Numéro  56, 

  (Décembre  2001)

Amezwaru

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Tamazight

Ddvapir n tghennawt n usinag n tussna tamazight

Anebdu

Asawar

Illan

Medden, mas g kkan?

Ashinneb n izvewran

s.o.s tamurt nnegh

Tamacaput n imzvyanen

Tifraz n tsrit n wenzvar

Tasfift n Rrayes Muhmmed ben yahya

Français

Qu'est-il- de l'amazighité loin des imazighn?

Quel alphabet pour tamazight?

Uniformiser ou diviser tamazight?

bmce empoisonne tamazight

Lettre ouverte à un père amazigh

Interview avec Karl-G Prast

العربية

ظهير إحداث المعهد الملكي للثقافة الأمازيغية

رد على مقال السعيد الحسن

كلمة مجنحة

من مفارقات القول الشعري الأمازيغي

وثائق تاريخية

هوروس والأمازيغية

العنصر يرفض ترسيم الأمازيغية

تكريم المايسترو موحا أولحسين أشيبان

النبض الغافي

 

 

 

 

Lettre ouverte à un père amazigh

Par: Aicha Ayt-Hammou

«Bonsoir, monsieur le grand sorcier aux remèdes bidon, bonsoir, vous qui n'êtes pas plus médecin que ma sœur n'est dans les ordres.» Jeanne Cordelier

 

Un message de tendresse:

 Je sais papa que ces mots ne te diront rien du tout parce que tu sais tout et tu peux tout, comme ton rôle social le laisse entendre. C'est ce que tu penses du moins et tu en es convaincu. Tu ne les liras pas parce que tu serais révolté d'une fille qui t'écrive et qui prétend même te prodiguer des conseils. Même si ton âme les intercepte en l'air sans le vouloir, je sais que tu as accès au langage universel qui dépasse nos langues tout humaines et que tu sais donc déjà tout, d'avance et sans avoir besoin qu'on te l'enseigne.

Tu as su constituer pour moi l'incarnation même de la sécurité dans l'âme, la chaleur dans le cœur à ta seule vue, par ta terreur, et la ressource toujours disponible pour répondre à mes attentes, celles que la société a bien voulu me concéder, évidemment. Celles qu'elle pense être bonnes pour moi, pour ma nature de fille, pour mon avenir et mes intérêts de femmes. C'est-à-dire un avenir de soumission.

Tu as toujours su jouer, dans notre société, celui qui te revenait, le rôle qu'on attendait de toi. Celui du protecteur, du macho, qui ne laisse pas une seule parcelle de pouvoir aux autres sans qu'ils y mettent le prix, celui que tu décides, toi et la société. Mais c'est quoi la société, chez-nous? C'est toi, tu décides tout, qui fait tout. Tu sais le bien et le mal, le principal et l'accessoire, le ciel et la terre. Tu sais aller dans les réunions réservées aux hommes sans les femmes. Tu discutais des heures et des heures comme si le monde était le seul apanage des hommes, pour décider de notre sort. Tu avais pris la tête des administrations en reléguant ma mère à ses tâches ménagères et dans le meilleur des cas au poste de secrétaire soumise et docile ou à celui du professeur dans un domaine quelconque.

Elle exerçait son pouvoir et son autorité, elle aussi, sur les tables, les chaises et les élèves. En voulant te ressembler,  elle était exaltée, elle aussi, par l'exercice du pouvoir, notamment sur les chaises qui refusent d'obéir à ses ordres pleins d'autorité. Elle était toujours fière d'avoir la clé de la classe en poche et de prétendre venir apprendre aux autres ce qu'ils ne savaient pas. Elle se sentait en sécurité lorsqu'elle tendait sa main dans sa poche et qu'elle retrouvait encore la clef parce qu'elle se disait que la classe ne pourrait jamais fonctionner sans elle. Elle avait du pouvoir sur sa classe, sur les murs et les chaises.

Cela me démontrait que, elle aussi, elle est fascinée par toi, par l'autorité que tu exerçais sur nous tous, elle y comprise. Alors, elle voulait être comme toi, mais elle ne pouvait pas. A ta seule vue, elle tremblait, la pauvre, de tous ses membres et elle savait que tu ne pouvais pas l'épargner, la tolérer hors de ses limites, celles que tu lui as tracées. Tu es un fier à bras, papa, la nature t'a favorisé.

Nous les femmes, nous sommes réduites à rien, nous ne représentons même pas nous-mêmes. Nous sommes des subordonnées, des accessoires, des moyens, des intermédiaires qui permettent, à toi papa, d'accéder au bonheur, le tien bien sûr. Le nôtre est chose superflue. Nous faisons ton bonheur par des accouchements innombrables et épuisants afin de te doter d'une progéniture dont tu seras fier sans nous, par des tâches ménagères quotidiennes, répétitives et fastidieuses que tu dédaignes parce que tu es quelqu'un avec costume, cravates et pantalon du tailleur. Nous construisons pour toi un abri que tu prétends nous avoir construit, nous lavons ta saleté, nous transportons le bois de ta cuisine, notre cuisine parce que nous mangeons de ta sueur. Tu es un ange, papa, un ange. Tu sais que nous t'aimons tous, sans exception. Personne dans la famille n'ose te déclarer des hostilités parce que tu sais réprimer sommairement tes opposants. Tu as appris tout ça dans la rue.

Tu es un homme, papa, un vrai. Si quelqu'un le conteste, tu sais comment agir avec lui. Tu devais rester un homme parce que tu voulais ne pas manquer ton rôle social. Ta tâche de mari et de père implacable. Celui qui voulait toujours montrer aux autres combien il était viril et capable de, non seulement conduire sa famille par le bout du nez, mais également mener à bien sa tâche de tortionnaire physique ou psychologique qu'on a bien voulu lui attribuer dans la société contre toute opposition.

Ma mère était pour toi un moyen et non une fin en elle-même. Tu l'aimais, je le savais. Comment ne pas l'aimer alors qu'elle est docile, consciente de sa fragilité acquise par éducation, éternellement soumise à tes volontés. En tant que sa fille, elle m'a appris que, nous les femmes, nous avons une côte de moins que toi et mes frères, dans la cage thoracique bien sûr. Mes frères me narguaient avec leur côte supplémentaire qu'ils avaient acquise par hérédité. Ils en sont fiers les machos, ils croient avoir là une preuve incontestable de leur supériorité génétique et donc éternelle. Mais la nature, elle aussi parce qu'elle est une femme, fait des erreurs en produisant des femmes machos, comme moi. J'ai une côte de plus que mes frères, par conséquent j'ai deux côtes de plus que ma mère.

Chez-nous, une fille, une femme, ne parle jamais que pour dire oui, jamais non. Elle a appris que le refus équivalait à la révolte, donc à la contestation du pouvoir suprême masculin qui ne manque jamais de se manifester pour réprimer les révolutions. Nous t'appartenons tous, papa. Tu peux faire de nous ce qui te plaît. Nous punir, nous récompenser, nous réjouir ou nous blâmer.

Je te pardonne tes erreurs, tes terreurs, papa. Je savais que toi aussi, tu étais entre le marteau et l'enclume. Tu n'avais pas le choix de manifester ou non ta tendresse à ceux que tu aimais parce que la société en a décidé autrement pour toi. Elle voulait que tu sois viril et tu voulais être à la hauteur de tes fonctions sociales. C'est ce que tu avais simplement fait. Tu avais raison d'agir ainsi car les hommes qui regardent les choses d'en haut, ceux qui sont capables de voir ce que les autres ne voient pas, ceux qui sont en mesure de déceler les maux avant qu'ils arrivent, sont une exception dans toute société. Donc, on ne pourra pas venir aujourd'hui te reprocher d'être ce qu'on avait attendu de toi, c'est inacceptable, une erreur que l'on commettra à ton égard.

 

Le déguisement:

Nous vivons quotidiennement dans le déguisement, papa, dans le camouflage, dans la dissimulation et dans la simulation. Nous vivons cachés, et toi aussi, cachés de nous-mêmes et des autres. Nous n'arrêtons pas de simuler une vie qui ne nous est pas en réalité destinée. Elle est là parce que nous n'avons pas d'autres choix, d'autres alternatives pour imaginer puis réaliser autre chose. Les hommes sont des femmes, les femmes sont des hommes et le mélange fait une soupe qui a du mal à passer dans la gorge de ceux qui savent qui est qui mais ne savent pas pour quelles raisons.

Je me suis déguisée, comme tout le monde. D'abord, en écrivant dans une langue qui, en réalité, m'était étrangère, mais qui finalement, par la force des choses et le déroulement hasardeux des circonstances, m'est devenue familière. Je vous écris dans cette langue parce que je n'ai pas d'autres choix, parce qu'on m'a privé d'apprendre la mienne. C'est ce que l'on peut appeler un manque d'authenticité langagière.

 

Les compensations et les camouflages:

 Remarquez que lorsqu'une femme est dans l'impasse au cours d'une difficulté dans les rapports sociaux quotidiens, elle vous dit, pour se convaincre de sa force, que son mari est un chef, un directeur, un médecin, un grand commerçant avec des titres de propriétés partout. C'est le déguisement. Elle dit cela lorsque ses cartes sont épuisées, lorsqu'elle ne peut plus se défendre elle-même dans la société, elle se camoufle, elle met par-dessus sa peau de brebis, une peau de loup ou celle d'un lion, son mari. C'est un manque d'authenticité, c'est moi qui vous le dis.

Maintenant, que dis un homme dans de telles situations d'embarras? Il vous dira qu'il est marié avec une très belle femme, qu'elle est jeune, dix-huit ans. D'autres vous diront qu'ils sont mariés à plusieurs femmes en même temps, qu'ils ont des maisons, des villas et même la dernière marque de voiture. C'est le déguisement, la compensation. Il dit cela comme s'il ne suffisait pas à lui-même, comme s'il lui manquait une jambe ou un bras.

 

Hommes et femmes, les conversions:

Moi, je m'assume en tant que femme et j'écris en tant qu'homme. Vous êtres peut-être confus par mes propos qui ne veulent rien lâcher, comme clarté. Mais c'est le camouflage qui veut ça, dans la société tout le monde fait comme ça. Depuis que j'étais petite, je n'ai appris que ça, me déguiser, me camoufler et là je n'ai pas le choix de faire autrement comme vous le voyez.

Puis, qui vous dit que je suis une fille, une femme? Ayant craint de susciter l'instinct sauvage de certains hommes qui battent leurs femmes, je dis bien leurs avec un 's' parce qu'ils en ont  plusieurs que cela soit officiel ou non. Ceux qui ravagent tout ce qui se présente sur leur passage, y compris leur propre progéniture, en se déguisant en lion, parce que l'autre jour je les ai vus devant les autorités, je vous certifie et je vous garantie qu'ils sont des agneaux. Ayant craint leur colère et leur instinct guerrier, leur inévitable réaction instinctive à me bouffer, je me suis dit tant pis, je vais risquer mon authenticité de femme, j'écris en femme, une vraie.

J'aurais dû écrire en homme et cela passerait inaperçu, parce que les hommes ont le droit d'écrire tout ce qu'ils veulent contrairement aux femmes. Mais alors surtout les femmes amazighes qui sont, automatiquement et sans jugement, classées d'inutilité publique en matière d'écriture, à une exception près, lorsqu'elles sont totalement arabisées ou totalement francisées. Autrement dit, lorsqu'elles ne sont plus amazighes du tout, linguistiquement j'entends. 

 

 

 

 

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