtone dans leur rapport à la terre, pour les verser dans la catégorie «nouvelle» d’émigrés ou de chutés sur des rives inconnues – quand la question de leur insertion et de leur intégration institutionnelles s’impose! Ce pluriculturalisme se veut donc spatialisation de plusieurs espaces dans un même espace!

Au lieu de parler d’une Afrique du nord habitée par les Imazighen, l’on parle alors d’une Tamazgha comme carrefour de peuples, melting-pot de croyances, amalgame des quatre points cardinaux, fusion d’identités afin d’insister sur le trait définitoire «pluriel» de cette culture. Existe-t-il encore un pays qui ne serait pas un carrefour et un lieu de brassage des cultures et des langues? Y a-t-il un pays immobile, hors de l’histoire? Enracinement dans un espace, l’identité ne peut pas changer de pays. Elle se fait indéniablement espace. De même, il n’y a pas de pureté «humaine», aux niveaux racial, culturel, religieux… Il n’y pas d’origine pure: ni de gens de sang suprême, ni ceux de bas sang. Le brassage est effectivement histoire dans le sol; et ce brassage culturel et linguistique, si nécessaire, est motivé par les voyages, les contacts et les échanges d’une part, et de l’autre par les colonialismes et les invasions. Mais, en tant que mouvement l’espace nord-africain (ou amazigh) demeure l’identité appropriée de tels peuples visiteurs et «mouvants»…

Le Maroc est, certes, une mosaïque culturelle et linguistique dans ses manifestations, mais peut-il vraiment renier l’immanence de sa spatialité amazighe, à identifier comme ciment qui retient toutes les pièces apportées, et la considérer «fuyante»? Les chiffres et les pourcentages sur la constitution démographique du Maghreb en général, faits dans un esprit démagogique, mènent à des conclusions hâtives et erronées, créant un amalgame entre totalité et pièces apportées, entre sang et langue, et ignorant en plus l’aliénation et l’acculturation mises en œuvre par les institutions durant des siècles. En réalité, cet espace se découvre au regard, dans sa dénomination, déchiffrement d’une onomastique propre qui en fait l’étiquette de la figure.

***

Qu’est-ce que le propre nord-africain dans son opposition aux éléments exogènes? Ne faut-il pas finalement le rattacher à l’espace, concrètement au peuple autochtone dans son ethnicité spatialisée? Qui précède la découverte du propre ou bien l’implantation d’un pluriliculturalisme béant, voire béatifié? Peut-on analyser la fameuse pluriliculturalité nord-africaine sans déstructurer les notions de «lieu d’être», «ethnicité», «tribu», «genre», «culture»… d’une part, et de l’autre sans revisiter les arcanes de la politique culturelle officielle? Comment intégrer le propre ou l’assimiler? devient l’interrogation du nouveau millénaire. Que dire de ce plurilinguisme dans ses rapports à la langue propre (l’amazighe)? Comment interpréter l’idée d’ »osmose linguistique et culturelle» que les médias diffusent, que les institutions ignorent?

La langue propre est être, identité inaliénable. Comme outil d’action ou de pouvoir, elle remplit une fonction dans une société, dépositaire d’une culture, d’une vision du monde, d’une pensée collective… Elle se fat référentialité. Que transmet-on aux nouvelles générations à propos des statuts des langues du Maroc? Une culture, mais dans quelle langue? Dans quelles situations pour préserver ou traduire l’identité? L’identité est confrontée à une expansion «linguistique», sous-tendant une réaction pour préserver sa survie ou son équilibre. Néanmoins, nous sommes au temps de fortes expansions linguistiques: l’expansion de l’anglais, la francophonie, l’arabisme, et j’en passe… et par malédiction l’espace nord-africain connaît les trois entreprises de colonisation symbolique, répondant à des processus politiques et économiques.

En effet, l’avènement de ces systèmes globalisants produit de profondes métamorphoses dans la conception du soi: le Nous «tribal», confédéral et étatique, à travers les temps obscurs, s’est modifié en une présence identitaire floue. Le territoire, les ancêtres, la famille disent peu de la conceptualisation de soi, d’où la langue amazighe, si attachée à ces espaces propres, s’effrite dans ses rapports avec les cultures globalisantes – qui signifient non seulement sa marginalisation «spatiale», mais surtout son érosion, sa dégradation et son enterrement final.

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Qui soutient la langue amazighe? Un Ircam vacillant entre des aliénations récurrentes et édifiantes où l’on convertit l’amazighité? Des associations, naguère militantes et écumeuses, reconverties au développement durable où l’on pétrifie l’Amazigh? Un peuple moribond d’émigrés errants et de paysans affamés…? Si l’arabe est soutenu politiquement et économiquement par l’Etat, les partis et les pays arabes, et si le français est une relique du Colonialisme sempiternel, que reste à l’amazighe sinon être dans la réserve nommée: le royaume des préjugés et des dépréciations permises… Autre chose: les autres langues marchandent notre espace culturel ou identitaire, et il nous revient d’être de bons objets «fidèles»: être témoins passifs de notre vente. Les montagnes de l’Aurès, de l’Atlas et du Rif ne sont pas si hautes de nos jours, au temps des paraboles, pour protéger la langue et la culture amazighes. La tribu n’est pas protectrice depuis l’implantation du cheikh et du mqadem. Faut-il alors imaginer un combat pour l’amazigh? Mais de quelle nature? Dans un plurilinguisme déséquilibrant?

Faut-il alors politiser la langue amazighe pour qu’elle ait plus de poids? La langue n’a pas de lien fort avec l’idéologie, mais plutôt cette dernière l’habite incessamment. Dès lors, la langue n’est pas seulement expression d’une idéologie. Elle est l’idéologie. Plus la langue est dominante, plus ses implications idéologiques sont acceptées. Dans le cas d’une langue minorée, les implications deviennent des outrances et des anachronismes, autrement des inepties. Si l’arabe véhicule les idéaux de l’Islam, le français va traduire ceux de la Révolution et de la Colonisation positives, mais que reste-il de nos Idéaux, de nous, de notre propre culture? L’espace du non politique, du non institutionnel… Autrement dit, le vide, tout court.

Depuis la nuit des temps, la langue est, en plus de pouvoir, dans sa diversité un défi au pouvoir. La tour de Babel, signe de discordance des langues pour l’oreille suprême, nous apprend l’intolérance contre la pluralité des langues d’une part, et de l’autre la fonction politique de la langue. Selon les textes sacrés cette pluralité, qui sous-entend la confusion, a été derrière la décision de Dieu de détruire la tour et sacrifier ses polyglottes «confondants» car ils font de leurs voix une négation de la Voix. La tour politique de Babel 6 est leur condamnation, et il revient alors de politiser divinement la question de la langue, et l’on condamne la pluralité des langues quand l’amazighe (en tant que langue propre) est concernée.

** *

Qui tolère le plurilinguisme dans son espace propre? Personne. La langue est expression d’un pouvoir, et la quête de la puissance est déséquilibre dans un sens précisé. Cela se vérifie chez un individu qui maîtrise différentes langues, et opte conséquemment pour une langue et pas une autre dans son contact avec un inconnu. Si l’Allemand apparaît ignorer la langue de Shakespeare, le Français se rebiffe face à un Maghrébin anglophone.7 Est-ce la réalité ou l’histoire qui conditionne le parlant à faire le choix? La langue «étrangère» l’emporte sur la langue propre dans l’exception nord-africaine. Le contexte impose des rapports de force, dans un espace sans identité fixée par ses institutions étatiques. Il conditionne toute la communication dans un sens précisé, à l’écart du propre (Marge lui-même).

Les possibilités qu’a un parlant de passer aisément d’une langue à l’autre, d’une culture à l’autre, présupposent, répétons-le, un ensemble de valorisations psychologiques du contexte et de ses éléments. Il serait pragmatique pour l’Amazigh de parler dans la langue de l’autre quand il n’y a pas les quatre murs de chez soi, le regard d’une mère «analphabète», sinon la censure par un autre regard accusateur, par «parlez bien», par un panneau qui efface le tifinagh et son droit à être comme être…

Avec l’enseignement des langues étrangères, ce qu’on appelle éducation, scolarisation et j’en passe, le petit amazigh connaît la première étape de l’aliénation «institutionnelle»: s’imprégner d’autres schèmes de pensée, différents des propres. Le plurilinguisme précoce parmi les Imazighen (crèche, école) accélère l’effacement de l’amazighité, et prépare à institutionnaliser un monolinguisme (arabe dialectal)8 en tant que lingua franca, un plurilinguisme (l’arabe classique) et un trilinguisme (le français) exogènes où la langue propre est totalement effacée. Cette lingua franca peut-elle être, à elle seule, une issue à la communication interlinguale au Maghreb? Pourquoi l’intercompréhension entre les variantes amazighes ne peut-elle établir une lingua franca interamazighe? Faute d’usage? Complexe d’identification propre? Et la standardisation déséquilibrante? Que dire de l’amazigh standardisé, mis à l’école, dans un espace de trois heures hebdomadaires, incarcérée dans l’apprentissage de lettres? Avec l’introduction effacée de l’amazigh à l’école, l’on crée une école plurilingue? Là, la dialectique entre langues révèle effectivement à la fois l’inégalité et l’issue correcte et judicieuse pour les expansions linguistiques. Précisément, l’éducation bilingue (amazigh, arabe) est possiblement possible, un idéal tout court, mais l’éducation actuelle bilingue (arabe, français) se hisse comme un problème typiquement marocain où les échecs sont irréversibles bien que le ministère de l’éducation nationale multiplie des expédients.

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Que peut dire que la linguistique historique sur la langue amazighe? Cette langue propre est en dégradation vu la marginalisation institutionnelle, et l’intériorisation de l’infériorité (ou l’extériorisation de préjugés-vérités). Etre témoin d’un plurilinguisme «officiel» entre deux langues exogènes rappelle à la langue amazighe ce vieux proverbe: «Mucc n barra issufugh wnni n taddart!» L’étranger constitue à lui seul l’identité linguistique institutionnelle. Le comportement du plurilingue explique une telle chute ou dégradation.

Les Imazighen n’ont pas ouvert les frontières réelles, ils ont été attaqués culturellement et symboliquement. Le plurilinguisme rend ainsi compte d’une guerre entre langues accompagnée d’une guerre réelle: les conquérants imposent leur langue après une période de plurilinguisme. Ce statu quo fait qu’une langue disparaisse graduellement, et qu’une autre la substitue progressivement. A l’amazigh lui revient la première place, faute de force à résister aux langues «puissantes», venues d’ailleurs: Les Phéniciens, les Grecs, les Romains, les Vandales, les Byzantins, les Arabes, les Français, les Anglais… Par voie de conséquence, le corps de la langue amazighe se trouve amoindri, réservé à quelques domaines marginaux à force de mener des batailles humaines et culturelles. 9 Au XXI e siècle, le même cours de déséquilibre continue: l’intersubjectivité entre amazighophones et arabophones dans la même communauté amazighe, le même espace nord-africain, va naturellement dans le sens d’amoindrir l’amazighité et de consacrer l’arabité.

S’il faut communiquer avec le confrère amazigh, on utilise une langue étrangère: l’arabe ou le français. Dans une cité universitaire, l’étudiant rifain adopte une langue tierce pour communiquer avec le natif d’Imzurren… Lors des colloques, des conférences et des cours sur la culture amazighe, l’on choisit de communiquer en arabe ou en français, voire en anglais… Toutes ces situations montrent la «fatalité» de la chute, de la destruction de la tour de Babel. Que faire contre la fatalité?

Soulignons enfin l’inexistence d’Imazighen ‘plurilingues’ des variantes, ceux qui peuvent unir, contrecarrer le déséquilibre. Il est rare de rencontrer un sujet amazighophone qui parle dans sa vie quotidienne tarifit, tasussit et tamazight… Le fonds commun du lexique amazigh ne peut-il démontrer, à lui seul, l’existence d’une langue unique? Si par exemple les Soussis, les Rifains, les Kabyles et les Chaouis s’entendent entre eux, cela prouve leur appartenance à une même langue. Ce trait de la compréhension, de l’intercompréhension, ne faut-il pas le concevoir comme une vision totale d’être historique et en faire une pluralité de ce même espace unique?

***

EN CONCLUSION…

Le plurilinguisme est, rappelons-le, un fait de la force «malléable», autrement la faiblesse à ne pas se préserver par les institutions, pour l’amazighe cette dernière vit des mariages et des divorces successifs. Le dit plurilinguisme, mettant au monde le pluriculturalisme, ne peut point prouver à lui seul que la société maghrébine est plurielle. Le pluriel est confusion, dissémination. La modélisation du propre est loin d’être une conceptualisation du soi, elle n’est qu’une représentation faite par l’Autre. La langue amazighe, par sa situation déséquilibrante dans le réseau plurilingue, ne peut que faire partie de la couche souterraine de cette sédimentation linguistique… Elle ne peut survivre à la suite de la colonisation de ses espaces culturels, créant un combat incessant: et il revient alors à des langues de disparaître et à d’autres de vivre, selon les vœux des parlants.

Notes :

1 Christine Hélot, Du plurilinguisme en famille au plurilinguisme à l’école, L’Harmattan, 2007

« La distinction plurilinguisme additif / plurilinguisme soustractif a peut-être aussi renforcé une vision dichotomique qui associe le plurilinguisme additif à l’acquisition de langues dominantes par des groupes de statut socio-économique supérieur alors que le plurilinguisme soustractif est associé aux langues minorées de groupes défavorisés. Car de cette opposition est née une autre distinction : celle de « plurilinguisme d’élite » et de « plurilinguisme de masse » (« elite » and « folk » en anglais), le plurilinguisme d’élite étant souvent envisagé comme un atout, et le plurilinguisme de masse comme un problème. » (p.36)

2 Fouzia Benzakour, Driss Gaadi, Ambroise Queffélec, Le français au Maroc : lexique et contacts de langues, De Boeck Université

« Plusieurs variétés linguistiques, maîtrisées à des degrés divers et inégaux se partagent le paysage linguistique marocain : ce sont, d’un côté, les langues locales représentées par le berbère ou amazighe et ses variétés dialectales, l’arabe standard sous sa forme classique et moderne, l’arabe dialectal avec ses différents parlers et de l’autre côté, les langues étrangères importées et implantées au Maroc depuis l’époque coloniale, le français et l’espagnol, auxquels s’ajoute l’anglais, langue internationale, qui commence à prendre pied dans le paysage linguistique marocain. » (p.63)

3 Fouzia Benzakour, Driss Gaadi, Ambroise Queffélec, Le français au Maroc : lexique et contacts de langues, De Boeck Université

« Les attitudes et les représentations que les locuteurs marocains ont vis-à-vis des langues disponibles sur l’échiquier linguistique, du moins celles qui occupent le devant de la scène, les langues maternelles et les langues de l’école, peuvent toutefois aider à comprendre leur propre disposition sélective à l’égard du « marché » linguistique. » (p.77)

4 Moussa Chami, « Plurilinguisme précoce au préscolaire »  in Le plurilinguisme, Editions Le Manuscrit, Paris, 2005.

« L’enfant amazighophone est donc soit plurilingue (une variété de l’amazigh, arabe classique) s’il fréquente les msids ruraux, soit trilingue (une variété de l’amazigh, arabe dialectal, arabe dit classique) s’il fréquente les msids urbains, soit quadrilingue (une variété de l’amazigh, arabe dialectal, arabe dit classique, français) s’il fréquente les écoles privée des centres urbains. » (p.17)

5 Meidad Bénichou, Le pluriliculturalisme, Editions Bréal, 2006

« Ainsi, le pluriculturalisme considère la société comme une mosaïque et soutient les appartenances diverses parce qu’il valorise les particularismes identitaires. Or, le principe de valorisation de l’identité des communautés sociales et ethnoculturelles au sein du courant pluriculturaliste découle d’une analyse particulière du sens sociologique et du cheminement historique de l’identité. » (p.13)

Claude Hagège, Combat pour le français : au nom de la diversité des langues et des cultures, Odile Jacob, 2006

« Certains diront même que ce stade ultime est la réalisation, enfin advenue, d’un rêve antique des hommes : abolir les obstacles dressés, sur le chemin de l’harmonie universelle, par la discordance des langues, malédiction divine punissant, selon la tradition biblique, les démesures de Babel. Mais pour d’autres, la diversité des langues ne saurait être vue comme un égarement faisant suite à une unicité originelle, moins encore comme un châtiment. Elle apparaîtrait plutôt comme première : chaque langue est par nature le miroir d’un peuple et de ses représentations. 

Dès lors, la domination d’une seule langue, loin d’être une promesse, est une menace. » (p.8)

7 Dans L’enfant aux deux langues, Claude Hagège voit d’un mauvais œil la présence de l’anglais dans le système d’éducation bilingue précoce. Ce système « doit se donner, notamment pour tâche de remédier à cette inégalité, et c’est pourquoi il est proposé ici de ne pas y faire figurer l’anglais. » (L’enfant aux deux langues, Odile Jacob, 1996, p.152) Il ajoute que l’anglais pourrait être un péril pour l’enseignement des autres langues qu’il faut sauvegarder dans « l’imagination des familles, lesquelles se précipiteraient presque toutes sur lui seul s’il était retenu. » (ibid., pp.152-153) Que faut-il dire d’une langue minorée comme l’amazighe, et d’un parlant aussi marginalisé que l’amazighophone ?

8 Par ailleurs, le dialecte de l’arabe marocain est une mosaïque de l’arabe et du berbère. Autrement dit, à ce niveau, il faut parler de la naissance d’une langue bâtarde, mosaïque et équilibrante: le dialecte dit arabe mais qui est une intersection entre la langue amazighe et l’arabe. Nous citons les dialectes marocains, algériens, tunisiens et libyens.

9 Marcel Cohen, Matériaux pour une sociologie du langage, Maspero, 1971

« Pour que la langue des vainqueurs s’impose, il faut certaines conditions, qui peuvent être de divers ordres, matérielles, idéologiques, et proprement linguistiques (parenté de langues, état plus ou moins cultivé des diverses langues). Chaque conquête a donc son histoire particulière où interviennent inégalement les divers rapports de force. » (pp.41-42)

 

 

 

 

 

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