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ILEDJIGEN N YIGENNA (Les fleurs du ciel) de Omar Taws Par: Hha Oudadess (Rabat, Maroc)
Instituteur de son Etat –de son village, devrais-je dire?- Omar Taws ne se prend pas au sérieux. Il sait et admet que sa vie s’écoule au fil des jours. Il est à l’écoute de la nature et des humains. Je l’ai vu, moi-même, à Alnif, s’allonger sur un maigre gazon sauvage, habillé de sa Taqebbout (Jellaba), en se couvrant les yeux d’une partie de son Achache (chèche). Sollicité par des connaissances et amis, il a publié, à compte d’auteur, un petit recueil de poésie intitulé ILEDJIGEN N YIGENNA (Les fleurs du ciel, imprimerie Imperial, Rabat, 1996). Il est en Tamazight, avec deux pages de lexique (pp. 47-48 ; Tamazight, français, arabe). Le choix du titre est implicite dans la courte introduction qui est offerte par l’auteur comme un présent. En voici la traduction. Tarezzift (Présent, cadeau) Cette gerbe de poèmes, je la veux comme présent à tout un chacun qui grandit l’honneur (la valeur) de l’amour, de l’amitié (fraternité) et de la vérité. Un présent à tout un chacun qui sent la responsabilité et la nostalgie de quelque chose de bon qu’il a dans son cœur. Et lui trouve chemin afin de la partager avec les autres. Que l’espoir lui donne le courage (la force) produisant des poèmes et des vers jolis. Ou des pensées et de la création belle. Ou de la parole et du silence magnifiques. Ou un ustensile et un bel objet. Ou des sillons faisant pousser des plants d’une douce vie. Et je dis, que vive tout un chacun dont une œuvre purifie l’âme de l’être humain aux lavoirs de la liberté. La liberté qui fait éclater les murailles causant peine aux fleurs imprégnées de l’amour du ciel. Et qui indique la voie du changement qui rapproche les cœurs. Qui fait connaître l’être et lui-même, l’un à l’autre. Qui fait connaître l’être et sa propre identité, l’un à l’autre. Qui fait connaître cette identité et les autres identités, de l’univers, l’une à l’autre. A la fin de cette introduction, je veux mettre en relief l’izli ne uhidus, mis en exergue après les remerciements. Pour les non Amazighs, et même pour les Amazighs d’aujourd’hui, que sont tous les Marocains, ce doit être un sujet de méditation. Le message en est très fin et difficile à saisir. Â asmun, awid ifassen ; Ad iss ek aligh izilalen. C’est à dire, Ô ami, donnes tes mains; Par toi, je veux atteindre les cimes. Cela n’exprime rien d’autre que la modestie amazighe vis-à-vis de l’autre, surtout si c’est un être cher (un ami ou un amour). On reconnaît les bien- faits de l’autre. Il n’est pas du tout admis, chez Imazighen, que quelqu’un, quel qu’il soit, se croit supérieur et veuille écraser les autres. Le premier poème est ‘A Tawriqt !’ (Ô feuille, p. 5 ; en fait ‘Ô page’ d’écriture). Evidemment, il est de 1989. Mais le titre a été cinglant pour moi. J’aurais souhaité que ce poète, issu et bien enraciné dans son milieu amazigh, accorde plus d’importance au choix des mots. Il les prend comme ils viennent, dans le parler quotidien. Un mot amazigh aurait été de rigueur, dans le titre du premier poème d’un recueil. Il s’agit ici d’un reproche amical sévère. Il ne concerne pas seulement Omar Taws mais tous les poètes amazighs. La différence est que, le connaissant, lui le prendra bien et, peut être, en tiendra compte autant qu’il le pourra. Je ne reviendrai pas sur ce que j’appelle ‘cette lacune’, car je l’ai rencontrée souvent dans ce recueil. Maintenant, pourquoi le premier poème s’intitule-t-il ‘A Tawriqt !’? Instituteur de son village, comme j’ai déjà dit, il est parfaitement conscient de la nécessité, de l’importance capitale, de l’écrit. Ne commence-t-il pas par Ô ma tête, de nouvelles tu es pleine, Mais, avec qui partager, je ne trouve pas. C’est comme si toute chose écrite devait finir par trouver un amateur. Il faut donc la livrer au papier qui est un gardien fidèle de messages. Omar Taws parle de sa mère. Il n’est pas le seul. Les poètes amazighs, anciens ou modernes, le font, soit nommément, soit en parlant des parents; du respect et/ou de la reconnaissance qu’on leur doit. Mais Taws dans son poème ‘Mma’, le deuxième du recueil (p. 6), il s’adresse à elle dans un langage empreint d’un air d’enfance. C’est bien lui, dans sa simplicité et sa modestie. Les premiers vers sont: Ma rime, je la dis, du cœur Avec mon cœur pur en dedans Je m’en vais chanter et dire des poèmes Dans la langue tétée du lait de Maman. En voici d’autres: Source de vie, pour nous, tu es Sur la terre qui t’a enfantée Maman. Allons y planter des fleurs odorantes. ‘Tudert’ (La vie, p. 10). C’est quoi la vie? Un problème éternel, depuis et pour toujours. Le poète rappelle le cheminement de la naissance à la fin, la tombe. Il est à relever qu’il y a une question qui revient sept fois dont une au premier vers et une autre au dernier. Ô Dieu, ce qu’est la vie, peut-on savoir? Il y a d’autres interrogations. Le poème soulève des questions et ne donne pas de réponse. Par ailleurs, je retiens cinq vers déroutants. En tout cas, je ne suis pas arrivé à les déchiffrer. C’est peut être là qu’est caché l’apport spécifique de l’auteur. Et j’en ai vu un, pioche à l’épaule S’en aller creuser, déterrer les morts Une tête, il retira ; se mit à l’embrasser Puis y planta une fleur et se mit à pleurer Sait-on dans quel sens va ce qu’il veut dire? Avec ‘Tigemmi’ (La Demeure, p. 17 ; étymologiquement, c’est le lieu –en fait la place, car le mot est au féminin- où nous sommes élevés), Taws l’enseignant est dans son élément. Il nous assène une leçon sur le partage : La vie n’est belle que si chacun se sentait bien. Il s’agit d’une illustration poétique de l’égoïsme altruiste. Vu la spécificité du message et de belles métaphores, j’ai opté pour la traduction complète du poème. Même si je pouvais, au dessus des nuages, élever demeure Pour l’asseoir, lui planter, vers le soleil, des pieux Que les jours soient de lumière, plus jamais de ténèbres Elever des murs à l’aide étoiles brillantes Recouverts, en dedans, de la peau de Cléopâtre Seulement d’objets d’or, largement équipée Etendre des tapis qui ignorent le froid Etendre des tapis qui ignorent la canicule Placer, pour l’éclairer, en son sein, la lune Au jardin, planter seulement des fleurs polychromes Qui ignorent les hivers et le vent brûlant Avoir des pigeons qui à la joie chanteront Que mon cœur déborde de miel abondant Moi, pour enjamber les cieux, j’aurai des ailes Dieu, même si je pouvais avoir une telle demeure Car vers elle je ne peux faire monter les autres Que chacun y demeure et qu’a lui elle soit Mieux vaut ne pas l’ériger, j’ai peur des regrets Tant que je ne puis y faire accéder tout le monde Je renonce à la douceur, tant que les autres n’en ont pas Le soleil n’est soleil, soleil que parce qu’il peut La lumière, entre ciel et terre, répartir La lune n’est lune, lune que parce qu’elle peut La lumière, entre ciel et terre, répartir L’eau, c’est de l’eau parce qu’elle peut couler Que parce qu’elle peut couler sur terre et dans le ciel Peut tout le monde convier Lui donner à boire et lui insuffler la vie. ‘Amedyaz’ (Le Poète, p.18). Dans un style libre, ce beau poème essaye d’appréhender un moment où l’inspiration peut avoir lieu. Le poète veut nous faire saisir qu’une atmosphère particulière est nécessaire afin que la fibre artistique se mette à vibrer. Il est alors à bien noter que Taws veut semer la joie et non la souffrance. Dans les champs, loin du monde, Ta demeure, poète, c’est là qu’elle se trouve Près des oiseaux, dans le prêt verdoyant En silence, la voix de l’univers, ils écoutent Dirigent l’oreille vers le silence qui les enveloppe Dans les ténèbres, le soleil, ils regardent Ainsi, belles pensées, peuvent lui venir Son cœur pur, de la joie, il génère Et, poèmes, vous naissez, dans sa bouche. ‘A Yul Umlil’ (Ô cœur pur, p. 19). Dans ce poème l’auteur sublime l’amour, l’amitié, la vérité, etc. Il plaint aussi le cœur pur qui doit souffrir dans un contexte défavorable. Voici quelques vers à titre d’illustration. Tu es né, Ô cœur pur, au milieu de crasse grande Ô cœur pur qui désire netteté et joie à chacun Tu souffriras dans ta vie, je sais, et peineras En ton for tu souffres, et tu pleures et tu pleures La vérité que tu désires, lointaine, elle les apeure Tes paroles, n’en ont le temps, n’y sont accoutumés Ta lumière, des ténèbres qu’ils la considèrent ‘Ide N Umedyaz’ (La nuit du Poète, p. 21) est le treizième poème. Les trois premiers vers sont les suivants. Afin d’y voir, chaque étoile ouvre les yeux Ô soleil, si ton labour était bon dans les cœurs, Tous dorment, tous, seul éveillé, le poète demeure. Ils sont repris une fois, comme un refrain, au début de la deuxième strophe. Ils disent bien la place du poète chez Imazighen. Il est éveillé. Le reste du poème décrit la difficulté de la gestation qui dure toute la nuit. Ce n’est qu’au matin qu’il peut enfin déclamer à la vue du soleil accompagné de bon parfum. ‘Ighef N Uzger’ (La tête du Bœuf ou du Taureau, p. 22) est un long poème qui mériterait une étude à lui seul. Il s’inscrit dans la tradition, depuis la nuit des temps, de faire parler les animaux. Les grands Ouâesta, Oumehfode, Oulbaz, Aâeccaq et beaucoup d’autres ont toujours usé du stratagème. C’est le signe de temps durs, de plomb, où le poète ne peut s’exprimer librement sans grand risque. En ce qui concerne ce poème, il est de 1989. Pouvait-on demander, à Taws, à ce moment, de faire mieux? Toujours est-il qu’il fait parler non pas un animal vivant mais par sa tête, à l’étal d’un boucher, et qui plus est à la langue meurtrie. Voici certains de ses dires. L’interprétation en est laissée au lecteur. Plantées dans ta langue, sont tes dents Ils t’ont eu, qu’est-t-il arrivé Les bouchers t’ont passé sous le couteau. En quoi donc les cornes sont-elles utiles? La tête répond ‘malins, ils sont ! Mais ma tête n’est pas maligne. Un idiot, de moi, a fait ma panse. Jamais, après repas, ne fut repus. Elle habite, dans mon ventre, la faim Et comment peut-il un affamé Avoir tête et être éveillé? Malheur, maintenant qu’ils m’ont dépecé, De la panse qui me dominait, séparé La liberté, ne pouvons porter, plus forte que nous Depuis que ventre ne pouvons dominer. Il nous mène, vers l’erreur nous conduit. Car ma tête je n’ai pas Mes frères égorgés, et je ne tremble même pas Sororité, dans mon cœur, tu n’es pas Quand je mange, de toi ne me souviens pas. Le dernier poème ‘Aledjig Umlil’ (La Fleur Blanche, p. 46) n’est pas de l’auteur. Il est de Frédérico Garcia Lorca. Comment comprendre qu’un poète commence ou finit –comme c’est le cas ici- son propre recueil par un poème qui n’est pas à lui? C’est le cœur blanc (en fait pur), comme l’illustre le poème ‘A Yul Umlil’. C’est ne pas se croire le centre du monde. C’est reconnaître l’autre. Et le faire connaître. Bien d’autres poèmes méritent également d’être commentés. Mais la traduction, en particulier, prend beaucoup de temps. ‘Tamazirt’ (Le Terroir, p. 7) est un thème récurrent chez les poètes amazighs, comme l’est celui de ‘Izeghwran’ (Les Racines, p. 8). ‘Tizizwa’ (L’Abeille, p. 20) rappelle ‘Amedyaz’ (Le poète). Il ne produit des poèmes, comme elle le miel, que dans circonstances favorables. Conclusion. Omar Taws n’est pas classable. Imbu de la culture amazighe, il ne respecte pas toujours les rythmes de la poésie traditionnelle. Cependant, comme à l’ancienne, beaucoup de poèmes véhiculent une morale. J’ai eu le plaisir, à plusieurs reprises, d’apprécier ses performances dont, en particulier, ses chants à la ‘Taws Amrouch’. Sa voix dont il joue à merveille, sans formation académique, est saisissante. On trouve, chez Taws, de la poésie traditionnelle avec toutes ses exigences, un rythme qui tient de l’ancien et de la poésie libre, et aussi de la poésie entièrement libre. Et comment na pas mentionner qu’il peut conduire Ahidous ! Il dispose du souffle des anciens. C’est un chanteur novateur. A noter aussi à son actif des chants pour enfants. Les poètes traditionnels tiennent également le rôle d’animateur. Ils parlent du passé, posent des colles, rapportent des nouvelles et racontent des blagues. Taws suit la même voie, et se prête au jeu sans se faire prier. C’est ainsi qu’une fois, avant de chanter Lalla Mimouna, il nous en a parlée (date, lieu, déroulement, rite). Il a judicieusement insisté sur le partage du pain. A l’occasion du rassemblement Lalla Mimouna, au sommet d’une montagne, un très grand pain est préparé. Il alors découpé en tous petits morceaux destinés aux participants et à toutes les communautés avoisinantes dont la communauté juive et les tribus dites arabes. Même l’officier des affaires indigènes, le contrôleur civil ou militaire, recevait sa part. Ainsi est partagé le pain béni qui mettra à mal le mauvais être. Et, avec humour, Taws a sorti, que nous avions nous aussi notre hostie, sauf que celle-ci est majuscule. Azul le poète, le chanteur, le conteur et l’animateur. Puisses-tu continuer à nous enchanter. (Hha Oudadess, Rabat, Dec. 2008)
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