Numéro  57, 

  (Janvier  2002)

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Le sacré et le profane ou Des dogmes religieux au service de l’idéologie partisane

  Par : Aïcha Aït-Hammou

 

 « Quelle bouillie, quelle  bouillie ! Il faut mettre de l’ordre dans ma tête. Depuis qu’ils m’ont coupé la langue, une autre langue, je ne sais pas, marche sans arrêt dans mon  crâne, quelque chose parle, ou quelqu’un, qui se tait soudain et puis tout recommence, ô j’entends trop de choses que je ne dis pourtant pas, quelle bouillie, et si j’ouvre la bouche, c’est comme un bruit de cailloux remués. » Albert Camus

 

Prologue

 

Pour saisir dans leur fond certaines prises de position qu’expriment certains religieux ou certains nationalistes envers la langue et la culture amazighes, il est quelquefois nécessaire de comprendre la mentalité d’une certaine religiosité elle-même, qu’elle soit laïque, dont le panarabisme est un exemple, ce que certains spécialistes appellent les « religions séculières ». [1] Ou qu’elle soit purement religieuse au sens classique du terme. Pour cela, il faut aller au fond des choses, chercher l’origine du mal à la place de tourner en rond sans nécessairement rien comprendre au problème ou saisir uniquement la partie visible de l’iceberg. Nous proposons dans ce qui suit une tentative d’explication de cette mentalité religieuse, notamment la mentalité religieuse exclusiviste et extrémiste, avant de situer son interprétation des choses en ce qui concerne l’amazighité. Les explications ci-dessous sont indispensables pour mieux comprendre et évaluer correctement le comportement de certains intégristes fanatiques, notamment ceux qui sont de fervents militants actifs contre la culture et la langue amazighes, contre le pluralisme et la diversité, et par conséquent contre la liberté et la démocratie.

 

Les certitudes et l’absolu, une préoccupation mystique

 

La mentalité religieuse, dans le sens général donné ci-dessus, est en relation directe avec les notions d’absolu, de certitude, de pureté, de sacralité, par opposition à la vie ordinaire, la vie profane, le doute et la réflexion qui sont des concepts inhérents à une vie humaine saine. Les certitudes et l’absolu sont parmi les choses qui ont occupé l'esprit de l'être humain depuis qu'il s'est mis à réfléchir du simple fait que le doute fait parti des choses qui lui sont les plus insupportables. En effet, « il m’est apparu que la science certaine est celle qui met en évidence l’objet de la connaissance d’une manière qui n’accepte aucun doute et qui est exempte des possibilités de l’erreur et de l’illusion (…) Si je sais que dix est plus grand que trois et si quelqu’un me disait: Non, au contraire c’est trois qui est plus grand que dix et la preuve est que je suis capable de transformer ce bâton en serpent; puis il le fait, et je constate cela de sa part, je ne douterai pas de ma connaissance à cause de cela. Tout ce qui pourrait m’arriver est l’émerveillement de sa capacité à faire cela. Quant au doute en ce qui concerne ce que je connais, et bien non. » [2] Puis, « une fois mon étonnement et mon émerveillement apaisés par la connaissance du réel, voici que surgit le « doute ». Les connaissances, il est vrai s’accumulent, mais pour peu qu’on se livre à examen critique, plus rien n’est certain. » [3]

 

Nous avons donc un besoin authentique de certitudes, notamment celles qui n’acceptent pas de doute. D’où une recherche de l’absolu et de la pureté par certains. Le pureté et la sacralité sont fondamentaux dans la vie d’une société et d’un individu qu’il soit athées ou religieux, chacun les cherchant à sa manière. Une chose pure est tout ce « qui n’est pas mêlé avec autre chose, qui ne contient en soi aucun élément étranger. » [4] Le sacré est ce « qui appartient à un domaine interdit et inviolable, et fait l’objet d’un sentiment de révérence religieuse. » [5] Les religions, en plus de l’art et de la Science dans un certain sens, sont donc l’incarnation du sacré et de la pureté et ils existent depuis des temps immémoriaux et dans toutes les sociétés même les plus "primitives", mais pas toujours dans le sens moderne donné à ces termes. Le sacré est en relation directe ou indirecte avec l’absolu, le divin, les dieux, chose qu’il est interdit de violer et de montrer avec des descriptions malveillantes en public ou en privé et même dans l’intimité secrète personnelle. Selon l'historien des religions William E. Paden, « Elles [les religions] distinguent entre ce qui est compatible et ce qui est incompatible avec le sacré. En terminologie classique, c’est la distinction entre ce qui est sacré et ce qui est profane.» [6] Le profane, quant à lui, est tout ce « qui est étranger à la religion. » [7]

 

Le sacré et le profane, l’amalgame

 

Le sacré et le profane chevauchent, s’interfèrent, à des degrés qui dépendent des certitudes de chaque individu social. Toute chose profane jugée indésirable est considérée comme étant un parasite, un intrus et une impureté qui doit être écartée au plus vite car « l’impureté ayant déjà contaminé l’ordre sacré est intolérable et doit être débarrassée par certains moyens appropriés à la nature de la violation. Les formes que cela prend représente une phénoménologie vaste et variée. » [8] Évidemment, il y a des purifications corporelles liées à des profanations matérielles, les ablutions par exemple, mais il y a également d’autres purifications spirituelles ou sociales comme l’épuration ethnique, culturelle ou linguistique. Puis, « il est un bon terme [la pureté] pour l’absence d’éléments négatifs ou rétrogrades au sein d’un système. C’est un terme qui permet d’accroître notre compréhension des structures religieuses des mondes en rattachant les pratiques religieuses avec les concepts d’intégrité, de différenciation, de consistance et d’unité. Chaque système religieux fait la différence entre les actions qui sont conformes à ses buts ou sous-buts et celles qui ne le sont pas. Certaines conduites sont appropriées et d’autres ne le sont pas. Certains comportements accroissent le statut du sacré et d’autres le diminuent ou le contredisent. Tout système a sa propre boussole morale. » [9]

 

Ainsi, le besoin d’une pureté et d’une sacralité qui écarte toute impureté et toute chose profane est un concept intimement lié à un système religieux. Selon les interprétations faites des textes fondateurs de la dite religion, les théoriciens de la doctrine religieuse adopte ou écarte telle conception, telle action ou telle idée. Il n’y a pas à proprement parler de limites bien définies entre les le sacré et le profane. En outre, les limites exprimées par le texte fondateur de la religion sont interprétés, manipulés, afin de justifier l’adoption d’un concept, d’une idée ou d’une action. Ce qui justifie que le sacré et le profane s’interfèrent et chevauchent.

 

Les interférences entre le sacré et le profane sont la source de beaucoup de conflits sociaux auxquels on cherche des remèdes ailleurs qu’à leur véritable source. La personne foncièrement religieuse a tendance à ne plus distinguer le sacré du profane, le cru et le su. Elle finit par trouver une continuité naturelle, une connivence, entre le divin et le monde palpable en plongeant dans un mysticisme (un soufisme) parce que « dès le début de la pratique [mystique] apparaissent des révélations et des visions à tel point que pendant leur éveil [les mystiques], ils voient les anges, les esprits des Prophètes et entendent leur voix à partir desquels ils tirent des choses positives. Puis, les choses évoluent de la vision des images et des révélations vers des étapes dont le champ de l’expression verbale se restreint. Quiconque tente de les exprimer ne peut éviter des erreurs manifestes dans son expression. » [10] Ces visions, ces voix, c’est ce que les psychiatres appellent les hallucinations parce que « ce manque d’autocritique rend fort complexes les relations avec autrui. A titre d’exemple, nous citons le cas d’une personne qui entend des voix lui disant qu’on veut lui faire du mal; elle croit que des tueurs de la Mafia la poursuivent et éprouve une angoisse extrême reliée à cette menace. » [11] Les voix en question ne disent évidemment jamais la même chose à tout le monde. Il y a des gens que ces voix menacent et d'autres qu'elles réconfortent et sécurisent.

 

Dans cet état d’esprit, les visions de l’esprit et la réalité concrète se confondent chez le mystique. Il n’a plus une vison saine de la même réalité que d’autres personnes, autour de lui, perçoivent autrement. Le profane devient sujet à la sacralité, à la révérence et au culte, le monde devient insignifiant et négligeable devant l’absolu, la pureté et le sacré recherchés. La vie elle-même devient de peu de valeur car, « par exemple, des hommes ont offert leur vie dans un combat solidaire afin de réaliser dans le monde  une vie en commun. La solidarité, pour eux, l’emportait absolument  sur la vie dont elle était une condition. » [12] Dans ses efforts pour atteindre le sacré, la pureté, l’absolu, le mystique écarte, néglige, méprise, tout ce qui ne touche pas directement à ses centres d’intérêts ou élève des valeurs qui lui tiennent à cœur vers les sommets de la sacralité en les attribuant directement ou indirectement à Dieu.

 

Dans l’autre sens, il a tendance à profaner, à réduire à néant, des valeurs suprêmes au sein même de sa propre doctrine. En effet, « elle [cette opinion] vient d’un ami de l’Islam, ignorant,  qui croit qu’il faut qu’il soit soutenu en rejetant toute science qu’on lui attribue [à l'Islam]. Alors, il rejeta toutes leurs sciences et prétendit qu’ils sont ignorants là-dessus, à tel point qu’il avait rejeté leurs propos sur l’éclipse et a prétendu que ce qu’ils avaient dit là-dessus est contraire à la charia. » [13] Nous voyons ici que le désir d’une purification théorique des dogmes religieux, ayant une incidence pratique sur de vastes domaines vitaux pour la société, poussent le mystique à l’adoption de théories négatives  et rétrogrades, et tout cela au nom de la religion. Dans le même temps, la religion nous exhorte, d’une manière explicite, à adopter des dogmes contraires à ceux préconisés par ces gens, à savoir la recherche et la réflexion sur la création divine en vue de la contemplation des pouvoirs et de la puissance du Créateur pour ainsi se convaincre de Son existence.

 

Quand l’ouléma se mêle de la science, les conséquences de l’ignorance

 

Un autre exemple est celui de l’intervention des théologiens dans des domaines qui leur sont totalement étrangers. Ils émettent des assertions scientifiquement erronées et absurdes auxquelles les croyants doivent croire comme à un dogme. Par exemple, dans son livre "Al-Adilla n-Naqliya wa Al-Hissiya ‘Alâ Jarayân sh-Sham wa Sukûn Al-Ard ", Abd Al-Azîz Ben Bâz soutient que « si la terre tournait autour du soleil, comme ils prétendent, les pays, les montagnes, les arbres, les fleuves, les mers, ne seraient pas stables. Les gens verraient les pays de l’ouest à l’est et les pays de l’est à l’ouest, la direction de la prière serait inversée pour les gens et elle n’aurait aucune stabilité. » [14] C'était en 1975, six ans après le débarquement de l'Homme sur la lune.

 

Galilée a été jugé par l'Église pour une raison similaire mais dans l'autre sens; c'était qu'il disait des choses contraires aux dogmes religieux qui incluaient justement le domaine du profane. Sa conception personnelle de l’univers et sa formation religieuse avaient interdit à l’auteur ci-dessus de concevoir et d’imaginer que la terre pouvait tourner autour du soleil. Par conséquent, sa position et sa réputation de théologien le pousse à une généralisation abusive de ses conceptions personnelles en les érigeant en dogmes religieux en prononçant des fatwas, auxquelles les croyants dociles doivent croire sans discuter. Si nous n’avions pas la possibilité de mettre cet auteur dans une navette spatiale et lui faire faire un tour de la terre, comme vient de le faire le premier touriste de l’Espace, puis lui montrer du doigt, à l’œil nu, que la terre est effectivement une boule bleue, qu’elle est effectivement en train de naviguer dans l’espace, nous croirions à ses conceptions dogmatiques de la stabilité de la terre pendant encore plusieurs siècles; ce qui représente un retard scientifique et civilisationnel du même ordre. Puis, quiconque contestera ses conceptions personnelles en matière d’astronomie, en faisant des recherches, sera accusé d’incrédulité et d’impiété envers Dieu et le Coran, qui n’y sont pour rien, et sera condamné à mort et exécuté, comme cela s’est déjà fait ailleurs.

 

La sacralisation de l’arabe, une opération mystique

 

Ainsi, confondre le profane avec le sacré, vouloir faire des choses ordinaires, palpables, des fois mêmes triviales, vouloir en faire des dogmes religieux que l'on attribue à Dieu alors que Dieu et la religion n’y sont pour rien, c'est déclarer la fin de la Démocratie, de la Connaissance et de la Science, donc de la Civilisation et vouer le peuple musulman à un sous-développement économique et social insurmontable. Dieu a crée l’Univers et l’être humain, et Il est transcendant à Sa créature. Il ne doit pas être un sujet que l’on prend à la légère en Lui attribuant des mensonges et des conceptions humaines erronées qui ne sont que de simples imaginations de théologiens ignorants de cette créature.

 

Évidemment, tous les religieux n’atteignent pas ces étapes dans le mysticisme. Néanmoins, cette tendance à sacraliser les choses ordinaires, profanes et à les élever au rang de dogmes religieux ou à réduire à néant des valeurs fondamentales pour la société, est présente à des degrés divers selon la religiosité des gens. Il faut noter que la religion en tant que telle n’a rien à voir dans ces comportements excessifs et extrémistes que la majorité des religions, et des Sagesses en général, condamnent. Le Coran exhorte et implore les croyants à se comporter d’une manière équilibrée en toute chose.

 

Et c'est ainsi de la langue arabe qui avait fini par faire son entrée triomphale dans la sacralité étant donné que « quiconque est incrédule envers la langue arabe, il est incrédule envers Dieu; quiconque est en désaccord avec la langue arabe, il l’est envers Dieu;  quiconque est mécréant envers elle, il l’est envers Dieu. » [15] Nous voyons ici que la langue arabe, qui est une langue comme tant d’autres, a été élevée, grâce à une opération mystique mystérieuse n’ayant pas grand chose à voir avec la foi musulmane, vers la sacralité et elle est même devenue l’objet de l’incrédulité et de l’impiété donc du culte également, et c’est ce que le Coran appelle le Shirk, l’idolâtrie, et que l’Islam a tant combattu dans ses débuts. On voit très bien que le mystique, dans ses hallucinations et ses moments de perte du sens des réalités, a tendance à saboter les fondements mêmes de sa propre doctrine religieuse qu’il croit épurer et purifier.

 

Le tamazight, une impureté à éliminer

 

Dans l’autre sens, le tamazight, qui est considéré comme une langue profane, a été diminuée, dénudée et méprisée d’une manière aussi radicale que celle qui a consisté à élever une langue profane, comme l’arabe, vers les sommets de la sacralité et de la pureté, parce que « comment se pourrait-il qu’une question de langue [tamazight] et des dialectes devienne une question de religion, de vie et de mort ? » [16] Si vous tentez de lui expliquer le contraire de ce qu’il pense en vous appuyant sur les mêmes textes fondateurs de sa propre doctrine religieuse, à savoir le Coran et la Sunna, il vous dira simplement et avec éclat : « Ô vous, enfants de Kusayla et de la Kahina « martyrs » ! » C’est-à-dire qu’il vous insulte sans hésiter et au nom de Dieu, bien évidemment.

 

Ainsi, le mystique atteint un niveau d’hallucination qui le déconnecte de la réalité ordinaire que les gens autour de lui perçoivent et conçoivent autrement. Il accède à sa réalité dans laquelle tout se réduit inévitablement aux questions qui l’intéressent et à ses propres centres d’intérêts tandis que le texte religieux sur lequel il s’appuie affirme le contraire de ce qu’il soutient en encourageant le respect mutuel entre les peuples et les cultures de l’humanité entière sans extrémisme et sans discrimination, en appelant à un débat dans lequel l’argumentation rationnelle est la première arme qui doit remplacer l’argumentation irrationnelle et mystique.

 

Pour plaire à ce genre de personnage, il faut se conformer minutieusement à sa propre vision du monde, sinon c’est le rejet implacable que sa doctrine religieuse elle-même combatte. Le mystique a par conséquent tendance à vouloir unifier, uniformiser, purifier, épurer, le monde et le nettoyer de toute impureté qui dérange l’unité abstraite, métaphysique et idéale qu’il se fait dans son esprit, la pureté absolue qu’il voudrait réaliser ici-bas avant l’au-delà. Il commence par rejeter toute autre doctrine religieuse qu’il considère comme étant incompatible avec son unique interprétation des textes fondateurs de la religion qu’il prêche. En effet, « nous nous attachons, nous, à éclaircir ce qui est difficile à comprendre dans la religion afin de saisir la signification du [mot] musulman et le savoir qui nous permet de découvrir les facettes des gens afin de connaître qui est musulman, qui est avec nous et qui avec les autres.» [17]

 

Autrement dit, c’est à lui de vous dicter ce qu’il faut croire et comment le croire. Si vous avez des réflexions différentes de celles qu’il soutient et qui sont en rapport avec la religion ou la société, il vous considère avec les autres, c’est-à-dire les incrédules et les impies qui méritent le mépris et les insultes, des fois même la mort. Votre liberté devient sujette à caution, elle devient un objet entre leur main et, vous, vous devenez un sous-homme à qui on explique, tel un enfant en bas âge, comment se comporter, les choses auxquelles il faut croire et les choses qu’il doit éviter sous peine de punition. Ce désir de dominer les autres, au lieu d’être leur égal, est un sentiment du mystique qui lui dicte qu’il est, lui, un sauvé, un homme accompli, parfait, un sur-homme qui apprend aux petites gens comment être, ce qu’il faut dire et ce qu’il faut croire. C’est un sentiment profond d’une hégémonie absolue venant de sa conviction qu’il a raison sur toute la ligne et que les autres ont tort.

 

Ainsi du tamazight dans la conception religieuse mystique de beaucoup de personnes, même les plus éloignées de la religion. En invoquant que le tamazight est une langue comme les autres et qu’il faut l’introduire dans les établissements scolaires parce qu’elle porte en elle un trésor de notre identité nationale, les ennemis de l’amazighité, qu’ils soient ‘religieux’ ou panarabistes, répondent qu’elle n’est pas la langue du Coran et par conséquent ce n’est pas une langue sacrée et qu’elle ne doit pas être une préoccupation de gens sérieux qui ont d’autres choses à faire que de s’intéresser à « des chants de grand-mères. »

 

La mystique religieuse, un moyen de domination politique

 

L’emploi de la religion au service de la politique ne date pas d’aujourd’hui. L’histoire des différentes religions regorge d’événements qui l’attestent d’une manière qui ne se prête pas à la discussion et l’Islam n’a pas échappé à ces opérations machiavéliques et incrédules. Ces prises de positions concernant les langues et les cultures ne sont que des opinions idéologiques qui n’ont rien à faire avec la religion musulmane. Le mystique emploie la religion et l’affectivité dont la foi des croyants est chargée pour sacraliser ses prises de position politiques en les érigeant en dogmes religieux indiscutables pour les gens à qui il s’adresse. Nous avons vu cette tentative de cet auteur qui n’arrive pas à imaginer que la terre pouvait tourner autour du soleil et il a ainsi écrit un livre qui est destiné à être lu par les croyants. Dans le fond, ses opinions vont à l’encontre même de la foi qu’il prétend défendre. Cependant, ses égarements mystiques et hallucinatoires lui interdisent de faire appel à la raison, qu’il méprise, afin de les analyser et se rendre compte du mal perpétré à sa propre doctrine.

 

Ce sont de telles interférences entre la religion et la vie profane qui avaient contraints les philosophes des lumières en Europe à déclarer la séparation de l’Église du pouvoir temporel profane et de donner à chacun son champs de compétence où il doit exclusivement agir sans toucher au domaine de l’autre. Et c’est ainsi que la laïcité et la démocratie au sens moderne sont nées en Occident.

 

Cependant, il ne faut pas comprendre que la laïcité ou la démocratie sont un simple rejet de la religion. Au contraire, elles sont avant tout l’apprentissage d’une certaine mentalité qui exhorte à un respect mutuel dans la diversité qu’elle soit religieuse, culturelle, linguistique ou autre. La démocratie est un mode de vie dans lequel l’individu et le groupe agissent en fonction de leur intérêts sans oublier que les autres ont des intérêts semblables même s’ils ne coïncident pas nécessairement avec les leurs. Néanmoins, il est vrai que pour arriver à apprendre et à consolider cette attitude ou cette aptitude à respecter l’autre dans sa différence, les choses doivent être relativisées et l’on ne doit pas s’attacher, dans de tels cas, à des certitudes absolues qui transcendent la vie sociale en rejetant toute différence. Chose qui représente un obstacle majeur devant le mystique qui est constamment en quête de certitudes et d’absolu qui n’acceptent pas de compromis.

 

Cette tolérance dans la diversité est un principe que l’Islam avait adopté, du moins théoriquement, dans ses débuts en acceptant que les « Gens du Livre », c’est-à-dire les chrétiens et les juifs, pratiquent leur religion tout en payant un impôt de protection qui est l’équivalent de la Zakat que les croyants musulmans eux-mêmes payent. Aujourd’hui, les mêmes textes fondateurs de l’Islam sont interprétés par des ‘religieux’ qui leur donnent un sens tout à fait opposé à celui que le Prophète lui-même a voulu leur donner. Autrement dit, la religion devient une arme à double tranchant. D’une part c’est la religion au sens commun, celle de la foi en Dieu à qui on exprime seul notre impuissance et notre vulnérabilité devant les événements de la vie. D’autre part, certains l’utilisent comme un moyen pour imposer leur propre interprétation de la vie elle-même et qui la plupart du temps va même à l’encontre des intentions initiales de ses textes.

 

Sacraliser et dogmatiser, mais pour quels objectifs ?

 

Pour résumer, les objectifs de l’islamisme extrémiste militant sont les suivants :

 

  1. La prise du pouvoir politique puis l’instauration d’un régime théocratique totalitaire et autoritaire à l’instar de ce qui se passe en Afghanistan où les exécutions sont faites en public après la prière du Vendredi. Le régime des Talibans exécute par pendaison, par égorgement ou par balle, en plein rue, devant les passants et laissent la victime suspendue au poteau, ou étendue par terre, toute la journée pour servir d’exemple. La vie de l’être humain devient négligeable devant la pureté requise pour satisfaire les exigences intransigeantes et folles des mystiques.

 

  1. La recherche de la pureté et des certitudes en toute chose. La race, la langue et la culture n’en sont que des exemples. Ils veulent écarter toute impureté qui dérange et perturbe la pureté projetée en dogmatisant leurs prises de position, même les plus ridicules, en les attribuant à Dieu, comme nous l’avons vu ci-dessus.

 

  1. Une recherche de la pureté religieuse et ethnique en stigmatisant les autres religions et les autres peuples, tels que les Imazighen et les Kurdes. Stigmatiser tamazight c’est stigmatiser du même coup les gens qui la parlent. Ce qui est contraire à l’esprit de tolérance et de dialogue prêché par le Coran et la Sunna.

 

  1. La marginalisation de l’ensemble des cultures et des langues des peuples musulmans sous prétexte qu’ils sont de viles préoccupations qui ne sont pas dignes d’un religieux en quête d’absolu et de paradis. Ce qui traduit une recherche de la pureté, même dans les domaines profanes, que sont les langues et les cultures, mais en s’appuyant sur des textes religieux, avec des interprétations erronées, afin de justifier leurs choix aux yeux de l’humble et soumis croyant.

 

Les mécanismes de la sacralisation

 

Les mécanismes idéologiques employés par les mystiques militants pour atteindre leurs objectifs sont les suivants :

 

    1. L’exploitation idéologique de l’affectivité religieuse des croyants humbles et non-avertis. La mosquée est ici un lieu privilégié pour faire passer le message. La confiance et la bonne foi qu’ont les croyants sincères dans ces gens sont manipulés consciemment ou non afin de faire de ces gens mes proies faciles à l’islamisme politique radical et fondamentaliste.

 

    1. Le dénigrement systématique de l’ensemble des spécificités qui ne font pas partie des objectifs de ses idéologues et qui sont vus comme étant des impuretés à éliminer le plus rapidement possible. La langue et la culture amazighes font partie de ces ‘impuretés’ qui perturbent l’idéal métaphysique projeté.

 

    1. La dogmatisation des prises de position purement tactiques et stratégiques, en les attribuant à Dieu et au Coran, et dont l’objectif réel n’est autre que  la prise du pouvoir et l’uniformisation forcée d’une société basée sur le pluralisme et la diversité.

 

    1. La réduction de l’ensemble des actions sociales à celles préconisées par les théoriciens politiques et les idéologues extrémistes de l’islamisme. Ce qui oblige la communauté musulmane à suivre une direction monolithique visant à réduire au silence ses forces sociales vives et productrices. Les exécutions sommaires en Iran lors et après  la ‘révolution’, les exécutions des bébés et des femmes dans d’autres pays, les exécutions publiques à l’aide d’un poignard ailleurs, nous prouve que ce ne serait pas différent ailleurs. Dans leurs état d’hallucination frôlant le délire, les mystiques croient détenir la vérité absolue en toute chose et cet état d’âme les pousse à commettre les plus sauvages atrocités, tout en les attribuant à Dieu et au Prophète. 

 

    1. La sacralisation du domaine profane, dont celui de la politique, pour justifier les actions sociales et économiques adoptées, et dans certains cas les exactions et les abus commis en matière des droits humains. L’Iran et l’Afghanistan sont de bons exemples en la matière.

 

Épilogue

 

Finalement, nous devons voir que ces tendances mystiques ne sont pas réservées à une religion à l’exception des autres. Elles caractérisent l’ensemble des courants idéologiques même des plus athées et des laïques. En effet, « un certain intégrisme est une tendance permanente dans toutes ces structures idéologiques de type 1ecclésial (fussent-elles laïques) et la conjoncture peut à tout moment la revivifier. Cette tendance devient particulièrement virulente lorsqu’on se trouve dans une situation de désespoir idéologique généralisé, quand aucun substitut crédible et praticable ne se distingue à l’horizon alors que les périls s’accumulent, que la dégradation s’accentue. » [18]

 

Il est également aisément compréhensible que la religion en elle-même, qu'elle soit musulmane ou pas, n'est pas responsable de ces prises de position extrêmes et de cette recherche effrénée d'une pureté absolue en éliminant toute impureté dans tous les domaines où le religieux intégriste voit une atteinte à l'ordre de pureté projeté qui est souvent une utopie qu'il essaye d’appliquer à une réalité qui plonge ses racines dans la diversité et le pluralisme qui sont indispensables à une évolution normale et fructueuse de toute société.

 

La religion musulmane est une religion universaliste par essence, elle s’adresse à l’ensemble de l’humanité sans exception et sans distinction de race, de langue ou de culture. Cependant, certains courants idéologiques partisans, même les plus éloignés de la religion tel que le panarabisme, l’utilisent pour doter leurs prises de position politiques de bases dogmatiques et s’assurer ainsi de l’adhésion inconditionnelle de l’humble croyant à qui l’on explique que les dites prises de position sont dictées par les textes fondateurs de l’Islam. Toute mise en cause de ces prises de position est condamnée d’incrédulité et d’impiété par des décrets religieux, des fatwas, et les exécutions sommaires sont monnaie courante chez les purificateurs lorsqu’ils sont au pouvoir .

 

Prochainement

 

Dans le prochain article, nous aborderons, sous le même titre, la même problématique mais cette fois appliquée à la religion panarabiste. Nous verrons qu’il existe un parallèle surprenant entre les deux idéologies dans leur recherche de la pureté et des certitudes, dans leur rejet des impuretés qui dérangent leur idéal. Une recherche de certitudes qui n’est plus de mise dans un monde en mutation et engagé dans un processus de mondialisation inévitable et irréversible, malgré les r1ésistances, et qui nécessitent de nouvelles valeurs plus universelles: La tolérance, l’ouverture d’esprit, l’acceptation mutuelle, le respect des valeurs d’autrui, de sa langue et de sa culture, etc. Des valeurs qui sont en réalité les valeurs prêchées par la religion musulmane elle-même : « Point de contrainte en religion », dit le Coran, mais la réalité a toujours été différente des textes et espérons qu’un jour nous verrons le bout du tunnel dans cet amalgame dont certains profitent afin de s’imposer sans d’autres raisons valables.

 

Aïcha Aït-Hammou, 21/01/2001.


 

[1] Voir à ce propos : Maxime Rodinson.. De Pythagore à Lénine. Des activismes idéologiques. Fayard, Paris, 1993.

[2] Abu Hâmid Al-Ghazâli. Al-Munqid mina d-Dalâl wa al-mufsih bi al-ahwâl. Dâr Al-Fikr l-Lubnânî, Beyrouth, 1993, p.51.

[3] Karl Jaspers. Introduction à la philosophie. Traduit de l’Allemand par Jeanne Hersch. Paris, Plon, 1965. p. 16.

[4] Le Petit Robert. Le dictionnaire du français primordial.

[5] Le Petit Robert. Le dictionnaire du français primordial.

[6] William E. Paden. Religious Worlds. Boston, Beacon, 1994. p.141.

[7] Le Petit Robert. Le dictionnaire du français primordial.

[8] William E. Paden. Ibid. p.154.

[9] William E. Paden. Ibid. p.143.

[10] Al-Ghazâli. Ibid. p.83.

[11] Dr Jean-Marc Bordeleau. La dépression nerveuse. Les Éditions de l’Homme, Ottawa, 1970. p.56.

[12] Karl Jaspers. Ibid. p.

[13] Al-Ghazâli. Ibid. p.66.

[14] Cheikh Abd Al-Azîz Ben Bâz. Al-Adilla n-Naqliya wa Al-Hissiya ‘Alâ Jarayân sh-Sham wa Sukûn Al-Ard. Publications d’Al-Jâmi’a Al-Islâmiya, Médine, 1975.

[15] Abdeslam Yassine. Hiwâruh ma’a Sadîqih Amâzîghî. 1995.  p.96.

[16] Abdeslam Yassine. Ibid. p.96.

[17] Abdelam Yassin. Ibid. p.184.

 

[18] Maxime Rodinson. L’Islam : Politique et croyance. Paris, Fayard, 1993. p.243.

 

 

 

 

 

 

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