Uttvun 68, 

Meggyûr  2002

(Décembre 2002)

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“Marghighda” et les Latifs de bois

(Inspiré de «Cendrillon» transcrit par Charles Perrault)

Par: Hassan Banhakeia (Université d’Oujda)

À  la mémoire de mon père, celui qui disait à tout moment: Non,  non à l'éclatement des illusions.

 

Il était une fois un paysan, veuf et père d'une fille naïve, qui prit pour seconde épouse une veuve, brune, trop fière et méchante. Elle avait, elle aussi, une petite fille. La mère et sa fille se ressemblent comme deux gouttes d'eau. Et les deux filles avaient le même âge. Le paysan adorait sa seconde épouse car elle l'avait accepté comme mari, lui le primitif et elle la sainte.

Le lendemain des noces, la marâtre Aïcha se montra très irritée à la vue de la sale Marghighda couchée dans des draps propres, auprès de sa fille. Elle lui donna un coup de pied violent. A côté de la petite qui se réveilla en sursaut, les larmes aux yeux, dormait profondément la petite Lalla Fatima.

 Ne pleure pas si haut, tu vas réveiller ma petite! Imbécile, lève-toi et va chercher de l'eau au puits. Arrête de pleurnicher comme une sotte!

Ainsi commençaient pour Marghighda les tâches de la maison: puiser de l'eau, cueillir des herbes pour les animaux, balayer la basse-cour, laver le linge à la source, porter le lourd cartable de Lalla Fatima jusqu'au seuil de l'école et à la fin garder le troupeau jusqu'à l'égouttement dernier du jour.

Le soir, Aïcha expulsa Marghighda de la chambre à coucher pour les enfants: elle avait des poux. Sa petite Lalla Fatima s'en plaignait beaucoup; les morsures de ces bestioles sont dangereuses. Aussi les manières de Marghighda étaient-elles celles d'une fille primitive: elle ronflait trop ou marmonnait des choses la nuit. Elle pouvait être du règne des ogresses. C'est plus que probable. Ce fut ainsi que le grenier accueillit la petite. Pas de paillasse, pas de draps, elle ne trouva là rien que du foin et quelques cartons pour se réchauffer, et l'odeur des cendres emplissait le lieu. Marghighda était triste, elle pleurnichait: pourquoi de telles injustices? Pourquoi lui avait-on pris sa place de toujours, là où sa mère l'avait mise au monde? La petite ne pouvait pas protester; sa belle-mère ne comprenait pas sa langue «sauvage», un dialecte «fourretout», proche de celle des animaux dans laquelle elle gémissait sans trêve. C'est pourquoi, la fille essaya au début d'en parler à son père:

-Ma marâtre me punit pour rien. Elle me méprise, je ne sais pas pourquoi.

-Tu es une ingrate, lui cria le père préoccupé par d'autres choses importantes de la vie dure. Fais ce qu'elle te dit!

 Elle m'a chassée de ma chambre.

 Ta chambre? Tu oses dire cela, dévergondée. Obéis à ta nouvelle mère!

Ainsi, la petite s'habitua avec patience à ces abus sans rien proférer ni protester. En outre, elle commença à comprendre la langue de Lalla Schrifa Aïcha, à la maîtriser en dépit de quelques difficultés. Elle avait un accent horrible et construisait pêle-mêle des phrases.

La petite Marghighda ne pouvait pas aller à l'école pour y apprendre parfaitement cette langue car elle n'était pas inscrite dans le registre civil. Son prénom n'était pas adéquat.

Marghighda, avec ses balbutiements et son hésitation à dire les choses, paraissait idiote devant Lalla Fatima qui se sentait toujours encouragée par «Tu es sacrément intelligente, ma fille!». Et, elle avançait des effronteries applaudies. Le parâtre était une bonne personne, il l'embrassait; et la mère ne cessait de lui faire des éloges. Marghighda n'en était pas jalouse: dans son cœur n'ont pas de nid la jalousie ni la rancune.

Lalla Fatima s'irritait beaucoup à l'idée de se réveiller tôt, prendre son petit-déjeuner et partir à l'école. Là, elle répétait à sa mère qu'elle s'ennuyait beaucoup, et la mère de la rassurer:

 -Mon cœur, tu t'habitueras. L'école, c'est bien!

 -Et Marghighda? Moi aussi, je veux rester à la maison.

 -Marghighda est une sauvage. Mais toi, tu es une schrifa, tu es appelée à avoir une éducation.

Comme Lalla Fatima ne comprenait rien à ces choses que lui disait sa mère, elle continuait à se plaindre.

Là, sur le seuil de l'école au moment de rendre le lourd cartable plein de livres et de cahiers à la petite Lalla Fatima, la petite Marghighda se plaisait beaucoup à regarder cette fille ou l'autre, ayant le même âge qu'elle, se faufiler parmi d'autres élèves, courir dans la cour, réciter des chansons étrangères mais combien belles; elle rêvassait, sans oublier de guetter le mouvement des brebis qui s'affolaient à se répandre dans un champ, à le parcourir à la recherche de rares herbes. Là, dans les classes, les maîtres étaient très bizarres: ils hurlaient trop à des enfants pétrifiés. Cela faisait peur à la petite  Marghighda qui s'empressait à ramener ses brebis loin, très loin pour les faire disparaître en pleine nature.

Marghighda n'avait pas de marraine, comme c'était le cas pour Cendrillon. Elle n'avait pas de fée pour la protéger. Ses contes ou ses croyances étaient complètement bannis. Une fois, la marâtre la surprit en train de parler au chat, en train de lui raconter les tribulations de «Meqdidech», et voilà une rossée terrible pour cette sotte et insolente fille qui persistait à préserver ces choses dignes de la sorcellerie.

-Tu vas oublier tout ça! lui dit le père d'une voix résignée.

-C'est tout simplement un conte que me racontait ma grand-mère…

-Oublie tout cela, c'est de la profanation! Maintenant, les temps ont beaucoup évolué.

Et la petite Marghighda oublia tout cela.

ہ la place de la marraine, Marghighda voit naître le latif qui lui en voulait…

D'autres scènes s'ensuivirent jusqu'au moment où la petite Marghighda  commença à apprendre la langue de la schrifa, qui pour la récompenser, lui répétait cyniquement:

-Ton dialecte ne vaut rien. Il faut que tu t'en débarrasses, ma fille! Regarde, ton père! Il ne dit jamais rien en berbère… Il a raison.

La petite ne dit rien. Elle avait très peur de l'ire de la marâtre.

Le latif, le voilà, qui va s'exploser de rage pour définir des calculs précis et précisés.

*********

Il arriva que le Roi appela ses sujets à scolariser tous les enfants du pays sans distinction. Au village, il n'y avait que la petite Marghighda qui n'avait pas eu cette chance. Le taux d'analphabétisme devait être réduit à zéro. Une honte pour notre pays, au vingt-et-unième siècle, d'avoir un analphabète parmi ses citoyens! Les enfants doivent aller tous à l'école.

On décida alors de la scolarisation hâtive de Marghighda.

Avant cela, le prénom pose problème: «Marghighda» n'est pas un prénom; il est à changer. Que dire de Layla? Bon, elle s'appellera dorénavant Layla. Et le nom? Azizaw? Ah, non! Alors Aziz. Si Marghighda veut  aller à l'école, elle s'appellera dorénavant: Layla Aziz.

Dehors, les cris du latif résonnaient fort. Des  prêches se multipliaient contre cette fille, sans nom authentique, ni  nom approprié qui voulait, coûte que coûte, se civiliser.

Afin de célébrer cet itinéraire vers la civilisation, le Roi organisa une grande fête pour que la nation fasse définitivement ses adieux à l'ignorance. Les temps noirs chutaient dans le vide, d'autres temps commençaient. Ce n'était pas une fête d'amour et de partage, mais aux yeux des courtisans une fête de calculs, d'hypocrisie et de facéties. Comment éduquer Marghighda la sauvage? Fallait-il le faire à coups de bâton pour qu'elle délaissât définitivement sa langue?  اa non, les thèses des pédagogues et des scientifiques prouvaient que c'était antipédagogique. En choyant la petite, en la louant, en la récompensant pour ses prouesses mnémotechniques et sa célérité intellectuelle à remplacer «Tafunast» par «Baqaratun». اa oui. Mais, si elle ne se lassait pas de s'accrocher à sa culture, à sa langue, il n'y aurait pas de raison pour ne pas la punir avec dureté. Il y avait là une possibilité plus que probable. Cette Marghighda allait sûrement irriter les maîtres et le directeur de l'école. On en informa le ministère de l'éducation et les instances suprêmes des problèmes théoriques et scientifiques à l'instant d'éntamer une telle expérience.

Dehors, les cris du latif continuaient à résonner fort. Des  prêches se multipliaient contre cette fille primitive, celle qui allait rendre l'école étroite: trop d'élèves par classe et les plages horaires déversées.

Le jour de son arrivée à l'école, Marghighda était habillée en fille civilisée. Elle n'était pas à l'aise; sur sa peau elle sentait des sensations bizarres cheminer. Elle n'avait pas de cahiers ni de livres, juste un cartable vide. C'est ainsi qu'on planifiait, au début, la scolariser. Par semaine, elle aurait une heure et quarante-cinq minutes pour s'éduquer. Elle parlerait en tamazight comme le bon Dieu l'entend! Et eux, sur le tableau noir, ils allaient écrire à sa place: ils allaient jouer avec le sinueux araméen pour transcrire sa voix cahotante et rugueuse. Cette difficile graphie à apprendre sera ainsi facile aux enfants pour tout apprendre, tout apprendre pour tout oublier. Le maître Sidi Ahmed, un didacticien dit réputé pour son souci de l'objectivité, affirma que cela était possiblement possible: pour «faire sortir» Marghighda de son ignorance, la graphie était un problème technique et scientifique. Oust aux temps ténébreux des discours idéologiques et politiques! Par la technique techniquement technique, tout est possible. C'est le même point de vue que nourrissait Schrife Mohamed, un autre pédagogue célèbre, qui salua en ce geste le nationalisme ou le patriotisme ou les deux choses à la fois.

Marghighda dit non à tout cela. Trop d'arrière-pensées édulcorées. Point d'idées à elle. Elle dit non, non et non.

On lui proposa alors de choisir entre maintes graphies pour fixer sa parole.  Le débat était long: Que faire? Que diront les autres? Qu'est-ce qui est possible? Qu'est-ce qui est impossible? A ces questions, Marghighda ne comprit rien; elle opta pour le silence. Vaut mieux rester muette que de réfléchir ainsi. Il faut penser à des choses plus pratiques et plus astucieuses, insista une Voix à l'accent étranger, celle que personne ne peut identifier. L'on dit qu'Elle est savante, inspirée et prophétique. Elle peut calculer, mesurer, jauger, parfaire les plans avant leur réalisation.  La Voix disait que les latifs étaient puissants, plus forts que les ogres. Marghighda de penser à l'astucieux «Meqdidech» qui peut vaincre les ogres et les ogresses et leurs enfants. Elle refusa tous les enseignements. Elle dit qu'ils étaient caducs, que la nature lui enseignait mieux que tout cela.

Dehors, les cris du latif résonnaient plus fort. Des prêches se multipliaient contre cette fille primitive qui entendait découvrir l'enseignemnt moderne et adéquat à ses rêves sauvages.

Quand on en informa encore le Roi, ce dernier s'irrita plus de ce que ne pouvaient l'imaginer les courtisans. Ses paroles sont difficiles à rapporter.

C'est pourquoi, le ministre dit ceci, le délégué répéta cela et le directeur décida de dire à la petite un jour:

 Ma petite, nous allons te laisser le choix! Toi seule, petite Marghighda, tu peux décider. Que feras-tu pour ton enseignement? C'est vrai, vrai que tu es la seule analphabète du royaume! Nous allons te scolariser, t'intégrer… Nous allons te laisser la liberté pour…

-Me laisser la liberté?

-Oui, tout le choix!

Et, les mots manquaient terriblement à la petite Marghighda. Elle secoua énergiquement le cartable où les sons du vide retentissaient encore, regarda le tableau noir, hocha la tête. Elle reprit son sac toujours vide et repartit loin de l'école.

L'on rapporta encore au Roi le refus de Marghighda à rejoindre l'école: elle demandait trop de choses. A quoi bon sa scolarisation! Non, dit le Roi, mon peuple a  droit à l'éducation. Sans distinction. Recherchez la petite Marghighda.

Dehors, les cris du latif résonnaient très fort. Des prêches se multipliaient contre cette fille sauvage qui songeait d'une éducation singulière.

La petite fille sauvage avait déjà fui sa maison. Lalla  Schrifa Aïcha dit aux soldats que sa chère fille n'était pas là, qu'elle n'avait pas besoin d'éducation. Elle veut rester une sauvage. Ces gens ne peuvent pas évoluer. Voilà, notre honte! Dans un coin, le père se lamentait en silence; il regrettait d'avoir mis au monde une fille aussi dévergondée. Lui, à l'école du soir, il avait appris à sillonner son prénom et son  nom: Abdelaziz Aziz. Il n'est plus analphabète, plus jamais.

Grâce aux cheikhs, aux mqadems, aux ajarrays et aux mokhaznis, la recherche ne dura pas longtemps. Les soldats la trouvèrent cachée dans les fourrés cernant la ville antique tombée en ruines. Ils la ramenèrent manu militari devant le Roi.

Dehors, les cris du latif résonnaient trop fort. Des prêches appelaient à la mise à mort de cette dévergondée.

Devant le Souverain, Marghighda se sentit très nerveuse. Elle ne put pas dire quoi que ce soit; elle baissa les yeux. Les mots lui manquaient, une autre fois.

-Que veux-tu, ma fille?

-Moi, rien. Les autres veulent décider à ma place.

-Explique-toi, ma petite!

-Tout le monde dit comprendre beaucoup de choses de moi; ils ne me laissent jamais la liberté de choisir à ma place. Je me connais, je crois.  Et si je choisis, ils s'écrient de rage, m'inculpent de sorcière, m'humilient, m'humilient, m'humilient…

Combien l'ire du Roi était terrible: il punit les courtisans et les hypocrites. Il publia un décret où il laissa à Marghighda la liberté de remplir son cartable, d'avoir ses heures légitimes à l'école et choisir son itinéraire dans l'école, comme tout le monde, sans distinction.

********

Que retenir de cette histoire inachevée? Ces deux moralités.

                       

            MORALITÉ

L'amour de l'autre est un bonheur rare,

Et de l'aimer jamais on n'en pense

Qu'au moment du coup péremptoire

Celui qui le met bas, le tue bien.

 

C'est ce que Marghighda fait voir aux autres

Rien ne se passe en l'instruisant autrement

Quelque chose meurt, quelque chose renaît

(car ainsi s'écoule la vie des Imazighen)

 

Amour de l'autre, cette qualité vaut mieux que la vie,

Pour tuer un corps, pour en venir à bout,

La bonne forme est la vraie politique

D'enseigner tamazight sur d'autres enseignes.

 

 

      AUTRE MORALITÉ

C'est sans doute un grand exploit

D'avoir Marghighda instruite,

Elle qui nageait dans les mares de l'ignorance

Qui s'enorgueillissait à vivre bas,

 

Que le Ciel en soit témoin;

Si vous n'avez pas de marraine,

Laissez le bâton résonner

A la place de la baguette magique.

 

Dehors, les cris du latif résonnaient extraordinaires: «Marghighda à l'écoleت! Quelle humiliation!»

Cette humiliation devient profanation. La profanation se fait ensuite athéisme. A la fin, il n'y a que des fins finies.

Ceci est un conte, Marghighda reste éprise de ses cendres, elle ne se marie jamais: elle n'aura pas probablement beaucoup d'enfants. Du bonheur, s'il vous plaît, n'en parlons pas! (Fin)

                                                                                 

 

                   Commentaire «simple»:

L'histoire de Marghighda est l'histoire de l'amazighité, dans ses détours et ses malheurs.

ةtrangement le conte de Marghighda m'obnubile continûment. De l'enfant, je garde cette histoire merveilleuse. Elle hante ma vision, surgit au moment d'expliqer le monde. Vrai, le conte est l'existence dans tous ses états. D'une part, il y a la pauvreté, la faiblesse, l'opprobre  et l'humiliation. D'autre part, il y a la richesse, la force, la gloire et le cynisme. Marghighda traversera ces deux contrées, le cœur grand et la conscience tranquille…

Après le monde des illusions, pour cette petite fille il ne reste que ce monde, le nôtre.

                         (H. Banhakeia)

                                                                      

 

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