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Mots et choses amazighes: Le génie de la langue Par: Ali Amaniss Il y a de cela très longtemps (1986) que je réunissais des mots et de la poésie en tamazight qui révèlent la subtilité avec laquelle notre langue fait naître de nouveaux mots et construit des expressions admirables. Je n'ai pas de formation spéciale en linguistique, cependant mes études d'informatique théorique (surtout la théorie de la compilation qui est le fondement des langages de programmation et qui dérive justement des grammaires génératives de Chomsky) et ma passion pour les langues n'ont pas cessé de me faire découvrir des mots et des expressions intelligemment, et surtout inconsciemment, construits par le génie linguistique de nos ancêtres. Dernièrement, je suis tombé sur un article du professeur Mohamed Chafiq où il aborde en spécialiste la question d'agglutination de certaines langues et la force que cela leur procure dans leur évolution et leur adaptation puis il met en évidence le génie linguistique de tamazight ou du moins certains de ses aspects. M. Mohamed Chafiq avait donné de nombreux exemples de mots agglutinés, chose que j'avais moi-même constaté en tamazight, en français ou en anglais. Par exemple les mots beaucoup (beau et coup), la plupart (plus et part), tantôt (tant et tôt) et ainsi de suite. C'est aussi le cas de l'anglais, classroom (class et room), paperback (paper et back), pipeline (pipe et line), pour ne prendre que ces exemples. Il existe également en tamazight des mots agglutinés et construits de cette façon. Le premier mot qui avait frappé ma mémoire depuis l'enfance est le mot frtxdil qui est le cadet (le dernier) de tous les enfants de la famille. Il est composé des mots frt (nettoyer, balayer) et axdil (ventre), frt-a-khdil. L'image utilisée est que le dernier enfant "nettoie" ou "balaye" le ventre de la mère de sorte que toute possibilité de naissance soit exclue. On remarquera que la première lettre du mot axdil, à savoir le "a", n'existe pas dans le mot frtxdil pour des raisons phonétiques. Ce mot est agglutiné, mais lorsqu'il est utilisé en tamazight courant, il a un seul sens et on ne se rappelle presque plus de son origine ni de sa composition. Il existe également un autre mot pour dire le cadet, c'est le mot amazuz. Ce mot est utilisé non seulement pour signifier le cadet des enfants mais aussi pour désigner par exemple la plante qui donne ses fruits à la fin de la saison des récoltes: yat tafruxt tamazuzt (un palmier dattier dont les fruits deviennent mûrs à la fin de la saison. ) Rassurez-vous, je ne suis pas un amazuz ou un frtxdil (ur gigh frtxdil.) Avec le temps, j'en ai découvert d'autres et je ne sais pas s'ils ont été portés à la connaissance du public ou non. J'en cite quelques-uns: A - Asghunmi est le mot utilisé pour désigner l'outil (en général, un fil en laine) avec lequel les femmes ferment l'ouverture de l'outre. C'est un mot composé asghun-(i)mi. Le mot asghurn (fermeture, clôture, barre de fer ou de bois qu'on plante dans le sol pour y attacher une bête) dérive du verbe sghun (attacher, fermer, clôturer.) Le mot imi est bien sûr la bouche mais en général il signifie l'ouverture de sorte que l'on entend souvent dire: imi n ighisi (l'ouverture du trou), imi n tigmmi (la porte de la maison), imi n ighrm (le portail du quartier ou le lieu où se tiennent les gens du quartier) et ainsi de suite. Par conséquent, le mot asghurnmi signifie littéralement la fermeture de l'ouverture en y attachant un fil, ou le fil lui-même. On remarquera que le premier "i" du mot "imi" a été supprimé dans le mot asghurnmi pour forger le mot. B - Le mot mkrtul qui signifie le chagrin, la douleur morale, est composé des mots mkrt (gratteur) et ul (cœur), mrkt-ul. Le mot mkrt dérive du verbe ikrt (gratter, rayer) et il donne aussi par dérivation les mots amkrat ou t-amkrat (grattoir.) C - Les prières rituelles ont également un nom composé de deux mots primitifs. Par exemple, tinwitci (la prière du coucher du soleil, Al-Maghrib en arabe.) Ce mot est composé, tin-witci, de tin (celles) et witci qui dérive du verbe itca (manger) et matca (le manger), c'est-à-dire les prières du manger ou simplement "celles du manger". Tinyits (la dernière prière de la journée, Al-'Isha en arabe.) Ce mot est composé, tin-y-its, de tin (celles) et its (sommeil), c'est-à-dire les prières à faire juste avant d'aller se coucher, ou celles du sommeil. La lettre "y" a été introduite pour des raisons phonétiques. D - Le mot ighnka (la maladie) est composé de igh (être atteint), n (de) et ka (quelque chose.) Il signifie littéralement, être atteint de quelque chose, mais dans la langue courante il signifie la maladie. E - Le verre de terre est appelé en tamazight, azrm n alut (qui se prononce azrm-n-w-alut), on pourrait l'écrire en un seul mot comme par exemple azrmnwalut, tel qu'il se prononce car il est composé de azrm (le verre), n (de), alut (la boue), comme dans le mot ighnka ci-dessus. Ainsi pourrions-nous dériver et forger des mots, comme cela a été suggéré et fait ailleurs par des spécialistes linguistes, pour les nouvelles choses à nommer et construire ainsi un lexique et un vocabulaire adéquat afin que notre langue soit en mesure de se confronter aux nouveaux défis. Chaque spécialiste d'un domaine particulier pourrait faire un effort dans son domaine parce qu'il le connaît mieux que les autres et nous proposer un vocabulaire convenable dans le cadre de sa spécialité.
Ali Amaniss.
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