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(Mai  2006)

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LE COMPLEXE D’AUGUSTIN DANS LES CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN(4/5)

Par: Hassan Banhakeia (Faculté pluridisciplinaire de Nador)

 

V.- ESPACES IDENTITAIRES CHEZ AURÉLIUS AUGUSTIN

Peut-on composer une confession sans se référer à l’identitaire? Ce serait excessif de considérer Confessions comme un texte purement autobiographique. De même, il serait incongru de dire que ses écrits ne fourmillent pas de réminiscences de sa langue et culture autochtones. Dans cette autobiographie impossible, l’accent n’est pas assez mis sur les dates de sa vie afin d’expliquer tant d’histoires et de fixer son parcours de converti. Un pèlerinage qui va du paganisme vers la foi. Ce récit est plein de trous et de lacunes, il s’avère difficile au lecteur de les remplir en vue de retracer toute cette vie, en tant que tranche d’un espace ethnique. La connaissance de soi, chez lui, est cette réflexion à découvrir la présence intime de Dieu en l’homme. La peur de l’autre peut expliquer cette rétrospection défaillante

Dans Confessions, il est plutôt question d’une quête personnelle de la foi divine, notamment plus nette dans ses «Lettres». Comment peut-on alors parler de la part «première» d’Augustin dans ce texte?

1.- ESPACE DE LA LANGUE SACRÉE 

Pour Augustin, «Ecriture» veut dire foi et y emmener, ce que le latin peut facilement réaliser. Sa culture première (berbère) qui n’a pas de tradition écrite, ne peut pas le satisfaire, ni l’amener à croire en Dieu. Ce doit expliquer pourquoi les Imazighen latins n’écrivent qu’après leur conversion au christianisme. De son côté, Augustin va écrire: «Ils sont tous mes frères et vos serviteurs: mais vous avez voulu qu’ils fussent vos enfants et mes maîtres; et vous m’avez obligé de leur rendre toute sorte de services si je veux  vivre avec vous de votre esprit et de vous-même. Et votre Fils qui est votre Verbe ne s’est pas contenté de me servir de maître par ses paroles, il a voulu encore me servir de guide par son exemple.» (X, IV, p.337) . Il choisit le verbe «latin» qui est source de la foi: Dieu déploie ainsi ses paroles aux hommes. Le christianisme, c’est du Verbe. Que serait-il alors de la valeur de la langue autochtone aux yeux du jeune converti? Ce doit expliquer pourquoi il a écrit: «ma plume et ma langue sont-elles capables d’exprimer par mes paroles des choses si grandes et si relevées?» (XI, XI, pp.418-419) . Néanmoins, comment peut-on abandonner sa langue maternelle pour écrire dans d’autres langues, étrangères dotées de plus de contraintes? Il se confessera: «ma langue demeure muette» (X, II, p.333) . Est-elle propre sa langue, « la langue muette» (X, VI, p. 340)? Par ailleurs, Augustin va souffrir du latin, on lui reprocherait un latin médiocre. D’autres y verront un style dégénéré à cause de son appartenance linguistique: «Car je ne lisais pas ce livre pour polir mon style, ce qui était le fruit que ma mère avait pour but en m’entretenant  dans les études mais pour nourrir mon esprit: et y considérant plus le sens que les termes, et l’excellence du sujet qu’il traite que la noblesse des paroles» (III, IV, p.94) . Les signes de la langue «étrangère» vont lui demander des efforts supplémentaires. Opportun est-il de citer un exemple de cet effort d’écrire et de consulter le latin: «Mais les vrais sages, qui seuls doivent être appelés heureux, ont voulu que les biens de la fortune ne fussent ni redoutés ni désirés (cupi).

Doit-on dire cupi ou cupiri? et cela arrive bien; car je veux que vous me fassiez connaître cette désinence; je deviens plus incertain dès que je rapproche des verbes semblables. Cupio, fugio, sapio, jacio, capio, ont les mêmes terminaisons: mais doit-on, dire à l'infinitif fugiri ou fugi, sapiri ou sapi? je l'ignore. Je pourrais remarquer que l'on écrit jaci et capi, si je ne craignais que l'on me prît et jetât (caperet, jaceret) à plaisir comme un jouet, en me faisant sentir qu'autre chose est d'être jeté et pris (captum, jactum), et autre chose, d'avoir fui, d'être désiré et goûté (fugitum, cupitum, sapitum). Et encore, dans ces trois derniers mots, j'ignore également si la pénultième est longue et sourde, ou bien grave et brève.» («Lettre III» d’Augustin à Nébride, année 387, Lettres de saint Augustin, in www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin) . Ses connaissances du latin ne sont pas «solides».

Quelle langue maîtrise-t-il alors? Quelle est sa langue maternelle selon ses textes? En dit-il quelque chose? Dans son récit de confession, Augustin va se référer au néo-punique. Qu’est-ce que le néo-punique? Est-il semblable à l’arabe dialectal (néo-arabe) du Maghreb qui syntaxiquement et lexicalement reproduit la langue amazighe? «Saint Augustin nous apprend que, pour certaines paroisses de son diocèse d’Hippone –aujourd’hui Bône- il avait besoin de prêtres parlant néo-punique. Ainsi, dans un pays qui n’avait pas été compris dans l’ancien territoire carthaginois, la langue néo-punique s’était maintenue six siècles et demi après la chute de la ville comme langue courante et presque exclusive car des bilingues n’auraient pas eu besoin de prêtres capables de prêcher en néo-punique.» (24). Qu’est-ce que le néo-punique pour Augustin? Est-ce tout simplement la langue des numides, c’est-à-dire tamazight?

Imbu d’idées chrétiennes et conscient du mal qu’est la diversité linguistique (tour de Babel dans les textes monothéistes), Augustin nourrira une certaine aversion à toutes les langues excepté le Latin, la langue dans laquelle est écrite la Bible. Il confessera: «la langue des hommes nous est tous les jours ce que la fournaise est à l’or; et vous nous commandez d’être en cela comme en tout le reste dans la modération et la retenue.» (X, XXXVII, p.392). La langue «païenne», c’est-à-dire celle des hommes, est chargée d’impureté et de vices. Il désunit les hommes et crée entre eux dissension et ruptures. Une telle position envers la langue déterminera sa posture envers sa communauté linguistique.

Devenu chrétien, il va encore aimer le latin, langue d’apprentissage de la foi catholique: «Ainsi, j’appris le latin, sans y être porté par aucune crainte de la peine, en étant pressé au-dedans de moi par l’envie de produire, et comme d’enfanter au-dehors les pensées que j’avais conçues dans mon esprit et dans mon cœur: et ne le pouvant faire qu’avec l’aide des paroles, j’apprenais à parler en entendant parler les autres, et formais mon langage sur le leur sans recevoir aucune instruction d’eux. D’où il paraît qu’on apprend plus aisément ces sortes de choses par une curiosité libre, volontaire, et naturelle, que par une impression de crainte, et une violence étrangère.» (I,  XV, p.53).  Cette langue sacrée n’est pas sa langue maternelle: il apprend en écoutant les autres, des étrangers. Il apprend librement, sous aucune pression émise par les autres.

Par contre, sa position envers la langue hellénique est autre. Bien qu’il soit imprégné de la philosophie grecque, envers la langue grecque il a divers préjugés. Il va confesser: «Je ne suis pas encore tout à fait bien éclairci d’où procédait l’aversion que j’avais pour la langue grecque, laquelle on me montrait en mon enfance. Car pour ce qui est de la latine, je l’aimais: mais je n’en aimais pas ce que les premiers Maîtres enseignent. J’en aimais seulement ce que montrent ceux qu’on appelle Grammairiens, ne trouvant pas moins de dégoût ni moins de difficulté en ces premières instructions, où l’on apprend à lire, à écrire, et à compter, qu’en la langue grecque.» (I, XIII, p.49). Son rejet de la langue d’Homère est explicable par la crainte de s’éloigner de la foi «catholique». Parfois, il va s’étonner de son aversion envers le grec: «Mais, d’où vient que j’avais tant d’aversion de la langue grecque, quoiqu’elle soit pleine de semblables contes? Car Homère excelle dans ces inventions fabuleuses, et charme l’esprit par ces agréables rêveries. Je n’y trouvais néanmoins que du dégoût lorsque j’étais encore enfant. Et je crois que les enfants nés en Grèce à qui l’on fait apprendre Virgile avec non moins de difficulté et de peine que j’en ressentais en apprenant Homère, ne trouvent pas plus de dégoût en la magnificence de ces vers latins, que j’en trouvais en la beauté de ces grecs.» (I, XIV, p.52). Prédestiné, l’enfant rejette le grec: il a peur de connaître la déperdition.

En fin de compte, pour Augustin la langue n’a pas d’existence en dehors de la foi et de la communauté, autrement dite c’est ce qu’on appelle sacraliser la langue. Car le langage est de nature intérieure: «quoiqu’elles ne changent point de langage, parce que leur langage n’est autre chose que leur nature, et qu’elles ne paraissent point d’une manière différente à celui qui ne fait que les voir, et à celui qui en les voyant les interroge; néanmoins en leur paraissant à tous deux d’une même sorte, elles sont muettes pour l’un et elles parlent à l’autre; ou pour mieux dire, elles leur parlent à tous, mais elles ne sont entendues que de ceux qui consultent la vérité au-dedans d’eux-mêmes,» (X, p. 341). La langue de la vérité, la langue sacrée, c’est bien le latin pour Augustin.

Quelques siècles plus tard, l’Afrique connaîtra une expérience similaire: avec Uqba ibn Nafiaa, ce sera à l’arabe d’avoir ses lettres de noblesse parmi ces hordes «barbares».

2.- DOUBLE ESPACE DE LA NUMIDIE  BARBARE

L’espace numide est-il uniforme dans la vision du philosophe chrétien? N’est-il que la terre des péchés? Les aventures d’Augustin sont fort connues dans un tel environnement de spectacles, de croyances primitives et de coutumes absurdes. C’est lors de sa formation d’étudiant qu’il vivra dans plusieurs villes méditerranéennes à la recherche du savoir au début, ensuite d’un poste d’enseignant, qu’il va accepter un tel système de vie. Mais une fois converti, il parlera de la même contrée comme étant celle des ivrogneries et des scandales.

 Augustin va parler des ravages faits par les Circoncellions. E l’an 395, il écrira la «lettre XXIX» adressée à Alipe, évêque de Thagaste: «A Hasna, où l'on a pour prêtre notre frère Argentins, les Circoncellions ont fait invasion dans notre basilique et brisé l'autel. L'affaire s'instruit. Nous vous demandons beaucoup de prier pour qu'elle se poursuive paisiblement et comme il convient à l'église catholique, afin d'imposer silence à l'hérésie, qui ne veut pas demeurer en paix.» (in www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin). Est-ce là le souci constant d’Augustin de la destinée des villes et villages numides? Nous avons une missive de son ami Nébride qui fait le portrait du catholique: «Est-ce vrai, mon cher Augustin? vous prêtez-vous aux affaires de vos compatriotes avec tant de constance et de patience, que ce loisir, tant recherché, vous échappe? Dites-moi, je vous prie, quels sont ceux qui osent ainsi abuser de votre bonté? Ils ne savent donc ni ce que vous aimez ni ce à quoi vous aspirez! il n'y a donc pas auprès de vous un seul ami qui le leur dise! où est Romanien? où est Lucinien? Qu'ils m'entendent: moi je crierai, moi j'attesterai que c'est Dieu que vous aimez et que vous désirez servir, que c'est à Dieu que vous songez à vous attacher. Je voudrais vous emmener dans ma maison des champs et vous y mettre en repos; je ne craindrais pas de passer pour un ravisseur auprès de tous ces gens que vous aimez trop et qui vous aiment tant.» («Lettre V», Nébride à Augustin, Lettres de saint Augustin, in www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin). Ici, le fidèle Nébride déplore le contact direct qu’a Augustin avec les gens du peuple, lui qui est destiné à la contemplation. Le peuple numide, bien que connu pour ses tendances barbares, est aussi un peuple «d’amour et de paix».

De Thagaste, l’auteur va nous parler de familles autochtones aisées: «Alipe, (qui) était l’une des meilleures maisons de Thagaste où j’étais né, et était plus jeune que moi, y ayant été mon écolier, et depuis à Carthage.» Ce voisin va s’engouffrer dans le vice quand il choisit de vivre dans la capitale: «Néanmoins le gouffre de la vie libertine de Carthage où la jeunesse est toute bouillante d’ardeur pour les amusements des spectacles, l’avait entraîné dans une folle passion pour les divertissements du Cirque(VI, p.196). Alipe va être successivement un disciple d’Augustin le manichéen, et de l’autre Augustin le fervent croyant. Il sera son élève à Thagaste et à Carthage. De même, en plus de le sauver de la «débauche», Augustin va le «guérir» de son amour du cirque et des spectacles. Enfin, au chapitre IX du livre VI, l’auteur nous narre la mésaventure d’Alipe qui est arrêté à Carthage pour un vol qu’il n’a pas commis. Vu son admiration affective pour Augustin, le fidèle ami va le défendre par tous les moyens pour montrer son innocence.

Alipe va être encore baptisé en même temps que son maître. Rappelons que le jeune numide va être, à son tour, ordonné évêque de Thagaste. Ensemble ils vont combattre donatistes, pélagiens et manichéistes

Enfin, l’expérience d’une grande ville qui étouffe le jeune numide est narrée par l’auteur. A Carthage, il confesse: «Je vins à Carthage, où je me trouvai aussitôt environné de toutes parts des feux de l’amour infâme. Je n’aimais pas encore, mais je désirais d’aimer: et dans ma pauvreté et mon indigence des biens du ciel, laquelle était d’autant plus grande qu’elle était plus secrète et plus cachée à mes yeux, je me voulais mal de ce que je n’étais pas encore assez pauvre.» (III, I, p.87).  Le désir d’aimer fait de lui un misérable des «biens du ciel». Matérialiste, il ne cessera de courir derrière le plaisir et la concupiscence. La cité terrestre l’éloigne de Dieu. Aussi l’amour des spectacles est-il un mal dont souffre le jeune Augustin: «J’avais aussi en même temps une passion violente pour les spectacles du théâtre, qui étaient pleins des images de mes misères, et des flammes amoureuses qui entretenaient le feu qui me dévorait.» (III, II, p.89). Que dire de «Sur les spectacles» de Tertullien? S’en est-il inspiré Augustin?

3.- ESPACE DE LA FOI: LA TRINITÉ PROPRE(25)

Comme en un seul Augustin peuvent-elles cohabiter les trois personnes (père, mère et fils)? Et comment ils n’ont qu’une seule et même influence sur le philosophe? Augustin a sa propre trinité: il va s’exposer dans les Confessions en trois voix différentes: la mère (piété chrétienne), le père (voix des traditions) et sa propre voix (amalgamant celle du fils et de ses acolytes). Il se voit tiraillé entre trois points différents qui tendent à incarner son complexe d’être ce qu’il est: un pécheur de nature qui se retrouve.  Autrement dit, le fils, c’est la raison; la mère, c’est la grâce; et le père, c’est la nature humaine. En conséquence, Augustin ne souffrira de l’ambivalence, mais d’un tiraillement entre plusieurs positions et systèmes de signifiés.

 Le lecteur voit clairement trois voix (systèmes et visions) tisser le texte autobiographique, et nous faire apparaître un Augustin pluriel mais unique.

 

A.- Le père: le Mal du propre

C’est bien le père, d’après certains historiens «citoyen romain païen», qui l’oblige à poursuivre ses études en rhétorique et il lui paie les études: «J’avais en cette année discontinué mes études, parce qu’étant revenu d’une ville proche du lieu de ma naissance nommée Madaure, où l’on m’envoya d’abord pour apprendre les lettres humaines et les principes de l’éloquence, j’attendais qu’on eût préparé l’argent nécessaire pour un voyage plus long que n’avait été ce premier; mon père se disposant de m’envoyer à Carthage, plutôt par un effort de l’ambition qu’il avait pour moi, que par le pouvoir que son bien lui en donnât, n’étant qu’un des moindres bourgeois de Thagaste.» (II, III, p.69). Malgré le prix cher des études, Patrice voyait en son fils la réalisation de ses ambitions.

Pourtant, tout ce qui appartient au père lui apparaît de valeur maléfique. Augustin passe, par excellence, pour l’ennemi des traditions paternelles. En critiquant violemment le paganisme, il ne fait que critiquer le pater. A travers une description très négative du père, il va également nous retracer la condition de la femme numide: «lorsqu’elle fut en âge d’être mariée, elle obéit comme à son maître au mari qui lui fut donné, et travailla de tout son pouvoir pour vous l’acquérir, mon Dieu, en lui parlant de vous par la pureté de ses mœurs, dont vous vous serviez pour la rendre belle à ses yeux, et l’obliger de l’aimer avec révérence, et de joindre son admiration à son estime. Elle souffrit ses infidélités avec tant de douceur et de patience, qu’elle ne lui en fit jamais de reproches. Car elle attendait l’effusion de votre miséricorde sur lui, et que venant à croire en vous, la grâce du saint Baptême le rendit chaste. Comme il était de très bon naturel et tout plein d’affection, il était aussi extrêmement prompt, et elle était accoutumée à ne lui résister jamais, ni par ses actions, ni par la moindre de ses paroles, lorsqu’il était en colère. Mais quand il était revenu à lui, et qu’elle le jugeait à propos, elle lui rendait raison de sa conduite, s’il était arrivé qu’il se fût emporté inconsidérément contre elle.

Lorsque plusieurs des principales Dames de notre ville, dont les maris étaient beaucoup plus doux que mon père, portaient même sur le visage les marques des coups qu’elles en avaient reçus, et que dans les entretiens qu’elles avaient quelquefois ensemble, elles attribuaient ce mauvais traitement aux débauches de leurs maris, elle leur disait: «Attribuez-le plutôt à votre langue»: et leur représentait comme en riant avec beaucoup de sagesse, que dès le moment qu’elles avaient entendu lire leur contrat de mariage, elles l’avaient dû considérer comme un titre qui les rendait servantes de leurs maris; et qu’ainsi se souvenant de leur condition, elles ne devaient pas s’élever contre leurs maîtres. Sur quoi ces Dames qui savaient combien mon père était violent, ne pouvaient assez admirer que l’on n’eût jamais entendu dire ni que personne se fût aperçu que Patrice eût frappé sa femme, ou qu’il y eût entre eux durant un seul jour le moindre mauvais ménage. Et lorsqu’elles lui demandaient confidemment comment cela se pouvait faire, elle leur rendait raison de sa conduite selon que je viens de le rapporter. Et celles qui l’observaient en reconnaissaient l’utilité par expérience, et la remerciaient de son bon avis, au lieu que celles qui ne l’observaient pas étaient toujours maltraitées et asservies.

Elle gagna ainsi de telle sorte par ses devoirs joints à sa patience et à sa douceur, l’esprit de sa belle-mère que les faux rapports de quelques servantes avaient au commencement aigri contre elle, qu’elle découvrait d’elle-même à son fils la malice de ces personnes qui troublaient ainsi leur union, et le priait de les châtier. Et lorsque mon père suivant la volonté de sa mère, et pour maintenir l’ordre dans la famille et y conserver la paix, eût châtié ces servantes aussi sévèrement qu’elle le pouvait désirer, elle déclara que toutes celles qui pensant lui  plaire lui diraient quelque mal de sa belle-fille, se devaient promettre d’elle de semblables récompenses. Ainsi n’y en ayant une seule qui osât plus y penser, elles vécurent toujours depuis dans une parfaite amitié. « (IX, IX, pp. 315-316). La grand-mère  paternelle d’Augustin a une grande influence sur son fils, donc aussi loin que l’origine du paternelle va, le mal est encore grand. Cette famille paternelle, nous le verrons par la suite, est à opposer à la maternelle qui est vouée à la cause divine…

La disparition du père, qui passe inaperçue dans ses Confessions, a précisément lieu à ses dix-sept ans: «J’étais alors en ma dix-neuvième année, et il y avait plus de deux ans que j’avais perdu mon père.» (III, IV, p.94). Cette mort signifie la fin de la mauvaise influence aussi bien pour le fils que pour l’épouse. En outre, la victoire d’Augustin sur le père est à lire dans ce moment quand il abandonne la rhétorique. Le père voulait que son fils devienne rhéteur: et il n’allait pas l’être. Le jeune Augustin se sent affranchi, il va enfin «posséder» la mère, et quérir auprès d’elle sagesse, amour et paix.

Etrangement, nous avons un autre passage différent où le confesseur décrit les bonnes relations qui unissent les parents: «Qu’elle jouisse donc d’une heureuse paix avec son mari, avec lequel et après lequel elle n’en a jamais eu d’autre, et à qui elle s’est soumise, afin de le gagner à vous, et rendre ainsi féconde par sa patience la grâce que vous aviez mise en elle.» (IX, XIII, p.329). Cette obéissance au conjoint est explicable par la grandeur de la foi maternelle: «quoiqu’elle fût beaucoup meilleure que lui, d’être soumise en toutes choses, parce qu’en cela même c’était à vous qu’elle était soumise, puisque c’est vous qui lui commandiez de lui obéir.» (I, XI, p.47). Ces deux derniers passages vont encore embellir la personne de la mère aux yeux du lecteur. Cela est fait à dessein par le narrateur, c’est-à-dire l’auteur catholique.

Le père, aussi succincte qu’apparaisse son image dans l’œuvre, représente pour le fils catholique le paganisme, le vice, l’ivrognerie, la souillure, tout ce dont l’auteur craint au nom de Dieu. En conséquence, il va être à l’origine de sa honte de soi…

B.- La sainte mère: le Bien

(Suite dans le prochain, numéro)
 

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