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Il y a quarante ans disparaissait Abdelkrim Al Khattabi (06/02/1963)

Le 6 février 1963, il y a quarante ans, disparaissait Mohamed ben Abdelkrim Al Khattabi. Le travail de sape du pouvoir depuis l'indépendance a raboté l'histoire de ce pays. Il suffit d'égrener les noms des stades et des grandes avenues dans nos villes pour le constater.  Et pourtant. L'émir du Rif, dont le régime persécuta jusqu'au souvenir, est plus que jamais présent dans notre  mémoire. Ou plutôt dans le maquis de notre mémoire. On célèbre les dates et

les noms que la Vulgate officielle nous impose mais, dans un acte de mutinerie secret, on se garde dans les recoins de notre mythologie collective l'histoire extraordinaire de ce Marocain. Pourquoi la simple évocation du nom de cet homme fut-elle considérée, jusqu'à un passé récent, subversive? Parce qu'il osa proclamer une république? Trop simpliste. Abdelkrim est un symbole dangereux parce qu'il évoque la modernité. Certes, il fut un leader doté d'un courage physique. Il fit la guerre à des armées puissantes, c'est le seul aspect qu'enregistre, à regret comme défaite par la puissance du mythe, l'iconographie officielle. Mais elle résiste à évoquer l'homme d'Etat qu'il fut. Abdelkrim fut tout sauf un seigneur de guerre, féodal, potentat oriental régnant en vertu d'une victoire militaire. Pétri de rationalité, conscient de son devoir envers les Marocains qui l'ont suivi et qui ne rataient d'ailleurs aucune occasion de le lui rappeler, il pensa une administration d'Etat moderne. Il comprit que lutter contre l'occupant, libérer le peuple passait par l'instauration d'un système de gouvernance démocratique. Le maréchal Lyautey n'écrivait-il pas à propos de la révolution rifaine: «Rien ne pourra  être pire pour notre régime que l'établissement,…, d'un Etat musulman indépendant et modernisé». Qui se rappelle que la première réforme opérée par Abdelkrim était une réforme judiciaire basée sur l'application du droit positif, qu'il avait interdit l'esclavagisme pratiqué notamment par les Senhaja, et les atteintes à l'intégrité corporelle pratiquées contre lés voleurs? Qui se rappelle que le musulman Abdelkrim a prohibé les  paroles anti-juives prononcées habituellement par les crieurs publics, vingt ans avant la Seconde Guerre mondiale? Même conclu par une défaite militaire, son parcours a fécondé les guerres de libération à travers le monde. Mais aujourd'hui, son souvenir cimente notre marocanité. Puisse-t-il devenir un exemple.

(Source: L'éditorial de l'hebdomadaire «Le Journal» par son directeur Aboubakr Jamï, du 8 au 14 février 2003)

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