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LE COMPLEXE D’AUGUSTIN DANS LES CONFESSIONS DE SAINT AUGUSTIN(3/5)

Par: Hassan Banhakeia (université d’Oujda)

 

2.- CONTRE LES MANICHEENS

Le manichéisme est une religion du Perse Mani (216-274) qui allie christianisme, bouddhisme et parsisme. Le bien et le mal sont deux principes fondamentaux, égaux et antagonistes. Cette hérésie s’étend vite dans les terres numides qui voient dans le christianisme non pas une foi, mais un moyen d’exploitation sauvage et de colonisation «totale».

C’est également en Afrique du nord que la persécution des manichéistes est fortement entamée par l’empereur païen Dioclétien (dont le règne va de 284 à 305), précisément il rédige l’édit du 31 mars 302, envoyé au proconsul de Carthage: les chefs manichéistes seront brûlés vifs et les fidèles décapités. Cette persécution va devenir encore plus violente sous Théodore le chrétien (en 382). Rappelons en l’occurrence qu’Augustin va embrasser cette «hérésie» entre 372 et 382. Ne serait-elle pas la peur d’être décapité ou brûlé vif une possible explication d’un tel renoncement à un tel parti?

Contre les manichéens, Augustin va écrire Contre Fauste le manichéen (398-404) et La Vraie Religion et Commentaire anti-manichéen de la Genèse (389) sous forme de réfutation des thèses de Félice et de Faust. Dans les Confessions, il profite pour présenter son repentir en filant cette longue métaphore: «Mais comme je ne savais point alors ces vérités, je me moquais de ces grands Prophètes et de ces hommes divins qui vous ont servi avec tant de pureté. Et que faisais-je, mon Dieu, en me moquant d’eux, sinon de me rendre digne d’être moqué de vous, m’étant laissé jusqu’à m’imaginer que lorsqu’on cueille une figue, elle pleure avec des larmes de lait aussi bien que le figuier qui l’a produite: et que néanmoins si l’un de ceux que les Manichéens appellent Saints et Elus eût mangé cette même figue, non après l’avoir cueillie lui-même, ce qui selon leurs maximes l’eût rendu coupable, mais l’ayant trouvée cueillie par le crime d’un autre, il poussait dehors en ouvrant la bouche, ou en soupirant dans la prière, de petits Anges, ou plutôt de petites parties de Dieu même, du Dieu souverain et véritable, qui fussent toujours demeurées unies et comme liées à ce fruit, si elles n’en eussent été détachées par les dents de cet Elu et par la chaleur de son estomac. Et mon aveuglement était crû jusqu’à tel point, que je me figurais qu’il valait mieux avoir compassion des fruits de la terre, que des hommes mêmes pour lesquels ils ont été créés. Car si quelqu’un qui n’eût été Manichéen m’en eût demandé, j’eusse cru que ce fruit que je lui aurais donné, aurait été comme condamné à un supplice capital.» (III, X, pp.109-110). Son passé de manichéiste se trouve totalement dépassée par l’émergence de la foi en Jésus.

Nous avons un autre passage qui témoigne de l’époque, du dialogue existant entre chrétiens et manichéens: «J’ai discuté, deux jours durant, dans l’église, en présence du peuple, contre un certain Félix, manichéen. Il était venu à Hippone, pour y répandre son erreur; car il était un docteur de la secte, quoique fort ignorant dans les lettres, mais beaucoup plus habile et rusé que Fortunat. (…) Toutefois, nous n’avons en aucune nécessité, ayant à traiter avec un tel contradicteur, de discuter plus soigneusement la question de la grâce par laquelle deviennent vraiment libres les hommes» («Contre Félix, manichéen» – deux livres, Chapitre VIII in www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin) Aux siècles IV et V règne le dialogue entre religions nord-africaines. Le manichéiste est vu comme un «contradicteur» qui maîtrise peu l’art de discuter. Devant un rhéteur comme Augustin, Félix n’a pas de chance, et cela devant le peuple amazigh. En outre, le prêtre catholique ne fait pas référence à sa question de prédilection qu’est la «grâce», cette faveur de Dieu pour affranchir l’homme.

Les critiques augustiniennes au mouvement hérétique sont nombreuses. Dans la «lettre LXXIX» écrite en 404, il fustige un prêtre manichéen numide: «Vous cherchez en vain des détours; on vous reconnaît au loin. Mes frères m'ont rapporté leurs entretiens avec vous. C'est bien si vous ne craignez pas la mort; mais vous devez craindre cette mort que vous vous faites à vous-même en blasphémant de la sorte sur Dieu. Que vous considériez cette mort visible, connue de tous les hommes, comme la séparation de l'âme et du corps, ce n'est pas chose difficile à comprendre; ce qui l'est, c'est ce que vous y ajoutez du vôtre en disant qu'elle est la séparation du bien et du mal. Mais si l'âme est un bien et le corps un mal, Celui qui les a unis l'un à l'autre n'est pas bon; or, vous dites que le Dieu bon les a unis; donc ou il est mauvais, ou il craignait le mal. Et vous vous vantez de ne pas craindre l'homme, quand vous vous forgez un dieu qui, par peur des ténèbres, a mêlé le bien et le mal ! Ne soyez pas fier, comme vous le dites, que nous fassions de vous quelque chose de grand, en arrêtant vos poisons au passage, et en empêchant que la pestilence ne se répande au milieu des hommes» Les idées manichéistes à propos de la mort, l’âme, le corps, Dieu… sont du poison pour le peuple numide. Pas de l’opium!  Augustin se propose alors de redéfinir les concepts et de les offrir au peuple numide…

3.- CONTRE LES DONATISTES AMAZIGHS

Pourquoi dans les Confessions Augustin ne s’attaque-t-il pas aux donatistes?(8). Est-ce tout simplement parce qu’il s’agit d’un parti fondamentalement amazigh? En d’autres termes, d’un parti qui unit le local (l’amazighité) à l’étranger (chrétienté)? En l’an 399, il va écrire plusieurs lettres aux évêques du parti de Donat pour débattre la question du donatisme, en prétendant les ramener sur la juste voie divine. La fameuse «lettre XLIX» de sa correspondance, adressée à l’évêque donatiste Honoré, montre relativement le rapport fraternel qui l’unit à ces gens «séparatistes»: «nous vous demandons de ne pas craindre de nous répondre comment il a pu se fait que le Christ ait perdu son héritage répandu sur la terre entière, et qu’il ait été tout à coup réduit aux seuls Africains, et encore pas à tous, car l’Eglise catholique est aussi en Afrique, parce que Dieu a voulu qu’elle s’étendit dans tout le monde entier, et l’a ainsi prédit. Votre parti, qui porte le nom de Donat, n’est pas dans tous les lieux où ont retenti les écrits, les discours et les actions des apôtres.» («Lettre XLIX», Augustin à l’évêque donatiste Honoré, Lettres d’Augustin in www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin). Du propre aveu du numide Augustin, le donatisme peut être lu comme cette revendication «africaine» dans l’autonomie à répandre la parole de Dieu. Augustin précisera: «Telle est l’Eglise catholique, on l’appelle en grec Katholike, parce qu’elle est répandue dans tout l’univers.» («Lettre LII», an 399 ou 400, Augustin à son cousin donatiste Séverin, Lettres d’Augustin, in www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin). Il interpelle alors ses compatriotes à se joindre dans ce projet «universaliste». Notre philosophe accepte l’universalisme (cette mondialisation monothéiste), à l’encontre des siens qui revendiquent leur identité «spécifiquement» africaine. La parenté, de nature temporelle, qui ne vaut rien est à remettre en question: «Que servent les saluts qu’on échange et la parenté temporelle, si nous méprisons dans notre parenté l’héritage éternel du Christ et le salut de la vie à venir?» («Lettre LII», an 399 ou 400, Augustin à son cousin donatiste Séverin, Lettres d’Augustin in www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin). La parenté ne sera pas familiale, ni clanique, ni tribale, mais dorénavant construite à partir de la croyance en une seule divinité.

Le donatisme, qui revendique une «Eglise des purs», a beaucoup d’influence: ses revendications émergent d’une indépendance nationale des Numides.(9). Les disciples de Donat, la plupart des numides cultivateurs, sont nombreux au moment de combattre les colons romains qui se montrent arrogants et pleins de mépris envers les barbares.(10) Cette insurrection s’explique par le fait que l’Eglise officielle (Rome, et à un second plan Carthage) nomme directement les évêques de l’Afrique, et les donatistes vont s’y opposer, notamment au moment de désigner Caecilius comme évêque, lui qui est réputé pour des agissements négatifs contre la population autochtone. Les donatistes se disent fidèles de l’Eglise africaine. Pour eux, intégristes qu’ils sont, le chrétien qui se convertit au donatisme, est appelé à être rebaptisé. Leur action politique va dans le sens d’interpeller l’Etat romain (colonisateur) à ne pas s’immiscer dans les affaires de l’Eglise africaine. Quelle serait la position «religieuse», pour ne pas dire politique, d’Augustin? Très au courant de leurs principes et de la situation de l’Afrique, il va collaborer avec l’Eglise officielle, et même le système militaire, pour mater les donatistes qui commençaient à être un groupe chrétien majoritaire. Il écrit contre le donatisme: «De la doctrine chrétienne» et «Sur la Trinité». «Pendant que j’étais prêtre; j’écrivis encore un livre contre une lettre de Donat, qui fut à Carthage le second évêque du parti donatiste après Majorinus.»Contre la lettre de l’hérétique Donat. –un livre», chapitre XXI, in www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin).

En outre de la hiérarchie ecclésiastique des donatistes, nous avons, ici, le témoignage de l’ancienne inimitié ressentie par Augustin envers ses confrères.

Le philosophe chrétien va se montrer comme un fin historien du christianisme et comme un étymologiste invétéré. (11) En fait, ce n’est qu’à partir de l’an 400 qu’il va déclarer la guerre à ses frères donatistes. A l’arrivée d’Augustin comme évêque d’Hippone (actuellement Bône «Annaba»), en succédant à Valère en 396, l’Eglise se trouve divisée en Afrique du nord. Devant une telle situation «sur le plan religieux», Augustin hésite à accepter l’ordination: «au temps de mon ordination, quelques-uns de mes frères me virent, dans la ville, verser des larmes; ne sachant pas la cause de ma douleur, ils me consolaient, comme ils pouvaient et dans de bonnes intentions, par des discours qui n'allaient pas à mon mal.» (…) Voulez-vous que je dise à Dieu: «Le vieillard Valère, me croyant versé dans toutes ces choses, m'a d'autant moins (540) permis de m'en instruire qu'il m'aimait davantage?» («Lettre XXI», année 391, Augustin à l’évêque Valère, in www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin). Les larmes, signe de piété et de peur, préparent le prêtre chrétien à une lutte continue contre les païens attirés par le donatisme. Ces résistances, tant mûries dans sa tête, l’incitent à se préparer au ministère.

Se revendiquant purs et seuls héritiers de Jésus, les donatistes, selon la vision d’Augustin, prêtent à tous les scandales. Augustin écrit en 396 dans la «lettre XXXIV» adressée à Eusèbe: «Quoi de plus exécrable, je vous prie (pour ne pas parler d'autres choses), que ce qui vient d'arriver? Un jeune homme est repris par son évêque; le furieux avait souvent frappé sa mère et avait porté des mains impies sur le sein qui l'a nourri, même dans ces jours où la sévérité des lois épargne les plus scélérats. Il la menace de passer au parti des donatistes, et comme s'il ne lui suffisait pas de la frapper souvent avec une incroyable fureur, il annonce qu'il va la tuer. Le voilà dans le parti de Donat; en proie à la fureur il est rebaptisé, et pendant qu'il rugit contre sa mère dont il veut répandre le sang, on lui met les vêtements blancs; on le place au dedans de la balustrade de manière à être vu de tous; ce fils indigne médite un parricide, et on ose le montrer comme un homme régénéré à la foule qui gémit !» (Lettre XXXIV, in www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin). Mauvaise publicité à propos des donatistes: comment peut-on baptiser un maudit enfant, sans foi ni grâce? Comment peut-on laver du péché originel quelqu’un qui en commet toujours et consciemment? Ces lettres, à l’unisson avec ses sermons, vont répandre des nouvelles et des anecdotes qui dénigrent le mouvement donatiste. La «rebaptisation», qui veut surtout dire changer d’identité et de nom pour mieux expier le péché «païen», est chose courante chez les catholiques, mais que signifie-t-elle pour les donatistes? Est-elle précisément une certaine récupération de ce qui a été effacé de l’identitaire africain? Tant de questions à ce propos sont à poser. 

De même, dans la «lettre LXVI», écrite en 398, Augustin dira à l’évêque donatiste de Calame (Ghelma) Crispinus: «Quoi de plus? si c'est de leur propre mouvement que les gens de Mappale ont passé dans votre communion, qu'ils nous entendent tous les deux; on écrira ce que nous dirons, nous le signerons, on le traduira en langue punique, et les Mappaliens, délivrés de toute contrainte, feront librement leur choix.» (Lettre LXVI, in www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin). L’évêque rebaptise les numides du village; cela indigne l’officiel de Rome: saint Augustin.

Néanmoins, dans sa querelle avec les donatistes, il se définit comme amazigh. Il écrira, dans la «lettre LI» en 399 ou 400, à l’évêque de Calame,  Crispinus: «Aujourd'hui, Dieu aidant, il n'y a plus d'excuse, si je ne me trompe; nous sommes tous les deux en Numidie, et les lieux que nous habitons nous rapprochent l'un de l'autre» (Lettre LI, in www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin). Cette définition identitaire se fait par l’espace: ils sont numides. Pas par la langue. Non plus par la culture. Ce partage de l’espace est un mobile pour qu’il y ait invitation à une discussion «écrite» pour débattre la question de la foi chrétienne.

Augustin se range non seulement aux côtés des catholiques romains, mais nullement en tant  que philosophe de la «tolérance chrétienne» ne condamne point le massacre (pour ne pas dire génocide) et la persécution cruelle des paysans «hérétiques» (Edit impérial de l’an 405). Pour plus d’éclairage, nous avons la «lettre LXXXVI», écrite en 405, adressée à Cécilien gouverneur de Numidie (sorte d’Uqba ibn Nafiaa), où Augustin parle des différentes manifestations sociales d’Hippone derrière lesquelles se trouvent les donatistes. Il va encore lui exposer à la fois sa fidélité «officielle» en un ton laudatif: «L'éclat de votre administration et la renommée de vos vertus, la sincérité de votre piété chrétienne et la confiance sincère qui vous porte à vous réjouir des dons divins en Celui qui vous les fait, qui vous en promet et de qui vous en espérez de plus considérables encore; tous ces motifs m'ont excité à partager avec votre Excellence, dans cette lettre, le poids de mes soucis. Autant nous nous félicitons de ce que vous avez fait d'admirable en d'autres pays d'Afrique, au profit de l'unité catholique, autant nous nous affligeons que la contrée d'Hippone et les lieux voisins qui confinent à la Numidie, n'aient point encore mérité d'être secourus par la vigueur de votre édit présidial, ô seigneur illustre, bien honorable et vraiment admirable fils dans la charité du Christ ! Chargé à Hippone du fardeau épiscopal, j'ai cru devoir en avertir votre Grandeur, de peur que mon silence ne me fit accuser de négliger mes devoirs. Vous saurez aussi à quels excès d'audace en sont venus les hérétiques dans le pays où je suis, si vous daignez entendre ceux de nos frères et collègues qui pourront en informer votre Eminence, ou si vous voulez bien écouter le prêtre que je vous envoie avec cette lettre; et, le Seigneur notre Dieu aidant, vous ferez en sorte, sans doute, que l'enflure d'un orgueil sacrilège soit guérie par la crainte plutôt que coupée au vif par la punition.» (Lettre LXXXVI, in www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin) Ce passage explicite la collaboration d’Augustin avec les autorités romaines.

La violence est la solution. Il y aura la résistance des donatistes par l’intermédiaire des cironcellions. En 392, nous avons la «lettre XXIII» du prêtre Augustin à Maximin, évêque donatiste, où l’option militaire est clairement proposée: «Je ne ferai rien, tant que des soldats seront là, pour que nul d'entre vous ne me croie plus désireux. de trouble que de paix; j'attendrai le départ de la troupe: il faut que tous ceux qui nous entendront comprennent qu'il ne s'agit pas de forcer personne à prendre tel ou tel parti, mais de laisser la vérité se montrer paisiblement à ceux qui la cherchent. On n'aura pas à craindre de notre côté les puissances temporelles; faites que de votre côté on n'ait pas à redouter les Circoncellions. Occupons-nous de la chose elle-même; agissons avec raison; agissons avec les autorités des divines Ecritures; demandons aussi doucement et aussi paisiblement que possible; cherchons, frappons à la porte, afin de recevoir et de trouver: on nous ouvrira. Puissent, avec l'aide de Dieu, nos communs efforts et nos prières effacer de notre pays cette honte et cette impiété des régions africaines ! Si vous ne voulez pas croire que j'attende le départ des soldats pour commencer, ne me répondez pas auparavant; si je venais à lire ma lettre au peuple pendant que des soldats sont encore au milieu de nous, vous n'auriez qu'à la produire pour me convaincre de mauvaise foi. Que la miséricorde du Seigneur m'épargne une pareille infraction des saintes lois, dont il a daigné m'inspirer l'amour en me soumettant à son joug !» (Lettre XXIII, in www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin). La persécution des donatistes est violente. Dans sa correspondance, des villes numides comme Tibursi (se trouvant sur la route de Calame à Madaure), Tigisis (au sud de Constantine; ce nom peut-il être rapproché de les ruines «Tighessas» rifaines?), Thagaste, Madaure, Carthage, Calame apparaissent toutes donatistes, et courent irréversiblement le danger de la persécution catholique par le système impérial romain.

En outre, Augustin entend tout rebaptiser et convertir… L’Eglise donatiste est à dissoudre afin que la catholique y règne: «J’ai dit également que Donat, dont je réfutais la lettre, avait demandé à l’Empereur de lui donner pour juges entre Cécilien et lui des évêques d’au delà de la mer; il est probable que ce n’est pas lui-même qui a été l’auteur de cette demande, mais l’autre Donat, qui appartenait au même schisme que lui. Ce dernier n’était pas évêque des Donatistes de Carthage, mais des Cases-Noires; et c’est lui cependant qui le premier a consommé le schisme fatal, à Carthage. Ce n’est pas non plus Donat de Carthage qui a établi que les chrétiens fussent rebaptisés» Contre la lettre de l’hérétique Donat. –un livre», chapitre XXI, in www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin). Son commentaire historique du donatisme est à relire à la lumière de sa haine envers le parti de Donat. Malgré les attaques catholiques, les donatistes vont continuer à être présents en Afrique. En 411, selon les écrits historiques, lors d’un concile entre catholiques et donatistes, étaient présents 270 évêques donatistes et 279 évêques catholiques. Ils ont presque le même nombre de fidèles et de paroissiens. Rappelons que l’évêque est le représentant supérieur de plusieurs paroisses…

Enfin, à l’instar du donatisme, le kharijisme va, quelques siècles plus tard, à son tour, séduire les Imazighen par son égalitarisme, et cela sera une dissension contre le pouvoir central. Les mêmes persécutions vont se déclarer sur le sol numide. Les Imazighen vont souffrir alors de la main mise de l’Etat califal de Damas, comme cela l’a été avec la Rome universellement «catholique».

4.- CONTRE LES PELAGIENS

Un autre combat, après 418, non pas de moindre importance pour Augustin, s’annonce contre les Pélagiens, surtout contre leur maître Julien d’Eclane (cf. Ouvrage inachevé contre Julien (428-430)). Seulement il s’agit d’un combat intellectuel qui n’a rien à voir avec la réalité nord-africaine. Les lettres, les sermons et les écrits vont témoigner d’un tel débat où l’Afrique n’a pas de place. En fait, le pélagianisme ne se répand pas en Numidie, ne trouvant pas d’assise sociale ni de raison politique. Contre les pélagiens, le philosophe chrétien compose le traité la «Prédestination des saints». «Le moine Pélage, établi à Rome vers 400, développait l’idée que la transgression d’Adam n’avait affecté que lui, que tout homme naît innocent et n’a aucun besoin d’une grâce divine pour s’établir durablement dans le bien. Attaquée violemment par Augustin, cette hérésie fut condamnée au concile œcuménique d’Ephèse (431)» (12) Le différend est précisément la grâce divine: pour les Pélagiens le rôle de la grâce divine est moins importante par rapport à la volonté humaine. Cela va faire d’Augustin leur redoutable ennemi.

Ses «Conteverses» avec les Pélagiens vont s’étendre de 412 jusqu’à 430.

5.- CONTRE LES NEOPLATONICIENS

Le livre le plus important pour comprendre la pensée d’Augustin demeure Rétractions (in www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin) où l’auteur explique en détail ses propres textes, pose des interrogations presque insolubles et apporte des rectifications et des enrichissements. Il y discute fondamentalement la théologie naturelle. Il tente de résoudre le problème métaphysique suivant: peut-il le culte des dieux servir pour acquérir la vie éternelle?

Au chapitre XIV du livre huitième «théologie naturelle», Augustin nous parle longuement des thèses platoniciennes. Il va insister surtout sur la classification des êtres de la nature. Selon les Platoniciens, les espèces d’animaux dotés d’âmes raisonnables sont classées en trois groupes:

- les dieux  se placent en haut, dans le ciel;

- les démons sont au milieu, dans l’air;

- les hommes se situent en bas, sur terre.

Ces philosophes idéalistes classifient les quatre éléments de la nature entre le plus mobile (feu) et le moins mobile (terre), et au milieu il y a l’air et l’eau. A l’instar des autres platoniciens, Apulée va définir l’homme comme un animal terrestre. Pourtant, il est meilleur que les êtres aquatiques et volatiles. Car il y est question de la valeur surajoutée de l’âme. Les démons et les dieux ont un corps immortel d’une part, et de l’autre les hommes et les démons ont une âme sujette aux passions. Ce qui amène les platoniciens à s’interroger: Faut-il s’étonner du plaisir ressenti par les démons au moment de lire les fictions des poètes et au moment de déguster les obscénités du théâtre? Cette interrogation est précisément débattue dans le livre d’Apulée De Deo Socratis (Du dieu de Socrate) de manière différente: comment peut-on bannir les poètes de l’Etat? Est-il pour enseigner à l’homme à fuir les impuretés du corps? Tout en discutant les thèses platoniciennes, Augustin se réfère à la pensée d’Apulée qui croit à la nécessité d’adorer plusieurs divinités. (13) Il lui reproche d’avoir instauré le culte aux démons et de les considérer comme des intercesseurs et des messagers entre les dieux et les hommes. (14) Ce que réfute Augustin chez son compatriote, c’est l’exercice et l’apologie de la magie dans Les métamorphoses ou l’Ane d’or. Par ailleurs, maîtrisant mal le grec, Augustin va souvent consulter les écrits d’Apulée pour lire Platon. Apulée avance que les passions des démons sont analogues à celles des humains: ils aiment les offrandes et les honneurs, et ils s’irritent face aux injures.

Les critiques d’Augustin envers ces philosophes se présentent de manière claire: comment avoir le culte des démons quand la religion nous délivre des maux et des vices? A cause des maux et des vices nous ressemblons aux démons. Ainsi, il faut rejeter ce culte et ne point les considérer comme des messagers entre hommes et dieux.

III.- AUGUSTIN, PRINCIPAL CHRÉTIEN DE L’AFRIQUE

Les treize livres des Confessions développent une certaine insistance sur l’»ordre du cœur»: «L’œuvre se développe de façon musicale, par variations sur un thème central, par des reprises, par la gravitation obstinée autour d’un point. C’est ce que Pascal, avec sa clairvoyance habituelle, a appelé l’ordre du cœur» (15). Le ton de l’œuvre va de la prière à la méditation, et de la méditation à la prière, tout en suivant l’ordre de la foi qui «se fortifie». L’autobiographie augustinienne serait alors un texte clos entre ces deux styles. La clairvoyance d’Augustin, ses contradictions et son acculturation vont en pair avec sa quête d’une origine / foi chrétienne. Il est un chrétien pur, avec une foi pure, et tout cela grâce à la prédestination.

Cette réception de la foi catholique est tellement réfléchie par le jeune numide. Tout ce qu’il écrit va dans l’esprit de poser la foi dans son rapport aux mœurs païennes, et à traiter de la question de la conversion. C’est pourquoi, il faut parler de l’implication de l’auteur dans une telle réflexion: il se juge soi-même, comme étant un numide païen qui va connaître la conversion au catholicisme… Cela est manifeste dans les Confessions. Dans la «lettre CCXXXI» l’auteur porte un jugement sur son récit autobiographique: «Regardez-moi là-dedans, de peur que vous ne me jugiez meilleur que je ne suis; là c'est moi et non pas d'autres que vous écouterez sur mon compte; considérez-moi dans la vérité de ces récits, et voyez ce que j'ai été lorsque j'ai marché avec mes seules forces; si vous y trouvez quelque chose qui vous plaise en moi, faites-en remonter la gloire à Celui que je veux qu'on loue, et non pas à moi-même. Car c'est lui qui nous a faits, et nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes; nous n'étions parvenus qu'à nous perdre, mais celui qui nous a faits nous a refaits.» (Lettre CCXXXI, in www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin). Il quête la reconnaissance de l’autre, précisément de l’officiel, de l’universel et du vrai que sont les catholiques de Rome. Par conséquent, cette reconnaissance se mesure par le degré de la foi chrétienne.

Chez Augustin, croire et comprendre ce qu’on croit se fait grâce à l’emploi de la logique. La méditation sur Dieu est à comprendre comme un acte intérieur (produit par le maître intérieur) qu’on peut rapprocher du cogito cartésien: «Lorsque (les pensées) se produisent au-dehors par l’entremise du corps, parole et vision sont choses différentes; mais au-dedans, lorsque nous pensons, parole et vision ne font qu’un. De même, la vue et l’ouïe, en tant que sens corporels sont deux sens distincts, mais dans l’âme, voir et entendre sont choses identiques. Voilà pourquoi, tandis que le langage prononcé au-dehors ne se voit pas, mais s’entend, lorsqu’il s’agit des paroles intérieures, autrement dit des pensées» (De Trinitate, XV, X, 18, in www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin). Ces pensées qui sont des paroles intérieures, sont-elles de quelle nature langagière? Sont-elles la voix de quelle culture?

A ce propos, Augustin composera «De Doctrina Christiana» pour expliciter ces pensées «intérieures et uniques» qu’est le catholicisme aux païens africains, ses ouailles de prédilection. Eduqué et cultivé dans la tradition des «autres», il se sent obligé de faire découvrir aux siens l’univers catholique romain: «For it dealt, explicitly, with the ties that had bound educated Christians to the culture of their age. It did this with such intellectual sharpness that it cut forever, in Augustine’s mind at least, the Gordian knot that had bound him to his past education. It is no small thing to be able to transcend one’s own education, especially an education that enjoyed as exclusive a prestige as the classical education of the Later Roman Empire. In Cassiciacum, surrounded by young aristocrats, feeling a little out of place among the polished Christians of Milan, Augustine had not dreamt that he would transcend this education: it might be subordinated to a quest for Wisdom; but it remained intact, massive and irremovable as the foothills of the Himalayas(16). Numide, Augustin va avoir peu de succès auprès des aristocrates romains de Cassiciacum. (17) . Ce sentiment d’infériorité va le marquer pour toujours. L’appartenance ethnique, la culture maternelle, le poids politique expliquent cela: il désire être comme ces aristocrates romains. Ne serions-nous pas là devant la raison principale de son désistement de l’enseignement de la rhétorique en Italie? Comment Augustin découvre-t-il alors la foi en tant qu’étranger si ce n’est par son attachement au catholicisme (universel ou cosmopolite)?

En fait, ses textes d’initiation aux principes du catholicisme ont du succès auprès des siens. Les étrangers, et dans ce cas précis les Imazighen, peuvent facilement intégrer la nouvelle religion de Rome. L’Eglise, à son tour, changera de politique: «L’Eglise paulinienne hérite donc du cosmopolitisme propre à l’hellénisme tardif qui offrait déjà des conditions matérielles et juridiques plus propices qu’auparavant aux étrangers et à leurs croyances.» (18) . Comment gérer linguistiquement ce cosmopolitisme? En Afrique, les païens posent le problème de la langue de la foi. Dans une telle situation, Augustin va focaliser sa réflexion «religieuse» sur la langue: «Mais enfin le jour arriva, auquel je me vis moi-même tout à nu et à découvert, et auquel ma conscience me fit ces reproches: «Où es-tu ma langue? Toi qui disais que tu ne voulais pas te décharger du fardeau de la vanité, pour suivre une vérité qui ne t’était point connue?» (VIII, VII, p.277) . La vérité «se dit» autrement, dans la langue de l’autre, dans l’altérité. Ses pensées intimes sont alors le «fardeau de la vanité», et les enseignements à en «tirer» emmènent irréversiblement vers la vérité. Sa foi se construit progressivement, à partir de l’influence de sa mère, ensuite après la lecture des Epîtres de saint Paul (VII, XXI), la lecture du «livres des platoniciens» (VII, IX-X) en mai-juin 386, et enfin la rencontre d’Ambroise, l’évêque de Milan. Cette dernière rencontre va le pousser à devenir catéchumène et approfondir la pensée «catholique». A la fin de juillet, nous avons sa conversion finale au catholicisme après une crise dans le jardin de Milan (VIII, XII).

Lors de la nuit pascale de 387, Augustin va être baptisé en même temps que son ancien étudiant et ami Alipe, et son fils Adéodat. Mais cela signifie aussi pour lui se séparer de son épouse “païenne”, de sa semblable (partenaire) amazighe: «tiene que separarse de su concubina que le ha dado un hijo, Adeodato, a quien quiere muchisimo. Su madre le propone el casamiento con una doncella de todas prendas, pero Agustin duda. Por fin, se separa de su concubina y se queda con su hijo, pero sin llegar a casarse.» (19) . Son baptême signifie autant le divorce avec le propre que la désunion de sa petite famille. Néanmoins, son «ardor sexual tira de él con fuerza, y al cabo de dos aňos vuelve a unirse con otra mujer.» (ibid.) . Cela veut dire: chercher la foi chrétienne, c’est uniquement se séparer de soi, de sa chair, de ses sentiments et de son amour d’être nord-africain.

Pris par le désespoir d’être ce qu’il est, Augustin va s’interroger à propos de comment célébrer sa foi: «Mon Dieu, d’où vient que les hommes se réjouissent davantage de la conversion d’une âme qui semblait désespérée, ou qui était dans un extrême péril, que si l’on avait toujours espéré son salut, ou qu’elle n’eût pas été dans un si grand danger de se perdre?» (VIII, III, p.264) . Son optimisme est dans la bonté de Dieu, mais sa vision devient pessimiste quand l’homme s’approche plus des créatures que du Créateur, et ainsi il lui est impossible de réaliser le salut par soi-même. Le philosophe numide démontre que l’homme ne cherche jamais autre chose que son propre bonheur. Ensuite, il va insister sur son esprit qui réussit à métamorphoser le corps: «Mon esprit commande à soi-même, et il trouve en soi-même une forte résistance. Mon esprit commande à ma main de se mouvoir, et elle obéit  avec tant de facilité et de promptitude, qu’à peine peut-on distinguer le commandement d’avec l’exécution. L’esprit  est néanmoins un esprit, et la main un corps. L’esprit commande à l’esprit de vouloir une chose. Celui qui commande n’est point différent de celui qui obéit, et néanmoins on ne lui obéit pas. D’où vient ce prodige si étrange? Il commande, dis-je, de vouloir une chose; il le commande à lui-même; et il ne le commanderait pas s’il ne le voulait pas: et cependant ce qu’il commande ne se fait pas.» (VIII, IX, p.281) . Le raisonnement va donc du spirituel au physique: la grâce est là.

Comment expliquer un tel déracinement conscient? Par la foi? Par la nouvelle foi? «L’arrachement du corps au cœur, de l’abattement à l’enthousiasme, est une véritable transsubstantialisaiton, qu’Augustin appelle précisément un pèlerinage. L’étranger résorbé en pèlerin ne résout certes pas ses problèmes sociaux et juridiques. Mais il trouve, dans la «civitas peregrina» du christianisme, à la fois un élan psychique et une communauté d’entraide qui semblent être l’unique issue à son déracinement, sans rejet ni assimilation nationale, l’élément religieux préservant l’origine ethnique tout en la dominant par l’ouverture d’une expérience psychique et sociale autre» (20) D’après l’atmosphère de l’époque où la christianisation de l’Afrique du nord bat fort, l’amazigh a peur de passer pour étranger sur sa propre terre. Ainsi, l’aliénation devient salut. Une telle initiative va être récurrente tout au long de l’histoire. Est-ce là également un pèlerinage dans l’amour maternel qui se confond avec l’amour chrétien? A la mort de sa mère (IX, 11), il devient prolifique dans l’écriture des traités de christianisme, une forme de sublimation tout à fait particulière.

Cette expérience catholique va, en fait, précipiter ses décisions dans la vie. En 388, «se traslada a Tagaste y hace donacion a la Iglesia de todos sus bienes; se retira a una casa de campo y se dedica a la vida claustral.»(21) . Il y mène une vie monastique en compagnie de son fils et de ses amis (dont Alipe et Nébride). En 389, il perd son fils Adéodat. Une telle disparition va encore confirmer sa foi «catholique»; il va être ordonné prêtre à Hippone (Annaba) en 391. Précisément, il est le second du vieil évêque Valère, l’aidant dans les offices. A la mort de Valère, en  396, il occupera le siège épiscopal d’Hippone en tant qu’évêque. Tout de suite, il va commencer la composition des «Confessions» entre 397 et 400.

L’Occident, par l’intermédiaire de l’institution papale, va béatifier Augustin. Et c’est justement lui qui dira de la béatification: «car celui qui règne aux cieux, soutenait l’esprit et la langue à ses martyrs et à travers eux, était vainqueur sur la terre» («Sermons», 329, 1-2, in www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin). Pour le béatifier, comme ils viennent de le faire avec le père Charles de Foucauld, ils diront qu’il est «rayonnement de la lumière divine», qu’il est toujours «à genoux devant Dieu», qu’il «vit par Dieu et pour Dieu». Cette béatification s’explique aussi comme l’intégration de l’élément africain dans le système romanique qui va incorporer d’autres, à titre d’illustration saint Cyprien.

Non seulement l’institution religieuse célèbre la grandeur de l’esprit augustinien, mais également le XVIe siècle: «En France, le XVI siècle a été un siècle d’or pour le rayonnement de l’œuvre augustinienne: en théologie (de Bérule à Fénelon), en philosophie avec certains aspects de Descartes et surtout avec Malebranche), en littérature (Pascal, La Rochefoucauld), dans le domaine de la mystique… Mais le fer de lance de ce renouveau augustinien a été Port-Royal.»(22). Maître de l’esprit critique, ses textes vont inspirer philosophes et écrivains. Augustin qui célèbre la disparition de l’homme dans la quête de l’essence divine, la réappropriation de l’être par la disparition de l’ego (primaire) et analyse profondément la volonté de l’homme, va être cité dans plusieurs essais. Suivant Tertullien qui a une influence durable dans l’Occident chrétien, Augustin va avoir droit à plus de place et d’influence dans les écrits européens. D’ailleurs, les places, les rues, les villages, les monuments érigés en son honneur ne se comptent plus. Il est le nom de cités, de mairies et de villes dans le monde occidental. Et notre univers nord-africain, que réserve-t-il à ces fils «lointains»?

IV.- AUGUSTIN ÉCRIT L’HISTOIRE DE L’AFRIQUE DES SIECLES (IV e – V e)

Qu’est-ce que l’histoire pour Augustin? Elle est la coexistence ici bas de la Cité de Dieu et de celle des hommes.

A la lumière des faits historiques, une autre approche s’impose pour expliquer la conversion d’Augustin. Vu les événements douloureux de l’époque romaine, Augustin va embrasser le christianisme. D’éducation romaine, il est également contemporain des crises de l’Empire romain: ses “Confessions” citent Julien (361-363), Valentinien II (375-392) et Théodose (379-395). C’est bien la force qui lui fait voir la voie divine: «l’Empereur Julien ayant fait un Edit, par lequel il défendait aux Chrétiens d’enseigner les lettres humaines, et particulièrement la Rhétorique, il se soumit à cette loi, aimant mieux abandonner la profession à votre parole éternelle, qui rend les langues des enfants éloquentes, il me sembla que s’étant montré si généreux en cette rencontre, il n’aurait pas d’autre part été moins heureux d’avoir trouvé une occasion si favorable de ne travailler plus désormais que pour vous seul.» (VIII, V, pp.268-269) . Que dira-t-il alors des grands événements de l’Afrique du nord? En 372, il y a la célèbre révolte de Firmus, fils du prince maure Nubel, qui tue son frère Zammac favori du comte romain. Il y a aussi l’empereur Maximien qui réprime Carthage insoumise? Pourquoi Augustin ne parle-t-il pas des insurrections amazighes contre les romains colonisateurs? Sa vision historique se réduit à rechercher la présence de la cité éternelle (Rome) sur la terre des éternelles hérésies (Tamazgha).

C’est également dans La Cité de Dieu (“De Civitas Dei”), composé entre 413 et 427 qu’Augustin écrit l’histoire de la fin de l’Afrique romaine. L’Eglise, qui représente la cité impérissable, peut sauver l’Afrique des invasions germaniques. Carthage tombe en 410 aux mains des vandales. Citons l’histoire pour comprendre la présence des Vandales en Afrique du nord: «Los vandalos, llamados por el conde Bonifacio entran en Africa y ponen sitio a Hipona, en donde él tiene la silla episcopal. San Agustin permanece en su sitio hasta su muerte, ocurrida el dia 28 de agosto del ano 430, en la ciudad sitiada. Los barbaros asaltan Hipona y la destruyen. Empieza la Edad Media, pero el pensamiento de San Agustin sobrevive en el transcurso de los siglos.»(23) Les Vandales, de foi aryaniste, vont exercer à leur tour une influence sur les Imazighen. Certes, c’est une influence moins importante, mais pour nous cela démontre que l’amazighité est réceptive de toute foi, et malléable devant toutes les idées nouvelles. Comme un carrefour!

Dans la «lettre XXII», écrite en 390, l’évêque Augustin écrit à Aurèle, évêque de Carthage. Il lui décrit la situation morale des Numides «des souillures et des maladies dont elle (l’Afrique) souffre dans beaucoup de ses membres et qui n'en font gémir qu'un petit nombre. (…) Les débauches et les ivrogneries deviennent ainsi comme permises, au point d'avoir lieu en l'honneur même des bienheureux martyrs, non seulement aux fêtes solennelles (ce qui est déjà déplorable pour quiconque ne regarde pas ces choses avec les yeux de la chair), mais encore chaque jour. (…). Si l'Afrique tentait la première à mettre partout un terme à ces honteux usages, elle serait digne qu'on l'imitât. Et lorsque, dans la plus grande partie de l'Italie et dans presque toutes les autres Eglises d'outre-mer, ces dérèglements, ou n'ont jamais existé, ou ont disparu, soit qu'ils fussent nouveaux, soit qu'ils fussent anciens, par les soins attentifs de saints évêques vraiment préoccupés des intérêts de la vie future, douterons-nous, après de tels exemples, qu'il nous soit possible d'effacer cette grande souillure de nos moeurs? (…) Ces choses-là, je pense, ne se suppriment ni rudement, ni durement, ni impérieusement; mais par des instructions plus que par des prescriptions, par des avis plus que par des menaces. C'est ainsi qu'on doit agir avec la multitude: il faut réserver la sévérité pour des fautes commises par un petit nombre. Lorsque les menaces sont nécessaires, employons-les avec douceur; que ce soit en montrant dans l'Ecriture les châtiments de la vie future, afin qu'on ne craigne pas en nous notre puissance, mais qu'on craigne Dieu dans notre discours. Nous commencerons à toucher par là les personnes spirituelles ou voisines de l'état spirituel, et leurs exhortations douces mais pressantes entraîneront le reste de la multitude.

Et comme aux yeux du peuple charnel et grossier, ces ivrogneries et ces somptueux et honteux festins dans les cimetières, non seulement honorent les martyrs, mais encore soulagent les morts, il me paraît qu'il serait plus facile d'en détourner les Chrétiens, si on leur en faisait voir la défense dans l'Ecriture; si, de plus, les offrandes, vraiment utiles et salutaires, que l'on dépose sur les tombeaux pour le soulagement des morts n'étaient point somptueuses et qu'elles fussent données sans orgueil et de bonne grâce à tous ceux qui les demandent. Pourquoi les vendre? si quelqu'un, dans une pensée religieuse, veut offrir de l'argent, il y a des pauvres pour le recevoir. C'est ainsi que le peuple n'aura pas l'air d'abandonner les morts qui lui sont chers, ce qui ne serait pas une petite douleur de coeur, et l'Eglise ne verra plus rien qui ne soit pieux et honnête.» (Lettre XXII , an 390, in www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin) Le peuple numide, selon la vision d’Augustin, est un peuple charnel et grossier: ses débauches et ses ivrogneries sont continues lors des fêtes païennes. Son approche de l’histoire de l’Afrique s’avère une approximation subjective, déterminée par les dogmes catholiques, de la morale humaine, en général. Tout ce qui se rattache à l’être africain est à bannir, et il ne peut avoir une place dans l’histoire de l’humanité…

Augustin est mort à Hippone (Annaba) alors que la ville était assiégée par les Vandales.

V.- ESPACES IDENTITAIRES CHEZ AURÉLIUS AUGUSTIN

(Suite dans le prochain numéro)
 

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