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  (Juillet  2012)

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marghighda et les mysteres du marabout

Hassan banhakeia (Université de Nador)

 

C’était près du puits de l’Inconnu que Marghighda rencontra une vieille femme, celle qui gardait et entretenait le marabout «Sidi S…». Cette dernière la connaissait de renommée, on lui avait dit qu’une fille malheureuse avait choisi de quitter la ville pour se réfugier à Gurugu, qu’elle avait laissé derrière une vie de bonheur et d’aisance, que ses sœurs étaient des princesses, que les malheurs ne devaient point exister sur son chemin, mais elle était là, petite et misérable, seule et sale, qu’elle ne parlait à personne. L’étrangère lui dit alors que la chance existait sur le seuil des temples. Que nulle part ailleurs ne pouvait exister le bonheur, le vrai bonheur, cet état qui vous fait sentir être unique, seul à avoir ce que vous avez d’exceptionnel. La paix renverse les cœurs rancuniers et agités pour y prendre place. Elle lui apprit comment devenir heureuse grâce à la chance que distribuait indistinctement Sidi S…, depuis l’au-delà. La gardienne du temple savait comment les jours pouvaient changer de teint, notamment vers le blanc, le nacré, et la jeune fille pourrait être au-dessus de tout le monde, suprême...

La jeune fille voulut alors profiter de telles paroles, et demeura en compagnie de Nunja durant des heures, oubliant de puiser de l’eau. Mais, à la fin elle se rendit compte que ce ne sont que les paroles de la bonne femme qui étaient du blanc : sa naïveté débordait amplement de ses mots.

Assise sur le bord du puits, la bonne femme lui jura qu’elle ne mentait jamais aux autres, mais elle pouvait le faire parfois à soi-même. Cela n’était point grave quand les paroles mauvaises demeuraient là où elles naissaient. Les deux femmes parlaient à cœur ouvert, et elles voulaient tout se dire, comme si elles n’allaient jamais se revoir.

Maternelle, Nunja lui prit les mains dans les siennes, lui caressant doucement les paumes avec les deux pouces.

Bessy s’approcha subrepticement des deux femmes, la queue brisée par la méfiance.

– Et cette chienne qui te rapporte tant d’opprobre ! Débarrasse-toi d’elle. Jette-la depuis le Grand Rocher.

Comme si elle avait tout compris, la chienne se tourna sur elle pour partir loin.

Une femme sans âme. Son cœur ne bat que du sang, pas de bons sentiments…

La gardienne du temple vint alors au vif du sujet : elle voulait l’avoir avec elle, là-haut, dans le marabout. Sans hésiter, Marghighda refusa l’invitation de la vieille, elle aurait bien de la nourriture en contrepartie des coups de balai : Nunja avait dorénavant mal à incliner l’échine pour un tel travail à cause d’intermittentes crises de rhumatisme. Peut-être allait-elle trouver en elle une héritière, elle qui ne s’était jamais mariée. Marghighda se satisfit de lui répondre : «Tu gardes le marabout, moi je veille sur les vallons. Tu as la cime, moi j’ai les versants de la montagne.»

Certes, Gurugu est vaste comme le globe. Tout le monde pourrait y avoir sa place, et vivre à sa guise, si on y choisissait un coin à soi, et à vivre en paix.

Le regard rivé sur les orteils sales de la bergère, Nunja lui dit :

– Tu sais bien que ce puits n’offre son eau que par la bénédiction du saint. Aux âmes impures, il ne met rien dans leurs seaux, et s’il le fait ce sera de l’eau boueuse. Mais aux âmes pures, il leur offre eau fraîche, abondante…

– Distingue-t-il alors entre les pauvres femmes qui recherchent de l’eau ?

– C’est juste. C’est bien juste. Il faut distinguer entre les humains : les purs auront et la terre et le ciel, mais aux impurs il ne faut rien offrir.

Marghighda ne voulut rien dire à cette femme qui classait les hommes sans les connaître, définissait les choses sans les découvrir. Cette femme-là avait son monde, bien à elle, défini et juste.

*****

En pénétrant dans l’enceinte du marabout, Marghighda vit des visages malheureux : une douzaine de visiteuses de la ville. Elle ne reconnut personne. Bien chaussées et avec des vêtements propres et neufs, elles arrivaient ahuries, inquiètes et en possession d’un malheur. Stressées, elles parlaient incessamment, le corps collé à la tombe nacrée, en quête d’une chaleur mystérieuse. Il y avait celles qui rêvaient d’un enfant, d’un mari ou d’un travail qui faisaient défaut, et d’autres qui quêtaient la non réalisation de vœux d’autres personnes : la haine, la perfidie, la jalousie tout court. Tout ce qui se disait dans cet antre se faisait au son d’un cœur blessé ou endolori. Le mot «jalousie» revenait sur les lèvres des femmes, et il était synonyme de délation, trahison, avarice, luxure, infidélité…

De toute cette foule bruyante se distinguaient ce jour-là une jeune femme qui pleurnichait son sort auprès d’un mari recherchant une seconde épouse «pour bien vivre», et une vieille femme qui voulait vaincre le cancer «qui lui trouait l’âme».

Qu’allait-elle demander Marghighda au mausolée peint à la chaux laide et empoussiérée ? Certes, tout faisait défaut dans son univers, mais elle se disait «grandement contente» de ne rien avoir. Elle voulait voir l’univers, et peut-être agir pour le faire. Changer le monde en luttant pour des causes naturelles et justes, cela sonnait à son ouïe comme un idéal obscur. Tout ce que la Nature a fait, sera sans doute défait par l’homme. Le péché nécessaire de tout un chacun. Il est là au fond de toute âme. Il n’y a pas d’homme qui ne soit un pécheur… Tout cela la hantait dans son sommeil, et dans les ténèbres de la grotte il y avait des paroles qui lui disaient tant de choses maléfiques sur les humains, et il fallait refaire l’homme, accoucher une autre espèce qui serait différente de l’homosapien. Ce devait expliquer pourquoi elle manqua de pitié envers ces femmes malheureuses, et se satisfit de la formule muette :

– Idiotes dans toutes les histoires !

Le soleil ne pouvait y pénétrer, et seule la vieille porte laissait introduire une lumière éteinte. Tout au fond de la salle sans fenêtre, il y avait durant des siècles cette tombe, nichant sur un parterre de sol dur. Dormir un peu sur le bord du sépulcre blanc faisait du bien à tout être, il allait l’évacuer d’idées noires : la froideur de la pierre était magique. Les idées fixes s’y épinglaient : une main invisible les cloutait sur la terre sainte, et les nouaient comme pour en faire la fin d’un nœud.

Quand Marghighda se faufila à l’intérieur, tout près de la tombe, la seule femme qui la vit, se leva et s’enfuit dehors. Elle venait de faire sa demande de piété : ses filles ne trouvaient point de mari pour les faire épouses. La folle de Gurugu s’assit dans le noir, en silence. La gorge serrée, tant de mots s’y bousculaient.

En s’agenouillant, elle arrêta d’un coup sa prière. A quoi bon de prier en face d’un sépulcre cerné par onze femmes ? La prière était toujours valable pour communiquer avec Dieu, et elle le faisait l’âme en extase. Son amour de Dieu était constant, elle n’avait pas besoin d’intermédiaire, en la personne de ce saint qu’on disait volatile comme un oiseau, lorsqu’il fit son pèlerinage les bras en ailes depuis le Grand Rocher jusqu’à la Mecque, et toujours par le ciel il rentra sur Gurugu à la fin du mois lunaire.

En file indienne, les femmes sortirent quand la présence de Marghighda se fit plus manifeste, car elle ne cessait de répéter : «Allah akbar ! Allah akbar ! Allah akbar !»

Après les prières, les femmes s’étaient mises à faire ensemble le ménage : elles lavaient les ustensiles, balayaient le marabout et tentaient de rendre le lieu plus confortable pour y passer la nuit.

L’odeur de poulets «musulmans» emplissait la salle noire servant de cuisine, révélant que la cuisinière avait trop épicé le plat. L’heure du déjeuner était une vraie fête où le désir se faisait insatiable : l’on mangeait au milieu de cris affamés.

Marghighda eut sa part : elle mangea à sa faim après les femmes et les enfants. C’est bien Nunja qui lui posa dans un grand plat mi-cassé sa part. Il y avait beaucoup de nourriture : elle mit quelques ailes de poulets dans ses poches pour la pauvre Bessy.

A la fin du déjeuner, si les femmes se plurent à s’étendre sur le tapis, les enfants étaient dans la cour, autour du puits et dans les parages boisés. Quand les gosses ne s’agrippaient pas aux jupons de leurs mères, ils couraient, criaient, pleuraient et se bagarraient. Tout le marabout semblait une crèche sans seigneur.

*****

Pour partir du marabout, il y avait un sentier, tout étroit, qui déchirait tout en zigzaguant les troncs d’arbres touffus, frôlant les branches dorées sur lesquels commençaient à surgir des feuilles vertes : c’est la vie qui ne disparaît jamais. Il y a le printemps des arbustes, des herbes et des oiseaux. Cela rendait l’âme de Marghighda encore plus légère. Elle s’arrêta tout près du grand arbre, sur le seuil du marabout. Les vents y caressaient les linges attachés là-haut par les vieilles filles, les stériles, les délaissées, les répudiées…

Il y avait ce jour-là Tabezzaht, âgée de presque un demi-siècle, qui voulait avoir un homme coûte que coûte ; et dans ses paroles elle ne pouvait dissimuler son désir d’être prise pour corps, et de répéter «aryaz inu» (un mari pour moi) elle ne se lassait pas. Et que les autres femmes seraient jalouses d’elle, elle avec son «aryaz».

A l’entendre parler ainsi, toutes les femmes prenaient plaisir à cette requête. Cris, rires et paroles indéchiffrables s’explosaient dans la salle comblée, comme si c’était une ruche enfumée.

Mais, Lwiza mit fin à cette cavalcade déchaînée :

– Réveillez-vous, ô femmes !

Agitées par de telles paroles, les femmes abandonnèrent leur Rêve. Elles se levèrent, se mirent une à côté de l’autre, bien agenouillées. Un silence prédomina, laissa échapper une chaîne de remords des cœurs et fit dire aux femmes : «Satan nous a eues ! Damné Satan !»

Et à Lwiza d’ajouter :

– Récitons les versets pour chasser le Damné Satan !

Toute la troupe entonna des chants religieux, d’une seule voix, épelant les mêmes consonnes tout en insistant sur les voyelles hautes et basses.

Dehors, Gurugu faisait entendre des ululements affreux parce que le sirocco jouait à décoiffer des arbres, cuisant les pierres d’un souffle brûlant. Tout en bas, dans la «timsizzect», les jeunes filles s’attroupaient, au milieu de cris de joie, pour faire passer le corps «à marier» d’entre les rochers. La fissure disait si le corps était pur, et s’il était à mettre dans les bras d’un bon et juste mari.

Fatima, sœur de Tabezzaht, ne pouvait non plus brider ce rêve d’avoir un époux un jour, comme tout le monde, comme il faut. Il fallait alors passer à travers la fissure.

–Les mâles se font rares. En passant par «timsizzect», je vais avoir un être à moi.

– Passe alors ! lui criaient les autres filles.

Marghighda regardait l’air ébahi cette troupe de jeunes filles qui se bousculaient entre les rochers, et en file indienne passaient entre deux rochers pour dire que leur âme était pure, qu’elle aurait de la chance à posséder une autre âme. Les grosses, les pauvres grosses, n’arrivaient point à exaucer leur rêve : avoir un mari.

Seule Marghighda n’essaya point de passer par la fissure. Cela lui fit avoir une crise de rire fou. Ce à quoi les jeunes filles réagirent par lui dire de s’en aller, elle la folle mendiante…

Désespérée, Fatima voulut que l’impureté disparaisse de son corps. C’est par la pureté, et non par la beauté, que le mari pouvait être assuré.

– Alors, si tu essayais tandrart… Là tu pourrais prouver ta grâce à ces mauvaises langues, susurra Layla à la jeune femme démoralisée.

Fatima hocha la tête en signe d’acquiescement.

Dans tandrart, Fatima se virevoltait sur le sol, pleine de terre. Pieds nus, elle courait, et des pantoufles blanches devenaient empoussiérées. La pureté était alors facile à acquérir. A chacun son poids de pureté…

Il y avait là aussi toute la foule des femmes qui venait de se réveiller, après une sieste, pieds nus et d’envahir la place non boisée et en légère pente. Marghighda demeurait esseulée, tout près d’une souche brûlée par le soleil impétueux.

Les jeunes femmes voyaient dans les adultes des êtres vaincus par le désespoir fatidique. C’est le travail exécuté des djinns : les mères et les grand-mères avaient des articulations douloureuses et enflées, des maux de tête, des crises de nerfs, des insomnies et tant d’autres pathos au féminin, car quelque part le mâle était à l’origine, le grand djinn.

Minée par la curiosité, une femme surnommée par tout le monde «tafighra», s’approcha de l’âme solitaire :

– As-tu trouvé ma fille ce que tu cherchais ? fit Zubida, la compagne d’antan de ses parents.

– Oui, j’ai trouvé la solitude…

– Ah ! reprit la vieille voisine en aspirant une bouffée d’air.

– Et la paix, madame.

La femme curieuse rampa loin. Une telle fille sauvage ne veut même pas me nommer «Lalla Zubida», elle a plein de venin dans le cœur. Elle rejoignit les autres femmes, loin de cette chétive ombre de diablesse. Les femmes continuaient à prendre la pente, à rouler dans des sourires infinis, en s’imaginant plus pures une fois arrivées au bout de la descente.

Marghighda prit le chemin de la forêt, pour aller rejoindre sa Bessy, et les cris ne cessaient, prenant des airs d’hystérie générale, et cela s’immisçait au bruissement de la forêt, faisant un duo millénaire.

 

 

 

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