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Minucius felix, l’africain voilé (2ème partie)

par: hassan banhakeia (université de nador)

 

2°- LA TRIPLE PRESENCE DE L’AUTEUR

L’auteur a, dans son Octavius, a réalisé un produit littéraire de l’apologétique bien que la structure soit une mosaïque d’idées hétérogènes et éparses où le lecteur se trouve perdu entre un arsenal d’arguments et un ensemble d’analogies qui versent ensemble dans l’évolution du discours chrétien. Naguère africain et romanisé, l’écrivain entend se chercher dans la nouvelle foi catholique. La figure de l’auteur prend conséquemment trois valeurs différentes: un païen repenti, un philosophe voilé et un chrétien circonspect. Cette triple portée expliquerait la position du père de l’église qui ne cesse de «méditer» sa conversion dans une atmosphère politique de persécution.

En tant que dialogue, cette œuvre est-elle imaginaire ou un ensemble de faits vécus par le même auteur? Les historiens et les critiques sont unanimes: les personnages d’Octavius Januarius et Cécilius Natalis ont réellement existé. Le premier est un Chrétien converti, et le second un païen confirmé dans son adoration des faux dieux. L’on dit qu’il est ce même Cécilius qui élève un arc de triomphe à Cirta (Constantine) en l’an 215. Cette adoration est claire dans le texte: «Tout à coup Cécilius, qui nous avait accompagnés, apercevant une statue de Sérapis, porte sa main à la bouche et la baise, selon l’usage du vulgaire superstitieux.» (Oct.2) La position de l’authorship est alors nette. Le chef-d’œuvre, qui est en soi une preuve de sa foi nouvelle, est sous forme d’un dialogue entre Octavius croyant et Cécilius païen.

En plus d’être un texte d’argumentation qui défend la religion, l’Octavius est «une réfutation brève, mais habile et bien écrite, des accusations populaires contre le christianisme.»(1) Minucius, de par le truchement du narrateur, doit y tenir «la balance d’un juge équitable» (Oct.5) bien que sa conversion l’éloigne de ses premiers amis et habitudes. Toutefois, il y verra dans l’héritage traditionnel philosophique un commencement pour aboutir à la vérité (connue pleinement par le christianisme).

Seulement, quoique l’auteur évite de nommer le Christ dans le texte, il va être rangé parmi les Pères de l’église ! En outre, les discours mis en scène sont sous forme d’un prologue qui annonce les intentions de l’auteur. Cette présence subjective est tributaire dans le texte de la finalité à réaliser: présenter une foi apportant le salut à une société d’une part colonisé par le rituel impérial et romaine, et de l’autre malade de ses origines et croyances.

A.- UN PHILOSOPHE VOILE

Le christianisme philosophique de Minucius est généralement confus. Il se base sur un va-et-vient entre le théologique et le philosophique. Il prépare ainsi l’avènement de l’œuvre de saint Augustin. (2) A la philosophie gréco-latine va succéder une philosophie chrétienne qui se base fondamentalement de la langue latine de l’époque, de ses procédés et de sa poétique. Elle s’inspire largement du sophisme. En critiquant les philosophes, Minucius renonce-t-il alors à la philosophie? Ou bien entend-il avancer aux lecteurs être un bon philosophe et un pieux chrétien qui se retrouvent dans la sagesse du Christ? S’attache-t-il à quels enseignements philosophiques? Comment réussit-il à marier foi chrétienne et rationalisme (pour croire)?

Quand Octavius parle, c’est bien l’auteur qui insère son raisonnement. Sa vision du monde, de l’humain et du divin est totale: «Je ne nie point ce que Cécilius s’est principalement efforcé d’établir: l’homme doit chercher à se connaître, examiner ce qu’il est, d’où il vient, pourquoi il existe ; s’il est un composé d’éléments ou d’atomes, ou plutôt s’il n’a pas été créé, formé et animé par un Dieu.» (Oct.17) Ces interrogations mènent à «l’universalité des choses»: la cohérence, l’harmonie, la connexité existent entre les éléments de la nature. Cela est «à moins de nous être bien pénétrés de la nature divine, nous ne pouvons nous rendre compte de la nature humaine ; de même que nous sommes incapables de bien diriger les affaires d’un état, avant d’avoir une parfaite connaissance des lois qui régissent la grande société de tous les êtres.» (Oct.17) La réflexion de Cécilius, fondamentalement païenne, tourne autour du sens de l’existence, de la nature de la création…

Certes, l’auteur verra dans les Chrétiens des Philosophes, et vice versa.(3) Les trois personnages de l’Octavius ont cette double identité, munis de passion et de raison. Ils partent d’un background socioculturel précis, partageant de solides connaissances en philosophie grecque, nourrissant un dédain envers le local, et si Cécilius hésite devant une telle équation, c’est pour défendre la culture païenne de Rome. Le Père de l’église, en prêtant positivement la voix à Octavius, expose la métaphysique présocratique et la philosophie grecque dans sa définition de l’identité divine (Oct.19). Le propos «Vaincre les méchants avec leurs propres armes, c’est-à-dire avec celles des philosophes» (Oct.39) Une telle action signifie littéralement «convaincre», et les méchants sont les philosophes. Voilà ce que dit le narrateur ou bien l’auteur qui se confronte à sa première éducation de païen. L’objectif final est manifestement la quête de la vérité. Pour cela, il use de stratagèmes de communication, présentant son point de vue sans être dogmatique ni rébarbatif. La mise en scène et la narration de faits sont fréquentes dans le discours afin de bien convaincre, et l’Octavius s’approcherait alors d’un récit ou d’une confession.

Si, afin de défendre la nouvelle foi, Octavius part d’une observation rationnelle de l’Univers,(4) Cécilius se tient, selon le dessein d’un auteur qui s’efface, derrière un discours mitigé: «Qu’un Théodore de Cyrène, ou qu’un Diagoras, son digne prédécesseur, qui mérita d’être surnommé l’Athée, cherchent, en affirmant qu’il n’est point de dieux, à briser les seuls freins de la société, le respect et la crainte, jamais ils n’auront assez d’autorité pour faire prévaloir leur dangereuse doctrine et leur fausse philosophie.» (Oct.8) Tout en menant une critique acerbe contre l’athéisme, il y défend, peut-être, indirectement l’héritage du polythéisme païen. Qu’entend-il par «fausse philosophie»?

En fait, les concepts «philosophiques» sont redéfinis selon une vision totalement chrétienne. L’immortalité par la création est explicitée dans le discours d’Octavius, de manière à mettre en relief les principes d’un christianisme non nommé. Il dira: «les philosophes et les inventeurs des arts, avant d’avoir acquis par leur génie des droits à l’immortalité, ont passé pour des êtres vulgaires, pauvres et ignorants: qu’il sache que les riches idolâtres de leurs biens, considèrent plus l’or que le ciel ; que ce sont des pauvres comme nous qui ont découvert la sagesse et l’ont montrée aux autres ; d’où il résulte que la raison ne vient ni des richesses ni de l’étude, mais de l’auteur de notre âme.» (Oct.16) La pauvreté, concept de prédilection des chrétiens, meut la sagesse humaine. Elle est à rattacher à l’image du prophète, et par voie de conséquence une vertu pour tout chrétien…

Ce rapport particulier envers les philosophes va être éclairci à la fin du livre ; le personnage Octavius y apparaît virulent: «nous méprisons le vain orgueil de ces philosophes que nous connaissons pour des tyrans, des corrupteurs, des adultères toujours fort éloquents contre leurs propres vices. Notre sagesse ne se reconnaît pas à nos habits, elle est dans notre cœur ; nous ne disons pas, mais nous faisons de grandes choses ; nous nous glorifions sans doute d’avoir trouvé ce que vos philosophes ont cherché avec de si grands efforts, sans pouvoir jamais le rencontrer. Pourquoi serions-nous des ingrats? que pourrions-nous désirer de plus, si le vrai Dieu s’est mieux fait connaître à nous? Jouissons de ce bienfait: que la raison soit notre guide, que la superstition soit réprimée, l’impiété confondue, et que la véritable religion triomphe toute seule !» (Oct.38) Ces analogies servent à réduire le poids du philosophe dans la société. Ce dénigrement va en parallèle avec la naissance de la religion «sage». Est-ce là le point de vue de l’auteur? Le jugement moral est, en général, constant dans ses désignations de l’étrangeté et de l’ingratitude des philosophes.

Si les formes païennes (à son regard l’alchimique, le mystérieux et le démoniaque) sont réfutées par l’auteur, comment va-t-il concevoir l’artistique en général? La création est une, et elle ne peut être qu’à la gloire de Dieu. Le culte chrétien est assimilé à la négation d’esprit philosophique. Cécilius,(5) qui représente l’antonyme de la vision auctorielle, précisera: «Peut-on ne pas s’indigner et même ne pas s’affliger de voir des hommes sans étude, sans connaissance littéraire, plongés dans l’ignorance des arts les plus abjects, décider hardiment de la nature et de l’ordre de l’univers, tandis que toutes les écoles des philosophes ont disputé depuis tant de siècles sans pouvoir s’accorder?» (Oct.5) Les analphabètes décident des affaires métaphysique: ils embrassent la nouvelle foi. Cette constatation est rapportée sous forme d’une interrogation. Et il revient à l’auteur (par le biais d’Octavius) d’y répondre. Juriste et bon chrétien, Minucius Felix est non seulement contre l’enseignement «philosophique», mais également contre l’Ornement. Et Cécilius d’ajouter: «Plus le discours est dépourvu d’ornements, plus la vérité est évidente, parce que, n’étant pas colorée par la pompe du style et les grâces de l’éloquence, elle se montre alors ce qu’elle est, l’unique règle de l’équité.» (Oct.16) Faut-il alors écrire (et subséquemment réfléchir) dans un style sans ornement? Chose que ne respecte pas quand même notre auteur chrétien: son chef-d’œuvre est régi par une éloquence manifeste.

Toutefois, son austérité, ou bien sa condamnation de l’ornementation, est digne des Africains convertis. Il critiquera aussi l’effervescence artistique de l’Afrique en prêtant la voix à Octavius: «Une licence non moins effrénée et une obscénité encore plus révoltante ne règnent-elles pas sur vos théâtres? Tantôt un mime y représente ou peint des adultères, tantôt un histrion efféminé, en exprimant l’amour, l’insinue dans votre cœur. On y déshonore vos dieux en leur prêtant les passions des hommes ; on vous arrache des larmes par de vains gestes et de feintes douleurs. Ainsi vous provoquez dans l’arène des homicides réels, et vous en pleurez de supposés au théâtre.» (Oct.37) L’Art païen, plus particulièrement les représentations dramatiques, est destructeur de l’âme chrétienne ; il garde les traces du démoniaque et l’immoral.

De même, les créateurs païens sont également conscients du calvaire qui attend les âmes pécheresses. Octavius dit: «vos savants et vos poètes vous avertissent des supplices éternels qui sont destinés aux méchants, (…) ils vous menacent de ce fleuve de feu et de ce marais brûlant du Styx» (Oct.35) Ce fleuve des Enfers va par la suite faire partie de la littérature chrétienne, notamment avec Dante: étant le cinquième cercle de la géhenne où les coléreux trouvent le supplice d’être noyés dans de la vase…(6)

En général, à force de multiplier les artifices, l’Art trompe l’homme. Il y a lieu à vénérer les hommes, les tableaux, les objets et les statues… Il procrée alors des illusions, des mensonges capables de séduire des foules par d’autres formes trompeuses. Minucius condamne l’Art comme un outil à sacraliser les artefacts humains.

B.- UN PAIEN REPENTI

Le christianisme primitif entretient des rapports particuliers avec le paganisme, allant de la négation à la cohabitation forcée. A l’époque des persécutions impériales, Minucius «craint de souiller sa pureté par des pratiques qui le rapprocheraient de la terre.»(7) Il s’écarte du polythéisme romain, considéré comme un ensemble de superstitions et de rites primitifs. C’est après Tertullien que Minucius va employer le concept de «religion» dans son sens le plus connu: en tant que religion vraie et «divine» dans son opposition au paganisme, et en tant qu’institution de l’église versus institutions (ou superstitions) païennes… Ainsi tend le christianisme latin à «convertir» (pour ne pas dire purifier / sanctifier) les institutions et les manifestations africaines.

En suivant les pas d’Apulée, Minucius montre un grand et particulier intérêt pour le paganisme local. Cet intérêt est probablement de nature pragmatique, servant à l’analyser, à exposer ses contradictions et à lui ‘proposer’ de nouvelles formes. S’intéresser au paganisme pour en connaître l’essence, et en faire un point de force du christianisme… Il s’inspire des Romains: «Ainsi, en adoptant les rites sacrés de toutes les nations ; ils ont mérité de devenir leurs maîtres.» (Oct.6) La connaissance du paganisme local permet aux seigneurs romains de dominer l’africain sur ses terres. Comment contrecarrer à cette puissance symbolique (latine / universelle)? s’avère une question qui s’impose aux philosophes chrétiens.

A titre d’illustration, la démonologie, comme science païenne, est bien explicitée dans l’œuvre de Minucius. Il s’y réfère en fin connaisseur lors de sa conversion – bien que voilée – citant Hostanès, le premier et grand auteur des textes de magie. (Oct.26) Il définit la nature de la démonologie, explique l’action des magiciens et évalue la situation clinique du malade et des guérisseurs selon une vision typiquement chrétienne… Tout cela lui sert de prétexte à parler de la religion chrétienne, notamment du créateur, des anges... En conséquence, la démonologie, à travers l’œuvre, est constamment mise en parallèle avec la divination.

Minucius croit en l’existence de démons qui incarnent le mal. L’opposition mal/bien est fondamentale dans son œuvre: tout ce qui relève du bien est fait par le chrétien, et le mal est à endosser par le païen. Le démon existe, mais il ne faut pas lui réserver aucun culte particulier. Egalement imbu d’idées romaines et grecques, l’écrivain africain mène une critique virulente contre la tradition qui célèbre l’Anti-Dieu, tout ce qui se rattache directement au Diable. Cette coutume a des célébrations séduisantes, ayant des apparences appropriées au peuple… Au regard de l’auteur africain, le paganisme et la démonologie apparaissent identiques: le Diable impose à ses fidèles un rituel et un culte spécial, à l’instar de Dieu... Les spectacles sont, au regard du Père de l’église, inventés pour célébrer la grandeur des dieux, des démons… Les figures païennes sont les représentations du diable, mais point l’émergence d’une culture propre.

Ce qui nous intéresse davantage dans cette œuvre, ce sont les rapprochements établis entre les dogmes chrétiens et les doctrines philosophiques et païennes…. Autrement dit, il y a lieu à préciser l’aversion de Minucius aux arts et sciences locaux: la haine du propre collectif est à son apogée. En réalité, nous sommes devant un auteur hésitant entre deux partis dans l’œuvre: tantôt pour la culture autochtone (réflexion assurée par le païen), tantôt pour le christianisme conquérant le paganisme africain… Néanmoins, la conclusion présente un païen se débarrassant de son paganisme, et embrassant la nouvelle foi.

En dissimulant le point de vue des personnages dans l’Octavius, l’auteur rappelle cette première étape de penseur, en mettant dans une même équation démons et muses. Il y note un problème au niveau de la désignation: «Les poètes et les philosophes donnent à ces esprits le nom de démons, et Socrate lui-même disait qu’il avait un démon familier, qui le dirigeait dans toutes ses actions. Les magiciens non seulement connaissent les démons, mais encore ils font par leur entremise tout ce qu’ils opèrent de merveilleux: c’est avec leur secours qu’ils produisent des enchantements, vous font voir ce qui n’est point, et dérobent à votre vue ce qui est.» (Oct.26) Ce passage, servant pour étaler les connaissances de l’auteur, traite de l’occulte dans son rapport à la création, en se basant autant sur la philosophie grecque que sur les croyances populaires. Il se référera également à Platon qui «croit que Dieu est si difficile à définir, et qui définit sans peine les anges et les démons?» (Oct.26) De telles questions augurent d’un Minucius Felix savant, mais qui excelle, constamment derrière ses caractères, dans la confection de questions critiques.

Développant une vision strictement religieuse, le Père de l’église précise les aires du mouvement des démons: «les démons excitent en nous les désirs de l’amour, pénètrent dans toutes nos pensées, se glissent dans notre cœur, agitent nos sens, font naître nos affections, allument en nous le feu dévorant des passions.» (Oct.26) L’amour, et le sensuel qui en découle, sont l’œuvre du diable. Cette approche, exprimée par le personnage, l’emmène à la foi qui demeure toujours innommée.

Toujours, l’auteur, de par le truchement de ses protagonistes, précise, avec toute la minutie requise, une session d’exorcisme.(8) Sous forme de polémique anti-idolâtrique, il avance deux remarques fondamentales:

- Pour l’auteur, les sources sont la philosophie gréco-latine et la Bible. Les démons existent «réellement»… Si fuir l’approche des chrétiens émane de l’inconscient du patient, si les démons le font aussi par la force des versets, c’est le faible qui tombe sous la domination de ces êtres mystérieux.

- Le monothéisme est explicité par un Dieu unique et vrai. D’autres aspects de ce théisme demeurent non posés.

Cultivé dans le paganisme, Octavius peut expliquer les faiblesses du système païen.(9) Il y énonce une critique contre la mythologie, la tradition orale et les croyances: il les nomme «fables et erreurs». Tout ce qui relève de la notion du «beau» et de l’art est révoqué par l’auteur: «Nous apprenons de nos pères ignorants ces fables et ces erreurs ; et, ce qui est plus déplorable encore, nous employons notre esprit et nos soins à les étudier, et surtout à graver dans notre mémoire les vers des poètes, qui ont nui à la vérité plus qu’on ne saurait dire, par l’autorité qu’ils se sont acquise.» (Oct.22) Apprendre des vers, qui sont loin de la vérité, est un acte abominable ! Il développe sa pensée en s’attaquant à toute forme de fiction ou d’art.(10)

Les personnages mis en scène connaissent de près la tradition païenne. Pour ce qui est de la symbolique chrétienne, Octavius adopte une position claire en la comparant à la païenne: «Nous n’adorons pas la croix, et nous ne désirons pas d’être crucifiés ; mais vous, qui consacrez des dieux de bois, peut-être adorez-vous aussi des croix de bois comme faisant partie de vos dieux. Vos étendards, vos drapeaux et les enseignes de vos camps ne sont autre chose que des croix dorées et accompagnées d’ornements. Vos trophées, monuments de vos victoires, imitent non seulement la forme d’une simple croix, mais celle d’un homme crucifié. Sans doute le signe de la croix existe naturellement dans un vaisseau qu’emportent ses voiles enflées par le vent ou qu’entraînent ses rames étendues ; ce signe se voit encore lorsqu’on dresse un joug, et lorsque, priant avec ferveur, l’homme lève les mains au ciel. Concluons donc que ce signe est naturel ou bien qu’il entre dans votre religion.» (Oct.29) Seulement, cette description minutieuse des «objets» sacrés révèle d’une part la richesse artistique des païens, et de l’autre l’aversion intellectuelle d’Octavius.(11)

Pourtant, en bon rhétoricien, l’auteur laisse le païen défendre ses croyances primitives dans la première partie, et à Octavius de réagir: ««Toute l’occupation des démons est donc de répandre de faux bruits et de les entretenir: de là vient cette fable que la tête d’un âne est pour nous une chose sacrée. Qui serait assez insensé pour avoir une pareille divinité, et assez simple pour s’imaginer qu’on pût l’adorer, à moins que ce ne fût vous, qui avez consacré dans les étables tous les ânes avec votre déesse Epone» (Oct.28) La religion païenne est, de la sorte, mise en dérision. Le zoomorphique fait ainsi partie du paradigme culturel africain – comme étant une fraction de la culture autochtone. Le texte de Minucius s’y réfère à maintes reprises à l’animalier qui s’avère plus «pieux» que l’indigène.(12) Le passage fait également référence à l’espace des démons, et ces êtres se métamorphosant en êtres domestiques. Là, c’est la nouvelle foi qui est mise dans une fusion totale avec les rites locaux…

Force est de noter la difficulté de préciser la vision de Minucius eu égard à la dispersion de son raisonnement entre des voix opposées, entre des personnages contradictoires mais complémentaires. Mais, somme toute, notons que l’intérêt de l’écrivain africain pour les sciences occultes va dans le sens de les discréditer, et de faciliter par conséquent la présentation d’une foi occulte mais vraie. Est-ce pour une sorte de négation définitive ou pour une sorte de réconciliation entre les deux domaines? Qui sait?

C.- UN CHRETIEN CIRCONSPECT

Chez Minucius, à l’instar des autres pères chrétiens, l’explication du christianisme se fait par la production d’interrogations rhétoriques.(13) Là, rappelons que l’exercice de l’auteur africain, en tant qu’avocat ou jurisconsulte qui maîtrise l’art de la rhétorique et de l’argumentation, lui sert pour prodiguer la voix du Seigneur. Bien que l’auteur africain soit connu comme un Père de l’église, le Christ passe sous silence dans son œuvre excepté dans quelques rares références.(14) Le texte est, alors, sous forme d’une kyrielle d’interrogations qui critique le paganisme. Les païens, s’identifiant avec les africains non convertis, sont représentés comme des êtres écervelés et débauchés. Citons: «l’aveuglement d’une multitude ignorante, et que, dans un si beau jour, il aille se prosterner devant des pierres taillées en idoles, arrosées de libations et couronnées de fleurs?» (Oct.3) Il s’y attarde sur la vénération des idoles: une telle pratique était en vogue. L’Octavius est donc un discours double: il déconstruit la logique du paganisme pour fonder un christianisme proprement africain. Il rappelle les notions de la religion profane, et tente de les remplir d’une nouvelle signification, plus appropriée…

Comment explique-t-il alors le gouvernement de Dieu sur la création? Pour lui, la Providence organise l’univers qui se présente comme une structure équilibrée d’éléments. Plus précisément, «le monde est gouverné par une Providence, et que tout obéit à un seul Dieu». (Oct.20) Octavius parle encore à la place de l’auteur: «La Providence n’embrasse pas seulement le genre humain dans son universalité, elle veille encore sur toutes ses parties. (…) Lorsque vous entrez dans une maison, et que vous en voyez toutes les pièces parfaitement disposées et magnifiquement décorées, ne pensez-vous pas qu’un maître, supérieur à toutes ces choses, préside à leur ordonnance?» (Oct.18) Cette analogie tend fondamentalement à simplifier la divine providence: l’organisation du quotidien en est l’illustration. Là, l’auteur chrétien s’adresse à ses ouailles pour leur prouver la gouvernance totale de Dieu.

(Suite dans le prochain numéro)

 

 

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