|
L'adoption de Tiflnagh: un choix de sagesse, de patriotisme Par Ali Khadaoui (Kénitra) De jour en jour, l'amazighité retrouve ses lettres de noblesse. Surtout depuis la dynamique d'Ajdir qui a rompu avec l'aberration consistant depuis l'indépendance, à amputer l'identité nationale de l'amazighité comme fond civilisationnel premier, à bafouer les droits linguistiques et culturels pourtant reconnus comme des droits inséparables des autres droits de l'homme. En effet, le discours d'Ajdir, la création de l'institut Royal de la Culture Amazighe, ont été ressentis par le Mouvement Amazigh et par tous les Marocains épris de démocratie et de progrès, comme des signaux exprimant une ferme volonté politique de réconciliation nationale, de justice sociale et de démocratie. La preuve de cette volonté est que les décisions royales ne se sont pas contentées d'exprimer des intentions, mais ont inclus des objectifs bien déterminés, opérationnels, accompagnés de moyens de leur mise en pratique. La retenue inscrite dans les valeurs ancestrales amazighes a certainement empêché imazighen (toutes catégories sociales confondues), d'extérioriser leur joie plus qu'ils ne l'ont fait à l'annonce de ces décisions. Cela n'empêche pas que leurs sentiments d'une dignité retrouvée n'ont d'égaux que les frustrations vécues et les humiliations subies pendant plus d'un quart de siècle d'indépendance. Cela ne les empêche pas non plus d'être conscients que le recouvrement de leur identité et de leurs droits ne fait que commencer, que le chemin est encore long avant que les résistances ne se dissipent, et que les détracteurs de l'amazighité, ne finissent par accepter l'évidence: rendre justice à l'amazighité ne constitue un danger pour personne, au contraire, le danger aurait été de continuer à nier la réalité, à vouloir à tout prix imposer aux marocains des choix que l'histoire a déjà condamnés. Oui le chemin est encore long car nos partis politiques, surtout ceux concernés directement par les choix erronés faits aux lendemains de l'indépendance, sont encore en retard et en retrait par rapport à la société et à la volonté royale d'aller de l'avant dans tous les domaines. Ils ne jouent pas suffisamment leur rôle d'initiateurs et d'encadreurs du dialogue social. Les bavardages et les gesticulations irresponsables que certains ont introduits dans le débat autour de la question de la graphie ont montré combien il est difficile à nos politiciens de se remettre en question, d'installer et d'accompagner la communication sociale, d'adopter des positions courageuses sur tel ou tel sujet qui en demande. Quoique se réclamant de la démocratie et des droits de l'homme, ou encore de l'islam et de ses principes, nos politiciens n'hésitent pas à fouler les valeurs et les principes dont ils se réclament pour des raisons que tout le monde connaît, Ils n'arrivent même pas à instaurer un minimum de démocratie dans leur propre parti, n'hésitent pas à recourir au mensonge, à la diffamation et même à l'appel au meurtre. D'ailleurs, les dernières élections n'ont laissé aucun doute dans les esprits des marocains. L'absence de programmes politiques inscrits dans des projets de société susceptibles de répondre aux questions qui engagent le passé, le présent et l'avenir de la société; la course effrénée aux postes ministériels, ont fait éclater les derniers carrés de nos partis, si bien que la nomination de Monsieur Driss Jattou à la tète du gouvernement a été accueillie avec compréhension et soulagement. D'ailleurs, la plupart des détracteurs de l'amazighité se recrutent en dehors du Mouvement Ama.zigh et sont tous issus des partis qui se réclament de l'arabisme ou de l'islamisme. En fait, ce sont tous des partis issus de l'lstiqlal en tant qu'expression de l'idéologie arabo-salafiste. La même idéologie au nom de laquelle l'amazighité avait été purement et simplement exclue des institutions de l'Etat marocain de l'après indépendance. Et c'est cette exclusion qui justifie et explique la naissance du Mouvement Culturel Amazigh en tant qu'expression d'une question majeure qui se pose depuis longtemps à la société. Une question qui a dévoilé combien nos politiques ne craignent pas la contradiction. Au lieu de saisir l'occasion que leur offrait l'orientation courageuse et sage du Roi pour se débarrasser de leur culpabilité à l'égard d'un problème qu'ils ont créé de toute pièces, et qui a eu des conséquences désastreuses pour le pays dans son ensemble, ils continuent à utiliser honteusement l'amazighité à des fins politiciennes comme aux dernières élections, ou à l'occasion du débat sur la graphie (les élections communales ne sont pas loin). En fait, leur véritable objectif, c'était de semer le doute et la division au sein du Mouvement Amazigh, afin que ce dernier se mette dans une situation de blocage, et afin que l'intégration de l'amazighité dans le système éducatif soit retardée pour quelques années encore, car ces messieurs n'ont pas encore renoncé à leurs vieux rêve: extirper l'amazighité de ce pays afin qu'il devienne un véritable pays arabe. D'ailleurs, même après l'adoption de Tifinagh, certains n'ont pas perdu espoir et en appellent au Roi pour imposer la graphie arabe, au nom bien sûr du renforcement de la nation arabe! L'islam ici sert de couverture à une volonté d'arabisation franchement exprimée et mise en oeuvre depuis longtemps. Autrement, comment expliquer que les plus grands pays musulmans non arabes (Iran, Turquie, Indonésie, Pakistan, Malaisic,ctc...) aient gardé à la fois leurs identités et leurs cultures d'origine, que la langue arabe n'entre nullement en concurrence politique avec les langues autochtones? Il s'agit donc simplement d'une volonté de domination qui utilise le lien de la langue arabe avec la religion, en sacralisant arbitrairement la première par la deuxième. Mais la guerre amazigho-amazighe tant souhaitée et annoncée n'a pas eu lieu. N'aura pas lieu. Les conséquences qu'on en attendait n'auront donc pas de raison d'être. lmazighen, à travers les membres du Conseil d'Administration ont montré combien ils sont conscients des enjeux impliqués dans leurs décisions, non seulement pour l'avenir de l'amazighité dans toutes ses dimensions, mais aussi pour la nation tout entière. Le choix de Tifinagh- l'alphabet authentiquement amazigh- par le Conseil d'Administration a mis lin à des mois de spéculation et d'incertitude alimentées par de multiples débats souvent houleux, par des intrigues et manipulations de tout genres. Fidèle à elle même, aux principes qui ont servi de base à ses revendications, l'amazighité a donné à ses détracteurs la preuve de sa sagesse, de sa maturité et de son patriotisme. En effet, la qualité des débats, l'esprit démocratique qui les a dominés, la sincérité qui a animé les prises de positions des uns et des autres, la profondeur des analyses, c'est tout cela finalement qui retient l'attention dans cette dernière rencontre du Conseil . On est loin du langage de bois, de l'indifférence habituellement affichés en de pareilles circonstances à l'égard des sujet brûlants traités par les membres de l'ancien establishment. Se comportant le plus souvent en militants, mais en militants responsables, les membres du Conseil ont déjoué tous les pronostics. Pronostics ayant d'abord comme base les provocations sans nombres des tenants de l'intégrisme religieux qui, au nom de l'islam dont ils usurpent la représentation, n'ont pas hésité à recourir à la diffamation, au mensonge, pourtant interdits par l'islam! En réalité, le but recherché par ces nouveaux venus à la politique, mais qui ont eu recours aux vieilles recettes déjà utilisées par leurs prédécesseurs salafites, était d'amener les responsables du Mouvement Amazigh à répondre à leurs provocations afin qu'ils puissent se créer un adversaire susceptible de jouer de catalyseur à leurs calculs électoralistes. Les militants amazighs ne s'y sont pas trompés. Ils ont dénoncé avec vigueur et argumentation, la démagogie des tenants de l'intégrisme comme étant un discours utilisant dangereusement-la crédulité d'une bonne frange de nos concitoyens, crédulité due à l'ignorance et renforcée par la pauvreté. Il est loin le temps où, pour les mêmes objectifs, le «allatif» avait mis hors jeu, pour la première fois de son histoire, l'amazighité dans son propre pays. Et c'était à cause justement d'un Dahir Royal! Le nouveau «allatif» qui a commencé à se pointer depuis le discours d'Ajdir a connu son paroxysme au lendemain du communiqué de Méknès appelant à retenir la graphie latine pour l'enseignement de la langue amazighe. En fait le véritable objectif des détracteurs de l'arnazighité est toujours le même: déjouer la volonté des imazighen de se réconcilier avec leur histoire, leur culture ancestrale, leur identité et donc leur dignité. Le Dahir historique d'Ajdir, par son objet et sa symbolique, a pourtant rappelé aux uns et aux autres la nécessité d'une rupture avec une certaine politique ainsi que la réparation des erreurs et des injustices commises à l'égard du plus vieux fond civilisationnel marocain. C'est que l'ère nouvelle n'est pas celle d'hier, et qu'lmazighen d'aujourd'hui, ne sont plus ceux d'hier. Cette volonté Royale de réconcilier les marocains avec leur histoire et leur identité entre dans un projet de société que l'on peut aisément déduire de tous les discours et les décisions du Souverain. Démocratie, droits de l'homme, citoyenneté. justice sociale, cohésion sociale, solidarité sont les maîtres mots de ce projet. En fait, il s'agit d'une stratégie cohérente pour réunir les conditions d'un développement global, afin que le Maroc puisse rapidement dépasser les déficits cumulés dans presque tous les domaines. Ce sont justement ces considérations qui ont été prises en compte par les membres du Conseil d'Administration de 1'I.R.C.A.M lors de la rencontre consacrée au choix de la graphie. Mais des considérations toujours en rapport avec l'amazighité, car cette dernière est toujours impliquée dans les autres questions qui se posent à notre société. Effectivement, l'on peut dire sans l'ombre d'un doute que l'esprit qui a dominé les débats était l'esprit patriotique. C'est en définitive le souci de la stabilité de notre pays et ses intérêts suprêmes qui l'ont emporté sur toutes les autres considérations. La leçon est d'autant plus à retenir qu'elle s'inscrit dans une logique de remise en question des choix et schémas «nationalistes», simplificateurs et souvent mercantiles. L'amazighité a montré qu'elle est une chance pour le Maroc et non une menace comme se plaisent à le clamer cyniquement certains nostalgiques du Dahir des années trente. Avec l'adoption de Tiflnagh, l'amazighité tourne une page de son combat pour la vie et le respect. Et c'est tout le Maroc qui sort renforcé et grandi par cette décision sage et historique. Sa Majesté le Roi Mohamed Six, concepteur et initiateur de cette dynamique, peut être rassuré sur la validité de ses choix, la sagesse de ses décisions, ainsi que la maturité de ses concitoyens. Avec l'adoption de Tifinagh, les militants de la cause amazighe, toutes tendances confondues, et surtout les vieux symboles d'entre eux, voient enfin se concrétiser un rêve: Celui de voir leur langue et leur culture reconnues et prises en charge par l'Etat marocain post indépendance. Un hommage particulier doit être rendu à la sagesse de Monsieur Mohamed Chafik qui, malgré le poids des années et la cupidité des hommes, a su mener à bon port la première opération de l'intégration de l'amazighité dans l'enseignement. Certes, l'adoption de Tifinagh est une étape décisive sur le chemin qui reste à parcourir avant que l'amazighité n'arrive à reconquérir tous ses droits, c'est juste maintenant que I'L.R.C.A.M peut commencer d'affiner l'aménagement de la graphie choisie, la confection des programmes, des manuels, la formation des maîtres, etc... Mais ces opérations ne doivent occulter les chantiers qui attendent: d'abord ceux déjà contenus dans le Dahir d'Ajdir (l'audiovisuel? les affaires locales, le patrimoine), ensuite la justice, la constitutionnalisation de la langue amazighe en tant que langue officielle car elle est déjà nationale par la force de l'histoire. Mais déjà, l'on peut être sûr d'une chose: à la prochaine rentrée scolaire, les enfants marocains découvriront la partie la plus profonde d'eux même. il faudra veiller à ce qu'on réunisse les conditions d'un enseignement qui leur permettra de dire enfin et sans complexe mais avec fierté: cela c'est Moi. Ce dont les générations d'avant ont été injustement sevrées. Mais çà, c'est déjà une autre histoire dont la page a été tournée ces 30 et 31 Janvier 2003. |
|