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La métaphore érotique en poésie amazighe

(Analyse d’un poème)

Par: Hassan BELLA

 

Dans une société conservatrice et où la religion est omniprésente telle que celle du Souss (Sud Maroc), la liberté d'expression se trouve sérieusement bridée. Toutefois, le poète amazigh - dit amarir, rrays, anccad, amdyaz,… - (désormais amdyaz) ne manque pas de moyen pour contourner les tabous, voir de détourner les valeurs et les symboles sacrés, pour communiquer sa pensée la plus profonde. Il emprunte, pour ce faire, les dédales de la symbolisation et de la métaphore.

La chanson, transmise de génération en génération, était l'unique support de la poésie amazighe (désormais amarg) jusqu'à très récemment. Les premiers écrits ayant, sciemment, pour objectif de cristalliser l’amarg sont apparus au début des années 60 du siècle passé. Il a, cependant, bénéficié de supports audio depuis la dernière décennie du 19ème siècle (disque vinyle) dès l'accès des Nord africains à cette technologie. Par ailleurs, il y a plusieurs siècles, il fut transcrit en caractère araméen, sauf que c'était l'œuvre de certains talbs (étudiants en théologie) ce qui l'a cantonné aux domaines du prêche et de la glorification de l'islam et de ses symboles.

L’amarg  contemporain écrit ne souffre, à notre connaissance, que l'autocensure. Contrairement à la chanson destinée au grand public et à être écoutée en famille, d'où la nécessité de surveiller son langage, la lecture, tout en étant individuelle, ne s'adresse qu'à une élite et par conséquent ne nécessite aucun effort de codage. Ne perdons pas de vue, cependant, que la législation ne laisse pas de latitude aux créateurs et la fameuse  «atteinte à la religion islamique et aux bonnes mœurs», sans autre précision, est incriminé de par plusieurs textes relatifs aux libertés publiques, notamment ceux régissant la publication et plus particulièrement l'audiovisuel.

En dépit des interdits,  l’amarg  amazigh a su aborder, au grand jour, tous les sujets, en toute quiétude, sans transgresser les valeurs ni heurter les sensibilités.

Le poème que nous analysons ici est extrait du répertoire du groupe UDADN. Nous vous en livrons, d'abord, la teneur, en suite, une traduction approximative avant d'en décrypter les messages. La numérotation vous aide à situer, dans le poème, le vers en question au fil de l'analyse.

Quelques semaines durant, chaque fois que l'occasion s'offre, nous en avons soumis les paroles à l'opinion d'une poignée de personnes. La majorité a suivi des études supérieures et certaines sont auteurs de recueils de poésies, de romans, et d'autres travaux en littératures amazighes.

Nous avons été étonné de voir que ces intellectuels ne prêtent aucunement attention à la culture amazighe, dans leur environnement immédiat. Comme tombés des nus, ils n'en saisissaient que la forme littérale. De par leurs études, notamment es littératures arabes, leurs analyses convergent à établir le verdict suivant: absence de l'unicité du sujet, absence de cohérence entre les parties du poème, visions superficielles en raison de l'illettrisme de l'auteur, référentiel «agricole»-paysan-, langage  populaire et saturé d'emprunts à l'arabe. Et ce-ci pour ceux qui se sont donné la peine de l'écouter car pour la plupart d’entre eux ce n’est que «futilités». Nos savants préfèrent se lire entre eux dans un esprit de compétition, les uns comprenant mieux ce qu'écrivent les autres. Il faut dire que les mêmes causes produisent les mêmes effets: la 'technologie', de la poésie arabes, acquises à l'université étant de mise. Examinons, à présent, l’amarg futile!

I - Le texte:

Le poème compte 31 vers et est connu sous le titre de «IFRH W-AMNAY», nous le baptisons «tayri n w-amzlutd». La transcription que nous en faisons ne rend pas compte exactement de sa forme tel que prononcée par le groupe. En effet, nous avons l'intime convection  que certains effets dialectaux, de l'accent et des variantes régionales doivent être dissipés en écriture, le lecteur ayant toute l'amplitude d'introduire sa personnalité (accent, intonation, emphase, prononciation de lettre ou de groupe de lettre, chuintement, ...). En conséquence, il vous est suggéré, vous qui nous lisez, d'écouter la chanson pour vous en rendre compte.

L'accent de l'auteur n'est pas ici transcrit, nous nous en tenant au notre. Aussi, le «h»,  transcrit-il la prononciation des «gh», «x», «â» ou «g» dépendants d'autres variantes (et signifiant, selon le contexte, sur ou dans ou, comme suffixe à un verbe, le pronom sujet du locuteur singulier). Il en est de même pour la préposition «ih» (si), le tout eu égard à la variante du grand Sous. Le sens n'en est point altéré tout est question d'accent.

Si vous avez l'occasion d'écouter la chanson, remarquez que l'emphase, les intonations, le rythme et le tempo varient d'une strophe à l'autre et ce n'est pas pour rien: le groupe UDADN marque par là les états d'âme de l’amdyaz  et met en scène les acteurs, d'ailleurs la longueur des vers en dit long. Notons avant de lire le texte qu’en raison de l’accent et des effets du dialecte certaines lettres ne sont pas prononcées et de ce fait nous les transcrivons en gras et en italique:

Tayri n-w amazlutd

01      a bu tayri smh i idammn n tasa nk                                            

02      ur igi sslam n lhubb ad ka tsawalt                                               

03      allahukbar a lâenbr mani ah ra ad k afh   

 04      nga lmskin ur ngi yat h ifassn                                   

05      a tafukt illan h ignwan tattuyt                                                    

06      ha id yan ujdaâ n lzrg illan h rraht                                            

07      iga wahdut urta jju lin tarigt 

 08     ifrh w amnay  i lzrg ufan tarigt                                  

09     rwah ad nmun a kra ad ilih h tama nk                        

10     ahh ay ahbib an f rbbi rih tamunt 

11     ur igi lhubb lâib llan h ul inw 

12     nga  tazzwit nhada ka igharasn

13     ur ak nsmih a lhubb ur ar ttmadtalt

14     alatif dima lghrtd illa h tamank 

15     allaâawn ay ajjig illan f isaffn 

16     ula win lbur nra gikk isafarn

17    «ara afus ha id afus inu 

18    ur ra ad kwn zrih a winu 

19    ad ak nhdu tasanu

20    kyyi ami rzmh ul inu»

21    mqqar ur dari walu

22  ayyis d urkkab mad ran amawal?

23  labudd n lbarûd wadt ukan issufgh

24  labudd n umhmaz labudd n tarigt

25  ad as iskr ccurtd ad srs ur icmmt

26   lkas irzan ur illa

27   ira ad t nzri ma ad t nra

28   atay ur tn sul nra

29   ayyis ih gan i cala

30   ad as nêdl  tasila

31   ula ccrj waxxa it ila

II – la traduction:

 Eu égard à certains textes particuliers la traduction n'est pas évidente, en l’occurrence l’amarg. Le problème se pose au niveau du contexte culturel comme sur le plan de la sémantique. Et il faut dire que toutes les langues n’ont pas le même génie.

A)- de la traduction en général:

Dans le cas du Droit, lorsqu'un contrat rédigé dans une langue vient à être traduit dans une autre, notamment pour les besoins d'instruction par une juridiction donnée, se pose, alors, le problème de la mission du traducteur. En effet, que doit-il traduire la forme ou le fond, les termes ou les significations? À notre humble avis, il doit s'en tenir à la forme car autrement il interprète. Face aux juridictions du Maroc, où la justice est rendu en arabe dit «classique» alors qu’aucun justiciable ne l’utilise devant la justice ni dans la vie quotidienne, il est courant que les traducteurs assermentés traduisent le sens et ils défendent avec ferveur cette approche. Or, essayer de trouver le sens d'une  clause revient à s'ériger en juge qui, de par la loi, est seul souverain à interpréter les conventions et donc à chercher la volonté, si non des parties, du moins celle du rédacteur.

Dans ces conditions là, la justice se trouve biaisée à la base. Car en livrant un sens ou, plus précisément, le sens selon son entendement, le traducteur condamne le texte en en figeant la forme en un sens unique, alors qu'il est susceptible d'interprétations et donc d'avoir plus d'un sens selon le point de vue, lui commandé par l'intérêt personnel, de chaque cocontractant.

Tout comme les droits des parties à un contrat en litige dépendent de l'interprétation, et non de la traduction, le verdict que vous allez rendre, ici, à l'endroit de l’amdyaz dépend de la traduction que nous allons faire de son amarg, et ce pour ceux qui ne sont pas en mesure de le comprendre par eux même tel qu'il émane de son auteur. Aussi nous nous abstenons de vous en livrer le sens et nous cantonnons à proposer une traduction par la forme  – presque mot à mot – autant que faire se peut. Chacun en jugera selon son intime convection. Pour ce qui est de notre opinion vous avez à la suite et en sus de cette traduction une interprétation qui débouche inéluctablement sur le sens qui résulte du tout. Mais examinons de prime abord certains terme d’un point de vu sémantique.

B)- la charge sémantique de certains termes

tasa: foie, fond, sentiments, chéri(e), amour ou siège des émotions.

idammn n tasa: littéralement sang du foie,  ce qu'on possède, matériellement, et considère de plus cher (un bien, un objet ou des deniers).

Sslam: d'origine orientale, signifie, pour l’arabe, salut. Il en est de même pour ce qui est de l'amazigh. Sauf qu'il a un second sens: présent. «yuzn iy id imikk n sslam» il m'a envoyé un petit cadeau.      

allahukbar: (Allahu akbar) d'origine orientale, s'introduisit au Souss avec l'islam. Dans son contexte arabe signifie Allah (Dieu) est le plus grand. Dans le contexte d’amarg c'est une interjection qui exprime le désespoir. Dans d'autre contexte il peut aussi exprimer la compassion et la pitié. 

Tattuyt : verbe attuy (ad attuy) (conjugué à la personne de l’interlocuteur singulier) et signifie être haut, grand (arbre ou animal), abrupte, inaccessible (montagne, falaise, astre, …).                                               

Ajdaâ: poulain (petit de la jument). En amarg, jeune fille.

Illa h rraht: littéralement: il est oisif et reposé. Signifie  qu'on mène une vie facile (on se la coule douce), n'a pas besoin de travailler, est aisé ou même vie dans le luxe.    

tarigt :  selle (de cheval) ou siège (de cycle ou moto). En amarg érotique, l’expression «ila tarigt», il est sellé, s'utilise pour signifier, selon que la forme du verbe est négative ou affirmative,  qu’une jeune fille, respectivement, est encore ou n'est plus vierge.

Amnay : cavalier. En contexte d'amarg, l'homme, en tant que partenaire sexuel d’une femme.                

Tamunt: compagnie, groupement, rassemblement, meute, ramassis, collecte, collection, fréquentation, union, mariage ou aventure sexuel.

Ahh : interjection prononcé, par réflexe, lors de piqûre ou brûlure,… ; en cas d'appréhension d'une conséquence fâcheuse d'un acte ou d'un fait ; en cas de sentiments fort de jouissance et de plaisir ou de désir charnel incontrôlé. Et en cas de chagrin ou de sentiment de douleur.

Alatif: d'origine oriental (en arabe ya latif ), littéralement 'ô toi clément' s'adressant à Dieu. Dans le contexte amazigh c'est une interjection prononcée en cas de malheur. Il s'emploie dans des situations contrariantes, de faiblesses et de dépassement par les évènements. Dans un certain langage, on dirait «zut! , la vache ! flûte! ...».

tazzwit: abeille. Sur le plan sexuel, personne sans partenaire stable et qui en multiplie au gré du hasard et au jour le jour. Aussi, sans être péjoratif et d'un point de vue machiste, personne légère (de mœurs).

allaâawn: (Allahu âawnuka) d'origine oriental, littéralement qu'Allah vous assiste. Se dit à quelqu'un, par qui en passe, entrain de faire quelque chose. C’est une façon de saluer, en forme de bénédiction. En l’occurrence, et en amarg en général souligne le caractère éphémère d'une situation ou, plus particulièrement, d'une relation.

isaffn: au singulier asif, rivière ou son lit une fois asséché. Exprime la grandeur en nombre (ulli gant dars asif: son troupeau est comme une rivière). En amarg et au singulier, symbolise l'homme en tant que mari ou partenaire sexuel d'une femme. Dans le même sens on utilise également, selon le contexte, toute source ou retenue d'eau, naturelle ou artificielle, tel que «anu» ou «uggug» respectivement puis et barrage.

Lbur: en agriculture, zone non irriguée artificiellement et cultivée selon les alias climatiques. En amarg, situation, pour une femme, ou l'accès à la sexualité est rare et difficile voir impossible, en raison soit des absences prolongées du mari, soit de l'environnement géo-social et culturel qui raréfie les chances de la rencontre et rend les contacts homme-femme peu fréquents.

Winu: littéralement le(s) mien(s). Signifie, selon le contexte,  ami, camarade, compagne. Au pluriel «winh, winnagh» le notre, les nôtres: toi, vous (sous entendu: à qui je parle). En poésie romantique celui avec qui on est complice ou pour qui on porte des sentiments d'amour ou avec qui on a des relations intimes.

Ayyis: cheval. Symbolise la femme en tant que partenaire sexuel, au moins potentiel, et supposée, sexuellement, expérimentée et non vierge.

Arkkab: cavalier, voir amnay ci haut.

Amawal: équitation, galop ou course d'un cheval ayant un cavalier sur son dos. Au figuré les rapports charnels.

Lbarud: Poudre (à canons), pour un homme, l'état d'excitation sexuelle, et où il fait la cours à quelqu'un ou amorce ou tente d'amorcer un acte sexuel par des préliminaires. Aussi les paroles, les faits et gestes tendant à courtiser une femme pour accéder à ses faveurs. Les préliminaires à un rapport charnel que celui-ci ait lieu ou pas.

Issufgh: (ad ssufgh) faire feu, ou tirer (arme à feu). Exprime, eu égard à un homme l'accomplissement d'un acte sexuel (couronné par l'éjaculation). L’éjaculation elle-même.

Amhmaz: l'éperon ou l'aiguillon. Dans ce contexte, le sexe de l'homme en état d'érection, qui,  d'ailleurs, peut être symbolisé par toute arme ou tout tranchant individuel ou portatif.

lkas irzan: verre brisé. Symbolise, eu égard à une jeune fille célibataire, la perte de la virginité sexuel avant le mariage (au sens juridique), ou avant de rencontrer celui qui en parle ou l’homme en question.

atay: le thé, et en amarg les rapports charnels.

Cala: la course en compétition de plusieurs personnes à pied ou à dos d'animaux. Eu égard à un homme, la situation où il est en concurrence avec un ou plusieurs autres partenaires sexuels d'une femme, tel le client d'une prostituée.

Âdl: faire. Verbe passe-partout signifiant, selon le contexte, fabriquer, réparer, entretenir, soigner, cuire, manger, .... En parlant d'un animal, tuer, écorcher et extraire les tripes.  En parlant d'une personne, ou d'une partie de son corps, soigner, frapper, battre, casser. Et en optique machiste, baiser.

tasila: fond (intérieur), base (sur laquelle repose une chose) ou fer à cheval. Aussi une plaine par rapport à une auteur l’avoisinant.

ccrj: selle, voir tarigt ci haut.

C)- Proposition d'une traduction:

1. Ô toi amoureux, renonce au sang de ton foie

2.salutation en amour n'est pas que paroles

3.malheur ! ambre gris, où puis-je te trouver?

4.je suis pauvre et n'ai rien en mains

5.ô toi soleil dans les cieux tu es inaccessible

6.voilà un poulain  blanc et choyé

7.il est seul et n’est encore jamais sellé

8.le cavalier est ravi du blanc: il teint une selle

9.ô toi, soyons copains que je sois à tes cotés

10.ô toi d’un amour platonique !  Je désire l'union

11.l'amour n'est pas un  vice il est dans mon cœur

12.je suis une abeille, je sillonne  toujours les chemins

13.je t'en veux, ô toi l'amour, tu ne dure point

14.zut ! L’intérêt te côtoie toujours

15.salut ! fleure bordant les rivières

16.celle des garrigues aussi j'en espère médications  

17.«donne la main, prends ma main

18.je ne te quitterai pas mon amour

19.je t'offrirais mon amour

20.c'est à toi que j'ai ouvert mon cœur»

21.alors que je ne possède rien

22.cheval et cavalier à quoi veulent-ils l'équitation?

23.il doit tirer avec de la poudre

24. l’éperon est obligatoire, la selle est obligatoire

25. qu’il face les exigences qu’il ne le ridiculise pas

26.un verre cassé n'est plus

27.je le quitte, que faire avec?

28.le thé, je n'en veux plus

29.un cheval bon à la course

30.je lui fais le fer

31.la selle,aussi, quoiqu’il en porte.

III- à propos de nos étudiants et chercheurs en littératures amazighes:

Le verdict, en méconnaissance de cause, relaté ci haut, soulève plusieurs objections. En effet, L'amdyaz  a bien sélectionné ses mots et paraît loin d'ignorer les règles basiques de la communication, notamment la conscience sociale et le langage de l’interlocuteur: son public.

Les emprunts à l'arabe ont, dans ce contexte, une mission toute particulière (A). L'objet disparate et l'incohérence des expressions ne sont qu'une illusion. Au contraire, elle prouve la réussite du codage et  des figures de style (B). Pour ce qui est de l'illettrisme, ne perdons pas de vue que le savoir reste relatif est la science que détient notre amdyaz reste, à plusieurs égards inaccessible à une bonne partie de ceux qui savent lire un caractère donné, en l'occurrence araméen (C). Quand au référentiel, c'est là la clée de toute communication réussie, disent les experts en techniques de communication (D).

A) – l'arabe comme auxiliaire de l'amazigh une arme politique:

Le reproche des emprunts à l'arabe n’est pas fondé car ne tient pas compte du contexte socioculturel. En effet, ils sont sciemment et savamment employés et l’amdyaz  n'est pas sans connaître parfaitement les termes amazighs appropriés. On entendra les mots arabes ' lhubb ', ' ssrj ', et ' lzrg ' au lieu de, respectivement, «tayri», «tarigt» et «umlil» (amllal) soit (amour, selle et blanc en parlant d'un cheval). Dans les faits, cette technique de communication, empruntée aux talbs, remplie une double mission.

En premier lieu,  soulignons que seul le langage des talbs se distingue par sa saturation en termes arabes. Il est courant de les entendre dire ' lqbr ', ' lihsan ', ' lwrt ' et ' lfjr ', termes arabes signifiants, respectivement,  tombe, bienfaisance (ou aumône), succession et aube, au lieu des termes amazighs «asmtdl»,  «afulki» ou «tikki», «tamsult» et «tayyilgi». Cette langue assaisonnée au jargon de la Chariâa (Droit islamique) confère un statut de scientifique et du charisme à celui qui a la capacité d'en manier. C'est donc ce code 'scientifique' qu'exploite l’amdyaz. En imitant la langue et la rhétorique du talb il s'arroge, au sein de la société, les mêmes égards réservés à ce premier et se place parmi les plus auréolés détenteurs du savoir et du pouvoir d'influence. Aussi est-il courant de faire référence à amdyaz  en citant ses vers comme adage ou proverbe, tout comme ont cite le talb, pour signifier le bien fondé de ce qu’on allègue.

Dans cette antinomie discursive amdyaz-talb, le premier s'en sort plutôt bien, surtout que de temps à autre, dans son amarg,  il fait éloge et allégeance à ce dernier. C’est sa manière de faire figure parmi les fidèles toujours sur le droit chemin. Cette arme politique fatale lui épargne les attaques sarcastiques de son rival. Machiavel n'a-t-il pas mis en garde le prince contre les flatteurs. Le talbs en est réduit à partager, avec lui en catimini, le temps et les largesses de la société. En effet,  la «slukt», festin pour un groupe de talbs en échange de psalmodier quelques versets coraniques et de réciter de la poésie arabe à la gloire de l'islam et de ses symboles, l'exemple de la «borda», ne dure qu'un moment de la journée. Les talbs n'y sont qu'entre eux, et, quand même quelqu'un assiste ce n'est que dans la pièce à coté pour attendre qu'ils en finissent, car leur science est inaccessible. L’ahwac, soirée d’amarg et de danse – boite de nuit en pleine aire–, lui dure toute la nuit avec l'assistance et la participation de  toute la société, hommes et femmes jeunes et vieux, à l'exclusion du talb. Serait-ce parce qu'il n'y comprend rien, ou par crainte d’Allah?

Cette question se pose avec acuité et ce devrait faire l'objet d'une approche à part. Le talb et nos universitaires en question ci-haut, ont une caractéristique commune: l'apprentissage et la découverte, à timzgida (école coranique) pour le premier et à l'école makhzanienne (le Makhzen désigne l’Etat) pour les seconds, du génie de la poésie arabe les empêchant jusqu'à soupçonner l'existence de celui de celle des amazighs. Mohamed Moukhtar SOUSSI, se vente d’être cherif (descendant du prophète de l’Islam) et aalim (savant) et a passé la dernière partie de sa vie à sillonner le Souss pour consulter les bibliothèques des oulémas  (savants) ou de leurs descendants. Résultat, une avalanche de livre renfermant des listes bibliographiques et d’arbres généalogiques. Pour lui, c’est cela écrire l’Histoire de Souss, mais dans tout ce qu’il a copié et transcrit, et qui regorge de poèmes en arabe écrits par les oulémas du Souss, il n’a noté aucun vers de l’amarg car, il devait le considérer comme futilités d’ignorants et d’illettrés. A la rigueur, il faisait allusion au sens d’»un poème de chelha» (variante de la langue amazigh à Souss) sans jamais en rapporter la teneur, mais en traduisait un vers pour affûter ce qu’il avancait comme faits historiques. Décidément, s’il a lu la mouqadima (introduction) d’IBN KHALDOUN, il n’en a rien saisie, en ce qui concerne les reproches de ce dernier au type d’historien que représente M. Soussi.

En second lieu, ce type d'emprunt répond à un souci des valeurs. C'est que l'arabe – c'aurait pu être une autre langue- permet d'atténuer la charge du message dans une société amzighe qui ne soupçonne pas trop le sens des termes arabes qu'elle utilise. En effet, il  est moins grossier et plus tolérable, en tout cas c'est perçu ainsi, de dire lxxra, lkrr et lqqlawi au lieu, respectivement,  d’«ixxan, axna et ixratd ou imnyarn» (respectivement merde, cul et couilles), la grossièreté s'en trouve plus atténuée et ça ne heurte pas, outre mesure, les sensibilités. Le talb parle ouvertement, et c'est courant,  de «nikah» sans que personne ne s’aperçoive qu’il s’agit, bel et bien, de «tuqqut», le coït.

B) – l'objet, en apparence, éparpillé, en fait,  un codage approprié:

Au 1er vers, l'auteur adresse la parole à un amoureux, dès le 3ème, il veut acheter de l'ambre gris, au 5ème,  il s'intéresse au soleil, et voilà qu'au 6ème, il trouve un poulain et, soudain, au 12ème, il se métamorphose en abeille, au 15ème, il parle aux fleurs, au 17ème, il veut se marier, au 22ème c'est l'équitation qui l'intéresse, au 26ème, il est question de verre et au 29ème, c'est les chevaux de course.  Bref, un poème chaotique. En apparence, tout de même, car au fond le poème est d'un seul tenant et traite d'un seul sujet. Les changements constatés, tout les quelques vers, sont en fait le reflet du choix des matériaux les plus appropriés à chaque étape de la construction. En effet, les symboles et les figures nécessaires au codage  différent d'une scène à l'autre: tout ne peut être codé de la même façon. On est bien obligé d'utiliser «ayyis» au lieu de «tazzwit» quand le contexte l'impose.

C) – l'illettrisme n’a pas à sous-entendre l’ignorance comme l'alphabétisation ne peut être assimilée au savoir:

L’alphabétisation comme l'instruction scolaire n’est que relative. Les deux ne se conçoivent que dans les frontières d'une graphie et d'un système scolaire donnés. Les diplômes universitaires n'ont de signification que pour les établissements les ayant émis et encore faut-il que des personnes et surtout des États, leur attribuent une quelconque valeur. Le tout reste tributaire du contenu des programmes, de la qualité des formateurs et des encadrant et des penchants et cursus des diplômés. Ils ne signifient pas plus qu'un témoignage de l'instance qui les a émis que le titulaire a suivi une certaine formation et que lors des testes y relatifs celui ci a été sanctionné et que l'ensemble de ses sanctions permet de lui délivrer ce papier. Lequel papier est susceptible de lui ouvrir certaines portes, mais pas forcement celles du savoir, sans plus.

Bien des docteurs, es que sais-je, confient leurs voitures à des mécaniciens qui n'ont jamais été à l'école ou, en tout cas, qu'ils taxent d'illettrés. C'est cet analphabète qui décide du sort de la voiture du docteur, lui le savant, qui n'a jamais fourré le nez dans le manuel de l'utilisateur délivré avec la voiture par le constructeur, et même s'il l'a fait il y a de forte chance qu'il n'y saisisse même pas l'essentiel. Il ne peut toujours pas se passer du conseil de l'illettré, son mécanicien, et parfois, même pour des évidences.

Le maniement, donc, d'une graphie donnée n'ouvre pas les portes du savoir et son absence n'empêche guère d'en savoir plus que les autres, eu égard à un domaine donné. Si une filière universitaire  offre les possibilités de s'initier à un savoir donné, mais dans une branche limitée, elle n'autorise pas à croire que les autres qui n'ont jamais été à l'école ne peuvent accumuler du savoir dans un domaine à force de s'y adonner.

La qualité du savoir de l'universitaire dépend de son assimilation des outils acquis et de sa capacité à les déployer, adéquatement, en chaque situation. Ne perdons pas de vue que le savoir reste relatif est la science que détient une personne reste limitée. L'amdyaz  détient un savoir, à plusieurs égards, inaccessible à une bonne partie de ceux qui savent déchiffrer un caractère donné, en l'occurrence le caractère araméen. Quand même il parait incapable de l'enseigner aisément,  et ce eu égard à notre conception de l'enseignement, lorsqu'il s'agit de faire, il manie ses outils avec l'aisance du poisson dans l'eau.

En amarg il est fréquemment question de «ccix», le maître, que l’on reconnaît détenir son savoir de lui, sans le nommer.  Il y a donc belle et bien une formation à la base et le reste est laissé aux capacités d'autodidacte de l’amdyaz  et à sa dextérité à manier les outils acquis et,  même, à en inventer d’autre par occasion.

D) – La maîtrise du code et du référentiel reste la règle d'or de toute communication réussie:

Si le choix du langage, dit code en didactique des techniques de communication, reste déterminant pour que le message parvienne au destinataire, le traitement réservé au référentiel, de ce dernier, s'avère le principe actif de toute communication efficiente.  Il ne suffit donc pas d'utiliser la langue la mieux comprise par l'interlocuteur, mais aussi, selon les résultats escomptés, il faut tenir compte de la religion, des traditions, de l'histoire, des mœurs, des us et coutumes,… bref de la conscience sociale et de toutes les composantes de l'environnement culturel.

En fonction des intentions, que ce soit pour froisser son amour propre ou pour amadouer son ego,  il suffit de savoir manier les symboles de l’interlocuteur dans le bon sens.

Ce n'est, donc, pas par hasard que notre amdyaz utilise un terme au lieu d'un autre, et il n'est pas un terme superflue dans le poème. Ayant assimilé les règles de la communication, l'auteur est parvenu, par ce poème, non seulement, à transcender la vulgarité attachée à tout discours érotique, mais aussi, à contourner le tabou sans heurter les valeurs, par un style figuré, un langage en symbole et une rhétorique accrochante.

A présent, que cette mise au point est mise au jour, essayons de décrypter le message.

IV - L'interprétation

Le poème traite des difficultés, en relations amoureuses, de son auteur. Par une théorie générale, en cinq vers,  il nous introduit dans une aventure qui a tourné court. Il croit et affirme qu'en amour la richesse matérielle est déterminante, et (01) qu'il est impératif à tout amoureux de renoncer à «idammn n tasa»: ce qu'il possède de, matériellement, plus cher, En d’autres termes l’amour s’achète à prix fort. (02) Par une judicieuse rhétorique il explique, à qui ne le sait pas encore, qu'en amour il faut prendre le mot «sslam» non pas dans son sens  verbal «ad ka tsawalt» (juste parler), mais plutôt, en joignant l'acte à la parole, dans son sens entreprenant de générosité: consentir des présents. Ainsi, (03) pour ce qui est d'un miséreux, l’amdyaz  compare la quête d'une relation amoureuse à celle de l'ambre gris. En effet, au Sud du  Maroc, l'ambre gris, utilisé aussi bien comme panacée que condiment, reste rare, très onéreux et un symbole de richesse. Sa  difficulté à nouer une relation désintéressée est exprimée par l'interjection de désespoir «allahukbar». (04) Franchement et sans langage codé, il fait part de son problème principale: le dénouement total. (05) Autant essayer de décrocher le soleil que de chercher une telle relation.

Sa thèse achevée, il entreprend à présent d'étayer la théorie en la confrontant à des épreuves vécues et tirées de sa propre expérience. Mais voilà qu'il s'égare, en langage du moins, et parle de poulain et de selle alors que notre sujet est bel et bien  l'amour. En fait ce n'est qu'une apparence, il vient d'aborder le vif du sujet, sauf que ce lui-ci est tout tabou, le franc-parler est donc prohibé.

Toutefois, comment résoudre le dilemme de chanter librement sa peine et taire les termes appropriés. Autocensure oblige,  les impudeurs doivent être évincées, sans, toutefois, dénaturer l'histoire ni la dépourvoir de sa teneur. C’est le rôle des termes dont nous avons souligné la portée sémantique ci-haut. (06) l'auteur tombe sur une jeune fille de couleur blanche (ajdaê n lzrg) de condition sociale aisée (illan gh rraht). Cette dernière expression, utilisée en parlant des personnes riches et qui vivent dans le luxe, nous vient de l'époque, où à l'opposé de ceux ci, chez les pauvres, tout le monde devaient travailler pour manger. Ce luxe là était le cas des igwrramn (les nobles), des oulémas et des talbs, mais aussi des commis du Makhzen qui n'ont pas besoin de travailler (physiquement) pour vivre. Ces classes étaient aussi exemptes des corvées collectives et fiscalement exonérées.

Au depart, l’amdyaz  croit que la jeune fille (07) n'a pas de relation (iga wahdut) et toujours vierge (urta jju lin trigt). Précisons que le terme «tarigt» ou l'un de ses synonymes et plus précisément l'expression «ila tarigt» (il est sellé) désigne l'état d'une femme débarrassée de l’hymen ce qui élargie l'éventail des rapports charnels. Signalons que, dans cette société traditionnelle, une fille doit conserver sa virginité si elle veut gagner le respect non seulement de son futur mari, mais aussi de toute la société. Dans la négative, et si le mariage se maintient, pour une raison ou une autre, elle doit être capable de subir les caprices de son mari insatisfait et faire preuve de génie pour faire durer la cohabitation. Mais, il faut dire qu’heureusement, avec les progrès de la médecine esthétique au Maroc, l’ouverture d’esprit de bon nombre de médecins, eu égard à la réfaction de l’hymen, et l’accès des jeunes filles, en masses, aux études, les incidents liés à l’honneur (absence  de virginité) deviennent de plus en plus rare. Avec les avancées technologiques, on parle même d’hymen  artificiel, à 40 dhs (moins d 4 Euro), que l’on peut placer facilement et rapidement comme un vulgaire tampon. A la campagne, où l’illettrisme et, par conséquent, l’inaccessibilité aux médias son, encore et pour la majorité, de mise, les jeunes filles doivent souffrir la frustration encore longtemps et  beaucoup plus lourdement par rapport aux citadines.

L'auteur,  subjugué par l'apparence de la jeune fille et par l'idée qu'il s'est faite de son intimité, tombe amoureux.  Il parle d'un cavalier heureux car il tient,  enfin, une selle (08) «ifrh umnay i lzrg ufan tarigt», en fait, il ne s'agit que de sa propre personne. Et il proposa la vie commune à la jeune fille (09) (rwah a nmun a kra ad ilih tama nk), il la chérissait et on le remarque par l’usage du terme «kra», littéralement quelque chose, qui s'utilise pour s'adresser à quelqu'un qu'on ne connaît pas, mais à qui on s'intéresse, ou une à personne dont on ne veut pas cité le nom. Et généralement, il exprime la différence et l'amour, même eu égard à la personne qu'on connaît bien.  Ses sentiments forts sont marqués par l'interjection «ahh». L'amdyaz se sentait bien, surtout (10) que c'est une relation, pour l'autre partie, désintéressé  (ahbib n f rbbi), littéralement, amour pour Dieu. Il exprima sa volonté de mariage à la fille (rih tamunt). «Tamunt» désigne aussi bien le mariage, au sens juridique  du terme, que les relations hors mariage qu'elles soient durables ou passagères.

Dans l’amarg, l’amdyaz  se comporte comme dans une discussion entre plusieurs personnes. Ce qu’on entend est parfois sous forme de réponses à des questions inaudibles qu’il faut deviner. En l’occurrence, Comme si l’on lui reprochait sa faiblesse, ou comme pour prévenir une telle attaque, il explique à l'avance ce qu'il relate comme advenu et pour mieux faire comprendre la suite de l'aventure, il ouvre une parenthèse et se défend en alléguant que (11) ce n'est pas une faiblesse que d'aimer car c'est le cœur qui en est à l'origine, sous entendu que cela échappe à la volonté. Il ajoute, implicitement, qu'il n'est pas un débutant, (12) et qu'il a beaucoup vagabonder (en matière de relations sexuelles) (nga  tazzwit nhada ka igharasn). Tel une abeille, qui passe d'une fleure à l'autre, il va d'aventure en aventure. Cependant, (13) ses relations ne durent pas (ur ak nsmih a lhubb ur a ttmadtalt). La raison en est (14) qu’elles  sont fondées sur la contrepartie matérielle (alatif dima lghrtd illa h tamank).  Le caractère fugace de ce type de relation (15) est annoncé par le terme  «allaâawn»,  forme de salutation usitée par le passant. En amarg, génralement, «ajjig», la fleure, symbolise l'autre en tant que partenaire sexuel, du moins potentiel. Il peut donc s'agir d’une femme comme d’un homme, tout dépend des tendances sexuelles de l’auteur, car il ne faut jamais s'en tenir à la personne ou au groupe qui chante. Dans le présent contexte, il ressort de la globalité du poème que c'est une personne de sexe masculin et attirée par les femmes, qui parle.  Dans (... ay ajjig illan f isaffn), «ajjig», a une double charge symbolique. En plus d’être le partenaire de l’abeille, la fleure en voit défiler en nombre. Ce qui implique qu’il est question d’une femme dont les partenaires sexuels sont, au moins potentiellement, pluriels. Et si l'on sait que les sources et les retenues d'eau tel que uggug, anu, asif (barrage, puis et rivière) symbolisent l'homme, en tant que mari ou partenaire sexuel, et que dans ce contexte isaffn est un pluriel, de asif, alors qu'ajjig est singulier, on en déduit la singularité de la femme et la pluralité de ses partenaires et par conséquent, on comprend qu'il fait allusion à celles, communément, appelées putes  «ajjig illan f isaffn». (16) «ajjig n lbur» lui symbolise, exclusivement, la femme qui n'a pas toujours accès aux hommes (mal baisée, en langage machiste), c'est le cas à la campagne et aux montagnes du Sud du Maroc, où les hommes immigrent en nombre dans les grandes villes et à l'étranger le long de l'année et ne sont présents que durant de brefs séjours. Ses aventures avec celles-ci sont rares (et pour cause le poids des traditions, le petit nombre de la population, l'étroitesse de l'espace et surtout tout le monde se connaît), d'ailleurs, il a symbolisé ce fait par «isafarn», au singulier «asafar», qui signifie le remède, le traitement, la potion ou la panacée, mais aussi la rareté ou la petite quantité. En ce sens, l'auteur à inscrit isafarn dans l'antipode de isaffn. En d'autres terme notre amdyaz  a fréquenté les prostituées et a eu de rares aventures au village.

Las de cette quête permanente des vendeuses de charme et (16) rebuté par les difficultés d'accès aux campagnardes, c'est l'occasion rêvée de tout arrêter et de commencer, en fin, une relation sérieuse, stable et surtout désintéressée. Et l'auteur de fermer cette parenthèse, de sa vie en galère. Fini les tractations sur le prix, c'est une nouvelle vie qui s'annonce, et le discours qu'il entend cette fois est tout autre: il est exempt de toute demande de contrepartie

En effet, il rapporte, sans codage,  le discours que lui teint la jeune fille, «être ensemble (17), ne jamais se quitter (18), mon amour n'est que pour toi (19) et c'est à toi que j'ai ouvert mon cœur (20)». Toutes ces bonnes paroles, et tous ces compliments alors (21) que je   ne possédais rien, souligne l'auteur. C'est trop beau pour être vrai dira-t-on.

Et voilà que la suite de l'histoire se corse, et l'auteur se remet au cryptage. Pour ce faire il n'adopte pas un style affirmatif mais commence cette partie de l'aventure par une interrogation: (22) «ayyis» le cheval et «arkkab» le cavalier à quoi veulent-ils l’«amawal», la course? En termes directs il aurait dit qu'est ce que vous croyez que nous faisions, elle et moi? La réponse et dans les trois vers qui suivent. (23) «labudd n lbarûd wadt ukan issufgh»: il faut user de la poudre et tirer. En effet, les armes et les munitions symbolisent, toujours, le sexe de l'homme, et le tire «issufgh»  schématise le coït d'un point de vue machiste (cela rappelle, en argot français, l'expression 'tirer un coup'). Ce qui signifie qu'il a bien eu au moins un rapport sexuel avec la fille sauf que c'est unilatéral, mais il n'a pas précisé sur quelle partie du corps de la fille il a pointé son arme. Car il n'y a rien qui permette d'affirmer que la fille a participé, et pour cause seul le sexe mâle est en question jusqu’ici. (Rappelant, aussi, que les munitions et le tire représentent  tous les compléments, la courtoisie et la cours qu’on fait à quelqu'un et toutes les paroles et tous les faits et gestes tendant à courtiser une femme pour accéder à ses faveurs, que le rapport ait lieu ou pas.)

   Cependant, il y a eu une évolution décisive dans la relation, on comprend par la suite (24) que les choses se sont faites à deux. L'arme qui fait feu sans qu'on ne sache sur quoi laisse palace à deux autres équipements: l'amdyaz précise que «labudd n umhêmaz labudd n tarigt». Rappelez vous, qu'au départ, il nous disait que la fille n'avait pas de relation et qu'elle était toujours vierge, et souvenez vous que «amhmaz» symbolise la verge et «tarigt» le vagin sans hymen. Et notre amdyaz  a abandonné, peut être inconsciemment, le terme ajdaa (06) pour celui de ayyis (22). C’est que les deux sexes, à la fois, sont entrés en scène: il y eu pénétration vaginale. (25) Un homme doit tout tenter  «ays iskr ccurutd» (remplir les conditions ou plus précisément faire tout le nécessaire), en «amawal» la fornication, pour qu'il ne soit pas l'objet de moqueries «ad srs ur icmmt». C’est dire qu’il a été très entreprenant et est aller jusqu’au bout de ses fins: des rapport charnels normaux. Car, en psychologie machiste, on risque d’être ridicule et objet de moquerie et sa virilité mise en question, si on n’a pas été entreprenant avec sa compagne.

Et le monde s'écroule, notre ami essuie une déception cuisante,  ce qu'il croyait toujours intacte ne l'était déjà plus: (26) un verre brisé n'en est plus un. Cette symbolique du verre brisé rend le fait que sa compagne a ''perdu'' sa virginité avant qu'il ne la rencontre. Et le verdict se fait sans appel et sans pitié: (27) il décide de la quitter «ira adt nzri». (28) il n'a même plus envie de lui faire l'amour «atay ur tn sul nra». On comprend maintenant pourquoi la fille a accepté de l'épouser et pourquoi il a eu droit a un joli discours d'amour malgré sa pauvreté. Implicitement, l’amdyaz  nous dit qu'il y eu une contrepartie de l'amour de sa compagne, quoique morale, c'est tout de même un prix à payer: renoncer au privilège de la virginité. Ce contre quoi il nous a mis en garde depuis le départ s’est avéré: sans richesse matérielle et sans contre partie, il ne faut pas rêver, on n'aura jamais celle qu'on veut vraiment.

L'issue est incontournable: retour à la débauche. (29) l'expression «si un cheval est bon pour ''cala'' la course» laisse sous entendre qu'il devrait y en avoir de mauvais. En fait, le terme «cala» ne s'utilise qu'en parlant de personnes. Il y a donc lieu d'affirmer que ce n'est pas le cheval qui entre en course mais des personnes, mais pourquoi faire? C'est que notre cheval est une femme, mais pas n'importe laquelle: l'auteur insinue celle pour qui plusieurs hommes entre en course ou plus précisément en concurrence: une prostitué. L’amdyaz  déclare qu'il (30) lui fera le fer à ce cheval «ad as nâdl  tasila», sauf que pour un cheval, on ne fait pas un fer, d'ailleurs il en nécessite quatre. A la rigueur on peut parler de lui en mettre «ad as ng tisilawin» ou, tout simplement, de le ferrer «adt nsmmr». En fait, vu les différentes acceptions que peut prendre «tasila»,  ce n'est pas le fer à cheval qu'il faut entendre ici. En conséquence, il faut sélectionner le bon sens parmi les trois autres: la plaine, le fond ou la base. De prime abord, le sens plaine ne tient pas dans le contexte, et il en est de même pour le fond, s'agissant d'une femme, c'est donc au sens ''base'' qu'il faut s'en tenir. 

«tasila», la base  de toute personne  c'est la partie de son corps sur laquelle elle se pose ou plutôt s'assit: son cul. «âdl tasila» faire la base à sa partenaire insinue la sodomiser.

Mais pourquoi (31) «ula ccrj waxxa it ila» la selle aussi même s'il en porte, déjà? La réponse est à chercher dans les faits socioculturels. Nous vous parlions du rôle de la virginité dans les relations de mariage, ce qui fait qu'avant, un rapport sexuel ordinaire n'est pas toléré. Aussi est-il une nécessité, si non une fatalité, de trouver d'autres moyens d'avoir des rapports charnel tout en conservant la virginité. Dans cette société où la sodomie est synonyme de perversité, la demande en divorce introduite par l'épouse, au motif de ce type de rapport sexuel avéré ou au stade d'avances manifestes du mari, aboutit toujours. Si le juge accède toujours à la demande de l'épouse, c'est qu'à l'opposé de l'adage, en droit moderne, «dans le doute s'abstenir» l'inverse  prévaut en droit coutumier: dans le doute vaut mieux agir. C'est que le juge ne peut se permettre de laisser une femme subir ce qu'elle ne désir pas. Les fondements ultimes d'une telle jurisprudence ne sont pas la cessation des sévices ou  le respect de la volonté de la femme mais plutôt  le référentiel islamique qui n'admet d’autres rapports sexuels que ceux tendant à la procréation.  En pareil demande en divorce la femme n'a même pas besoin de parler il lui suffit, une fois face au juge, de renverser une chaussure. Le verdict fatal tombe aussitôt. On ne peut croire cette justice dupe, car, si une femme a l'audace d'en arriver là, c'est qu'elle désire le divorce à n'importe quel prix, d'où l'injustice de la débouter.

Notre locuteur, lui, ce n'est pas par nécessité qu'il pratique la pénétration annale (pour protéger la virginité) mais il la recherche pour elle même et sans la préférer à la pénétration vaginale (ula ccrj waxxa it ila), et il a bien exprimé son envie des deux. Et ne vous précipitez pas à dénoncer la perversité de l'auteur: ce n'est qu'un souhait du moment qu'il parle au futur, et pourvu qu'il trouve une partenaire et de quoi la récompenser. D'ailleurs n'a t il pas dit qu'il est pauvre.

À présent que l'image est claire on peut rendre une traduction par le sens. S'il était avec ses intimes, l'auteur dirait dans des termes machistes:

Pour baiser mecs, c’est pas avec des mots, faut payer. Ça coûte cher, et quand on est fauché, vaux mieux aller décrocher le soleil. Tiens ça par exemple, je suis tombé sur une  fille à papa, libre et encore vierge,

  J’étais super content d'être avec elle,  j’ai demandé qu’on reste ensemble, puisqu'elle  m'aimait sans contre partie. J'ai voulu l'épouser, et ne vous moquer pas, aimer c'est pas un défaut, c’est dans le cœur que sa se passe. T’imagine la galère, toujours à la recherche d’une nana,  ça dure pas ce genre de relation, parce qu'il faut payer à chaque fois. J’ai baisé plein d putes, des femmes du bled aussi mais très rares et pas facile.

Mais elle, elle m’ disait: «si tu m'épouse, je quitte pas, je serais toute à toi, j’ai ouvert mon cœur à toi».

tout c beau discours alors que j'étais fauché. 

Et qu'est ce on voulait de plus, il restait plus qu’a baiser, j'ai tirer quelque coups, mais fallait bien faire les choses, la totale quoi, je voulait pas être ridicule, et j’ai fini par la pénétrer.

Mais la pétasse elle n'était déjà plus vierge,       à quoi bon, j l’ai quitté, tellement dégoûté, j'ai plus vraiment envie d'elle, écoute, je me trouve une belle pute et je le lui met la ou je veux, je lui baise et le cul et la chatte.

Vous n’écouterez plus jamais de la même oreille l’amarg amazigh et vous y regarderez de plus près avant de porter un jugement.

Si l'auteur ne fait pas partie du groupe, UDADN a le mérite de nous avoir sélectionné  un texte d'un très grand niveau poétique et d'en avoir composer la musique. Ce texte rappelle les grands amdyaz amazighs de la première moitié du siècle passé, l'exemple de Bubakr ANCCAD, Bubakr AZAARI, Rays JANTI, Sfiaya ULT TLWAT, Fttuma TAGWRICT,… qui ont fait et font encore rêver de grands publics de par leur grande habilité à manier la rhétorique, la symbolique et la métaphore.

(Hassan BELLA)

 

 

 

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