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AL MAGHRIB AL ARABI, épithète ou qualificatif? Par: Hassan BANHAKEIA (Université d'Oujda) Peut-on défaire l'Histoire et l'Etre? Non. Peut-on les refaire? Non. Peut-on les inventer? Non. Précisément, peut-on séparer l'Etre de l'Histoire? Point. Peut-on parler de l'Histoire sans se référer à l'Etre? Point. A voir maintenant si l'on peut défaire, refaire et faire l'Etre par l'accumulation d'adjectifs afin de fabriquer l'Histoire! Une initiative pareille, à mon sens, devient une mésaventure terriblement chère. Si définir, décrire et qualifier entendent être des accomplissements absolus, voire dotés d'une charge idéologique précise, la question s'avère un exercice intéressant, tout au moins relatif et dénué de discours attifé. I- La société en question … La question est d'une part le premier critère de l'objectivité, voire de la neutralité dans la mesure où l'on laisse au lecteur le choix de l'interprétation, la liberté de répondre et le devoir de poser à nouveau une autre question. D'autre part, la question institue la «frétillante» vérité, pour ne pas dire relative, du moment que l'interrogation brise les mensonges historiquement fondés. Les questions, au sein d'une société, meuvent physiquement les arcanes pour en créer d'autres plus justes, c'est-à-dire plus transparents et plus corrects. Dans ce processus de déconstruction, le mot (en question) se confond avec l'idée qui à son tour refait la société. Un tel exercice de remise en question s'avère nécessaire dans notre société; aussi faut-il inverser des équations pour mettre au clair les variables (hélas connues et légiférées par ceux qui ont le Droit de décision et les scripteurs de l'Histoire), ce serait là une position logique, à adopter par ceux qui croient à la fondation d'une Société juste. Que dire de notre société, posée et statuée comme difficile à qualifier? Est-ce une société purement amazighe? Non. Est-ce une société essentiellement arabe? Non plus. Est-ce une partie des peuples européens? Point. Comment est-elle alors définie? On regarde la télévision qui aveugle, on écoute la radio qui ne cesse de ronronner, on lit des textes alchimiques, la seule formule qui revient à tout moment : Al Maghrib al arabi(1.) Rarissimes sont les voix qui se sont élevées contre cette étiquette de falsification pour désigner les pays de l'Afrique du Nord. II- La question de l’adjectif… Pourquoi l'appellation «Al Maghrib al arabi»? Est-ce une appellation ancienne? La première de l'Afrique du Nord? Pourquoi l'adjectif «al arabi»? Signifie-t-il, par généralisation, le seul groupe ethnique qui habite les terres numides? S'agit-il encore du peuple autochtone ou bien du seul groupe vivant? L'Histoire doit renfermer des réponses richissimes mais combien douloureuses… A- Adjectif qualificatif: Si «al arabi» est un adjectif qualificatif, il devient «nécessaire au sens de la proposition» (Le Bon Usage, Duculot, 1980, p.200) dans la mesure où l'arabité serait l'essence de ce Pays dit Maghreb. D'ailleurs, les sigles UMA(2) (Union du Maghreb Arabe) véhiculent parfaitement le sens du fait que cette union déchire plus qu'elle ramende les parties d'une terre séculairement habitée, envahie et refaite à la guise des Conquérants, mais toujours aux dépens des autochtones (Imazighen)! Essence, non-sens, quels rapports étroitement approfondis dans l'appellation Al Maghrib al arabi!? Le sens y dérive faussement d'une essence fabriquée ou inventée, d'où le jeu idéologique charrié explicitement... Ainsi, que dire d'une union arabe qui n'englobe que les pays de tradition amazighe? L'adjectif n'est pas, au fait, nécessaire aux pays du Proche Orient, l'essence ne peut ne pas se confondre avec le sens, d'où son effacement. Nommer, sinon qualifier, serait alors altérer le réel, intervertir les choses au sein d'un ordre... Imaginons une remise en question de cette appellation, les possesseurs du Droit de décision et les scripteurs de l'Histoire vont sans doute proposer: «arabo-musulman» à la place de «al arabi». Point de différence. Selon ce qualificatif “composé”, «arabo-musulman», nous avons l'évidence/équation suivante: alors que l'arabe est défini en tant qu'arabe, l'amazigh l'est en tant que musulman! Comme si l'arabe n'était pas musulman… Peut-être auraient-ils raison si l'espace à redéfinir était «Al Machriq el arabi» où nous avons une présence importante de chrétiens, mais non pas le Maghreb. Comme si l'amazigh était obligé à embrasser la religion musulmane et à être ensevelie sous l'adjectif «musulman» et à venir en second lieu, toujours camouflé, derrière l'arabe.
C'est pourquoi ce jeu apparaît même dans les recherches académiques et universitaires et les mass-média où l'amazigh se confond spécifiquement avec «analphabète», «servante», «campagnard», «paysan», «oral», «populaire», «légendaire» ou «traditionnel». Tous ces adjectifs, qui dénotent un sentiment ambivalent où l'on est porté à plaindre les maux, à partager les douleurs de cette partie du Maghreb et à lui fournir le salut par le biais de l'altération, disent tout mais rien sur l'amazighité. Par conséquent, nous avons la légitimité et l'importance des interrogations autour de l'héritage amazigh. B- Adjectif épithète: Si «al arabi» est un adjectif épithète, il «sert à mettre en relief» (ibid.) l'arabité de ce bout de monde. Il s'agit encore d'une épithète à définir: Est-ce l'épithète de nature, de caractère ou de circonstance? Quelle serait la forme appropriée pour que le Maghreb devienne purement arabe? La nature et le caractère ne suivent pas, peut-être la circonstance est-elle pour démontrer que le pouvoir et la parole sont interdits pour cet Amazigh dit «beau sauvage». De là, au moment de la création des sigles UMA, les trois formes d'épithétisation ont été entrevues par les grands historiens: primo l'Africain du Nord possède une nature totalement arabe, secundo il est d'un caractère si arabe qu'on ne peut le distinguer des autres frères de l'Est, tertio son état actuel a été, est et sera toujours celui d'un vrai arabe, plus pur que celui du Machreq… Par ailleurs, s'il y a «Al Maghreb al arabi», il doit y avoir logiquement «Al Machreq al arabi», surtout qu'il est censé être à l'origine de cette appellation. Pourquoi ne parle-t-on donc pas de «Machreq al arabi»? Serait-ce, par un jeu d'expansionnisme sauvage, tenter d'autodéfinir l'autrement défini? Se réapproprier l'étranger, l'autre afin de devenir (être vraiment) ? Là, nous avons une règle d'altération globale, d'où les échecs de toute opération ou exercice. Autrement dit, l'appellation est derrière la non existence effective, efficiente et efficace d'un tel effet dit UMA. Si l'appellation était Afrique du Nord, les résultats auraient été importants: réalité et vérité se confondraient… Il serait plus juste de mettre «al arabi» dans la place d'un adjectif détaché où la virgule renforcerait la mobilité de l'arabité et sa tendance à accepter un autre adjectif en apposition et au même diapason: amazigh. III- Paraître et être… Pourquoi l'effacement de l'amazighité au sein de toutes les institutions? Pourquoi ce dénuement de la parole? Y a-t-il un pouvoir amazigh? Etres rendus muets, hommes affaiblis, Imazighen ne peuvent que survivre dans l'Histoire car ils n'ont pas de doctrine propre, de mythe fondateur, de conscience… Paraître arabe ne suffit pas à prouver l'arabité d'un peuple amazigh connu pour être un creuset de toutes les cultures méditerranéennes. Si Imazighen étaient arabes, pourquoi parler de «Futuhat»? Si les Imazighen étaient arabes, pourquoi les arabes refusent tamazight qui seraient une autre variante de cette culture? Si Imazighen étaient arabes, pourquoi le génocide hier, tuer le corps physique, naguère encore plus grave: effacer le corps mnémonique? Ainsi, du moment que la dénomination géopolitique de l'Afrique du Nord se fait à partir d'une classification exclusivement raciale (peut-être raciste), tout débordement vers l'extrémisme serait justifié et légitimé. L'intolérance, nous le savons tous, demeure un arcane dogmatique. IV- Propositions: amazigh et arabe, attributs du Maghreb Heureusement, sur le seuil d'un siècle qui commence s'esquissent des voies de démocratie pour tous, au Maroc. Qu'allons-nous faire de cet acquis, de ce nouveau-né? Le développer positivement, bien sûr. Cherchons des négations à nier, des exclusions à exclure, des marginalisations à mettre enfin en marge. Ces mésaventures, dérivées du passé et d'une idéologie d'exclusion, doivent disparaître pour laisser la voie à la démocratie qui ne peut qu'être allergique à toute qualification. Proposer, ce serait confronter une question à une autre question. Epluchons tout d'abord les questions faussées, ombres éternellement mystificatrices. Ensuite, détordons ce qui est admis, acquis et réinventé! Seulement, dire demeure un acte réduit si le faire n'en dérive pas. Enfin, «al arabi» doit disparaître au moment où il apparaît seul car ce n'est pas juste, comme l'aurait été l'appellation «Al Maghrib al amazighi»… Sachons par conséquent que l'Histoire et l'Etre coexistent, au sein de toute société, de façon harmonieuse; si on les dissocie, c'est pour mettre en relief l'idéologique (par le biais de l'adjectivisation) aux dépens de l'essence primordiale et impénétrable. En conclusion, chasser sauvagement le passé, il revient au grand galop. Ce doit être les remous de l'Histoire à venir de l'Afrique du Nord. Sachons maintenant que derrière tout non-sens il y a un sens. L'au-delà de ces adjectifs (où nous lisons l'exclusion explicite de l'amazighité) montre la réalité suivante: les arabistes mettent en application leur projet fasciste, et Imazighen subissent pusillanimes la mort physique dans les textes. Afin de décrire cette situation complexe créée par cette adjectivisation eugénique, il serait juste de dire ce qu'ont toujours dit nos aïeux sous forme de proverbe: «Mucc n barra yessuffugh wenni n taddart!»(3) qui convient parfaitement à cette épithétisation idéologique ou à cette qualification d'exclusion de l'amazighité de la Grande Mauritanie(4) H. Banhakeia.
NOTES
(1) En français, nous ne savons pas pour quelle raison sacrée, «al maghreb al arabi» devient «Le Maghreb» tout court! (2) UMA englobe la Mauritanie, le Maroc, l'Algérie, la Tunisie et la Libye. Par un simple jeu de mots ou par traduction issue du hasard objectif, UMA veut dire en tamazight: Mon frère. Ceci ne devient pas un effet de hasard, mais une dérision objective: la fraternité qui meut les cœurs des Imazighen vis-à-vis des arabes, se trouve récompensée par de l'exclusion totale. (3) Traduction: «Le chat étranger chasse de la maison le chat domestique (de chez lui)» (4) Pourquoi n'ont-ils pas nommé cette UMA, Grande Mauritanie ou mieux encore Grande Libye. Par ce nom, il y aurait une réconciliation avec l'Histoire, d'autant plus que la Mauritanie et la Libye font partie de cette Union. Par ailleurs, la Mauritanie et la Libye, par une action consciente mais arabiste se définissent comme République arabe et islamique, et République Grandiose arabe et islamique respectivement. De quelle grandeur s'agit-il? Grandeur à changer de nom. Que dire des constitutions? Des mass-média? Des intellectuels? Car l'Histoire de cette partie du monde dérange par son appartenance à l'amazighité...
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