Uttvun 87, 

Sayur  2004

(Juillet  2004)

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Térence et l’héritage amazigh          

Par: Hassan Banhakeia (Université d’Oujda)

 

Punico bello secundo Musa pennato gradu Intulit se bellicosam in Romuli gentem feram.» (Porcius Latinus)

(La Muse se rend d’un pas ailé chez le peuple sauvage et belliqueux des Romains.)

Dans cet article, nous allons focaliser l’analyse plus sur l’étude du premier travail dramatique de Térence que sur ses cinq autres pièces. La Jeune fille d’Andros(1) (ou L’Adrienne), composée en 166 avant J.-C. (année romaine 588), se présente comme un texte - creuset où sa dramaturgie est bien exposée, surtout la présentation subtile de la psychologie des personnages. En outre, nous allons analyser ses prologues qui nous paraissent d’un grand intérêt non seulement sur le plan esthétique mais aussi pour préciser l’héritage maternel de l’auteur.

Seulement, il ne nous appartient pas ici de retracer l’histoire antique ni de réfléchir à propos du théâtre classique.

I.- L’intellectuel esclave…

La question liminaire à poser n’est pas: qui est Térence? mais il est de s’interroger: a-t-on droit de citer Térence l’amazigh, lui qui est fort connu comme citoyen romain? César se plaisait à l’appeler «demi-Ménandre» pour ne pas prouver sa courte vie de dramaturge, plutôt, à notre avis, pour marquer sa «différence» marquante par rapport aux écrivains grecs et latins. Autrement dit, le maître est en fait entier, et l’esclave (intellectuellement acculturé) n’est à saisir que comme une moitié d’un citoyen. Cette règle est toujours valable sur la scène intellectuelle où l’origine renforce la création et lui procure de l’échec ou bien du succès. Pour les aliénés, il est question soit d’un échec total soit d’un demi-succès, et l’évaluation s’avère trop subjective. Et Diderot de préciser que Térence était de «ces esclaves, instruits dans les sciences et les lettres, (qui) faisaient la gloire et les délices de leurs maîtres.»(2).  A vrai dire, pour l’affranchi nord-africain, les univers hellénique et romain représentent un monde identique, mais combien étrange (non étranger) pour le jeune analphabète libyen. De là, il est opportun d’expliquer sa curiosité à exposer, de manière particulière, les rites et les habitudes de l’époque.

Si toutes les études sur Térence tentent tantôt de découvrir l’écrivain hellénisant au sein du monde romain, tantôt de dresser le portrait romain qui s’est le plus nourri du hellénisme, mais point de l’amazighisant, de notre part, nous allons rechercher cette «première» éducation de l’enfant (avant l’apprentissage du grec et du latin) qui a, sans doute, tellement marqué ses représentations dramatiques. L’auteur se trouve au carrefour de trois cultures: tamazight, le grec et le latin. Ainsi, tout en insistant sur la culture «maternelle» de l’écrivain, notre étude tendra à «découvrir» le texte dans ces instants où la main de l’auteur sera définie dans sa culture plurielle, surtout que La fille d’Andros est une récriture du vieux texte de Ménandre.(3)  Dans cette pièce, texte qui ne change pas de titre, Térence relit (au lieu de «récrit») le dramaturge grec: de nombreuses situations dramatiques sont empruntées à la comédie hellénique, et d’autres créées par l’imagination propre.

A titre d’indication, La fille d’Andros fut présentée à l’âge de 26 ou 18 ans (d’où l’apport important de sa première culture dans la composition du texte), alors que le jeune écrivain faisait partie du «Cercle des Scipions», un groupe de jeunes aristocrates romains.(4)  Pourquoi les critiques et les historiens ont-ils, de manière unanime, «réduit» l’importance de ses origines nord-africaines? Et qu’est-il donc de la marque «romaine», le sceau des seigneurs? Cette absence, ne peut-elle pas expliquer par la suite le rejet du public vis-à-vis de ce théâtre? Et si on regarde de près les circonstances de la production,(5) la création de Térence s’avère ne pas se ressentir de l’aristocratie qu’il fréquentait, mais de la culture maternelle qu’il se remémorait.

II. Qui est Térence?

Poète comique amazigh fort célèbre, Térence est le seul poète (latin) qui est «sauvegardé» par la critique acerbe de Horace (65-8 av JC) envers les vieux poètes. Sa vie d’adulte et son œuvre se confondent totalement (cf. Commentaires de Térence du grammairien Aelius Donat (IVe siècle), mais il y a peu de précisions autour de sa vie «première» d’enfant africain. Térence a comme premier nom: Publius Terentius Afer. Sa date de naissance pose problème: les historiens ne sont pas unanimes. Les dates proposées sont 185, 190 ou 192 av. JC. De ses origines, l’on dit seulement qu’il est nord-africain, précisément kidnappé sur les côtes de Carthage. On dit qu’il était beau et intelligent (selon Suétone (70-128) dans La vie de Térence). Il fut victime d’un enlèvement par des pirates qui le ramenèrent à Rome pour le vendre comme esclave. Acheté et affranchi (liberti) par son maître Terentius Lucanus qui toucha sûrement la tête de l’esclave avec une vindicta (sorte de baguette) en clamant: «Je dis que cet homme est libre.» En outre, le maître l’éduqua selon les préceptes du libéralisme et le présenta dans des réunions d’aristocrates. Pourquoi une telle faveur? Le jeune affranchi, faut le rappeler, n’est pas pour autant égal d’un citoyen de naissance libre (ingenui). Il prend les nom et prénom de son précepteur, et son nom patronymique (d’esclave), Afer,(6) n’est en fait qu’un surnom (cognomen), et devait s’éclipser. Mais, cette «part» profonde de sa personnalité s’est-elle également masquée dans ses créations?

Son éducation d’écrivain a été grâce, d’une part, à son affranchissement en tant qu’esclave, et de l’autre à l’importante influence du dramaturge Ménandre. Térence visita alors la Grèce, la terre nourricière des poètes, pour y recueillir les manuscrits de ce maître, malheureusement le bateau qui ramenait sa bibliothèque, fait naufrage, et le jeune écrivain y perdit tous les livres et l’espoir d’entamer son grand projet de dramaturge. A cause de ce grand choc il tomba malade, et il ne s’en remettra plus. Il mourut fort jeune (33 ans ou 25 ans) à Leucade ou à Stymphale (ville d’Arcadie) en -159 (année romaine 595). Le lieu de sa mort est indéfini. Cette imprécision faut-il encore la rapprocher de celle d’Apulée? Pourquoi? Sa mort demeure de l’incognito car elle est celle de tout amazigh. 

Père d’une fille à laquelle il légua «un nom illustre et une certaine fortune. Elle épousa un chevalier romain» (7), Térence arrive-t-il alors à effacer son péché originel selon cette lecture historique? Au moins, selon les textes d’histoire qui sont unanimes, une fin heureuse pour sa fille. Sa descendance fut ainsi reconnue comme citoyenne à part entière. A ce propos, il est de noter: les notes biographiques des historiens se préoccupent tellement de la destinée de la pauvre «amazighe» qu’elles la marient à un noble chevalier.

Sa large et variée éducation, ainsi que sa découverte de la culture hellénique, étonne les critiques et les historiens: déjà à un très jeune âge, Térence présente une comédie qui provoque de la jalousie chez quelques poètes, comme Luscius de Lanuvium qui l’accusèrent solennellement de plagiat. Et d’autres, comme son ami Scipion Emilien et Lélius, prétendirent l’avoir aidé pour faire ses premiers pas dans la Comédie… Dans un cas ou dans l’autre, Térence se trouve conscient de la vision méprisante des autres (les citadins romains) envers la création d’un étranger. Ce qui est sûr, dans cette œuvre, il faut mettre en relief l’absence totale du cachet national (romain), à l’encontre de l’œuvre de Plaute, ce qui revient à dire: l’authenticité est incontestable, tout comme la «revanche» discrète.

Bien que le statut de l’écrivain soit infâme, Térence vend au directeur Caecilius sa pièce «Eunuque» 8 mille sesterces, un prix très cher. Presque toutes ses comédies eurent du succès à cette époque. Les Classiques européens le prirent pour le maître du drame: Molière imita Phormion dans Fourberies de Scapin et les Adelphes dans L’Ecole des maris; Michel Baron, le compagnon de Molière, (1653-1729) imita L’Adrienne dans ses textes dramatiques.(8) Bien qu’il soit auteur de six comédies, décédé fort jeune, Térence eut plus d’influence sur la comédie moderne, plus que tout autre dramaturge latin. La Renaissance découvre son œuvre, et jusqu’au XVIIIe siècle l’on ne cesse d’admirer ses scènes. Chez les premiers dramaturges bourgeois, il sera cité comme une grande autorité de goût classique.

Maintes questions se posent alors: Comment se fait-elle l’éducation de Térence? A-t-il vite appris le latin? Et le grec? Qu’est-il du sort réservé à sa culture et à sa langue maternelles?  Le jeune africain, de complexion maladive et de teint basané, est à imaginer comme un picaro intelligent et aliéné: esclave, il vit au milieu d’aristocrates; analphabète, il présente le meilleur théâtre romain; africain, il fréquente librement l’univers gréco-romain; pauvre, il se permet d’acheter une bibliothèque rare de la Grèce; aventurier, il s’embarque dans une mer houleuse, et sensible il meurt de chagrin pour la perte de ses livres «grecs».

III.- Et le maître barbare sans public

La fille d’Andros, représentée à la Mégalensia -grands jeux célébrés à la suite d’une victoire-,(9)  raconte l’histoire d’un amour quasi impossible à cause des valeurs sociales. Elle n’est pas un jeu. Elle est l’étude exhaustive d’un univers nouveau pour l’auteur, c’est pourquoi il insiste sur les rapports entre gens. L’histoire tourne autour d’un drame familial. Glycère est violée «par erreur» par Pamphile. Enceinte, la jeune fille fut rassurée par le violeur de l’épouser. Cependant, le père de Pamphile avait désigné la fille de Chrémès, femme pour son fils. Avisé, le père feint de préparer les noces et le fils ne montre pas de résistance. A la naissance de l’enfant, Chrémès refuse Pamphile pour gendre. Et à la surprise de tout le monde, Glycère est reconnue comme la fille de Chrémès. Ce dernier donne ses deux filles: Glycère à Pamphile, et l’autre (dite « fille unique ») à Charinus.

Cette pièce met philosophiquement sur scène l’homme, pas le citoyen romain. Non plus le grec. Le dramaturge met à nu les sentiments d’un amoureux et la force de l’établi. C’est le flux de la passion qui va déterminer la progression des actes. Cette condition humaine retracée est à rechercher aussi du côté de la formation de l’écrivain: l’aristocratie et son milieu d’enfance. Ce milieu a son poids dans le texte, il a une présence prédominante. Les idées de cette classe sont débattues dans l’intrigue. Ainsi, en transposant le texte grec, Térence n’a-t-il pas également «transféré et greffé» des éléments amazighs dans le texte final, étant donné que l’amazigh est à lire comme l’ensemble de son expérience subjective? Térence transpose également des mœurs et des usages qui forment partie de son passé lointain en Afrique.

D’ailleurs, l’amour de la patrie, qui était nodal dans les textes latins, est à peine perceptible dans le drame de Térence. Cet amour, souvent interprété par la violence et la guerre, se révèle inutile pour l’écrivain qui est également écœuré des combats de gladiateurs, des parades de baladins et des exhibitions d’acrobates… qui attiraient le public plus que le théâtre. «Je décidai, pour cette pièce neuve, d’user de ma vieille coutume, de continuer l’épreuve; je la remets en scène» (p.1276) Qu’entend-il là par «vieille coutume»? Cet ensemble de coutumes n’était-il pas le sien, celui de sa naissance et de son enfance? Si le rêve de Térence était d’instituer l’univers spirituel au-dessus de toute autre activité populaire, c’est bien dans le sens de le «remettre en scène».

Selon Plaute, c’est en se servant du bâton qu’on peut arriver à mettre de l’ordre chez ce public turbulent. Il écrira dans un prologue: «Jupiter. Pourtant, n’en doutez pas, il m’a ordonné de vous adresser cette prière, gentiment, et en termes polis. Car le Jupiter sur l’ordre de qui je viens ne redoute pas moins les coups de bâton que n’importe lequel d’entre vous: il est né d’une mère mortelle, d’un père mortel, et l’on ne saurait s’étonner qu’il ressente quelque crainte pour lui-même. D’ailleurs moi-même aussi, qui suis le fils de Jupiter, je crains –c’est un mal que je tiens de mon père- les coups de bâton. C’est pourquoi je viens pacifiquement vous apporter la paix.» (Amphitryon, p.14) Voilà le discours d’un dramaturge en quête du contact possible avec le public - vulgaire et peu enclin aux idées. Par le bâton ou par les prières? Térence se pose également la question de comment amener le public à déguster son art: «au début de la représentation, je plais, lorsque, à ce moment, arrive le bruit que l’on va donner un spectacle de gladiateurs; le peuple y vole, on se bouscule, on crie, on se bat pour avoir une place; et moi, pendant ce temps, je n’ai pas pu défendre ma place à moi.» (p.1276) Ses créations, d’inspiration hellénistique, pouvaient-elles vraiment intéresser le public latin? Ces amas de questions inquiétaient, probablement, trop le jeune Térence en quête de succès.

Pour nous, il y a d’autres raisons plus valables qui pourraient expliquer ce refus populaire du drame «nord-africain» hellénisé. Il y a tout d’abord le préjugé de l’appartenance de l’écrivain: c’est un africain «barbare»; ensuite la logique et l’architectonique du texte est totalement différente de celle des gens et en conséquence le public devient peu sensible à la représentation; enfin les valeurs véhiculées par le drame sont complètement étrangères à l’éthique romaine (et à l’urbanitas). Ainsi, nous observons la présence de quelques points qui révèlent l’authentique chez l’écrivain amazigh: le rire culturellement correct, la morale particulière, de l’émotion particulière et de l’exil nourricier, qui sont pour nous tributaires de son éducation première.

1) La présence du rire culturellement correct

En lisant Térence, le comique culturellement correct étonne de par sa construction. Il est doté d’une fonction essentiellement sociale. Henri Bergson écrit à ce propos: «Notre rire est toujours le rire d’un groupe» (Henri Bergson, Le rire, PUF, Paris, 1940, p.5) Et l’effet comique ne peut pas être traduit d’une langue dans une autre, surtout que le comique est lié solidement aux mœurs et aux idéaux d’un collectif ou d’une ethnie. Rappelons également que la critique contemporaine (tout comme celle de la Renaissance) met en relief le manque de la force comique dans les pièces. Pas de comique des mots. Rares sont les situations comiques. Par contre, le comique de caractères y est plus exploité. Les travers et les ridicules des personnages sont bien explicités. Cela risque de nuire à l’écrivain étranger: ses vérités

déplaisent aux citoyens romains, pourtant Térence n’arrive pas jusqu’à l’invective ou l’injure.

Un autre fait, déjà signalé, est à mettre en relief à propos de la fécondité bouffonne de Térence, elle est peu «dégustée» par le peuple romain. Fait naturel. Il ne répondait pas à leurs attentes, ni l’écrivain partageait avec eux la même culture. En outre, l’écrivain nord-africain contestait ainsi les techniques du comique répandues à l’époque:

 Refus de la plaisanterie grossière;

 Refus du caricatural qui tend à déformer la réalité ;

 Refus des calembours.

Certes, La fille d’Andros ne contient aucune scène «vulgaire» ni des éléments dramatiques qui tendent à métamorphoser le réel, ni des jeux de mots pour mettre en dérision une idée, un personnage… Par contre, son comique est de la juste discrétion par l’emploi des allusions, des demi-teintes et de l’ironie déliée. Entendons par l’ironie ce procédé qui joue systématiquement sur les doubles sens. Par exemple, quand on entend Simon, le père de Pamphile, dire à son esclave Dave «C’est que tous ceux qui aiment ailleurs supportent mal qu’on leur fasse prendre une épouse.» (Acte I, scène 2, p.1055) Le rire est immédiat, mais pour cela la dimension culturelle est indispensable. Le côté moral y est pour quelque chose. A un autre moment, l’esclave Byrria dira à Charinus, ami de Pamphile: «puisque ce que tu désires ne peut arriver, veuille ce qui est possible.» (Acte II, scène 1, p.1060) Un tel raisonnement «simpliste» met en dérision le maître devant l’esclave, situation comique qui remet en question le statut des seigneurs romains. Devant l’impossible, il faut choisir le possible. Le comble sera assuré par la réaction du jeune seigneur: «Il nous est facile, à tous, lorsque nous sommes en bonne santé, de donner de bons conseils aux malades. Mais si tu étais moi, tu penserais autrement.» (Acte II, scène 1, p.1060) La réflexion est sujette à un tas de conditions… De tels propos nous rappellent également quelques proverbes nord-africains.

De fait, la culture «africaine» y est investie, par exemple dans les propos du protagoniste Pamphile: «à part: Tu mériterais avec tes scrupules… Odieux personnage, qui cherches des poils sur des œufs!» (Acte V, scène 4, p.1092) «Chercher des poils sur des œufs» est une expression culturelle. Elle fait rire l’auditoire. Propre du culinaire, elle est encore présente dans la culture maghrébine: la femme se soucie trop de laisser tomber ses cheveux sur l’omelette. Selon les croyances, cela est un mauvais présage.

2) un moraliste particulier:

Bien que Térence soit un vigoureux peintre de mœurs, il serait difficile de chercher en lui un grand moraliste. Toute son œuvre est une expression haute des passions, essayant par là à brosser la société (quelle société? la sienne (lointaine) ou celle de son temps?) Par conséquent, son réalisme est particulier car il traduit l’image de l’esclave (qu’il est) au sein de la civilisation romaine. Par conséquent, aucune nuance de sentiments ne lui échappe… Diderot écrira: «Dans la comparaison que les Anciens ont faite du caractère et du mérite de leurs poètes comiques, Térence est le premier pour les mœurs. In esthesin Terentius… Et hos (mores) nulli alii servare convenit melius quam Terentio…» Plus précisément, L’Adrienne se présente comme un texte didactique où la morale est à enseigner. L’auteur y dévoile finement le cœur qui bat d’amour ou de pitié pour les êtres. Le dégoût du vice est absent; la condamnation n’a plus lieu. La morale véhiculée par le texte dramatique est difficile à cerner ou à préciser. «Sa doctrine morale n’est au fond qu’une sorte d’épicurisme raffiné: il faut sonder la mesure en tout (ne quid nimis), faire son profit des sottises d’autrui, et pratiquer, dans le commerce de la vie, une politique d’indulgence réciproque.» (10) Les enseignements du groupe des Scipions l’incitent à réfuter l’hypocrisie et à œuvrer pour la solidarité entre les humains. Pour l’écrivain, la naissance et la fortune sont au fond un ensemble de devoirs, d’où l’idée de responsabilité et d’engagement. Riche et affranchi, il écrira: «Homo sum: humani nihil a me alienum puto.», (Je suis un être humain: je pense que rien de ce qui est humain n’est sans me concerner.) (Héautontimoroumenos, p. 1163) Assoiffé de découvrir le monde, le jeune nord-africain sonde méticuleusement l’univers romain et le grec. C’est ainsi que nous «situons» son itinéraire d’aliéné: totalement disposé à embrasser toutes les cultures sans distinction.

Pourtant, il ne peut pas être un grand moralisateur, vu son origine africaine. Sa morale est bien ancrée dans l’identitaire en tant que valeurs du collectif «barbare». Vrai, le texte renferme des intentions moralisatrices, mais inappropriées pour les citoyens romains. Sa morale est, en général, une remise en question d’un ensemble de valeurs établies, se ramenant à deux choix (associés): faire ce que le cœur vous dicte, qui puisse vous procurer du bonheur, éviter ce que la raison vous lègue comme vérité, qui est encore à découvrir par l’effet de surprise. Cette position est délicate: il revient au temps de fonder l’équilibre entre les lois du cœur et de la raison. Pamphile en est bien l’exemple en chair et en os, le caractère choisi.

Afin d’être reçu par le cercle des aristocrates, Térence ne met pas sur scène des personnages bas et grossiers. A l’encontre de Plaute qui se plaît à donner la parole aux personnages vulgaires et dénués de scrupules, l’écrivain barbare présente des esclaves intelligents, des courtisanes humaines, des jeunes clairvoyants, en un mot des personnages bas mais positifs. Là, il faut faire une exception du personnage parasite. (11) Ce caractère a une présence saillante dans son œuvre; Térence ne se sentait-il pas au fond un parasite? Cette image, peut-être négative, traduit un caractère imbu d’idées épicuriennes. Nous avons: «Byrria à Pamphile: chacun préfère son propre bien à celui des autres.» (Acte II, scène 5, p.1066) Cette phrase est courante dans la culture amazighe: «Marra tarezu x tizi-nnes». Ainsi, le parasite s’apparente au libertin. Notons, par ailleurs, que le libertinage français du XVIIIe siècle dégustera l’art de Térence qui excelle à présenter discrètement (et efficacement) le Vice sous des formes et des structures attrayantes. Car ce système de vices et de scandales était peut-être un système à la fois étranger et familier pour l’auteur.

(Suite dans le prochain numéro)

 

 

 

 

 

 

 

 

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