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  2007

(Janvier  2007)

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la religion de Tertullien ou L’Expérience de l’Aliénation et de l’Absurde (4ème partie)

Par: Hassan Banhakeia (Université de Nador)

 

A ce propos, Monseigneur Freppel va judicieusement noter qu’une telle attitude s’explique plutôt par la psychologie de l’écrivain: «Encore jeune homme, dit saint Jérôme, il avait adressé à l’un de ses amis un petit traité sur Les inconvénients du mariage (…) un livre conçu dans les idées du paganisme». (38) Misogyne, imbu d’idées catholiques et surtout manifestant une réflexion contre les propres traditions africaines où le matriarcal a encore tout son poids, l’écrivain tient un discours violent non seulement contre la femme, mais contre toute expression féminine. Le féminin dans sa réflexion se confond avec le physique ou le sexuel, tout au moins avec le Péché. Le philosophe chrétien a peur des tentations exercées par la femme (depuis Eve) sur l’homme, et il voit dans ce «mythe fondateur» le commencement de quelque chose d’inaltérable. Les exemples à ce propos ne manquent pas dans la Bible où se ressource constamment l’apologiste nord africain. La parure, le fard et autres artifices dont la femme s’embellit, servent de stratagèmes de Satan pour atteindre Dieu, bien sûr la femme y tient la place de moyen / d’outil. En revanche, ce sont bien ces positions ambivalentes autour de la condition féminine qui vont l’emmener vers l’hérésie.

A travers l’histoire, les Africains sont connus pour être des monogames. Cela nous informe ainsi sur la simplicité du noyau familial. En bon historien, l’auteur catholique souligne cette forme de structuration sociale, et la qualifie de bienfait païen: «Les païens tiennent en si grand honneur la monogamie, que quand les vierges se marient avec les cérémonies légales, on leur donne pour les conduire une femme qui n’ait été mariée qu’une fois. Comme auspice, cette circonstance est encore d’un bon augure. De même, dans les solennités religieuses et les autres fêtes, la femme qui n’a eu qu’un mari prend le pas sur les autres.» (Exhortation à la Chasteté, XIII) La monogamie est fréquente chez les autochtones, adéquate pour leur organisation socioculturelle. Le couple doit perdurer. C’est pourquoi les femmes «à un unique mari» sont respectées; et celles qui prennent plus d’un époux sont dénigrées sur le plan éthique. Par ailleurs, dans l’exemple de l’accompagnante de la mariée, qui est en soi un privilège social, est une femme «mariée une seule fois», cette qualité est bien vue par la société religieuse. L’auteur note également au sein de la société carthaginoise un phénomène social particulier: il existe des filles mères de famille qui n’ont jamais été mariées. (Du Voile des Vierges, XI) Tertullien proscrit, en général, presque toutes les manifestations de la culture païennes où le féminin s’occupe du vestimentaire, du culinaire et des loisirs: «Il s’agit maintenant de dire un mot des fêtes et des autres solennités extraordinaires auxquelles nous assistons, soit par plaisir, soit par pusillanimité, communiquant ainsi avec les nations dans des rites idolâtriques, contre les prescriptions de la foi. J’examinerai d’abord ce point: est-il permis à un serviteur de Dieu de communiquer avec les païens, en participant soit à leurs vêtements, soit à leurs nourritures, soit enfin à leurs divertissements quels qu’ils soient?» (De l’Idolâtrie, XIII) Les «nations» est à comprendre dans le sens de «païens». Le rapport avec ces derniers est-il en fait sain? Peut-il s’habiller comme eux, se nourrir comme eux, se divertir comme eux? Cette interrogation qui survit encore dans les pays nord-africains, invite alors à l’aliénation.

En suivant les ordres pontificaux, Tertullien avance que la femme chrétienne n’a pas le droit de prêche à l’église. Il voit que les femmes ne sont pas aptes à enseigner les principes de la religion. Elle doit garder dans sa conscience son péché premier. C’est pourquoi elle doit demeurer soumise à son mari: «Quelle impudence chez leurs femmes! Elles osent enseigner, disputer, exorciser, promettre des guérisons, peut-être baptiser» (La prescription des hérétiques, XLI) L’auteur est sarcastique contre les femmes hérétiques. Depuis Eve, la femme est dite dangereuse. Elle est de nature cupide, coquette, sensuelle, avide, matérialiste, bête… (cf. Du Manteau, IV) En conséquence, elles ne peuvent pas enseigner, ni défendre, ni apporter du bienfait aux gens…

Une autre caractéristique des femmes est relevée par l’apologiste: elles ne craignent pas la torture ni la mort: «des femmes aussi, ont fait fi des flammes (…) la femme d’Asdrubal, dans Carthage embrasée, pour ne pas voir son mari implorant Scipion, s’élança avec ses enfants dans le brasier qui dévorait la cité.» (Aux Martyrs, IV) Afin de garder son honneur, la femme païenne peut défier les souffrances et les supplices; elle se jette dans les flammes en compagnie de ses enfants, source et origine de purification selon les croyances païennes. Un tel suicide collectif est curieusement loué par l’auteur chrétien; cela est-il par approximation appréciative du propre ou bien par référence à une pratique de grand sacrifice que pourrait emprunter le Chrétien dans son attachement à la foi?

La dite liberté sexuelle, qui est souvent critiquée dans l’organisation des spectacles par l’auteur, est manifeste dans les coutumes locales: «Chez les païens eux-mêmes on les conduit voilées à leurs époux. Si elles doivent être voilées aussitôt après qu’elles sont mariées, parce qu’elles sont mêlées à l’homme et de corps et d’esprit, par le baiser nuptial, par la main qu’elles ont donnée, en témoignage de la pudeur de l’esprit qu’elles résignaient; enfin par ce gage commun de la conscience en vertu duquel elles ont souscrit au complet abandon d’elles-mêmes; à plus forte raison devront-elles être soumises au voile par le temps sans lequel elles ne peuvent devenir épouses, et dont le cours, sans même attendre le mariage, les met hors du nombre des vierges.» (Du Voile des Vierges, XI) Pour le rigoriste, une autre référence positive à l’héritage païen. Le philosophe parle du rituel du mariage, notamment de l’emploi du ‘qubu’  (voile): la mariée est conduite voilée chez l’époux. A ce niveau, des comparaisons sont intéressantes à établir avec le rituel nord africain actuel. En fait, les filles, une fois pubères, sont préparées pour la vie future de mariée. Ils y suivent le cours de la nature, et non pas celui de la culture.

Ainsi, Tertullien va traiter la question du voile qui est également nodale dans sa vision du comportement de la femme. Ces voiles sont des contraintes pour repousser la dite liberté sexuelle. Il en parle dans De Corona, De Oratione et Contre Marcion. Il va même jusqu’à répertorier la signification du voile dans les autres régions du monde: «Les femmes de l’Arabie, toutes païennes qu’elles sont, vous serviront de juges; elles qui, non contentes de se voiler la tête, se couvrent aussi le visage tout entier, de sorte que, ne laissant d’ouverture que pour un œil, elles aiment mieux renoncer à la moitié de la lumière, que de prostituer leur visage tout entier. Là, une femme aime mieux voir que d’être vue.» (Du Voile des Vierges, XVII) Pour Tertullien, les femmes arabes sont un bon exemple à suivre: elles se voilent complètement. Seul un œil les aide à voir le monde afin de préserver la Vertu! Le voile s’avère bien antérieur à l’Islam, et une telle mode, peut-être, arrive à Carthage bien avant l’arrivée tonitruante d’Uqba ibn Nafiaa… (39)

Les femmes doivent porter le voile à la sortie de l’enfance, à l’âge de la puberté. Dès l’incipit du texte, il avance son jugement: «Entraîné par la défense de mon opinion, je prouverai aussi en latin qu’il faut voiler nos vierges dès qu’elles sortent de l’enfance; qu’ainsi le demande la vérité, contre laquelle rien ne peut prescrire, ni le temps ni la dignité des personnes, ni le privilège des contrées; car le plus souvent la coutume née de l’ignorance ou de la simplicité des hommes se fortifie par l’usage dans la succession des temps, et par là prévaut contre la vérité. Toutefois notre Seigneur Jésus-Christ s’est appelé lui-même la Vérité, mais non la coutume.» (Du Voile des Vierges, I) Tout d’abord que veut-il dire par «prouver en latin»? A-t-il déjà prouvé ses opinions dans une autre langue, plus probablement dans sa langue maternelle? Puis, l’auteur voit dans le voile des femmes la quête de la vérité divine. Par contre, la coutume «locale» naît de l’ignorance, de l’écart de la vérité! C’est bien l’habitude qui fortifie l’homme mais précisément dans un sens pour contrecarrer la vérité. Enfin, le christianisme est vérité, non pas une série de coutumes, et à la vérité «chrétienne» de transformer les coutumes et les rites nord-africains!

Un peu plus loin, l’auteur va encore préciser sa vision de la condition féminine en la corrélant étroitement au voile: «Dans la Grèce et dans plusieurs contrées barbares qui en dépendent, plusieurs Eglises voilent leurs vierges. Et de peur qu’on n’aille s’imaginer qu’elle est particulière aux idolâtres grecs ou barbares, cette pratique s’observe même sous notre ciel.» (Du Voile des Vierges, II) Dans l’exemple du voile, le débat sur l’origine est ancien. Cette coutume est propre aux peuples grec, barbare et africain.

D’ailleurs, le thème de la virginité est récurrent dans les textes de Tertullien. La virginité de la femme «signifie» un respect général: «Au reste, ce serait une chose assez étrange que les femmes, soumises en toutes choses à l’homme, portassent en signe d’honneur une marque de leur virginité qui attirât sur elles les regards, l’attention et le respect de leurs frères, tandis que tant d’hommes vierges, tant d’eunuques volontaires, seraient réduits à cacher leur vertu, ne portant rien qui pût les distinguer. Ne devraient-ils pas réclamer aussi quelque ornement caractéristique, tels que les plumes des Garamantes, le diadème des Barbares, la cigale des Athéniens, les tresses des Allemands, ou les stigmates des Bretons? Ou bien enfin, pour donner un démenti à l’Apôtre, ne devraient-ils pas se couvrir la tête dans l’église?» (Du Voile des Vierges, X) L’auteur précise les objets rituels qui célèbrent la virginité dans les traditions des peuples africains et européens. Les Garamantes, selon l’Enquête d’Hérodote une tribu aux traditions amazighes, célèbrent cette pureté morale et symbolique en faisant porter aux femmes des plumes en signe d’honneur. Que signifient-elles ces plumes d’autre? Et le ton de l’auteur change: le voile pourrait être plus commun à tous les peuples et un signe religieux plus approprié, pas besoin de le substituer par d’autres signes. Ainsi, le rituel catholique, en présentant un système de signes, pourrait être plus rassembleur, plus conciliant!

Aussi est-il intéressant de noter que les femmes sont un exemple de défi aux supplices dans le souci de garder l’honneur et la virginité. Cette quête de la dignité est en soi une tendance vers la totalité. Les exemples sont nombreux dans cette Afrique païenne: «Les femmes qui se consacrent à Cérès Africaine abdiquent, volontairement leurs droits d’épouses, vieillissent dans la chasteté, loin du contact des hommes et fuyant jusqu’aux embrasements de leurs fils. Après la luxure, le démon sait convertir la chasteté elle-même en instrument de perdition, afin d’aggraver le crime du Chrétien qui rejette dans la continence un instrument de salut. Au dernier jour, les femmes idolâtres qui ont acquis la gloire, pour avoir persisté dans le veuvage, s’élèveront contre nous» (Exhortation à la Chasteté, XIII) En ethnographe, Tertullien note et prend exemple des coutumes et des rites païens quand cela renforce sa vision rigoriste de la femme. Les dieux païens peuvent emmener la femme à la chasteté, mais il s’agit d’une pudeur fausse. Cérès, la divinité africaine de la fertilité, emmène même les africaines à «défier» les Chrétiens dans leur abstinence, viduité et chasteté.

La virginité est une nature que la femme doit préserver, et sur les places publiques il est du caractère d’un bon Chrétien de la cacher: «Si c’est à cause des hommes qu’elles adoptent l’habillement des femmes, eh bien! qu’elles l’adoptent tout entier, de manière à ne paraître que voilées devant les païens. Il est bien juste qu’elles cachent dans l’église cette même virginité qu’elles cachent hors de l’église. Elles craignent les étrangers; qu’elles respectent leurs frères, ou bien qu’elles paraissent vierges dans les rues avec autant de hardiesse que dans nos églises.» (Du Voile des Vierges, XIII) La morale s’avère être tout. Le philosophe catholique songe à éduquer les femmes pour qu’elles demeurent voilées devant les mâles. Que leur comportement soit inébranlable et dans les rues et dans les temples…

Peut-être est-il par antiphrase qu’il écrit: «Le sacerdoce de la viduité et le célibat subsistent jusque chez les païens.» (A Sa Femme) Les veuves ne sont pas épargnées dans sa réflexion: «Ici même, nous voyons des veuves d’un genre nouveau s’arracher au lien qui les unit, pour se consacrer à Cérès Africaine. Oubli le plus cruel des oublis! Peu satisfaites de mourir à des époux qui vivent, elles glissent de leurs propres mains dans la couche conjugale celles qui doivent les remplacer, au grand plaisir de leurs époux, s’interdisent tout commerce avec eux, et répudient jusqu’aux caresses de leurs enfants.» (A Sa Femme, VI) Ce passage est indéchiffrable: les mœurs des veuves sont déterminées par l’oubli. L’auteur chrétien parle de coutumes païennes.

Bien qu’on affirme la misogynie de Tertullien, la femme peut avoir le don de prophétie. Cela est manifeste chez les montanistes qui ont des «prophétesses». Tertullien parle élogieusement de femmes «saintes»: Prisca et Maximilla (cf. Exhortation à la chasteté, X; De la Résurrection de la Chair, XI; Contre Praxeas, I). Montaniste, il condamne les secondes noces dans Exhortation à la chasteté et Monogamie. D’autant plus, l’auteur avance dans Contre Marcion que la femme est faite pour aider l’homme et non pas pour le servir, il va tenir dans d’autres écrits rigoristes des propos de maître totalitaire envers sa propre épouse. A l’instar de saint Paul dans ses Epîtres, Tertullien ne loue pas la femme: elle n’est pieuse que quand c’est le voile qui couvre toute sa tête, et si elle est veuve elle doit rester fidèle à la mémoire de son époux défunt. (cf. Du Voile des Vierges, IX) En Fin analyste des textes sacrés, il réussit à faire dire aux textes ce qu’ils ne disent point.

VI.- La vision historique de Tertullien

Qu’est-il de la situation politique et militaire de Carthage du vivant de Tertullien? Les écrits de l’auteur nous apporte peu d’information vu la nature de la production. A propos de la présence étrangère, l’écrivain nous saisissons que les nord-africains ne maltraitent pas les étrangers car un tel comportement est immoral pour eux. Le christianisme va renforcer encore une telle attitude. A l’étranger revient le statut d’hôte, de bienvenu et d’invité. Ce bout de monde, déjà esquissé comme carrefour de trois continents, ne va point répudier les arrivants pacifiques, pacificateurs, voyageurs, aventuriers ou assoiffés de pouvoir. Conquérants, en un mot. Depuis le Maroc jusqu’à Tripoli (Libye), ce sont les Sévère romains qui règnent durant le IIIe siècle. Ils contrôlent les routes et les caravanes qui parcourent l’Afrique du nord, et la production agricole (notamment l’huile d’olive de par l’expansion de la culture) est importante. L’Afrique se romanise davantage: des commerçants, des artisans arrivent de Rome… La plupart des tribus amazighes réfutent la vie sédentaire de peur d’être romanisées. Cette nouvelle vie signifie le paiement des impôts imposés par les colonisateurs. Carthage va être privilégiée, les Sévère lui concèdent le «jus italicum» (annulation des impôts sur les terres). En outre, des Africains se détachent, aux yeux des Romains conquérants, un groupe qui porte l’obédience inaltérable à la culture dominante, et un autre qui ne peut point s’y intégrer. Les premiers sont moins barbares que les seconds, et jouissent conséquemment de privilèges pour leur disposition à être autres.

1.- Description de Carthage

A Carthage, la Philosophie orientale (notamment dans ses deux versions grecque et égyptienne) tend à cohabiter avec le christianisme naissant. Les Apologistes, presque tous hellénisants et chacun à sa manière, vont assurer un tel équilibre intellectuel et confessionnal. La Carthage de Tertullien se trouve tiraillée entre deux états similaires à la psychologie du païen: faut-il changer d’état ou préserver son être?

Tertullien est connu comme un citoyen de Carthage, à l’instar de saint Montan ou de Félix Minucius… Il ne dit rien de ses croyances d’amazigh païen, ni des religions locales. Toutefois, grand lecteur il possède une vision (lecture ou connaissance) générale et globale des autres civilisations, surtout les méditerranéennes. Vis-à-vis des institutions romaines qui aliènent efficacement les dits citoyens de Tamazgha, et vis-à-vis du christianisme (coprésent et véhiculé par le latin) qui assure une autre aliénation presque parfaite, quelles seraient les positions de l’intellectuel?

L’univers carthaginois demeure à la fois fermé sur soi-même et apte à recevoir d’autres systèmes (différents et étrangers). Tertullien va parler de cette cité païenne (Carthage) aux divers aspects mondains. Il passe sous silence d’autres aspects de la vie citadine. Néanmoins, il traitera longuement de l’historique. Tout ce qui précède l’établissement des Phéniciens à Carthage, c’est-à-dire avant le VIIIe siècle avant J.-C., demeure incertain, voire inconnu pour l’écrivain autochtone. Il s’agit d’une histoire non écrite ou composée suivant la vision des autres, les conquérants. L’on s’amuse à narrer que l’occupation phénicienne de Carthage s’est faite en paix! Tous les écrits d’histoire relatent cette invasion pacifique en une série d’anecdotes et d’histoires «naïves». Et pour comprendre ces écrits, il est de ne pas oublier qu’ils sont composés par les autres, c’est-à-dire les envahisseurs, non pas par les autochtones. Que disent les intellectuels nord-africains d’une telle invasion? Tertullien parlera amplement des civilisations célèbres de l’époque, orientales et occidentales. Seulement, la morale est son unique préoccupation.

Le philosophe chrétien condamne amplement les expressions symboliques du païen. A propos des parures «païennes» de guerre, les trophées et les couronnes qui remplissent la cité en temps de fêtes, il dira: «La couronne triomphale se bâtit de feuilles de laurier, s’attife de rubans et de bandelettes, se dore de feuilles d’or, se parfume de senteurs, souvent détrempées des larmes des femmes et mères, qui sont peut-être chrétiennes, car il y a des chrétiens parmi les barbares de qui on triomphe. Donc celui qui à cette occasion porte cette couronne n’est-il pas aussi coupable que s’il eût combattu?» (De la Couronne du Soldat, XII) Ce signe de la victoire n’est pas un motif décoratif (rubans, bandelettes, feuilles, parfums), mais il est plutôt un témoignage des douleurs de pauvres gens – qui peuvent être de confession chrétienne. Les crimes des guerres successives de l’époque se multiplient, et les désastres s’avèrent infinis en vue de gagner la gloire…

Par ailleurs, les historiens et les critiques chrétiens découvrent, dans cette publication, en Tertullien un sophiste dangereux. Dans Du Manteau, Tertullien, en plus d’expliquer pourquoi il abandonne la toge carthaginoise (le propre) pour le manteau (l’ascétique), construit un discours où il apparaît plus ou moins fier de son austérité envers le goût «païen»: «Pour moi, je ne flatte aucun vice, je ne pardonne à aucune indolence, je ne fais grâce à aucune vanité. J’applique le fer à l’ambition de M. Tullius, qui paie cinq cent mille sesterces une petite table de citronnier, ainsi qu’à celle d’Asinius Gallus, qui achète deux fois autant une table de la même Mauritanie. Hélas! que d’or pour quelques taches de bois!» (Du Manteau, V) Notons à juste titre que «la même Maurétanie» où l’adjectif indéfini marque non seulement l’identité absolue du pays en question, mais le sentiment de dépréciation ressenti par l’auteur. Ces meubles, signe de gaspillage, sont de réelles œuvres d’art fabriquées à partir du citronnier. Cela dénote, néanmoins, pour l’auteur le luxe «faux», et non l’excellence de l’art indigène. Maintenant, qu’en reste-t-il de ces œuvres d’art? Il se dit également sévère sur le plan moral, très proche des stoïciens. Il n’excuse aucune démesure. Il ne comprend pas le luxe et la prodigalité des gens. Les délicatesses mondaines sont le péché. Le luxe est interdit et pour la famille et pour la société.

Le Chrétien condamne le luxe dans toutes ses formes. Quant à l’amour du luxe par les femmes indigènes, Tertullien avance: «Ce qui donne un tel prix à toutes ces substances, c’est qu’elles sont rares, et qu’on les tire des pays étrangers; car dans les lieux mêmes où elles se trouvent, elles sont loin de jouir d’une si grande faveur. L’abondance avilit: chez certains peuples barbares qui ont chez eux des mines d’or abondantes, c’est avec des chaînes d’or qu’ils attachent leurs captifs dans les ergastules ils chargent de richesses ceux qu’ils ne peuvent dompter; et plus on les juge coupables, plus on les enrichit: il se trouve ainsi des circonstances où l’or est beaucoup moins envié.» (De l’Ornement des Femmes, VI) L’or peut être source de captivité comme c’est le cas des prisonniers chez les peuples barbares. Un tel récit est faux: il nous rappelle les écrits colonialistes qui prétendent que dans l’Afrique du nord l’or est abondant, peu apprécié par les autochtones…

Le jeune Carthaginois s’adresse aux Libyens et aux Européens, il se voit proche d’eux, mais point proche de la Grèce, par là de l’Orient: «Ô Libye, et toi Europe, qu’avez-vous de commun avec des ornements de théâtre que vous ne savez pas revêtir? En effet, pour quelle raison s’épiler à la manière des Grecs, plutôt que de se vêtir à leur façon? Le changement d’habit devient un crime, non pas quand on change la coutume, mais quand on change la nature. Il y a une grande différence entre le respect que l’on doit au temps et celui que réclame la religion.» (Du Manteau, IV) Il y condamne l’imitation abusive des Grecs, notamment dans le changement d’habits, et pourquoi aussi dans la réception facile des idées orientales.

Quelle morale voit-il derrière cette imitation vestimentaire des autres peuples? Que dit-il des festivités locales et des spectacles? Il écrira: «les solennités païennes ne sont fréquentées que pour y satisfaire les plus grossiers appétits.» (De l’Idolâtrie, I) Le rituel local est vu comme un acte abject, la quête de bas désirs meut les foules. Le peuple de Tertullien est, en général, négatif dans ses manifestations culturelles.

De l’invention des Carthaginois, l’écrivain nous donne des exemples intéressants. Ils collaborent à l’évolution de la technologie des peuples méditerranéens. Mais, ce sont les étrangers qui en profitent. Pour lui, cela relève du déraisonnable: le peuple nord-africain jubile devant ses propres inventions, qu’il croit «romaines». Il est ainsi incapable de voir son propre génie. «Tout le monde sait que cette Carthage, «redoutable par son ardeur belliqueuse,» inventa le bélier, (…) cette machine en forme de poutre, qui sert à briser les murailles, et qui n’avait encore été poussée contre aucune d’elles; lorsque votre cité, prenant exemple de ces animaux qui, dans la colère, se heurtent de la tête, imagina la première cet instrument formidable qu’elle éleva et laissa retomber de tout son poids. Toutefois, lorsque la patrie touchait à son dernier jour, et que le bélier, alors en usage parmi les Romains, commença d’ébranler des murailles, qui étaient jadis les siennes, les Carthaginois en restèrent dans la stupeur, s’imaginant que l’invention en était nouvelle, puisqu’elle était aux mains des étrangers.» (Du Manteau, I) Tertullien parle des armes de guerre, précisément du bélier. Il s’agit d’une sorte de machine de guerre dont on se sert pour assaillir et battre en brèche les murailles d’une cité, sous forme d’une poutre terminée par une tête de bélier. Les nord-africains, les véritables inventeurs, ne l’essayèrent pas, mais ce sont bien les romains qui s’en servirent pour détruire et envahir Carthage. (40) Le bon Chrétien oublie que le christianisme, comparable au bélier, est plus destructeur des coutumes. S’approprier quoi alors? S’identifier dans quelle citoyenneté? Il refuse l’africanité et la romanité, mais il embrasse ouvertement (avec toute l’intensité nécessaire) l’héritage chrétien.

2.- Tertullien l’historien

Avec l’avènement de la religion de Rome, la même situation de conflit entre le propre et l’étranger perdure. Les lieux de culte et le clergé abondent. La nation d’accueil devient un espace non seulement à gérer mais à remodeler, une autre fois, incessamment. La création de l’Afrique se fait ainsi avec la christianisation. Tertullien tourne souvent sa pensée vers le local pour défendre l’exogène (romain, latin, chrétien) de manière idéale. Par ailleurs, Ernest Renan écrit: «L’Afrique, surtout, par son ardeur et sa rudesse, devait donner dans ce piège. Montanistes, novationistes, donatistes, circoncellions sont les noms divers sous lesquels se produisit l’esprit d’indiscipline, l’ardeur malsaine du martyre, l’aversion pour l’épiscopat, les rêveries millénaires, qui eurent toujours leur terre classique chez les races berbères. Ces rigoristes, qui se révoltaient d’être appelés une secte, mais qui, dans chaque église, se donnaient comme l’élite, comme les seuls chrétiens dignes de ce nom, ces puritains implacables pour ceux qui voulaient faire pénitence, devaient être le fléau du christianisme. Tertullien traitera l’église générale de caverne d’adultères et de prostituées.» (41) Le montanisme de Tertullien s’avère alors quelque chose de naturel, voire d’automatique à son statut d’Africain.

Les événements historiques ne font pas la réalité, d’autant plus les connaître / analyser ne peut mener à découvrir la vérité. La Bible et les enseignements de Jésus peuvent guider l’esprit humain vers la lumière. Les personnages historiques païens ne peuvent offrir la gloire à l’Afrique. Tertullien nous parle d’une reine phénicienne qui tient des propos vains envers l’héritage catholique: «Il ne faudra que des juges païens. Une reine de Carthage se lèvera pour prononcer contre des Chrétiennes, elle qui, fugitive sur un sol étranger, au moment où elle aurait dû aspirer d’elle-même aux noces d’un roi, refuse d’en célébrer de secondes, et, par un exemple contraire, aime mieux brûler que de se marier.» (De la Monogamie, XVII) Outre cette construction ironique, ce qui nous y intéresse est bien la vision politique: une reine de Carthage, fort probablement d’origine étrangère, est dite «fugitive sur un sol étranger» par rapport aux femmes de Tamazgha. Elle aura un discours contre la chrétienté, comme si cet héritage faisait partie de l’Afrique aux yeux de Tertullien…

Politiquement parlant, Tertullien apparaît comme un pacificateur qui quête le salut des siens, des Chrétiens qui sont réprimés, chassés, exécutés… Mais il ne dit point de l’oppression des Romains envers les indigènes. Son fameux discours au proconsul est intéressant à étudier dans ce sens-là. Il lui demande de s’épargner, en se situant strictement au niveau symbolique. Les injustices de l’Occupant ne sont injustices que quand elles sont exercées contre le fidèle de Jésus!

Le spatial a, en fait, une signification politique chez Tertullien. Il distingue entre le Nord froid et le Sud chaud: «Tertullian (…) believed that the mind could only function in a warm climate and that it grew torpid in the frozen North.» (42) Une telle conception a toute son importance pour expliquer le comportement des peuples de la Méditerranée et de leurs rapports historiques.

Par ailleurs, il va parler de l’occupation phénicienne de l’Afrique: «Les nations versèrent ailleurs le superflu de leur population, comme des essaims d’abeilles. La surabondance des Scythes enrichit la Perse; les Phéniciens débordent sur l’Afrique» (Du Manteau, II) Pour décrire la présence phénicienne en Afrique il avance le terme «débordement». Autrement dit, il est d’observer la condamnation de toute occupation militaire, notamment par les païens. Les Phéniciens vont apporter un enchaînement détériorations et d’aliénations. N’est-il là question d’un reniement clair de tout héritage phénicien dans sa culture et éducation?

 

(Suite dans le prochain numéro)
 

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