uïïun  177, 

ynyur 2962

  (Janvier  2012)

Amezwaru

 (Page d'accueil) 

Tamazight

tamaskalt n usmnäw n "lirkam", tanbaät tra ad t tsmmt

Arrud n wmrabdv

Awrir

Azul amqran

Tazizawt

Nra ad angh ttut a yawal

Français

Elections du 25 novembre: les vrais enjeux

Les xénophobes peuvent-ils être de vrais musulmans?

Corippe et l'éloge de l'erreur

العربية

بدل دسترة ليركام هناك اتجاه لإلغائه

إيمازيغن في متخيل المستعمر

ردا على العثماني بخصوص المرجعية الإسلامية

بنكيران يعيش خارج السياق الراهن

حول مستقبل الأمازيغية مع المصباحيين

البعد الفانطيسطيكي في مسرحية محمد بزكّو

قراءة في مسرحية أودم ن تيسيت

بيان المرصد الأمازيغي

الشعر الأمازيغي يصدح بقلعة مكونة

فعاليات ملتقى بويزكران للثقافة الشفوية

بلاغ الجمعية المغربية لحقوق الإنسان بالحسيمة

بيان الحركة الأمازيغية بأكادير

بيان الحركة الأمازيغية بوسط المغرب

بيان منظمة تاماينوت

بيان المؤتمر الدولي للشباب الأمازيغي

 

 

 

 

CORIPPE ET L’ÉLOGE DE L’ERREUR (2ème partie)

Par: Hassan Banhakeia (Université de Nador)

iii.- avilissement de la religion nord-africaine

cette bataille est une guerre entre deux systèmes, deux cultures, deux visions du monde. les byzantins sont des pacificateurs. par contre, les autochtones ont une tradition guerrière qui perdure à travers le temps. aucun élément de cette culture n’est rapporté positivement par le poème. corippe s’attaque au nom d’identité, à la tradition et aux dieux pour déprécier la culture de l’autre.

s’agissant d’une guerre entre byzantins et tribus amazighes, c’est bien le rituel qui sera fortement critiqué. le commencement de la bataille se fait par des youyous: «là retentit le cri des guerriers, là s’élève le hennissement furieux des coursiers. les femmes frappent l’air de leurs hurlements aigus.» (ii) ce rituel est vidé de ses portées symboliques: les cris du sacrifice ne sont que du bourdonnement...

en fait, le «portrait» du maure guerrier est dressé avec minutie: «les maures ne couvrent point leurs bras des manches d’une tunique; le ceinturon garni de la boucle n’entoure point leurs flancs; leurs hordes farouches marchent au combat la tunique flottante et portent deux lances armées d’un fer puissant; un javelot redoutable attaché à leur corps grêle pend depuis leurs épaules: un voile de lin entoure leur tête hideuse, retenu par un nœud solide, et leur pied noir s’appuie sur la grossière chaussure du pays des maures.» bien qu’esquissée d’un ton dépréciatif, une telle description vestimentaire est intéressante à analyser. apparaissent alors les arts, les industries et les cultes de ces maures farouches.

les imazighen sont de bons chevaliers, et armés de lance,  ils sont «de redoutables guerriers». ils s’arment d’une «double lance, faite de genévrier solide, est armée d’un fer aigu.», d’un «bouclier léger» et d’un «glaive meurtrier»… cela dénote l’existence d’une industrie locale, notamment le travail des métaux et des armes. ces outils, bien faits, produisent de la terreur auprès des troupes byzantines.

en plus de cette industrie «lourde», l’afrique du nord possède une agriculture foisonnante. l’amazigh de vadis arrive à développer l’art de bien exploiter les terres: «le maure de vadis, adonné au labourage, qui deux fois pendant les tièdes années récolte ses moissons, qui deux fois l’an recueille les gerbes de son orge, déchaîne ses fureurs dans des contrées arides que brûle le soleil. en lui quel amour du pillage! il supporte l’ardeur dévorante du soleil, la faim, la chaleur du sol et la soif, poussé par la passion de la guerre, par le désir d’un gain honteux.» de quelle partie de l’afrique est ce maure? vadis n’est-il pas badis (rif)? précisément, comment peut-il cet amazigh piller s’il vit sur des terres surabondantes en moissons?

ni les dieux, ni les marques de l’identité n’échappent pas à cette critique impartiale. le propos de ce poème n’est pas seulement d’avilir la culture nord-africaine, mais de proposer la tradition romaine comme la seule capable d’amoindrir cet avilissement propre aux africains, et de faire de l’aliénation une voie royale – peut-être une sorte d’explication de sa propre aliénation.

le polythéisme nord-africain est mis en dérision par les auteurs étrangers. pour corippe, à l’instar des imazighen, ces dieux sont perfides. «c’est par ces tromperies que le perfide ammon abuse les massyles, et sous un voile obscur cachant la vérité il prépare ses perfidies.» (v) cette perfidie, de nature générale, a alors une origine «spirituelle»: le culte d’un dieu perfide, peut-être un défi au grand zeus.

dans cette religion nord-africaine, l’auteur réserve à ammon une place particulière, l’identifiant comme un dieu vil et sanguinaire. il est constamment mis à nu, et vidé de sa sacralité. il est dit: «ammon, le dieu orné de cornes» (v) si l’oracle d’ammon est un appel recherché par tous les imazighen, il y a de l’appréhension chez les byzantins quand il y a prémonition d’une victoire. «dans son égarement, le barbare trop confiant dans des oracles trompeurs se prépare à la guerre. le bruit se répand qu’ammon a promis aux maures l’empire souverain.» (v) les tribus, depuis «les bords du nil» jusqu’à la maurétanie, sont unies par l’oracle. elles croient fermement en un seul dieu. cet ammon serait comparable à zeus, et au christ des byzantins.

selon corippe, ces tribus invoquent des dieux faux: «partout les barbares dressent des autels et prient leurs trompeuses divinités. ils poussent les victimes auprès des autels, le sang des animaux infortunés coule à longs flots à travers le gazon. les uns sacrifient à gurzil; nombreux sont ceux qui immolent des victimes à ammon, orné de cornes; ceux-ci honorent sinifer, que le mazace invoque au lieu de mars et qu’il considère comme l’arbitre des combats; ceux-là reconnaissent mastiman. sous ce nom, les barbares désignent jupiter tenarien, monstre en l’honneur duquel coule à flots le sang des victimes humaines. crime affreux! des gémissements lamentables partout frappent les airs, partout des cris retentissent. le prêtre enfonce le fer dans la gorge des victimes; à grands cris il appelle la divinité, il la conjure de quitter le séjour des ombres incertaines et de revenir à la lumière du jour. alors, selon l’usage païen, il arrache les entrailles des animaux et interroge les destinées. mais la divinité garde le secret de l’avenir; les dieux restent sourds aux incantations, et le prêtre ne rend point d’oracles.» (viii) ce rituel est présenté comme une initiation barbare: les humains sont maltraités, sacrifiés, terrorisés pour la gloire de dieux «affreux». et il y a alors lieu à l’ironie. n’y a-t-il pas là une référence au déclin du christianisme nord-africain? autrement dit, le paganisme «local» commence à reprendre le droit sur la religion «importée»…

mis en déroute, le chef ierna portant avec lui l’effigie d’un autre dieu: gurzil (1) dieu protecteur pour ces barbares, assoiffés de victoire: «alors partout l’écho répète les clameurs des barbares et reproduit leurs cris variés. (…) là retentit le nom de gurzil, et les anfractuosités des rochers redisent le nom de gurzil. d’un autre côté, l’armée romaine, frappant l’air de ses cris, fait entendre un bruit puissant qui se répercute à travers les cavernes des montagnes. un nom auguste retentit, c’est le nom du christ qu’on invoque» (iv) les dieux soulagent le combattant qui se sacrifie pour la terre. et corippe de lui opposer le christ qui, en seigneur, inonde cavernes et montagnes.

la johannide explicite le rituel de l’adoration. il y a surtout de la danse berbère lors du sacrifice: «a peine le taureau farouche, frappé au front de la hache à deux tranchants, a-t-il succombé, qu’aussitôt la prêtresse sinistre saisit dans ses mains le tambour retentissant et en proie au délire bondit autour des autels en poussant de grands cris. sa tête s’agite, ses yeux sont pleins de flammes, ses cheveux se dressent sur son front, et la rougeur répandue sur son visage atteste la présence du dieu. tantôt la pâleur marbre ses joues, tantôt elle roule les yeux, tantôt elle agite la tête en frémissant dans tout son être, en proie à une exaltation funeste. alors, tandis qu’elle est pleine du souffle de la divinité, elle contemple de ses yeux ardents la lune qui en cette nuit brille au sommet du ciel et interroge avec soin la destinée. son corps est brûlant, sa respiration haletante; sa bouche s’entrouvre; elle pâlit, rougit, elle est tour à tour brûlante et glacée tandis qu’elle cherche à connaître les secrets du destin. enfin, de sa bouche cruelle sa voix odieuse révèle les mystères de l’avenir: «l’ilague vainqueur, après un combat acharné, jettera le désordre parmi les latins. eternellement le mazace occupera les plaines de byzacène. alors régnera la paix bienfaisante. carcasan, pénétrant à travers les portes tout ouvertes dans la citadelle élevée de carthage, s’avancera majestueux à travers la ville, au milieu du concours du peuple. l’africain contemplera son visage terrible. a son approche la foule accourra, portant des lauriers et des palmes. carthage recevra chez tous les peuples le titre de cité glorieuse. carcasan, par la terreur attachée à son nom, soumettra les peuples indomptables, et la paix sera chère à toutes les nations. «» (v) les idées de la violence et de la cruauté substituent le sacré, et l’emplissent de significations «anthropophages».

iv.- portrait amazighs

cette œuvre poétique met en scène différents personnages historiques africains, appartenant aux deux bords: ceux qui résistent à la reconquête, et ceux qui se rallient sans condition aux byzantins. corippe reconnaît la difficulté de sa tâche à citer les chefs militaires et les tribus. «quel poète, par un art nouveau, pourrait disposer avec ordre pour moi les noms de tant de peuples, de nations et de combats divers?» (ii) le poète cite continûment les chefs amazighs: siclifas, aor, naffur, silcadenit, ilasgue, austur, ierna, ifuac… et à chacun il fait correspondre une qualité. le poète se plaît à conférer au premier groupe des qualificatifs dépréciatifs, et au second des qualités positives.

en général, ces indications sont pauvres, et tendent plus à obscurcir le portrait. par exemple, dans le premier chant, l’auteur énumère la cruauté des chefs «barbares». «la troisième partie du monde, l’afrique entière, périt au milieu des flammes et de la fumée des incendies.» (i) et si ces chefs remportent des victoires, l’auteur a toutes les raisons de s’irriter et de les nommer: «ces brigands» connaissent les bons services de la fortune. «souvent la fortune, irritée contre les hommes vertueux, seconde les criminels.» (ii) les résistants, les martyrs et les patriotes sont des criminels, et le poète de décrier leur survie-résistance. par contre, les mercenaires et les agents de byzance sont à louer…

cette inversion est systématique dans le jugement fait, des actes et des personnes. si au maître le positif est naturellement attaché, au barbare non seulement rien de positif n’est réservé, mais surtout tout ce qui est relatif à sa personne se traduit négativement.

ce recueil poétique est fort probablement l’un des derniers textes à parler des imazighen avant l’avènement de l’islam. les maures sont décrits ainsi: «ces hommes au visage bronzé» (iv) les noms amazighs abondent aussi dans le texte: merasgus, suartifas, montana, gamasdrus, mauritalan, sangin, sidafen, madden, magargun, taden, meilan, ariarith, fugen, mestan, altiseran, zambre, ialdan, tusdrun, arcan, nados, ilan, cullen, ilungun, meuzzen, laltin, mificus, antifas, arzen, mestan, iten, tizen… par ailleurs, dans la formation de ces noms il y a parfois coïncidence entre le qualificatif et le nom (antifas (tifesi, célérité), d’autres fois la forme participale (i—n)…

ces autochtones ont des femmes laides, mais qui peuvent être prises comme butin vivant. elles ne portent pas de nom, mais apparaissent comme l’aspect vil des hommes: «on se plait à voir les maures captives qui, le front tatoué, sont assises sans crainte sur le dos élevé des chameaux et tiennent pendus à leur mamelle leurs petits enfants qu’elles entourent de leurs bras et soutiennent au-dessus des bagages et des langes du berceau. hélas! mères infortunées! leur visage affligé témoigne de leur angoisse, mais leur cœur est impie. bientôt elles vont servir d’esclaves aux mères africaines naguère en deuil. leur cœur impie a connu la douleur, et le malheur a fait naitre en elles le repentir; elles ont compris combien la guerre est un fléau redoutable: elles accusent les oracles et les dieux. toutes les captives n’ont pas un teint pareil. l’une, au visage hideux, est assise au milieu de ses enfants noirs comme elle; ainsi l’on voit les petits des corbeaux déjà couverts d’un noir plumage; la mère, penchée sur eux, de son bec leur présente la nourriture accoutumée et les caresse et les enveloppe de ses ailes ouvertes.» (v) l’auteur lit dans les pensées de femmes leur acquiescement de la colonisation des forts, et leur révolte contre les dieux «menteurs». les marques de tatouage, de pondeuse, de bestialité, de saleté et d’impiété font de cette personne un être à haïr. elle est comparée à un corbeau! dans l’image de la femme, il faut lire l’origine, l’identité, et ces dévalorisations sont alors à rattacher à la «race» africaine.

1.- cusina, le dit vaillant autochtone

en effet, mercenaires et informateurs sont loués dans le poème. a leur tête vient cusina en grand guerrier. a travers les écrits de procope et de corippe, il demeure un personnage problématique. (2) il est fidèle aux romains, investi par la confiance des massyliens. corippe précise: «romain par les sentiments et presque par le sang, il est doux de caractère et d’une gravité toute latine; aucun guerrier n’eût pu l’égaler dans l’art de lancer le javelot et par la vaillance, ni adon, cher à vénus, ni le vaillant achille.» (iv) cusina est fier de se romaniser, il rêve de devenir un citoyen, et à l’auteur d’en faire un demi-dieu.

corippe va jusqu’à lui accorder des origines «romaines»: «ailleurs cuzina, uni aux romains par les liens du sang et la fidélité, massacre les escadrons ennemis. le sang à flots ruisselle sur ses armes, et sous ses coups multipliés les cadavres des maures jonchent les vastes plaines.» (iv) ces ennemis sont ses propres confrères, et il excelle dans l’art de les massacrer. de tels exploits expliquent peu ou prou sa romanité. par ailleurs, lors de la réunion des troupes par jean, l’on parle non seulement de fusion, mais de l’ample «possibilité» des africains à être romains…(3)

en fait, les mercenaires vont de père en fils, comme une saga de fidèles aux maîtres. nous avons l’exemple d’ifisdaias et son fils bitiptès. (iv) le premier, malgré son alliance avec les byzantins, entretient une mauvaise relation avec l’autre chef amazigh mercenaire. entre mercenaires, plaire au maître est une affaire primordiale, et sujet de jalousie... et il revient au maître de déterminer lequel meriterait confiance et par conséquent de positiver une telle inimitié consanguine.(4)

cusina est la personne la plus louée de tous les indigènes. il obéit aux ordres de jean. (5) «le vaillant cutzinas a fait prendre les armes à trente chefs soumis à-son autorité, et bien que chacun d’eux soit suivi de mille guerriers, il est fier d’exercer le commandement, au milieu de sa garde de soldats romains que le plus grand prince de l’univers lui a donnés pour lui servir d’escorte en temps de paix et d’auxiliaires dans les combats.» cusina est assisté par les chefs autochtones: ifisdaias, iaudas, bezina… tout le monde est au service d’un général qui ne se lasse de défier les soldats désespérés. certes, les mercenaires manquent parfois de courage, par opposition à un jean magnanime et vaillant: «déjà l’armée fidèle des maures fuyait dans la plaine ; déjà le laguante triomphait. putzintulus et avec lui cutzinas et geinrith, vaincus, se retiraient. tout à coup ils aperçoivent les étendards de jean, qui s’approche, et retrouvant leur ardeur ils tournent promptement le cou flexible des coursiers et reprennent courageusement la lutte.» (viii) fidèle, ici, est synonyme de mercenaire. et ce guerrier, qui était plus ardent qu’achille, apparaît vaincu, mais l’apparition du grand jean lui fait retrouver les forces pour résister aux assauts maures.

2.- les dits mechants autochtones

les patriotes et les résistants sont décrits comme des guerriers perfides. cette perfidie n’est-elle pas signe de leur courage, résistance et acharnement? le poète ne les ménage point, s’attaquant à leur amour de la terre, le nationalisme. a la tête de ces méchants autochtones se trouve le chef antalas. sur la personne de ce guerrier de byzacène (tunisie), dit aguellid des «maures», qui dirige le soulèvement des tribus à la fin du règne vandale, corippe va lui octroyer «une place prépondérante dès le début du vie siècle alors que procope ne l’évoque que tardivement et sans lui donner une importance particulière avant 544.» (6) qui a bien raison l’historien nord-africain ou l’historien byzantin, auteur de guerre vandale? les deux textes vont dans le sens de dénigrer toute aspiration à l’indépendance…

la haine de l’auteur envers antalas est incommensurable dans l’épopée: «tandis que je rappelle le nom de ce tyran néfaste, une douleur plus vive s’élève du fond de mon cœur et me trouble au plus profond de mon être. mon esprit ému hésite à rappeler le trépas de tant de chefs, les malheurs de ceux qui me sont chers, et les miens propres.» (iv) le texte maudit la personne du chef amazigh, tout au moins en n’éclairant point le lecteur de ses intentions et de ses projets... il n’a pas droit à la parole, autrement dit le lecteur méconnaît les desseins d’antalas.

le même géniteur d’antalas est la source du mal: «c’est de nos rivages qu’est partie la révolte qui s’est répandue dans tout l’univers. guenfan est l’auteur funeste de tous nos maux: guenfan, père du farouche antalas.» la révolte est universelle, depuis la perse jusqu’en afrique, ayant pour cible l’empire tyrannique… comment guenfan et antalas peuvent-ils engendrer un tel mouvement? en outre, précise l’auteur, durant l’enfance, antalas était un bébé fatidiquement cruel, (7) et durant sa formation de jeune homme il fait montre d’une terrible âme maléfique…

la peste laisse antalas découragé au moment d’entreprendre la vengeance de son frère. il a peur de la contagion. (ii) cela montre son pragmatisme, voire son intelligence à combattre. la guerre ne commence qu’après la fin de l’épidémie: «aussitôt que le fléau eut cessé, la guerre s’alluma et le chef pousse au combat ses redoutables bataillons. il envoie des messagers jusqu’au fond de l’aride libye, dans ces contrées que le soleil autrefois avait desséchées de ses ardents rayons lorsque phaéton tomba atteint de la foudre; il donne ses ordres à ces peuples néfastes et déchaine les malheurs sur nos rivages. déjà les barbares farouches se répandent dans les contrées de libye. partout le soldat ravisseur livré à sa fureur parcourt nos terres, pillant les maisons, les incendiant, promenant la flamme à travers les cités.» (ii) les oppositions ici vs ailleurs, autochtone vs étranger, colonisateur vs colonisé sont ignorées par le poète. les actes de résistance sont de la violence et de la cruauté. l’historien multiplie étrangement les anecdotes sur la barbarie et la rapine d’antalas. par exemple, il écorche un animal et le dévore comme un fauve (ii), et il se plaît à attaquer aux troupes vandales (ii)…

quand les romains proposent une paix «envenimée» aux troupes d’antalas, sa réponse à l’émissaire est simple: «elle m’est trop bien connue, cette foi romaine que vous venez de violer! qu’on n’espère pas désormais tromper antalas. il suffit qu’une fois un arménien l’ait fait. tu me parles avec artifice de votre amitié pour moi. n’étais-je pas aussi votre ami? n’ai-je pas souvent combattu avec vous? n’ai-je pas fait la guerre sous vos ordres? n’ai-je pas, enfin, romain, lutté pour vos généraux? j’en atteste notre nation si fidèle, j’en atteste ton sang, ô mon frère guarizil, versé par l’ordre d’un chef injuste» (iv) il refuse la paix des byzantins. ici, nous avons l’idéologie du chef amazigh, mais aussi un rappel du refus de ces tractations absurdes sur l’occupation de sa nation…

néanmoins, lors du combat, antalas apparaît un guerrier lâche. il dénigre les mercenaires. et il sait éclairer ses lieutenants à propos de l’ennemi romain: « si tu veux vaincre les romains, puissant général, écoute attentivement les avis salutaires que tu dois suivre. ce n’est pas ici qu’il te faut combattre. le romain est encore vaillant, ses défaites loin de l’abattre n’ont fait que l’irriter, il combattra avec furie. tu ne saurais avec tes soldats supporter l’élan de ces troupes pleines d’ardeur ni l’opposer à la marche des latins avant que la famine ne les décime. lève ton camp et fais croire à la fuite. leur immense armée nous poursuivra dans notre retraite. tous les champs encore verts vont être foulés par nous. l’ennemi ne trouvera plus rien: il se dispersera ou mourra de faim. si tu tentes alors de combattre tu vaincras, et la faim et le fer viendront à bout des vaincus.» (vi) ces tactiques, lancées pour carcasan, mettent en relief l’intelligence et la perfidie des autochtones quand ils s’affrontent aux romains.

l’autre grand chef autochtone est bien guntarith. il est également doté d’un portrait exécrable: «voici que par un nouveau crime, guntharith, cet homme pervers et méchant, ce traître, ce misérable, cet homme abominable, cet esprit stupide, cet adultère, ce brigand, cet homicide, ce voleur, cet artisan détestable de complots, s’attaque lâchement à l’improviste au gouverneur. il l’accable par surprise et le trahit malgré ses serments. insensible au respect que l’on doit à un prince glorieux, il ne craint point de déclarer la guerre et d’usurper le titre de roi.» (iv) l’auteur se plaît à noircir ce portrait pour atténuer la colère qu’il a provoquée dans le cœur des romains. l’énumération des adjectifs dépréciatifs traduit ainsi l’intensité de la rancune vis-à-vis du résistant.

quelle serait l’explication d’une telle haine? c’est bien guntarith qui trahit solomon: «déjà le dernier jour était venu pour notre pays; déjà la destinée allait achever la ruine de la libye. solomon, intrépide et plein de confiance en ses soldats, s’avance eu combattant au milieu des forêts. (…) l’odieux guntharith jeta le désordre dans nos rangs. a lui seul il fut donné d’anéantir la puissance de rome. il ne cédait point à la fortune ou à l’ennemi menaçant, ce n’était point la crainte qui le poussait. ce fut dans une pensée haineuse qu’il tourna le dos et s’enfuit. a la vue du chef en déroute, l’armée entière le suit et abandonne sur le champ de bataille le général qui continue la lutte autour des retranchements.» (ii) l’auteur ne peut pas oublier une telle déroute de byzance. ce doit également expliquer la méfiance de jean vis-à-vis des alliés autochtones.

le troisième homme fort est carcasan, le guerrier des syrtes. les chefs rappellent qu’il est l’homme élu des tribus, et qu’ils attendent sa vengeance face à ces occupants. bruten, l’un des chefs, s’adresse à carcasan en ces termes: «quel sera notre renom parmi les tribus de notre race, si le vaste univers apprend que l’outrage fait à notre nom par la défaite est resté sans vengeance? (…) tu es la gloire de notre race, en toi brille le courage, en toi les maures ont placé leurs plus fermes espérances. «(v) certes, les louanges sont rapportées dans un ton ironique, mais il y a une part de vérité: l’alliance est forte face à la reconquête.

en ces temps de défaite, carcasan sait comment s’adresser à des soldats affligés pour leur inoculer de l’enthousiasme: «soldats indomptables, je n’aurais jamais pensé voir un jour les maures ainsi abattus. (…) c’est une honte et un crime indigne que de renoncer à la lutte après une défaite. les dieux ne nous ont point abandonnés dans ces plaines en nous refusant tout appui. telle n’est point la volonté d’ammon, ni celle de gurzil, indigné de voir sa divinité outragée.» (v) la foi en les dieux païens est immense. (8) ainsi vont obéir les combattants, le suivre pour remporter des victoires. ses paroles sont rapportées par le poète où il montre que les tribus sont indomptables. (9)

confrontés à la peine capitale, ses soldats lui portent la même vénération: «carcasan est le chef vaillant qui nous commande. c’est en ce général que nous avons placé nos plus fermes espérances de domination et ces espérances sont certaines: tels sont en effet les oracles d’ammon, le dieu qui révèle l’avenir: il a promis aux maures nos frères la conquête des champs de byzacène ; carcasan s’avancera fièrement parmi les peuples de la libye et rendra la paix au monde. ces paroles d’ammon inspirées par bellone ont poussé de nouveau vers vos contrées d’innombrables tribus, et leur chef s’est senti pris du désir de te combattre. mais guenfen a modifié les volontés du héros, il le pousse à différer la bataille et par un conseil profond il le dissuade de combattre. et ces soldats que tu crois maintenant en fuite, ce n’est pas la crainte qui les pousse et les fait trembler devant ton armée vaincue. c’est pour épuiser votre armée par la famine qu’ils ont simulé la fuite et par cet artifice ils vous préparent de durs labeurs. garde-loi de croire que nos armées puissent jamais fuir, même si ton prince venait et qu’il épuisât l’univers entier de soldats pour les mener au combat. maximien n’essaya pas deux fois de lutter contre nous en bataille rangée, bien qu’il régnât sur le peuple romain et qu’il visitât en vainqueur, semant partout la guerre, les peuples de l’afrique. et puisque ammon, qui n’a jamais menti, promet par ses oracles le succès à nos armes, penses-tu que le laguante cède devant tes étendards ou s’enfuie? tu le souhaiterais sans doute, chef cruel, mais ta destinée ne le permet pas ainsi.»» (vi) pour leur amour de carcasan, les cinq prisonniers vont être pendus.

le poète fait une description cynique de la mort de carcasan. il est blessé: «le sang qui coule de la blessure ruisselle sur les armes et inonde les vêtements du héros. aussitôt, les belliqueux marmarides, voyant leur chef mort, prennent la fuite en désordre ; déjà, plus aucun soldat n’ose lancer de traits contre les romains; les coursiers, que pressent les cavaliers, s’enfuient à toute bride. le nasamon ne cherche plus son salut dans ses coups: cavaliers et fantassins, pêle-mêle, s’enfuient à travers les vastes plaines et courent au trépas.» (viii) cette mort va être la défaite de toutes les tribus. force est de rappeler que ce personnage historique aura, fort probablement, la même importance qu’antalas dans cette épopée.

a partir de ce poème, nous pouvons imaginer dans quelles conditions s’est faite non seulement la reconquête, mais aussi l’occupation des musulmans de l’afrique: l’afrique du nord est complètement détruite, et les tribus décimées. il y a étouffement d’une renaissance, et les romains réussissent à expulser les tribus amazighes vers la non-civilisation,(10) à la conditionner davantage à la dépendance.

cette guerre continue dans ses différents plans d’un même schéma. et l’orient et l’occident se trouvent anoblis et idéalisés par erreur, face à une afrique du nord taxée de tous les préjugés possibles puisqu’elle souffre de ne pas avoir une place propre…

notes

(1) «seul un cavalier court, dépouillé de ses armes dans les vastes plaines. c’est le farouche ierna qui s’enfuit abattu, portant avec lui l’effigie horrible de son dieu gurzil. il a cru pouvoir trouver son salut dans la protection du dieu l’infortuné n’a fait qu’alourdir et ralentir par son fardeau la marche de son coursier et attirer sur lui-même le trépas. insensé, quel est donc ce dieu que tu honores, quel secours a-t-il prêté à ton peuple, quelle consolation t’a-t-il donnée dans la défaite, puisque tu succombes à la mort et que ton idole est brisée par l’ennemi, que le métal brillant qui la forme se fond sous l’effort de la flamme?» (iv)

(2) ibid

«la carrière de cusina est certainement un des principaux points de désaccord entre corippe et procope. pour le poète latin, cusina a toujours été l’allié de l’empire, alors que le récit de procope laisse entrevoir une évolution beaucoup plus tortueuse. en 534-535, corippe passe sous silence la révole du chef maure ; procope le cite aux côtés des révoltés en byzance et insiste sur sa participation aux deux soulèvements successifs. de même, en 546, lors de l’insurrection générale des tribus, la johannide ne signale pas l’alliance, temporaire mais réelle, de cusina avec antalas et leur marche commune sur carthage. par contre, corippe ne manque pas de mentionner la présence de ce même cusina aux côtés de solomon en 544, présence d’autant plus remarquable qu’elle est complètement inconnue de procope qui indique seulement des renforts byzantins pour le général de justinien.» (p.202)

(3) «la troupe des massyles, alliés de rome, se réunissent et se mêlent aux latins si étroitement qu’on les eût pris pour des romains au cœur vaillant. c’est l’affection qu’ils portent au général, c’est la crainte qu’il inspire qui les pousse à se ranger en foule dans la plaine. au costume on reconnaît les peuples de même race. les uns portent la tunique couverte de fer; les autres, les bras nus, sont vêtus de pourpre rehaussée de vives couleurs; ceux-ci ont pour se défendre le bouclier large, ceux-là le bouclier rond. le soldat romain porte le casque élevé ; autour du front du maure s’enroule le voile qui couvre sa tête ; d’autres guerriers, rejetant en arrière leurs longs cheveux, le genou ployé, s’appuient sur leurs deux javelots ou tiennent enfoncée dans la terre leur lance solide.» (viii)

(4) «le farouche ifisdaïas et le fidèle cutzinas, poussés par une haine réciproque, avaient déjà commencé à en venir aux mains. a la pensée de combattre, leurs cœurs farouches où la jalousie aiguillonnait la colère s’enflammaient d’une haine mutuelle. le général ordonne à jean de rétablir l’harmonie entre tous deux, d’apaiser leur colère et d’amener leurs troupes au secours de l’etat.» (vi)

(5) «si l’amour de rome a disparu de votre cœur à ce point, voilà avec quels soldats je continuerai désormais la guerre. cutzinas, notre vaillant et fidèle allié, ses soldats, nos gardes, nos officiers combattront avec moi! quant à vous, lâches soldats, quittez le camp. allez! que cutzinas vienne établir ici son camp, que notre fidèle ifisdaias se transporte à la tête de ses troupes, ainsi que bezina et les soldats agiles de iaudas, notre serviteur. «» (viii)

(6) yves modéran, «corippe et l’occupation byzantine de l’afrique: pour une nouvelle lecture de la johannide», pp.195-212, in antiquités africaines, 22, 1986, p.197

(7) «antalas est encore en bas âge et ses lèvres cruelles ont à peine touché le sein maternel, qu’à l’instigation de mégère en fureur une nouvelle se répand, pleine de menaces pour l’avenir. on apprend que guenfan s’est dirigé vers le temple trompeur d’ammon ; là, pour connaitre la destinée de son fils impie, il offre, suivant l’usage païen, un horrible sacrifice à jupiter. puis, gagnant l’autel funeste d’apollon, il consulte le trépied et le laurier sacré du dieu. le sang funèbre des victimes coule sur les autels affreux ; la prêtresse ornée de bandelettes immole, pour connaitre l’avenir, des animaux de toute espèce. dans les entrailles qu’elle saisit elle observe avec soin et interroge les fibres nombreuses; puis elle place les chairs sur les flammes qui ne s’éteignent jamais. alors, farouche et égarée, en proie à une subite fureur, elle s’enfonce elle-même dans les chairs des poignards. un sang abondant coule de son corps; elle redouble les blessures et les coups. ses cheveux se hérissent. elle bondit et roule des yeux étincelants. elle s’élance en tournant sur elle-même et son corps se balance d’une façon terrible. une ardente rougeur couvre son visage animé par le souffle de la divinité. sa tête et ses cheveux s’agitent en tous sens et s’inclinent alternativement sur chacune de ses épaules. du fond de sa poitrine sortent des sons rauques; elle laisse échapper des murmures confus, des mots inarticulés, et des soupirs agitent son sein gonflé. ainsi vulcain debout près du brasier qui s’allume, à l’aide du soufflet rassemble habilement le souffle impétueux du vent, et excitant la flamme, il pousse l’air sonore, soulevant dans la fournaise un tourbillon incessant. alors la prophétesse, dévoilant un avenir plein de crimes, prononce ces paroles impies: les destins, guenfan, veulent à la fois la ruine des vandales et de la libye et délient les maures du joug. lorsque ton fils antalas aura grandi, la fureur et la haine, armées de leur flambeau funeste, jetteront l’épouvante dans l’univers. déjà tisiphone déchaînée agite avec fureur ses serpents entrelacés; ses cheveux hérissés se sont dressés sur son front; son visage est souillé de noirs venins, ses yeux et sa langue au triple dard corrompent l’atmosphère; ses tempes sont couvertes d’un sang affreux. je vois le sang vandale couler en ruisseaux du haut des monts. voici que les villes de libye sont la proie des flammes, voici que l’ennemi pille les peuples épuisés et enferme le fruit de ses rapines. pourquoi, ô dieux, pourquoi méditer de si terribles bouleversements! tout est en proie au désordre. pourquoi accroître ainsi la puissance des maures? voici que de nouveau ils succombent. pourquoi en si peu de temps vous attirer la ruine par votre indomptable courage? ton fils sera le soutien et la perte de peuples nombreux. les temps amèneront dans leur cours des fortunes diverses. l’afrique accablée invoquera le secours de son créateur, du dieu qu’elle révère et que seuls peuvent connaitre ceux qui en sont dignes. le souverain puissant de l’empire romain envoie vers nos contrées les forces de l’orient. voici que ses flottes jettent la terreur dans l’univers entier. déjà ton fils indomptable tremble, saisi d’une subite terreur à l’approche des navires; déjà aussi il supporte le joug avec impatience, il cède au nombre des ennemis, mais il brûle du désir de rompre des liens que son cou refuse de porter, et brisant ses chaînes, voici que de nouveau il recommence la guerre. les peuples accourent à lui en foule et un simple enfant s’élance à la conquête de l’univers. mais à quoi sert-il que tant de nations vouées déjà au trépas accourent du fond de l’orient? a quoi sert à ton fils de s’élever si haut, pour succomber ensuite sur nos terres? le voilà qui s’éloigne chargé de dépouilles, et lorsque après une longue absence il revient, c’est pour inonder de notre sang les plaines.» (i)

(8) «le général ennemi, pensant que les déserts offriront à ses troupes une position solide et sûre, rétablit les images des dieux et ses enseignes, et à la tête de son armée qu’il amène des contrées les plus lointaines, plein d’une ardeur nouvelle il marche au-devant de l’ennemi. (…) c’est ainsi que carcasan vaincu reconstitue son armée qu’il tire des syrtes sa patrie.» (v)

(9) «carcasan, voyant de loin se former un nuage de poussière, appelle aussitôt à lui ses nasamons et par ces paroles raffermit leurs cœurs tremblants: «peuples indomptables, dont le courage éprouvé m’a poussé à attaquer les armées romaines, le jour fameux est venu où ammon au front orné de cornes vous donnera selon sa promesse cette terre que les destins vous réservent. (…) des divinités puissantes vous protègent; une victoire assurée vous attend: croyez, soldats, en mes paroles.»» (v)

(10) moderan, yves, «de julius honorius à corippus: la réapparition des maures au maghreb oriental», in comptes-rendus des séances de l’académie des inscriptions et belles-lettres, 147e année, n° 1, 2003. pp. 257-285., p.271

 

 

 

 

 

Copyright 2002 Tawiza. All rights reserved.

Free Web Hosting