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  (Juillet  2007)

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Entretien avec Ali Khadaoui sur la question amazighe

Amazighité: la question de la souveraineté doit être posée!

Propos recueillis par Lhoussain Azergui

Ali Khadaoui est militant du Mouvement culturel amazigh à Tamazgha occidentale. Il fait partie de celles et ceux qui avaient applaudi la création de l’Ircam en 2002. En juin 2002 il fut nommé membre du Conseil d’administration de l’Ircam qu’il quitte, avec six autres membres de cette «institution» royale, en février 2005.

Dans cet entretien, Ali Khadaoui évoque l’actualité du mouvement amazigh à Tamazgha occidentale ainsi que la situation de la question amazighe de manière générale. Bien sûr, il explique les raisons de sa démission de l’Ircam et il revient sur la place réservée à Tamazight dans les médias ainsi que sur nombres d’autres sujets.

Où en est la question amazighe au Maroc?

Tout d’abord, la question amazighe au Maroc peut se résumer ainsi: bien qu’Imazighen (les Berbères) soient les habitants autochtones du pays, bien qu’ils soient numériquement largement majoritaires, bien que les fondements anthropologiques de leur identité constituent le substrat social et civilisationnel du pays, ils sont politiquement minorisés et victimes d’une politique d’exclusion menée par un Etat-nation de type jacobin, centralisé et dont la constitution a été affirmée en seuls termes d’arabo-islamité. De ce fait, l’amazighité (langue, culture et civilisation) se retrouve depuis «l’indépendance», pour la première fois de son histoire, exclue des institutions de l’Etat, dans le but d’arabiser la société et de réaliser le rêve des nationalistes arabo-islamistes: édifier un monde arabe qui s’étend du Golfe à l’Océan Atlantique.

En réaction à cette exclusion, le Mouvement amazighe, depuis des décennies, milite pour le recouvrement des droits historiques, politiques, linguistiques et culturels amazighes tels qu’affirmés par les Nations Unies.

Depuis quelques années, la question amazighe au Maroc connaît des développements profonds et rapides, et personne ne peut prédire quelle direction prendront les événements si le pouvoir continue à gérer ce dossier avec la même approche sécuritaire doublée de l’anathème et du mépris à l’égard des sentiments amazighes. Aujourd’hui, la politique de l’Etat à l’égard de l’amazighité se caractérise par un double discours: en même temps qu’on déclare que l’amazighité s’intègre dans les institutions officielles, dans la pratique toutes les actions du pouvoir montrent clairement que son objectif demeure l’arabisation totale des populations amazighes.

Devant cette supercherie qui ne trompe plus personne, l’on peut d’ores et déjà remarquer que l’amazighité se pose de plus en plus en termes politiques que culturels.

Où en est le mouvement amazighe dans ses appels au pouvoir marocain sur l’enseignement de tamazight?

L’enseignement de tamazight (la langue berbère) au Maroc est présenté par le pouvoir comme l’une de ses décisions majeures en faveur de l’amazighité. Cependant, la réalité de cet enseignement dément de manière catégorique les allégations du pouvoir quant à leur réelle volonté politique de promouvoir la langue amazighe en l’intégrant dans toutes les institutions de l’Etat.

En effet, les observateurs et les professionnels sont d’accord ici pour dire que ce qu’on appelle «enseignement de tamazight» et non «enseignement de la langue amazighe» est une véritable mascarade, une insulte de plus à la dignité et à l’intelligence des Imazighen. Comment peut-on parler d’un enseignement de tamazight avec les données suivantes:

- l’absence de statut de la langue amazighe rend son enseignement facultatif et dérisoire, car les didacticiens savent qu’on ne peut construire des curricula valables pour une langue qu’à partir d’un statut officiel déterminé, fixé par le pouvoir politique. Or le statut juridique de la langue amazighe jusqu’à maintenant est celui d’une «non-langue».

De plus, le non respect du statut social des langues en présence au Maroc fausse déjà les données d’un enseignement général fructueux: la langue arabe classique, seule langue officielle, est présentée comme langue mère des marocains alors que personne ne la parle en dehors des domaines religieux et littéraire. En revanche, la langue amazighe, langue mère, langue de communication de millions de marocains (beaucoup ne connaissent qu’elle) n’est toujours pas reconnue comme langue. Le Dahir instituant l’IRCAM ne parle que de «l’amazighité», et non de «langue amazighe». L’absence de statut officiel de la langue amazighe constitue donc un vide juridique qu’exploitent aisément les adversaires et ennemis de l’amazighité, omniprésents dans le système éducatif marocain mis en place par les nationalistes arabo-islamistes aux lendemains de leur «indépendance».

- une formation au rabais de quelques jours, dispensée par des personnes non qualifiées à des personnes qui, souvent, ne connaissent même pas la langue qu’elles sont appelées à enseigner. En plus, c’est une formation laissée au bon vouloir des autorités régionales comme le stipule la Charte Nationale de d’Education et de la Formation. En 2005, seules cinq académies sur quatorze avaient organisé des stages de quelques jours pour les instituteurs et les inspecteurs.

- l’absence de manuels, de programmes où sont définis objectifs pédagogiques, contenus d’enseignement, méthodologie, critères d’évaluation, etc.

- l’absence de circulaires et notes précisant les modalités d’application de ces programmes, comme cela se fait pour toutes les matières enseignées, etc.

- l’absence d’une enveloppe horaire précise comme pour toutes les autres matières, ce qui met les exécutants dans l’embarras car ils ne savent toujours pas où mettre cette «langue».

-La troisième année a tout simplement été une année blanche - la quatrième année a connu le même destin que la troisième-, ce qui remet en question la généralisation de l’enseignement de la langue amazighe prévue pour 2008 par la convention qui lie le Ministère de l’Education nationale à l’IRCAM.

En fait, les responsables du Ministère de l’Education nationale ne se sont pas donné la peine de mettre en place une stratégie d’intégration de la langue amazighe dans le système éducatif marocain à partir des besoins réels que nécessite une opération d’envergure qui se fait pour la première fois dans ce pays. Ni le cadre juridique, ni les moyens humains, pédagogiques et didactiques n’ont été mis en place. Plus grave encore, aucune opération d’information et de sensibilisation n’a été entreprise afin de créer les conditions psychologiques favorables à l’intégration d’une langue qui, depuis bien avant l’«indépendance», a subi l’anathème du pouvoir et est confronté à l’hostilité de la coalition actuellement au gouvernement, coalition arabo-raciste qui constitue un obstacle infranchissable devant toute tentative de réforme du système éducatif, voire du système politique tout court. Jusqu’à maintenant, les responsables éducatifs, au plus haut niveau, ne cachent pas leur position: pour eux, l’enseignement de la langue amazighe est non seulement une perte de temps, mais aussi un danger pour l’unité de la nation arabe du Golfe à l’Océan !

N’oublions pas qu’en 1994 déjà, Hassan II avait, et c’était la première fois dans l’histoire de la monarchie, annoncé l’enseignement des «dialectes berbères. Cette décision ne fut jamais appliquée, et les tenants de l’»arabocratie» rappellent toujours ce précédent avec une fierté nostalgique.

Quel rôle joue l’IRCAM dans ce combat?

Dans ce combat, l’IRCAM joue le rôle d’une institution mise en place par le pouvoir pour servir ses propres intérêts. D’autre part, l’IRCAM est un organe consultatif, à caractère purement académique.

Cependant, certains responsables essaient de lui faire jouer le rôle d’»embrouilleur» du Mouvement amazigh. Bien tenus par le pouvoir, les moyens d’information, aussi bien écrits qu’audiovisuels, relaient à longueur de journée la propagande officielle qui essaie de faire passer le message suivant: grâce à l’IRCAM, l’amazighité se porte bien et s’intègre comme prévu. Dans les faits, l’amazighité meurt chaque jour davantage sous les yeux de ceux-là mêmes qui sont sensés la défendre officiellement. L’IRCAM, par la volonté des décideurs politiques, contribue à accompagner l’amazighité dans la mort la moins douloureuse possible. L’IRCAM sert ainsi de beau «bocal» où l’on peut montrer à l’opinion nationale et surtout internationale que l’amazighité s’intègre à travers quelques livres de poésie, de linguistique, d’histoire, etc. C’est en réalité un musée où l’amazighité fait déjà partie de l’Histoire, car n’ayant aucune prise sur la réalité sociale des Imazighen!

En fait, à quoi sert l’IRCAM si les milliards qu’il engloutit chaque année n’ont aucune incidence sur la promotion sociale de l’amazighité, sa revalorisation ainsi que le recouvrement par Imazighen d’une dignité chaque jour mise à rude épreuve par la pratique discriminatoire de l’administration? A quoi peut servir l’IRCAM si les tenants du pouvoir ne se reconnaissent pas dans l’amazighité et font de l’arabité une cause nationale?

A votre avis, qui freine le progrès de tamazight au Maroc?

Pour répondre à cette question, il est nécessaire de revenir à l’Histoire récente, à la plus grande rupture qu’Imazighen aient connue le long de toute leur Histoire: le protectorat. Pour la première fois depuis le huitième siècle, et n’en déplaise à tous les mensonges de l’historiographie officielle et dominante, les intérêts de l’Orient arabe et de l’Occident latin s’allient pour venir à bout de la résistance séculaire des Imazighen, jaloux de leur indépendance depuis des millénaires.

Cette alliance a commencé avec «les protégés», ces commerçants et affairistes andalous qui, pour échapper aux lois nationales, se mettaient au service des puissances coloniales qui leur accordaient leur protection contre leur propre pays, protection signifiée par le drapeau du pays protecteur hissé devant les commerces et les habitations des concernés. Cette alliance a abouti à la signature des accords instituant le Protectorat français sur le Maroc. Ce qui a conféré à la colonisation française et espagnole une légitimité internationale en contre partie de la destruction par ces puissances étrangères de l’opposition séculaire amazighe à tout envahisseur, mais aussi à l’oppression du Makhzen.

Ceux qui freinent l’amazighité aujourd’hui, sont ceux dont les femmes, lorsque leur parvenaient les nouvelles d’une défaite des Imazighen face aux troupes françaises, poussaient des youyous à la gloire des colonisateurs! Ce sont les mêmes qui, pour discréditer l’amazighité pour la première fois dans son pays, avaient instrumentalisé le Dahir dit «berbère»(1) dans les années trente, tout en continuant leurs négociations - et leur négoce - avec la France, jusqu’à l’aboutissement des accords d’Aix-les-Bains, et la suite est connue: l’exclusion pure et simple de l’amazighité (langue, culture, traditions juridiques et sociales, civilisation etc), des institutions de l’Etat, ce qui fait des imazighen pour la première fois de toute leur histoire millénaire, et malgré leur majorité numérique écrasante, une minorité politique soumise au dictat raciste d’une caste d’étrangers à ce pays. Ce sont des faits bien établis.

En fait, il s’agit d’une colonisation déguisée des Imazighen qui ne pouvaien1t avoir de place dans l’Etat-nation arabo-islamiste mis en place par l’alliance de la France avec l’oligarchie et la monarchie arabe. Cette dernière s’était agrandie en annexant les territoires des tribus amazighes résistantes jusque là, lesquelles tribus n’avaient pas d’autre choix, une fois vaincues, que de se soumettre à l’ordre imposé.

L’exclusion de l’amazighité des institutions de l’Etat arabo-islamiste «postindépendance», trouve donc ses racines politiques et sa justification dans l’alliance précitée, et ceux qui freinent l’amazighité aujourd’hui sont les petits-enfants de ceux qui ont vendu notre patrie aux colonisateurs à Aix-les-Bains, moyennant la sauvegarde des intérêts des uns et des autres, avec à la clé la destruction des bases sociologiques et politiques du peuple amazighe ainsi que la spoliation de ses richesses économiques. Il a fallu à la France vingt cinq ans d’une guerre inégale et barbare, pour forcer le pays à rompre avec sa permanence anthropologique et le couper ainsi de ses racines profondes, de sa véritable identité

L’apartheid auquel est soumise l’amazighité dans son propre pays n’est donc pas un accident de l’Histoire, mais une opération politique diabolique, planifiée par les puissances coloniales et les arabo-islamistes: afin que leur conquête et la soumission des imazighen soient durables, il fallait détruire les bases du système amazigh et ses élites traditionnelles, tout en réservant la formation supérieure modernes aux élites arabo-islamistes dans les lycées et les Universités françaises.

Que pensez-vous de la nouvelle grille de programmes de 2M qui déclare son intention de réserver 30% du temps d’antenne à la langue amazighe?

Tout d’abord, sur quelle base et selon quels critères «on» a réservé 30 % d’antenne à la langue et à la civilisation amazighes? Pourquoi pas 60 ou même 80%?

Ensuite, quel contenu va-t-»on» réserver à ces 30%? S’il s’agit du même contenu que l’actuel, sur toutes les chaînes marocaines, cela ne changera rien à la situation de l’amazighité qui continuera sa perte de vitesse devant le tsunami de l’arabisation: au même moment où on se targue d’accorder 30% à l’amazighité qui constitue l’identité fondamentale du pays, on a créé plus de cinq chaînes arabistes, en plus des dizaines de chaînes arabes qui arrosent déjà notre territoire. Il y a à parier qu’avec la nouvelle politique «berbère» du makhzen, la folklorisation à outrance de la culture amazighe continuera de plus belle. Aucune voix opposée à cette politique d’apartheid ne s’exprimera jamais sur ces antennes, car malgré l’acharnement de la propagande à vouloir induire l’opinion publique nationale et surtout internationale en erreur en parlant à longueur de journée d’un Maroc en progrès vers la démocratie, où la presse est libre, force est de constater que la pratique contredit ce discours: la majorité des médias marocains, partisans ou dit indépendants- sont toujours aux ordres du pouvoir, et l’espace qu’y occupe l’amazighité est extrêmement réduit, avec des infrastructures vétustes et des journalistes sous payés et non formés.

Les responsables de ce pays continuent à traiter Imazighen (les Berbères) comme les traitaient les colons français: des indigènes bons aux corvées, en voie de disparition (les amazighophones sont 28% d’après le dernier recensement alors que celui d’il y a dix ans leur accordait 34%). Evidemment, ces statistiques constituent en elles mêmes un enjeu politique de taille: s’il est certain qu’Imazighen constituent la majorité absolue des marocains, le nombre exact d’amazighophones reste un secret d’Etat.

La création de l’IRCAM a été saluée par plusieurs militants comme «une révolution blanche», qu’est ce que vous pensez du «travail» que mène actuellement l’IRCAM?

J’ai fait partie de ceux qui avaient applaudi l’initiative et qui avaient cru à une réelle volonté politique du pouvoir de se réconcilier avec sa propre amazighité. En tant qu’ancien membre du Conseil d’Administration de l’IRCAM, et en tant que chercheur détaché dans cet Institut, j’ai été parmi ceux qui n’ont ménagé aucun effort afin de voir les décisions royales aboutir à une application dans tous les domaines, et, enfin, changer la donne amazighe sur le plan social. Nous pensions que l’IRCAM pouvait être le commencement du processus d’une reconnaissance effective de l’Etat de sa propre amazighité.

Malheureusement, dès la première année, nous nous sommes aperçus que ceux qui détenaient les ficelles de la pratique quotidienne du pouvoir n’avaient pas pour objectif la promotion de l’amazighité et sa revalorisation, mais celui de récupérer le maximum de dirigeants du Mouvement amazigh, de les corrompre par l’intermédiaire d’indemnités et d’avantages divers, de les soulever les uns contre les autres en usant de manipulations multiples. Et pendant trois ans, malgré nos protestations, prises de position, lettres au Roi, rien n’a été fait ne serait-ce que pour freiner les ardeurs des ennemis de l’amazighité omniprésents au niveau de tous les postes de décisions de l’Etat.

Nous nous sommes trouvés devant une situation où toute initiative sérieuse en faveur de l’amazighité était bloquée. Nous tournions donc en rond et finissions par tomber dans des querelles intestines et marginales, ce qui arrangeait bien les affaires des ennemis de l’amazighité.

Pourquoi avez-vous démissionné  de l’IRCAM?

Je viens de justifier un temps soit peu notre «démission» de cet institut. A l’époque, un communiqué on ne peut plus clair, et dont personne n’a contesté la validité des faits rapportés, avait été publié en plusieurs langues. Mais étant donnée la campagne impressionnante d’intoxication menée par le pouvoir et surtout ses alliés faux militants amazighs (certains avaient carrément affirmé que c’était le pouvoir lui-même qui nous avait «ordonné» de démissionner), cet acte historique à plus d’un titre n’a pas eu toutes les retombées souhaitées sur le mouvement amazigh. En effet, pour des raisons qui tiennent aussi à la nature de Mouvement, le pouvoir et ses alliés étaient arrivés à semer le doute dans l’esprit des uns, à aiguiser l’appétit arriviste chez d’autres, et enfin à alimenter la crainte de beaucoup, si bien que le Mouvement amazighe avait raté une bonne occasion de se redéfinir vis-à-vis d’une politique que nous venions, par un acte solennel, de dénoncer de manière on ne peut plus claire.

Afin de clarifier davantage la situation pour les vrais militants amazighs (les faux ne m’intéressent point), je vais essayer de revenir longuement sur les raisons de ce retrait et que les lecteurs m’excusent d’avance si je me répète.

Sans revenir sur toute l’histoire du mouvement amazigh, je voudrais rappeler qu’en l’an 2000, le Manifeste amazigh, signé par des centaines de personnalités amazighes, demande pour la première fois à l’Etat marocain de reconnaître «l’amazighité du Maroc». Ce Manifeste qui a enclenché un débat national sur la situation désastreuse de l’amazighité, a attiré l’attention de l’opinion nationale et internationale sur une question majeure demeurée tabou dans le Maroc de Hassan II. De ce débat s’est dégagée la volonté du mouvement amazigh de rouvrir le dossier sur des bases plus saines à l’occasion de l’avènement d’une nouvelle ère dont les mots d’ordre étaient: démocratie, modernité et citoyenneté. Il y a eu aussi le « Printemps Noir » en Kabylie.

Le 30 Juillet 2001, dans le discours du trône, le Roi Mohamed VI reconnaît que l’amazighité constitue un «affluent»de l’identité nationale aux côtés d’autres affluents: arabe, sub-saharien, africain et andalous.

Dans le discours d’Ajdir, le 17 octobre 2001, le Roi Mohamed VI réaffirme que «l’amazighité est un élément principal de l’identité nationale, un patrimoine culturel dont la présence est manifestée dans toutes les expressions de l’histoire et de la civilisation marocaine […]». Il ajoute qu’il accorde une attention particulière à sa promotion, dans le cadre du projet de société démocratique et moderne qu’il entend promouvoir. Enfin, Med VI affirme que l’amazighité relève de la responsabilité nationale car, dit-il, «aucune culture nationale ne peut renier ses racines historiques».

Par la même occasion, le Roi promulgue le Dahir instituant l’IRCAM (l’Institut Royal de la Culture Amazighe) auquel il fixe les objectifs suivants:

- «En collaboration avec les autorités gouvernementales et les institutions concernées, l’IRCAM concourt à la mise en œuvre des politiques retenues par notre Majesté et devant permettre l’introduction de tamazight dans le système éducatif et assurer son rayonnement dans l’espace social, culturel et médiatique, national, régional et local.»

A la lumière du contenu des discours royaux et surtout du Dahir instituant l’IRCAM, nous avons été nombreux à applaudir de telles initiatives royales qui nous paraissaient à l’époque pleines d’espoir pour l’amazighité. A ces initiatives royales, nous avions voulu démontrer notre bonne volonté à aller de l’avant et à participer à ce que nous pensions être l’élan général amorcé vers la démocratie.

Mais très vite, nous nous sommes aperçus que la coalition gouvernementale (Istiqlal, Ittihad Al Ichtiraki et PPS, ceux-là même qui avaient exclu l’amazighité des institutions de l’Etat) était toujours hostile à l’amazighité et, donc, à la collaboration dont parle le Dahir Royal. L’IRCAM a frappé à toutes les portes, et rares sont celles qui se sont ouvertes; il a signé des conventions avec les institutions concernées qui ne les ont pas honorées, comme par exemple «le plan d’action transitoire» élaboré en commun et adopté par l’IRCAM et le ministère de la communication le 28 septembre 2004 qui a tout simplement été enterré !

Plus graves encore, plusieurs décisions prises par le Conseil d’administration à l’unanimité n’ont jamais été appliquées. A titre d’exemple, dès la mise en place de l’Ircam, une enveloppe destinée à recruter quelques centaines de jeunes licenciés issus des régions amazighes par an en tant qu’enquêteurs sur le terrain, afin de collecter les données du patrimoine amazigh dans tous les domaines, mais aussi afin de contribuer à desserrer l’étau du chômage qui frappe de plein fouet les jeunes issus des zones amazighes. Jusqu’à aujourd’hui, cette décision est restée lettre morte.

Par ailleurs, les faits suivants sont à rappeler:

- Alors que L’alphabet tifinagh venait d’être promulgué par le Roi comme alphabet officiel devant servir à transcrire la langue amazighe, les autorités s’empressent d’interdire son usage public comme à Nador;

- Les prénoms amazighs, les activités de beaucoup d’associations, l’utilisation de la langue amazighe dans les tribunaux et les administrations, continuaient à faire l’objet d’interdiction, et l’IRCAM était impuissant devant de tels pratiques car en tant qu’organe purement consultatif il n’avait aucune prise sur les décisions majeures concernant le destin de l’amazighité;

- Les deux dossiers qui allaient faire déborder le vase, à savoir l’enseignement et les médias, sont des preuves irréfutables de l’absence de volonté politique chez les tenants de l’exécutif à promouvoir l’amazighité comme le stipulait le Dahir instituant l’IRCAM.

Trois ans s’étaient écoulés, et on ne savait pas encore quoi faire avec {«had al amazighiya»,} pour paraphraser le Ministre de la communication, porte parole du gouvernement. Trois ans s’étaient écoulés et Imazighen ne voyaient rien venir sur le terrain.

Au Conseil d’administration, le représentant des ministères concernés passaient leur temps à mentir sans vergogne et à répéter à qui voulait les entendre que tout allait pour le mieux dans leur département. Et devant l’insistance des membres militants du Conseil, les commissions se suivaient et se ressemblaient. Sur le terrain, la situation était – est toujours – on ne peut plus rocambolesque: on fait n’importe quoi et on le présente comme une réussite même si tout le monde s’accorde sur le contraire. Tous Les rapports des praticiens pointaient du doigt la mauvaise volonté des responsables de l’enseignement, voire l’hostilité de beaucoup à l’égard de ce qu’ils continuent à appeler {«achalha»}. Quant aux médias, tout le monde voyait bien que les responsables de ce département se moquaient franchement des Imazighen: en même temps qu’ils avaient créé cinq chaînes arabes, ils affirmaient qu’ils n’avaient pas les moyens d’honorer les engagements de l’Etat vis-à-vis de l’amazighté.

Il était clair que l’enseignement était une mascarade, que les médias continuaient – et continuent toujours – la folklorisation et l’arabétisation du peuple amazighe.

Plus grave encore, le Ministère de la justice continuait son refus d’appliquer une décision royale de taille: la mise en place de traducteurs dans les tribunaux!

Pour dénoncer l’absence de volonté politique chez le Gouvernement et démontrer l’échec de la politique de l’Etat à l’égard de l’amazighité, les «démissionnaires» avaient donc pris leurs responsabilités devant l’Histoire. Ils voulaient dire par là {«basta»} au mépris, remettre la question à l’ordre du jour et créer les conditions d’une reprise de l’initiative par le Mouvement Amazighe.

Comment imaginez-vous l’avenir de la langue amazighe au Maroc? 

L’avenir de cette langue dépend des Imazighen eux-mêmes. Personne ne fera rien à leur place pour assurer un avenir serein à l’amazighité, et en premier à la langue amazighe. Mais soyons d’abord d’accord sur une évidence: aucune langue ne peut survivre aujourd’hui en dehors des systèmes éducatif et médiatique. Si l’enseignement de la langue amazighe continue comme il est conçu et pratiqué actuellement, si les médias continuent la folklorisation et la clochardisation de la langue amazighe, cette dernière s’éteindra sous les yeux mêmes de ses poètes dans quelques décennies. Et justement, dit Jean Dutourd de l’Académie française, «il n’y a pas de plus grande douleur, qu’une langue que tue brusquement l’Histoire devant les yeux même de ses poètes».

De plus, une langue ne peut vivre indépendamment de sa culture et des structures sociales qui lui servent de bases sociologiques et anthropologiques. Aujourd’hui, une langue dont les bases sont exclues du système des valeurs dominantes est certainement condamnée. Ce qui nous amène à poser une autre question: n’est-il pas temps pour le mouvement amazigh de poser la question dans sa véritable dimension qui n’est autre que politique?

Il s’agit de poser clairement la question de la souveraineté amazighe sur son propre territoire, dans un cadre fédéral, démocratique et citoyen. Ce qui nécessite une véritable révolution culturelle qui permettrait enfin à ce peuple de pouvoir dire «je suis» sans avoir à se justifier devant qui que soit.

Note

(1)Il s’agit du Dahir du 16 mai 1930 promulgué par le Roi et qui reconnaissait aux Imazighen leur droit de continuer à utiliser «Izerf», l’arsenal juridique hérité de leur ancêtres, au lieu de la législation islamique ou française.
Les arabo-islamistes avaient alors orchestré- à travers les mosquées et la presse- une campagne de dénigrement mensongère contre ce Dahir, présenté comme une stratégie française pour diviser le «pays» et christianiser les Berbères. Pour plus de détails, voir : Mohamed Mounib, Le Dahir «Berbère» : le plus grand mensonge politique dans le Maroc moderne, Editions Abi Raqraq, Rabat, 2002.

(Publié aussi sur le site de tamazgha: http://www.tamazgha.fr/article.php3?id_article=1963)


 

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