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Quelques réflexions sur l’art de la traduction amazighe (2ème partie)

Par: H.Banhakeia (Université de Nador)

I.- TRADUIRE LA CULTURE

Traduire la culture est une pérégrination difficile; il y a le problème de la vision propre qui tend à refaire ou bien à altérer le monde présenté. La reproduction du texte culturel se heurte à deux obstacles: l’annulation du culturel et le non-sens dans la langue d’arrivée, tandis que dans le texte de départ, il y a le contraire: insistance sur la charge culturelle et sur le sens.

La bonne traduction est ainsi celle qui réussit relativement à dénouer deux ensembles confondants: langue et culture dans un premier temps, et dans un second cultures et Culture. (1) Comme communication interculturelle, le processus de la traduction jette des ponts entre deux imaginaires, deux visions du monde. (2) Cependant, cette traduction culturelle sacrifie souvent les éléments dits «vulgaires» propres à la culture «minorée» en faveur de la Culture dominante, qu’elle soit située dans la source ou dans la cible.

Une fois découvertes les différentes acceptions d’un mot ou d’une proposition, comment transposer «fidèlement» les éléments inhérents à l’autre système linguistique? Est-elle cette charge culturelle tout simplement intraduisible? Un proverbe est-il vraiment traduisible en l’absence de son équivalent dans l’autre rive-culture? Un conte peut-il être récrit sans les connotations implicites? Une devinette est-elle possible à transposer dans l’autre langue malgré la non coïncidence des mots? C’est bien la réception qui, selon Paul Bensimon, va préciser le cours de la traduction: «aucune traduction ne peut être médiatrice entre des cultures dissemblables ou peu compatibles si elle ne prend pas en compte l’horizon d’attente de son destinataire, les idées et pratiques – la doxa – en vigueur dans la société réceptrice.» (3) Nonobstant, les allusions culturelles sont fragiles: si le traducteur les vulgarise, elles perdent tout intérêt… Comment expliciter les détours de la culture via les mots de la traduction? La visée traductive va déblayer les implicites, elle entend ainsi réaliser un double objectif: approcher le lecteur de l’autre culture-rive tout en le menant vers sa propre culture. Il appert parfois que le pont jeté entre les deux cultures se présente fragile, et les cultures s’avèrent impossible de «calquer» une sur l’autre.

Force est de noter que Jean-René Ladmiral résume ainsi la traduction culturelle: «Une traduction sourcière, qui se veut littéraliste et qui prétend prendre en compte essentiellement la langue-culture où s’insérerait le texte-source, tend à réduire ce texte original à n’être plus qu’un document-cible. On pourra même distinguer deux variantes: selon que l’accent aura été mis sur le versant linguistique ou sur le versant culturel de ce complexe ethnolinguistique de la langue-culture, il y aura eu philologisation ou ethnologisation du texte-source, et éventuellement les deux.» (4) Les deux voies sont périlleuses dans le processus, c’est pourquoi il faut penser à une voie «double» et équilibrante, s’inspirant autant de la première rive que de la seconde, en raison des interférences entre langues et cultures.

***

Toute manifestation culturelle apparaît étrange au regard de l’Etranger, de l’Autre. Là, des précisions ou des vulgarisations du culturel sont indispensables pour la rendre lisible au lecteur. Faire recevoir ou faire accepter une image inconsciente collective à l’Autre est une expérience difficile, voire impossible. L’on ne traduit pas un texte comme un produit fini et individuel, mais une culture, en tant que produit infini, collectif, complexe, historique… Par une telle initiative, l’on instaure et multiplie des réseaux de connexion entre différentes langues et cultures.

Que dire alors de la traduction des proverbes? En tant que rappel culturel d’une vérité ou d’une morale, le proverbe apparaît, à première vue, intraduisible. Construit comme un vers ou un distique condensé, il propose symboles et images spécifiques à une culture. Prenons l’exemple d’un proverbe court:

* «Tmenyat ssawarent.» Littéralement: «Les argents parlent.»

Les connaissances de parémiologie dans les deux langues (source et cible) et d’anthropologie, voire de sociologie, sont d’un grand soutien pour le traducteur Après une analyse minutieuse, les traductions intelligibles possibles sont:

1.- L’argent parle.

Ici, il y a correspondance quasi formelle, faite mot à mot. Mais, peuvent-elles les deux formules «interculturelles» véhiculer le même sens? Cette personnification est plus connotative dans l’imaginaire amazigh, puisque le verbe «ssiwl» connote ici «avoir droit à la parole».

2.- La fortune rend arrogants les gens pauvres.

Cette interprétation remplit les ellipses, réduit l’opacité et annule l’implicite. Il y a simplification de l’idée.

3.- L’homme misérable n’est pas habitué à l’argent. Quand il en a, il en fait un usage maléfique.

Cette traduction est une interprétation plus détaillée. Le lecteur français découvre alors les connotations de l’aphorisme, et lui révèle par la même, les dessous sémantiques du verbe «parler» et du substantif «tmenyat»… Et les possibilités du transfert du sens sont infinies.

Prenons un second exemple:

«Tixsi ittyuran, lebda ittett itt wuccen.» Littéralement: La brebis qui marche à l’arrière, est toujours dévorée par le chacal.

L’intention de ce proverbe est d’offrir, dans un premier temps, un conseil pratique aux bergers: il leur précise comment mener à bien la besogne de garder le troupeau. Mais, il s’avère que c’est un dicton qui «désigne» plutôt l’homme dans son comportement au sein d’un groupe.

Les traductions intelligibles possibles sont:

1.- L’homme rétif est victime des méchants.

Il y est justement question d’une réinterprétation du dicton. L’allégorie et l’analogie sont annulées. Les symboles (tixsi, uccen) sont explicités.

2.- Il faut être à l’avant de toute action.

Cette interprétation remplit non seulement les ellipses, mais également les implicites culturels. Le traducteur a récrit autrement le proverbe. Et, le lecteur français peut alors chercher un autre équivalent pour un tel adage, eu égard à l’imaginaire collectif ciblé.

Enfin, comment expliciter par la traduction «Turi, turi !» (Littéralement: Elle est montée, montée !)? Cette répétition du verbe «ali» est une énigme à percer pour l’étranger, mais pour le natif un rappel immédiat d’une leçon morale magistrale: tuer son fils car il est un voleur d’une part, et de l’autre tenir sa parole (serment).

Il revient au traducteur de récrire les proverbes, de les présenter sous forme de formules commentées.

***

Signification rituelle, la devinette «tanfust n twafit» (5) véhicule une pensée invariante de la culture. Il s’agit précisément d’une cérémonie intellectuelle. Rencontre, échange de connaissances, ostentation du savoir, observation méticuleuse de la nature, rappel de l’histoire et des mythes, ce jeu est rappel culturel. Le joueur trouve relativement plus de facilités à dévisser la devinette s’il est bien imprégné de sa culture. Autrement dit, il arrive facilement à deviner l’ordre caché, encore à dé-construire les fondements de la proposition en jeu. Le conteur cite une chose, il signifie implicitement autre chose. Il s’agit d’un procès de réflexion proche de l’ironie, par le fait d’inverser l’ordre naturel du monde. Comme toute construction énigmatique, la «twafit» naît à partir de deux réalités: celle de l’imaginaire (en rapport évidemment avec la réalité quotidienne, étant une déviation / déformation du réel) et celle de la poésie (ou jeu de mots, étant un écart). En général, il s’agit bel et bien d’une image unissant les lois du naturel à celles de l’humain.

La traduction en tiendra compte de cette dichotomie afin de présenter un autre proverbe plus ou moins «identique». C’est un sous-genre qui incite davantage à la réflexion, motivant la déduction et l’induction à la fois chez le conteur et le récepteur, et au traducteur d’expliciter ou de commenter. Ce jeu intellectuel est fait de petites phrases syntaxiquement simples ou poétiques, mais complexes à traduire vu leur condensation culturelle.

Prenons les devinettes suivantes:

1.- «Tejna, iri-nnes yiwedv ajjena.» Littéralement: Atterrée, son cou arrive au ciel.

La solution est «tafqunt»: petit four typique.

2.- «Tezwa iγzar, war tejji tiri.» Littéralement: Elle peut traverser la rivière sans laisser d’ombre.

La solution est «Tγuyyit»: le cri.

3.- «εezza Maεzuza teggwar deg uziyza. Treqqed, teznuza…» Littéralement: εezza Maεzuza marche dans le bleu. Elle cueille des fruits et les vend...

La solution est «Taγarrabut»: l’embarcation de pêche.

D’ailleurs «εezza Maεzuza» est le nom d’une chèvre d’un conte amazigh. Faut-il alors la rapprocher de la chèvre de Monsieur Séguin, pour rapprocher les rives, les deux traditions contiques? A l’instar de l’auteur «anonyme» et collectif, le traducteur de la devinette doit saisir et reproduire la logique interne du conte: mener les parlants à réfléchir de manière détournée mais collective, mais qu’est-il de l’imaginaire? S’il n’existe pas de rapport logique entre la structure de la devinette et la réponse à proposer (inouïe pour le lecteur étranger), n’est-il pas alors plausible d’avoir le même rapport entre la devinette et sa traduction?

Enfin, il revient au traducteur d’expliciter une devinette afin de voir de près les correspondances comme approche d’une telle culture.

***

Quant à la traduction des contes et des légendes par les «orientalistes», elle a un intérêt multiple. Il y a tendance à éliminer la distance entre le fonds mythique local et le regard interprétant. Se familiariser avec une telle tradition, c’est réussir à la conquérir. Et la traduction ne sert que d’outil. Elle est une tâche moins complexe bien que le sous-genre offre un monde à refaire le monde, depuis sa création. Les dits orientalistes s’intéressent à l’univers des contes afin de comprendre le nouvel imaginaire à conquérir. (6) Par exemple, comment traduire «Tamzva» pour le lecteur arabe ou occidental? (7)

L’imagination du lecteur visé (l’enfant) est capable d’apprendre beaucoup de cet univers féerique, fantastique, divisé entre méchants et bons. Découvrir sa propre culture collective est le nœud de l’histoire racontée, et en représente même la visée didactique. A l’enfant, on lui montre non seulement cet espace commun dans toute sa complexité, mais aussi ses parties-fondements, ses parties interdites afin de l’aider à saisir l’implicite. Ainsi, traduire le conte, c’est encore familiariser le lecteur étranger avec un univers doublement étranger, par la langue et la culture. Et les particularités formelles sont aussi des particularités de la pensée locale, visée pour une domination totale.

Le traducteur trouve des problèmes non seulement au niveau de la traduction de la moralité (fondement d’une ethnie), mais également au niveau de la reconstruction d’un monde fixé dans le temps et l’espace. Le traducteur évoque croyances, mythes, légendes et histoire d’un groupe ethnique plus ou moins lointain. Certes, la structure contique vise des enfants, et l’imaginaire paraît intraduisible. Sur le plan poétique, les répétitions sont lues, dans la traduction, comme des lourdeurs, alors que dans le texte original elles ont une valeur importante dans le récit. L’usage fréquent des allitérations pose un autre problème dans le processus de la traduction, propre à la matérialité du texte.

Mais, satisfaisons nous, dans un premier temps, d’un seul aspect formel: les deux bouts du conte quatre, (8) à savoir l’incipit et l’excipit. Lisons:

«Hajjit kum. Ijjen zik, temmut as temghart, ghars tnayn ihenjirn, tahenjirt d uhenjar. Qqimen ag temghart n babatsen. Yallah, yallah u degsen tegg bu rxir. Zid nhar a zid tuwetca…” (Conte 4, p.88)

Mohammed El Ayoubi propose: «Je vais vous conter une histoire! Jadis, un homme avait une femme et deux enfants. La femme mourut et lui laissa une fille et un garçon. Il se remaria, et la deuxième femme maltraita les deux orphelins. Les jours passèrent…» (Conte 4, p.89)

La formule «hajjit kum» revient au début des contes. La traduction des notions relevant de l’écoulement du temps pose problème: l’indication temporelle «zik» est traduite par «jadis», la formule de progression «Yallah, yallah» passe inaperçue, et «Zid nhar a zid tuwetca» traduite par «Les jours passèrent»… En tant que détermination d’un Temps fini, la culture est laissée de côté !

Quant à la clôture du conte rifain, elle a cette forme: «Necc kkigh d ssiha d ssiha !» et c’est traduit par: «Je suis passé par-ci par-là.» L’identité je-conteur est alors remise en question, l’idée est-elle bien précisée en français?

Cette traduction du conte est-elle une réussite pour la réception française dans la mesure où elle va intéresser l’enfant habitué aux contes de Perrault? L’oralité est-elle enfin traduisible dans l’écrit amazigh avant de l’être dans une langue étrangère?

NOTES

(1) Culture (avec une initiale majuscule) veut dire un ensemble d’aspects définis comme universels, vus comme corrects et logiques, rendant compte de la civilisation des maîtres, à partir d’un point de vue ethnocentrique. Cette notion élimine toute différence, toute spécificité, tout élément… qui proviennent de la culture des peuples «minorés».

(2) Jean-René Ladmiral, «Le prisme interculturel de la traduction», in Paul Bensimon, Traduire la culture, Palimpsestes, n° 11, Presses Sorbonne Nouvelle, 1998, p.16

«D’une façon générale, le concept de la communication interculturelle est un peu galvaudé depuis quelque temps et mis à toutes les sauces. Il s’agira de lui redonner tout son sens et de prendre pour objet la traduction dans le cadre concret d’une conjoncture de communication interculturelle réelle.»

(3) Paul Bensimon, «Présentation», in Traduire la culture, Palimpsestes, n° 11, Presses Sorbonne Nouvelle, 1998, p.10

(4) Jean-René Ladmiral, «Le prisme interculturel de la traduction», in Paul Bensimon, Traduire la culture, Palimpsestes, n° 11, Presses Sorbonne Nouvelle, 1998, p.26

(5) H. Banhakeia, «Twafit, une signification rituelle», in Annales du Rif, numéro 1

(6) cf *Contes populaires berbères, recueillis, traduits et annotés par René Basset, E. Leroux, Paris: 1887.

*Mouliéras, Le Maroc Inconnu, tomes 1 et 2, J. André, Paris: 1895-1899

* Contes Berbères de l’Atlas de Marrakech, Alphonse Leguil, 1988

* Contes mystérieux d’Afrique du nord, Jeanne Scelles-Millie, 2002

* Contes Berbères, Pierre Blum, 2007

(7) René Basset, Contes Berbères, Editeur Ernest Leroux, Paris: 1887

René Basset précise le mot «Amzviw» par  «un souvenir d’une population antérieure, ou du moins d’une race professant un culte disparu, comme les Djohala (païens) ou les Iroumien (chrétiens); tantôt ce sont des êtres purement mythologiques, analogues aux ghoules et aux ‘afrites des Arabes, gardiens de l’eau de la vie, de la pomme de la jeunesse et d’autres talismans; parfois, lorsqu’un enchantement est rompu, ils dépouillent leur peau d’ogre pour vivre en honnêtes musulmans.» (p.IV)

(8) Mohammed Elayoubi, Les Merveilles du Rif, contes berbères narrés par Fatima n Mubehrur, édition bilingue, Publications of the M. Th. Houtsma Stichting, Utrecht, 2000.

 

 

 

 

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