|
|
Tajjerrvumt (grammaire): "d" en tant que particule de rapprochement Par: Mohamed BOUDHAN Nous avons reçu une lettre où son auteur se demande: «Je ne comprend pas pourquoi vous séparez la lettre "d" quand il s'agit d'écrire: "yuse d", "yewwi d", "isqade d" ... Je pense qu'il faut laisser ce "d" attaché au verbe pour mieux le lire et pour une écriture belle de tamazight» Effectivement, beaucoup ne savent pas pourquoi nous séparons le "d" du verbe.. Ils croient, peut-être, que c'est une erreur de notre part. C'est pourquoi ils écrivent le "d" en question, dans leurs textes en amazigh, attaché au verbe, comme nous le propose l'auteur de la lettre. Le "d" en tamazight a plusieurs fonctions grammaticales. Le dictionnaire Tamazight-Français de Miloud Taïfi lui consacre quatre bonnes pages et demie pour expliquer ces fonctions. Nous nous limiterons ici à traiter seulement de la fonction de "d" en rapport avec la question soulevée par la lettre: attacher le "d" au verbe ou l'en séparer? 1 - Reprenons les verbes cités par la lettre comme des exemples: "Ass"*; "Awi"; "Sqad" signifient respectivement: "Venir"; "Emporter, emmener"; "Envoyer". Mais: "Ass d"; "Awi d"; "Sqad d " signifient autre chose, un peu différente: "venir ici, vers là"; "Apporter, amener ici, vers là"; "Envoyer ici, vers là". Il y a donc une différence de sens dépendante de la présence ou de l'absence de "d": "awi" n'est pas la même chose que "awi d" ("apporter" n'est pas "emporter", "amener" n'est pas "emmener"). Le "d" a donc une fonction et un sens précis: il indique une proximité ou un rapprochement. On l'appelle en grammaire amzighe: "particule de rapprochement”. Il a donc un sens à part entière et indépendant du sens du verbe qui l'accompagne. Par conséquent il faut l'écrire "indépendant" et séparé du verbe, exactement comme "taddart inu" où "inu" n'est pas attaché à "taddart" puisqu'il a un sens indépendant de celui du mot "tadadrt": il exprime la possession. 2 - Le "d" ne fait donc pas parti du radical du verbe. On peu s'en passer comme dans: "Sqad ghar Pulanda” (envoyer à la Hollande). Sa position également change suivant le sens et le temps du verbe: On l'écrit devant le verbe comme dans: "Qdad d" (envoyer ici, vers là); avant le verbe comme dans: "Ad d sqadegh" (j'enverrai); séparé du verbe par un autre mot comme dans: "Sqad anegh d" (envoie nous ici, vers là). Ecrire le "d" attaché au verbe peut d'ailleurs prêter à confusion comme dans: "Tesqaded" qui peut être lu et compris comme signifiant: "Tu as envoyé", ou: "Elle a envoyé ici, vers là". Pour lever cette équivoque donc il faut écrire le "d" séparé là où il faut l'écrire comme dans la deuxième phrase qui devrait s'écrire, pour être correcte: "Tesqad d" (elle a envoyé ici, vers là). Si l'on veut que la première phrase exprime une action de rapprochement (ici, vers là) on doit écrire: "Tesqaded d" (tu as envoyé ici, vers là). Le deuxième "d" de "tesqaded" n'est pas le "d" exprimant le rapprochement, mais le "d" de la conjugaison de la deuxième personne du singulier au passé, comme dans: "tessarseD" (tu as posé); "tecciD" (tu as mangé); "teswiD" (tu as bu); "tuzzreD" (tu as couru) etc. C'est une erreur grave donc d'écrire le "d" de rapprochement attaché au verbe. 3 - J'ai appris en lisant les différents textes amazighs de différents auteurs qui publient dans Tawiza, que le problème de la notation de Tamazight n'est pas un problème du choix du signe graphique (utiliser ce caractère ou celui-là pour rendre ce son ou celui-là), mais le vrai problème se pose au niveau de la segmentation des phrases suivant leurs unités signifiantes. Cette segmentation obéit à des règles grammaticales précises. La respecter, c'est appliquer les règles de la grammaire amazighe, et c'est respecter tamazight. Cette maîtrise de la segmentation - donc de l'orthographe et de la grammaire amazighes - reste encore à désirer en raison de la domination de l'oral sur l'écrit à cause de l'absence d'une tradition écrite de tamazight. La conséquence alors est la suivante: On croit écrire alors qu'on ne fait que transcrire. On ne pratique pas de l'écriture au sens littéraire, mais de «la parole transcrite» selon l'expression du grand écrivain amazigh Mimoun Elmoutawessiti. On est tellement attaché à l'oral qu'on écrit comme on parle, comme on prononce. Il est difficile de se débarrasser du poids de l'oral dans la pratique scripturale de tamazight. J'en suis conscient. Mais il faut savoir que l'écriture est un niveau supérieur de la pratique de la langue, donc elle obéit à des règles non observées dans la pratique orale de la langue. D'où il s'en suit que la langue ne s'écrit pas toujours comme on la prononce, on la parle. Il suffit de prendre des exemples de n'importe quelle langue pour s'en convaincre. Maîtriser donc l'écrit, c'est se libérer de la voix, de l'oral quand on écrit, pour que notre écriture ne soit pas de la «parole transcrite». Pour que notre écriture de tamazight soit belle, comme le réclame la lettre, il suffit de l'écrire suivant ses belles règles. La beauté, comme dans tout phénomène esthétique, provient de l'harmonie, de la régularité, de la bonne organisation, c'est à dire des règles. 4 - Enfin il faut souligner qu'à Tawiza, on essaie d'écrire suivant les règles orthographiques et grammaticales de la langue amazighe. Aucun mot, aucun "ad", aucun "d" n'est écrit de cette manière ou d'une autre sans raison qui trouve son explication dans les règles de la langue amazighe. Notre but principale dans Tawiza, comme nous l'avons écrit dans le premier numéro il y a presque quatre ans, c'est apprendre et faire apprendre tamazight.
* La première personne du singulier de l'impératif correspond, en amazigh, à l'infinitif, quand il s'agit de parler de cette forme (infinitif).
|
|