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la religion de Tertullien ou L’Expérience de l’Aliénation et de l’Absurde (2ème partie)

Par: Hassan Banhakeia (Université de Nador)

C.- La Nature et l’Ame sont Corrélées au Divin
Afin de se rapprocher de la foi chrétienne, l’écrivain fait une description de la nature qui prétend se verser amplement dans le scientifique: tout explique tout ou tout peut expliquer tout. Mais à partir de cette description il quête fondamentalement à créer les qualités du bon Chrétien, en faisant des éléments positifs de la nature les vertus du croyant, et des désastres, il en dresse des correspondances avec le païen, l’athée, l’agnostique...
Dans le traité De l’Ame, l’auteur s’oppose aux matérialistes pour affirmer que l’âme n’est pas tirée de la matière. Elle n’est pas physique, ni corporelle. Elle n’est pas animée, non plus inanimée: «toujours occupée et agissante par la perpétuité du mouvement, ce qui est une preuve de sa divinité et de son immortalité.» (De l’Ame, XLV) L’auteur chrétien explique l’origine de l’âme, sa nature, ses rapports avec le physique. L’âme provient ainsi de Dieu. Elle est un souffle divin, existant selon la volonté divine. Elle est simple, indivisible, figurée à l’image de dieu qui est un Corps. Elle a préexisté virtuellement dans l’âme d’Adam, source primitive de toutes les âmes. Enfin, l’âme est simultanément libre et immortelle. L’écrivain carthaginois va jusqu’à traiter l’étymologie des mots usités pour rendre compte de l’évolution de la conception des peuples de l’âme. Cet aspect lexical se présente ainsi: «Les nations barbares et romaines ont-elles une autre âme, parce qu’elles l’ont nommée d’un autre nom que ψυχὴ? Mais combien de peuples vivent sous la zone torride, brûlés par un soleil qui les noircit! D’où leur vient l’âme, puisqu’ils n’ont aucun air froid?» (De l’Ame, XXV) La désignation fait-elle alors la différence? Puis la marque d’opposition (mais) ne trouve pas sa place dans la cohérence de ce passage. L’auteur affirme: Le soleil noircit! N’est-il le soleil que cet astre adoré par les païens? Et cela est à rattacher à l’âme des peuples «chauds».
C’est bien dans Le Scorpiaque qui retrace la vie du scorpion pour une célébration du martyre, que nous saisissons la perfection de la nature créée par la volonté divine. L’auteur décrit le scorpion comme un animal créé avec les mesures et les caractéristiques nécessaires: «Autant de genres, autant de poisons; autant d’espèces, autant de fléaux; autant de couleurs, autant de douleurs (…) Cependant le trait qui leur est commun à tous, c’est de nuire avec la queue. J’appelle queue ce prolongement de la partie inférieure du corps avec lequel ils blessent. (…) L’été est surtout la saison du péril. La malice de l’animal met à la voile par le souffle de l’auster et de l’africus. Quant aux remèdes, la nature nous en fournit quelques-uns; la magie a ses ligaments enchantés; la médecine se présente avec le fer et des breuvages. Ceux-ci boivent avant la cautérisation pour en hâter l’action bienfaisante. Je ne dis rien de l’accouplement; s’il amortit la douleur du poison, c’est pour allumer bientôt une soif ardente.» (Le Scorpiaque, I) Les scorpions et les hommes, de par là le naturel et le culturel, font un dans la personne du paganus. De fait, la phrase finale du passage, bien qu’elle soit véhiculée par un esprit ségrégationniste, est d’une signification positive pour le propre. Les rites païens sont proches de tout ce qui relève du désir de destruction, de cette pulsion vive de la Mort et du Mal. Ajoutons également que la double signification de «queue» est importante à déchiffrer dans son explication du naturel et de l’humain. «Nuire avec la queue» devient polysémique. Il s’agit d’une part d’un parallélisme entre armes de guerre et les membres de l’animal, et de l’autre des remèdes contre la morsure du scorpion, et il n’y a que la médecine et la magie pour la traiter…
En désavouant le physique, le quotidien, le rituel et l’immédiat, Tertullien va affirmer son amour de l’altérité incarnée par la romanité, la chrétienté, et à une moindre mesure par l’univers hellénique et l’héritage oriental.
D.- La Liberté illusoire
La religion, comme affaire de conscience, est à embrasser librement avant la venue des monothéismes. Le libre exercice du culte est-il à ce moment possible à la fin du paganisme en Afrique du nord? Certes, le philosophe carthaginois a une position nette: il n’est pas pour la liberté des cultes dans un sens absolu et illimité. Il est adepte du credo monothéiste: la contrainte régit le culte. Une telle opinion est notoire durant la deuxième étape de sa vie. (27)
Le combat contre l’hérésie, accompagné de l’éloge de l’orthodoxie, signifie l’embrigadement de la foi ou de l’expression: la liberté devient nulle, sans aucun effet. Pour Tertullien, il est bon de réprimer les hérésies et les hérétiques (où le propre subsiste ou survit encore) au nom de l’idéal chrétien: «Quand on a affranchi le serf, on le couronne, mais tu es déjà affranchi et racheté par Jésus-Christ, et, certes, à grand prix. Comment est-ce que le monde donnera sa liberté au serf d’autrui? et combien qu’il semble que ce soit liberté, si semble-t-il aussi servitude. Toutes les choses du monde sont imaginaires, il n’y a rien de vrai. Car pour lors qu’il semblait à l’homme que tu fusses libre, tu étais le racheté de Jésus-Christ, et à présent tu es le serf de Jésus-Christ, combien que tu sois affranchi par l’homme. Si la liberté du monde semble la vraie liberté, et à cette occasion tu approuves le caractère de cette couronne, tu es remis sous la servitude de l’homme, que tu estimes liberté, et as à l’opposite perdu la liberté de Jésus-Christ, que tu tiens pour servitude.» (De la Couronne du Soldat, XIII) Que fait-il alors de l’argument de la prescription? Sur la liberté, la conception de Tertullien est fort intéressante à lire. Les Chrétiens sont les affranchis de Jésus. Autrement dit, tous les hommes sont ses serfs. Et les gouvernants ne peuvent pas affranchir les païens; ainsi l’auteur pose une question intéressante à l’univers nord-africain tombé sous le joug des Phéniciens et des Romains: «Comment est-ce que le monde donnera la liberté au serf d’autrui?» Il n’y a de liberté que dans l’acceptation de la négation de sa propre liberté. La liberté est, de la sorte, un exercice d’illusion et une pratique impossible. Il développera encore l’idée pour avancer que toutes les choses du monde sont imaginaires. C’est ainsi que l’illusoire va uniquement fonder notre conception de l’univers.
Enfin, la liberté est sémantiquement embrigadée par les règles morales: «Ici, liberté qui use de son droit; là, orgueil qui se révolte.» (A sa Femme, I) Est alors libre celui qui est rigoureusement conforme(iste) aux préceptes bibliques et aux traditions romaniques. En d’autres termes, le religieux commence à se confondre avec le politique, l’institutionnel et l’establishment. L’altérité, dans toutes ses formes, devient l’espace de la liberté et de la légitimité, par contre celui de l’identité, dans ses expressions et manifestations du local, ne mène qu’à la Négation apocalyptique.
2.- Abolition du Paganisme
Au IIIe siècle, les religions païennes de l’Afrique survivent encore sous forme de pures tendances qui approchent étroitement le mystique et le mystérieux, s’instituant en rituels qui rapprochent le profane et le sacré tout en ayant en vue le salut de l’âme dans leur rapport au(x) créateur(s). Cet enrichissement se fait par l’arrivée de cultes importés. Les rites cohabitent, probablement en opposition, avec le judaïsme et le christianisme. Naturellement, les monothéismes s’excluent mutuellement plus que les religions païennes. Les cultes locaux sont puissants et possèdent des vertus de «guérison»: ils détournent les maux, provoquent la pluie, expulsent du corps le ravissement, les maladies et les douleurs (au moment de passer une nuit dans un lieu sacré, de nouer des morceaux d’étoffe aux arbres, de passer par la fissure d’une falaise, et…)... Cette ferveur métaphysique leur vient peut-être des temps lointains, peut-être plus loin des temps pharaoniques. Ils édifient des tombes «protectrices», placent leurs temples au sein des prairies, des grottes, des montagnes et des rochers, tout près des ‘genii’ des eaux, des sources et des rivières; ils vénèrent le soleil, la lune… A cela il faut ajouter les croyances animistes où le totémisme (bélier, singe, serpent…) montre le rapport de parenté entre l’indigène et l’animal (totem). Les influences étrangères au niveau des croyances sont aussi présentes: les rivières, les vents, l’air…(28) Mais, les fidèles païens s’appauvrissent davantage pour présenter des offrandes coûteuses aux idoles et leur construire des temples «de mémoire», et abandonnent ainsi leur modèle social. A travers la Méditerranée, les dieux circulent plus rapidement que les idées, les marchandises, les ustensiles, les outils et les embarcations. Or, que garde-t-on de la littérature païenne nord-africaine qui fait référence à cet ensemble de rituels? Presque rien pour ne pas dire rien. Sans doute tout a été détruit par le temps ou bien par la main du rituel conquérant qui nie la différence prend à maintes reprises le corps propre de l’Afrique.
La crainte religieuse, immiscée à la vénération, se manifestent dans ces rites millénaires: ils sont propres de l’Age de Pierre. Pour le Chrétien ou le Juif, ce qui se rattachait à la culture propre était dit de la magie, ou bien «la pompe des superstitions païennes» selon les propos tertullianistes dans Contre Marcion - livre 2. Le dialogue entre le Monothéiste et le Païen est avant tout complexe à définir. Devant une telle situation, les Imazighen, divisés dans leurs croyances, vont progressivement sacrifier le paganisme et s’accrocher aux enseignements d’un seul dieu.
D’inspiration monothéiste, le christianisme tient des rapports de négation avec le paganisme (polythéisme qui permet de choisir un «dieu» ou un autre parmi une panoplie d’esprits). Les textes chrétiens vont les remplacer «physiquement»: toute création païenne va être soit contrecarrée (avec Fronton, Celse, Lucien et Philostrate), soit brûlée et effacée. La mythologie chrétienne remplace pleinement la païenne, et la morale «chrétienne» la juge et la condamne, en conséquence la mythologie païenne est vue comme immorale et interdite.
Le païen, aux yeux du philosophe chrétien, tue la foi, et les païens sont craints pour le danger qu’ils représentent. Ils menacent l’héritage chrétien qui va imposer une autre culture, une nouvelle mythologie, une morale positive, une organisation socio-économique originale. Le christianisme, en général, dicte au païen une conduite étrangère, précise pour lui procurer le salut: «Tertullien s’est trompé dans plusieurs questions relatives à la conduite que les fidèles devaient tenir au milieu du paganisme. Et pourtant, lors même qu’on est obligé de le blâmer, comment refuser un reste d’admiration à ce christianisme stoïque qui croit la nature humaine assez haute et assez forte pour qu’il soit possible de faire du conseil un précepte et de l’héroïsme la règle?» (29) L’aliénation de Tertullien n’est qu’un moyen de salut ponctuel, cela va aboutir à une certaine confusion au niveau des conduites valables et absolues. Par ailleurs, les textes biographiques définissent l’auteur carthaginois comme un écrivain qui tente, peut-être en vain, la synthèse entre le christianisme et la culture païenne! Païen de naissance et d’éducation durant sa jeunesse, il parlera du paganisme avec une certaine amertume. Nous y retenons, par là, son aversion de la pluralité, de la division, de l’imprécision et de l’inexplicable au sein du système païen. Les historiens avancent à ce propos: «Paganism was alive and well in Carthage and in his audience. The competent’s journey to the baptismal font, after all, lay across the rich and ancient landscape of Berber, Punic, and Greco-Roman paganism. (…) By adoring stone that has no life such a person perishes by deserting the God who is one’s true and eternal life… Souls have gone astray through desires both diverse and perverse, such that some worshipped the sun, others the moon and stars, others the mountains and certain trees…» (30) Le paganisme africain n’est pas à entendre comme la négation de la religion, mais en tant qu’une expression du propre primaire. Autrement dit, il signifie la résistance à cette foi «étrangère et envahissante». Cela explique pourquoi les Chrétiens vont, bizarrement, dire que le Mal est l’espace païen, et le Bien le chrétien. Et la persécution devient légitime: «Il y a une persécution injuste, celle que font les impies à l’église du Christ; il y a une persécution juste, celle que font les églises du Christ aux impies. (…) l’église persécute par amour, les impies par cruauté.» (31) Curieusement, réduire au néant l’espace païen est en soi amour, quête du bien pour toute l’humanité. Cette philosophie absout les religieux conquérants, génocidaires et inquisiteurs, et engendre chez les conquis et les victimes la conviction d’avoir mal obéi, d’avoir dévié, et conséquence la pénitence est expiation…
En condamnant les païens, l’auteur condamne le foyer «païen» où il connaît le jour et reçut de l’éducation, la culture africaine dans toutes ses expressions. La vision du paganisme est en effet précisée ans les écrits théologiques: l’auteur de l’Apologétique le place dans un sens précis pour en faire une représentation d’absence de liberté. Tertullien, dans son mépris des rituels, nie en définitive le modèle divin qui gère l’espace africain.
A.- Le Culte des Morts
Le culte de la mort est un trait fondamental dans la vision païenne. La mort, en tant que découverte de la vérité de l’au-delà, «possède» physiquement la terre et peut aussi disposer de l’avenir des êtres. Michael Brett cite dans The Berbers la croyance d’une tribu amazighe: «Pomponius Mela says that «The Augilae consider the spirits of their ancestors gods, they swear by these and consult them as oracles, and, having made their requests, treat the dreams of those who sleep in their tombs as responses.» (32) Ces tombes sont des monuments de sépulture et de culte. Ainsi, le sanctuaire africain est un lieu de communication avec les morts. Les esprits assurent la sécurité, le bonheur et la fertilité des vivants. D’ailleurs, les Rois africains ne sont pas déifiés de leur vivant, mais ils sont à leur mort des dieux (Micipsa, Massinissa et d’autres) ayant chacun un monument en son honneur. Un tel changement de jugement est similaire dans le cas de personnes «courantes»: vivante la personne est sous-estimée, une fois morte elle est surestimée. L’action amazighe n’est pas jugée positive dans le présent, elle l’est dans le passé. L’acteur acquiert alors une reconnaissance posthume, et son action devient futile. Le passé régénère l’homme amazigh dans sa virtualité.
Le culte des Morts engage bien entendu des sacrifices, comme si d’un sentiment de culpabilité il s’agissait au fait. Ce rituel est, en fait, condamné par Tertullien dans ses écrits, et tourné en dérision: «Le monde, pour apaiser la colère de ses dieux, leur offre des victimes humaines, les Scythes à Diane, les Gaulois à Mercure, les Africains à Saturne.» (Le Scorpiaque, VII) L’offrande rituelle est l’immolation réelle des vies humaines. Saturne, divinité des semailles (satus) et des célèbres traditions agricoles, est largement adoré par les Imazighen. Les rites agricoles sont-ils alors à rattacher au dieu romain? Le rituel sert pour détourner la fureur d’un dieu étranger, pour acheter ses faveurs. La paix ne peut pas provenir de chez soi, et en suivant la même quête le philosophe carthaginois trouve que l’unique rituel qui soit capable d’apporter le salut est bien l’unique dieu chrétien.
D’autre part, rappelons que durant son enfance, le jeune Tertullien prend plaisir à assister aux jeux «brutaux» des arènes et aux spectacles «barbares et vulgaires». Ces spectacles sont-ils africains ou romains? La dimension païenne dérange les Catholiques: «Les anciens s’imaginaient que ces spectacles étaient un devoir rendu aux morts, surtout depuis qu’ils eurent tempéré la barbarie de ces hommages. Autrefois, en effet, dans la persuasion que le sang humain apaisait les âmes des morts, on égorgeait sur leurs tombeaux les captifs, ou des esclaves de mauvais aloi achetés dans ce but. On trouva convenable, dans la suite, de couvrir des voiles du plaisir cette exécrable impiété. Après que l’on avait instruit ces misérables à manier des armes, quelles armes et comment? peu importait pourvu qu’ils apprissent à s’entre-tuer, on les immolait sur des tombeaux, le jour marqué pour les sacrifices funèbres. C’est ainsi que l’on consolait la mort par l’homicide. Telle fut l’origine du devoir. Peu à peu il devint d’autant plus agréable qu’il fut plus cruel. On ne se contenta plus du fer; il fallut que les dents et les ongles des bêtes féroces déchirent le corps de l’homme. Les victimes étaient regardées comme un sacrifice en l’honneur des morts: idolâtrie véritable, puisque l’idolâtrie est une espèce de culte rendu aux morts. Des deux côtés, honneurs funèbres et idolâtrie, on trouve le culte des morts. Or, des démons séjournent dans les idoles; cela nous conduit à considérer en ce moment les titres. Quoique ce spectacle ait passé de l’honneur des morts à l’honneur des vivants, je veux dire des questeurs, des magistrats, des pontifes et des flamines, comme ces dignités touchent à l’idolâtrie, tout ce qui se pratique sous le voile de ces dignités doit être nécessairement souillé et corrompu, puisque la source en est infecte.» (Contre les Spectacles, XII) Force est de constater que par la foi l’auteur repense les coutumes et les rites relatifs aux cérémonies rendues en l’honneur des aïeux et les qualifie de cruels et d’inhumains. En général, il entretient une critique acerbe contre tout art. (33) Les représentations (les spectacles) sont souvent organisées auprès des sanctuaires, et de là vient leur nullité comme cérémonies à sauver l’homme. Ainsi, fréquenter l’amphithéâtre païen est un péché. Saint Augustin va reprendre ces mêmes critiques à toute manifestation artistique. Au chrétien revient de droit d’autres divertissements. Ensuite, la satisfaction propre naît quand il y a versement de sang. Cette cérémonie se développe en spectacles où fauves et humains s’entretuent: celui qui choit est censé être un sacrifice pour les morts. Enfin, de cette idolâtrie va apparaître le mal dans l’âme des hommes: les démons vivent avec les idoles. Ces spectacles concernent et les morts et les vivants: la corruption est donc générale.
Pour le premier apologiste, l’unique culte qui demeure valable est celui d’adorer Dieu dans le travail quotidien. Le «sacrifice» ne peut alors s’enchaîner que comme suit: «Occupez vos mains à filer la laine: enchaînez vos pieds à la maison, et vous plairez plus que sous l’éclat de l’or.  Que la probité devienne votre soie, la sainteté votre lin, la pudeur votre pourpre! A ces joyaux et ces parures, vous aurez Dieu pour époux!» (De l’Ornement des femmes, XIII) L’auteur y tient un discours moralisant: le dieu chrétien est le salut total à condition d’avoir un peuple vertueux. Qu’est-ce que vivre alors? C’est travailler humblement, s’écarter du luxe et quérir les vertus et ainsi de suite comme actions d’annihilation de l’ego et des manifestations proprement subjectives.
B.- L’Alliance avec les Autres
L’Autre est qualifié de barbare et non «toléré» dans son propre espace. Le cri de Calypso dans L’Odyssée est clair: «Dieux, vous êtes cruels, et plus enclins que d’autres à la jalousie; vous qui n’acceptez pas de voir des déesses s’unir à des hommes, sans se cacher, si quelqu’une ouvre sa couche à celui qu’elle aime.» (34) Similaires aux vœux des dieux de ne pas quérir l’alliance avec les humains, les Chrétiens condamnent l’alliance avec les païens, et pour les femmes et pour les hommes.
Au fait, l’Autre, d’après les leçons d’histoire, tient une place importante dans l’espace nord-africain. Il est non seulement toléré, mais vénéré. Il peut s’installer, régner et avoir toute l’influence sur le local: les exemples ne manquent pas. L’espace s’enrichit ainsi tout en perdant de son identité propre. L’ensemble infinitésimal (puissant, conquérant et souvent de sexe mâle) ébauche des lois pour gérer la majorité (primitive, barbare et marginale) dans son propre espace. Plus concrètement, avec l’arrivée du christianisme, l’endogamie nord africaine, d’essence tribale, va être remplacée par le mariage de foi commune. Car le dieu n’est plus tribal, il est plutôt question d’un dieu doté d’une vision totale et à vocation universelle. La nouvelle foi prétend unir tous les hommes, mais les sépare aussi pour s’entredéchirer, s’entretuer… notamment ceux qui refusent d’entrer dans la globalisation métaphysique et symbolique.
L’écrit de Tertullien, Aux Nations, est très révélateur de ce pacte particulier, fort tragique dans ses fondements. L’alliance avec l’espace «paganus» est débattue dans toutes ses formes. Les Chrétiens sont non seulement interdits d’alliance avec les païens mais appelés à détruire leurs croyances. Dans tout cela, la différence de confession est bien elle qui va prédéterminer la nature de l’homme et ses actes. Tertullien va se montrer fidèle aux siens dans cette conception de la foi: il est, par la force des arguments et des paroles bibliques, interdit aux étrangers à la foi chrétienne de s’allier à eux. Cette peur de l’autre se révèle une obligation collective. Le consanguin est tout simplement remplacé par le partage de la foi: «nous ne contractons point mariage avec les païens, afin qu’ils ne nous mènent à l’idolâtrie, par laquelle les noces commencent entre eux. Tu en as la loi des patriarches. Tu as l’apôtre qui te commande de te marier par le Seigneur.» (De la Couronne du Soldat, XIII) De crainte d’offenser Dieu, il est conseillé au chrétien de ne pas se marier avec les païens qui demeurent des pécheurs par nature. Cette alliance ne se réduit pas au physique, ni aux rapports sociaux, mais notamment au développement de l’histoire d’une telle société, divisée dans son âme.
Le rite de mariage est assurance d’un équilibre naturel au sein de la société qui ne peut être garanti qu’avec une série d’interdictions. Cette interdiction, précisément, est présente dans l’héritage païen: «Parmi les païens, les maîtres les plus rigides et les plus strictement attachés au maintien de la discipline n’empêchent-ils pas leurs esclaves de contracter des mariages avec des étrangers! Pourquoi cette prohibition? De peur qu’ils ne se jettent dans la licence et la débauche, ne négligent leur service, et n’introduisent des étrangers dans la maison de leur maître. Ne condamne-t-on pas à une servitude plus dure ceux qui, après sommation du maître, continuent de vivre avec des esclaves étrangers! Eh quoi! les règlements de la terre enchaîneront-ils plus étroitement que les injonctions du ciel? La femme idolâtre qui s’unit à un esclave étranger perdra sa liberté, et la femme de la tribu sainte épouserait un serviteur du démon sans être bannie de la communion de l’Eglise!» (A Sa Femme, VIII) L’interdiction assure formellement la continuité, tout comme la contrainte enclenche la liberté. Rarissime dans la société africaine, l’exogamie, est interdite depuis la nuit des temps; un tel rite doit perdurer: le catholique doit en prendre exemple. Au sang s’enchaînent la foi, l’idée, la croyance… Tertullien, à ce propos, épouse une chrétienne, une année après sa conversion. Certes, cette interdiction du mariage avec l’autre est fondamentalement corrélée à la gestion de la communauté. Ainsi, si le païen accepte les règles «de foi», il n’est plus païen, et choisit l’altérité. Par conséquent, l’interdiction d’alliance avec le propre rend impossible la réconciliation avec soi.
C.- Le dieu chrétien, vengeur envers les païens
Les religions locales n’attirent point le nord-africain, curieux de découvrir d’autres visions et explications du monde. Ces nouveaux systèmes apportent fondamentalement des catégories neuves qui fourniront à l’auteur carthaginois une pensée plus profonde de l’actualité. Cela s’accompagne d’une déconstruction de sa propre culture. Il verra le paganisme comme le summum de tous les péchés; cet univers sera objet de malheurs et de calamités créés par Dieu.
Pour Tertullien, le Ciel est destructeur envers ces païens qui persistent à ignorer l’unité divine. La colère divine est donc violence pour le pécheur. Cette cruauté abonde dans l’Ancien Testament, que bizarrement le même apologiste ne reconnaît pas, sous forme de «hints» à la fureur divine et à la destruction des impies. Mais, il s’y réfère pour tuer les dieux païens. Cette prédestination de destruction pour le païen est, toutefois, assurée par la nature: «L’année dernière, les torrents de pluie qui désolèrent les campagnes, n’ont-ils pas manifesté le courroux du ciel, qui châtiait encore une fois par l’inondation les prévarications et l’incrédulité des hommes? Que signifiaient ces feux nocturnes suspendus sur les murailles de Carthage? Demandez-le à ceux qui les ont vus. Que signifiaient ces tonnerres qui ont grondé sur nos têtes? Demandez-le à ceux dont ils menaçaient l’endurcissement.» (A Scapula, III) Dans ce passage il y a vraiment quête de significations et d’interprétations à donner pour des réalités tangibles et actuelles. S’il y a inondation, c’est le châtiment divin envers les païens. S’il y a fléau, c’est l’humanité qui paie pour ses péchés. S’il y a désastre sur le sol païen, c’est la main de Dieu… Cela est, bien sûr, à comparer aux croyances juives qui voient derrière les désastres naturels la main d’un Iahvé en colère contre les hommes pécheurs. Pour nous, une telle vision masochiste peut dire beaucoup du mépris de Tertullien non seulement envers les siens, leur culture, leurs différents modes de vie, mais aussi envers le «sol» africain.
Le dieu de Tertullien est, en définitive, un «vengeur terrible». (Du Manteau, II) Se venger de quoi sur le sol africain? Les litiges sur la morale, la discipline et le dogme sont réitérés chez l’auteur qui voit d’un côté les païens prédestinés à l’enfer, et de l’autre les fidèles renforcés dans leur amour et leur gain du paradis. De fait, le propre ne peut qu’incarner le Mal; d’où la légitimité à sa destruction, et il est donc temps de penser à la substitution par un autre corps où l’aliénation se manifeste Salut total.
III.- Un Chrétien utile au monde

(Suite dans le prochain numéro)

 

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