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Aristippe de Cyrène, le mal-aimé des philosophes

Par: Hassan Banhakeia (Université de Nador)

 

«Il faut se soumettre les circonstances et non se soumettre à elles»

Aristippe est indéniablement un grand philosophe bien que ses textes ne jouissent pas de la postérité, et la seule connaissance que les manuels d’histoire sauvegardent de ses paroles et de sa personne est un ensemble d’éléments d’une doxographie «large». (1) Dans Les Mémorables, texte de mémoires sur Socrate, Xénophon lui réserve deux chapitres: le chapitre 1 du livre II et le chapitre 8 du livre VIII où il apparaît entretenir un long dialogue avec le Maître. (2) Quelle place au fait réserve-t-on à l’un des élèves préférés de Socrate? Pourquoi étudier une philosophie (celle des Cyrénaïques) que nous n’avons qu’à l’indirect ou de seconde main? Dans toutes ces ‘versions’, Aristippe incarne le «mal» philosophique / philosophant. Loin de toute tempérance, ses dires défient la raison, la morale et la bienséance.

Néanmoins, l’œuvre du socratique mineur perdure à travers les siècles, étant une référence à plusieurs œuvres philosophiques. (3) Si Eschine le place au même niveau que Xénophon et Platon, les penseurs grecs, chrétiens, romains et arabes (Ibn Al Qifti) le qualifient d’intellectuel médiocre et corrupteur. En revanche, Hegel, Machiavel, (4) Montaigne et bien d’autres vont se référer à son œuvre «inexistante», pour avancer d’autres thèses ou mûrir leurs propres réflexions. De nos jours, le philosophe Michel Onfray, tout comme Jeremy Bentham au XIXe siècle, fait d’Aristippe un maître à penser, se trouvant à la base de sa vision du monde: la liberté naît de l’affranchissement de son propre être dans le monde.

A l’instar des premiers philosophes, Aristippe mène la réflexion sur le comment de l’humanité à pouvoir réaliser une existence digne de l’Homme. Le Cyrénéen n’est pas pour la tempérance, il s’ingénie à provoquer le même Socrate. Toutefois, proche des thèses du Maître, le philosophe africain voit que le but suprême de l’homme est le bonheur ; pour cela il persiste à avoir une vision différente. Jouir de l’instant présent, s’affranchir par rapport au monde extérieur et concevoir les circonstances comme un objet sont les fondements de sa pensée. Mais, il va s’opposer à l’idéal socratique qui voit que la vertu est le seul bien, et il s’incline plutôt du côté de la nécessité de la liberté à concrétiser par le corps. Dans sa philosophie «mineure», n’y aurait-il pas expression d’une culture – totalement différente des dominantes de l’époque?

I.- VIE LUXUEUSE D’UN MAL-AIME

Aristippe est né vers 435 av. J.-C. à Cyrène, colonie des Minyens, mort en 356 av. J.-C. Il vit dans une famille riche, fils d’un négociant qui possède des affaires à Athènes, et selon Hegel ses parents sont Aritade le père, et Mica (ou Sonica) la mère.

C’est le sophiste Protagoras d’Abdère qui sera son premier maître. En bon élève, Aristippe s’initie alors à l’éloquence et à la philosophie. Cette maîtrise du verbe va le sauver quand il va être captif en Asie, entre les mains du satrape Artapherne.

Comme tout citoyen de Cyrène, il voyage d’Afrique vers Athènes en 416 avant J.-C. en compagnie de son père pour affaires. Il choisit de s’y établir pour s’initier à la philosophie, il «rejoignit le groupe socratique auquel il resta attaché jusqu’à la mort du Maître en 399 av. J.-C.» (5) De cette étape, l’on raconte: «son père, à qui il n’aurait pas obéi, lui avait écrit que conformément à la loi, il allait le vendre, et toujours arrogant, Aristippe lui aurait répondu que s’il attendait un peu, comme il allait devenir célèbre, il pourrait le vendre plus cher.» (6) Son séjour athénien lui convient pour expérimenter la liberté, loin des coutumes cyrénéennes et d’un père dominant. En ces années-là, la situation politique est trouble: Athènes passe par des moments difficiles de crise et de guerre. (7) Le jeune Aristippe s’ingénie à vivre dans une cité où les lois, les «nomoï», délimitent la vie quotidienne des Athéniens. Il dira: «Si toutes les lois étaient supprimées nous (les philosophes, les sages) continuerions à vivre de la même façon» (Diogène Laërce, II, 68) L’ironie se révèle un trait fondamental de son caractère.

L’hédoniste Aristippe entretient des rapports controversés avec Platon (430-347 av. J.-C.). Peut-être est-ce par émulation? Envers le Maître, selon Diogène Laërce, il aura un respect inébranlable ; il le citera comme source de la vérité et de la sagesse. (8) Socrate va l’avoir tout près, et l’exhortera à changer de «comportement». (9) Mais, le philosophe étranger va demeurer un élève rebelle, capable d’intervertir les idéaux socratiques. (10) D’ailleurs, Platon jalouse d’autres élèves de Socrate (Eschine, Antisthène, Gorgias…)

Du groupe des Socratiques Aristippe est mal vu à cause de ses origines africaines, (11) et à un moindre degré pour son caractère. A Athènes, il a une grande renommée, comparable à l’autre élève de Socrate, Platon. Devant ces deux grands penseurs, Eschine n’ose pas fonder d’école. Aristippe est aussi mal-aimé à cause de son acceptation de l’argent en contrepartie des cours impartis. (Diogène Laërce, II, 65) Aristippe s’en défend: «C’est vrai, Socrate, quand des gens lui envoyaient à manger et à boire… il avait pour assurer son approvisionnement les premiers des Athéniens, alors que moi je n’ai qu’Eutychide, un esclave que j’ai acheté.» (Diogène, II, 74) Conscient de son état d’étranger et de philosophe mineur, Aristippe fait payer pour ses cours. En d’autres termes, le philosophe amazigh choisit d’instruire les fils des gouvernants pour surmonter de tels «handicaps». Notons que le prix demandé par Aristippe est cher: mille drachmes selon Plutarque ; (12) et à un gouvernant qui lui fait le reproche: «Mais pour ce prix là je peux acheter un esclave», le maître africain de répondre: «Achète-le donc et tu en auras deux» (Diogène Laërce, II, 72) Cet attachement à l’argent va mener ses détracteurs à le placer du côté de la sophistique, déviance de la philosophie. (13) C’est là que la marginalisation programmée du philosophe libyen.

Grâce à l’éducation socratique, il arrive à fonder sa propre philosophie: il aime le luxe et quête le plaisir «physique». Joignant l’action à ses paroles, Aristippe mène une vie de «dandy»: il a le goût immodéré de l’habillement, il aime à se parfumer et à avoir la compagnie féminine. De ce quotidien, il en fait une philosophie. Laïs de Corinthe (420 avant J.-C.), belle courtisane, conquiert son cœur, mais au philosophe de s’expliquer: «je la possède mais elle ne me possède pas» (Diogène Laërce, II, 75). Il va composer en l’honneur de cette hétaïre deux textes: Pour Laïs, et Pour Laïs sur son miroir. Plusieurs anecdotes sont citées à propos de sa passion envers cette célébrissime sicilienne. (14)

En plus de son amour de la luxure, Aristippe offre ses bons services au dictateur Denys le Jeune (ou Dionysos II de Syracuse, régnant entre 367 et 343 av. J.-C.) – chez qui il séjourne vers 361 av. J.-C. Il compose en son honneur: Prière à Denys et Sur la fille de Denys. A cause de ce gouverneur Aristippe aura plus d’inimitié avec Platon.

Ami de Dion, oncle maternel et tuteur de Denys le Jeune, Platon séjourne à la même cour qu’Aristippe, chargé d’impartir des leçons. Si l’Africain offre des cours de perversion, Platon ceux de la sagesse. Lors de sa seconde visite, le philosophe grec va être mis à résidence surveillée pour quelque temps. Logiquement, il va éprouver un ressentiment vif envers tout ce qui fait partie d’un tel royaume, envers ce philosophe étranger qui réussit à pervertir le tyran de Syracuse, (15) et par conséquent à avoir plus de place et d’influence…

Durant sa vie, Aristippe voyage incessamment entre les trois continents. Lors de la fameuse exécution de Socrate, Aristippe est en voyage à Corinthe en compagnie de sa douce Laïs.

A son retour à Cyrène, Aristippe fonde l’école de la philosophie après avoir été acclamé à Athènes comme le fondateur de l’école du plaisir. (16) Il «pouvait avoir 68 ans, Aristippe devient, à son tour, chef d’école, et fonda une secte, qui du nom de la ville où elle prit naissance, s’appela Cyrénaïque.» (17) Par ailleurs, de sa vie nous savons qu’Aristippe a un fils Mélanippos, deux filles Basilô et Arétê (signifiant en grec: Vertu !). Si avec son fils il a des rapports difficiles, il veille par contre à l’éducation de sa fille Arétê. C’est elle qui lui succède à la tête de l’école des Cyrénaïques, ensuite Aristippe le Jeune, son petit-fils.

Bref, Aristippe est l’auteur d’une grande œuvre perdue. Parmi ses textes, citons Histoire de la Libye où il traiterait de l’histoire de son pays natal. Il écrit également des textes-dialogues: Artabaze, Pour les naufragés, Pour les exilés, Pour le mendiant, Pour Laïs, Pour Poros, Pour Laïs sur son miroir, Erméias, le Songe, Pour le président du Banquet, Philomèle, Pour les domestiques, Pour ceux qui lui reprochent d’avoir acheté du vieux vin et des courtisanes, Pour ceux qui lui reprochent de bien banqueter, Lettre à sa fille Arété, Pour celui qui s’exerçait aux jeux olympiques, Question, Autre question, Prière à Denys, Prière sur une statue, Sur la fille de Denys, Pour celui qui croyait être déshonoré, Le donneur de conseils, De l’Éducation, De la Vertu, le Donneur de Conseils. Cette œuvre prolifique dit d’une part par ses titres l’extrême intérêt du philosophe des questions actuelles et morales, et de l’autre le rôle d’illuminé que doit mener l’écrivain dans la société.

II.- INITIATEUR DE LA PHILOSOPHIE AFRICAINE

S’il se déclare un disciple de Socrate, Aristippe est déjà fondateur d’une école «africaine» en 399 av. J.-C. Considéré un sophiste, il est de tendance hédoniste. Il est également à placer dans le courant matérialiste. Non seulement le philosophe méprise les conventions au nom du plaisir, mais il confond également plaisir et devoir. L’on parle chez lui de la «philosophie de l’immediateté». Le plaisir véridique est celui qui est immédiatement né de la sensation, n’ayant de sens qu’au moment de son être: dans l’instant même, pas dans le passé ni dans l’avenir. Curieusement, il ne parle de pédérastie dans sa défense du sensualisme. Est-ce alors par souci moral?

L’on se plaît à voir dans sa philosophie l’expression d’un sensualisme «raisonné» qui fait découvrir la conscience de l’animalité. L’homme vit entre le plaisir et la douleur. S’il s’accroche au premier sentiment, il évite le second en présence de circonstances «négatives». «Il a montré que l’homme devait se libérer de ses passions, de ses inhibitions, de ses croyances, qu’il devait aller vers le plaisir, vierge de tout préjugé, sans retenue, d’où qu’il vienne. Il nous enseigne qu’il faut avoir la volonté de rechercher le plaisir, et c’est dans cette intervention de la volonté que la recherche du plaisir est humaine.» (18) L’homme est investi d’une volonté à réaliser des conditions appropriés pour être. C’est la sensation (le plaisir) qui est le but de la vie. Le bonheur n’est alors qu’une multiplication de plaisirs. Le plaisir est un bien, et il revient à tout le monde de le rechercher. Cette quête va au-delà du bien et du mal. Il s’oppose alors à la pensée d’Epicure: le plaisir est un mouvement avec sensation, et la sagesse n’est point l’objectif suprême. Cela s’oppose également à la pensée d’Aristote (384-322 av. J.-C.) qui écrit: «Le sage est heureux jusque dans les tortures.» Dans le même sens, Aristippe dira à Socrate:»Pour moi, je ne vois pas où est la différence que, de mon gré ou non, un fouet me déchire la peau, ou que mon corps, que je le veuille ou non, subisse toute espèce d’assauts. N’est-ce pas être fou par-dessus le marché, que de subir volontairement ces souffrances?» (Mémorables, livre II, chapitre 1, 17) Dans sa nature, l’homme fuit la souffrance. Ainsi tout rachat ou pénitence est une «insanité» pour le philosophe cyrénéen.

Aristippe confesse à Socrate que sa philosophie est une «voie moyenne»: «— Mais moi, dit Aristippe, je n’entends pas non plus me réduire en esclavage. Il me semble qu’il y a une route moyenne, où je m’efforce de marcher, entre le pouvoir et la servitude ; or, c’est la liberté, qui conduit le plus sûrement au bonheur.» (livre II, chapitre 1, 11) Il renconce alors au pouvoir pour être libre et heureux. Une telle position est appropriée pour un étranger comme Aristippe à Athènes.

Selon le philosophe nord-africain, si vertu est vertu, c’est parce qu’elle n’est pas en contradiction avec les plaisirs. Ainsi les plaisirs physiques sont-elles plus bénéfiques que ceux qui proviennent de l’âme. Le plaisir présent est mieux que le plaisir à venir. L’immediateté, mariée à la rationalité, fait la supériorité d’un tel plaisir. (19) Le philosophe réclame alors l’indépendance de la morale dans son rapport à la réalité, notamment les choses extérieures. Le présent compte, mais point l’avenir ou le passé. Il faut jouir de l’instant vécu.

Dans la vision esthétique d’Aristippe, le bon et le beau se confondent totalement. L’aspect utilitariste doit prédominer dans l’œuvre. «Une autre fois, Aristippe lui demandant s’il connaissait quelque chose de beau: «Oui, je connais beaucoup de choses belles. —- Eh bien, sont-elles toutes semblables? — Autant qu’il est possible, il y en a qui diffèrent essentiellement. — Et comment ce qui diffère du beau peut-il être beau?» (livre III, chapitre 8, 4) Et il revient à Xénophon d’imaginer les arrière-pensées du philosophe libyen: «Aristippe lui demanda s’il connaissait quelque chose de bon, afin que, si Socrate lui disait la nourriture, la boisson, la richesse, la santé, la force, le courage, il pût lui démontrer que c’est parfois un mal.» (livre III, chapitre 8, 2) Là il y a d’une part défense des thèses socratiques, et de l’autre la mise en dérision des idées «incongrues» et barbares. Toutefois, si la réponse de Socrate va être claire, (20) les proppos d’Aristippe dérange les fondements de cette philosophie édifiante et moralisante. De fait, Aristippe a la place de philosophe barbare au sens propre du terme. Il ébranle les premiers édifices de la sagesse occidentale.

III.- TRAITS DE L’AFRICAIN CONSCIENT DE SON STATUT D’ETRANGER

Pour nous, Aristippe présente la philosophie d’homme africain qui se voit étranger partout. Il s’arme d’une vision tout à fait particulière ; son homme modèle a trois traits définitoires:

*fort pragmatique dans une société étrangère (supposée discriminatoire envers les étrangers) qui démultiplie les pièges ;

*maître de soi quand cette même société lui offre des occasions de progresser – n’étant que de vaines promesses ;

*et assez conscient pour surmonter les obstacles du monde hellénique.

Ainsi les formes, les rôles et les fonctions de l’homme ne peuvent point révéler sa personnalité. L’individu, notamment l’africain, réagit à des circonstances où il doit chercher à y tirer pleinement profit.

Dans les Mémorables, Xénophon nous présente Socrate qui «interroge Aristippe sur la tempérance, ce qui permet à ce dernier de dire qu’il ne veut être ni maître ni esclave, donc ni commander ni servir, et qu’il veut consacrer sa vie au plaisir.» (21) Le Maître pose la question, et c’est bien lui également qui répond en tant que sage. Le Cyrénnéen ne fait qu’approuver ce qu’avance Socrate ; et il serait erroné de donner raison à un Barbare de Cyrène.

Socrate soulève effectivement l’appartenance étrangère d’Aristippe dont la philosophie est quand même une provocation à la société grecque. (22) En tant qu’Africain, notre philosophe est conscient qu’il n’a pas la place de maître, ni de celui qui va gouverner dans un espace grec. Le Libyen est historiquement commandé au regard du Maître  (23): «(8) — Pour moi, dit Aristippe, je suis loin de me ranger parmi ceux qui veulent commander. Il me semble qu’il est tout à fait d’un insensé, quand c’est déjà pour lui une grande affaire de pourvoir à ses besoins, de ne pas se contenter de cela, mais de s’imposer encore la charge de pourvoir à ceux de ses concitoyens. Se refuser à soi-même tant de choses qu’on désire, et se mettre à la tête de l’État, pour se voir ensuite appelé en justice, parce qu’on n’aura pas fait tout ce que veut la cité, n’est-ce pas là le comble de la folie?  [9] Car enfin les cités prétendent se servir de leurs gouvernants, comme moi de mes esclaves. Moi, je veux que mes esclaves me préparent en abondance tout ce qui m’est nécessaire, mais qu’ils ne touchent à rien ; et les cités croient que les gouvernants doivent leur procurer toutes sortes de biens, dont ils s’abstiendront eux-mêmes. Ceux donc qui veulent se donner beaucoup de peine et en causer aux autres, je les formerai comme nous l’avons dit, et je les rangerai parmi les gens propres à commander ; mais, pour moi, je me range parmi ceux dont le désir est de mener la vie la plus douce et la plus agréable.» (livre II, chapitre 1, 8/9) La recherche du plaisir et non du pouvoir, voilà la philosophie du Cyrénéen. Il est alors plus réaliste, précisément conscient du propre tragique.

Par conséquent, le martyre est inutile, l’héroïsme est banal, le rachat est insensé… Voilà ce qui fait d’Aristippe un penseur à part, défendant un surhomme qui se satisfait de se défendre soi-même. Le Cyrénaïque a, par là, totalement inversé les idéaux grecs. La patrie, la nation, la société sont alors des concepts vides –amazigh qu’il est, et étranger vis-à-vis des valeurs helléniques. A quoi s’accrocher aux leçons du Lycée?

Dans sa querelle avec Eschine, il est le premier à chercher la réconciliation. Comme Eschine accepte, Aristippe lui sort la coutume cyrénaïque pour faire un autre reproche à l’Athénien: «souvenez-vous que je suis venu vers vous le premier bien que je sois le plus âgé.» (Diogène Laerce, II, 82-83) Notons qu’Aristippe use de sa culture «natale» pour survivre dans un espace étranger.

EN CONCLUSION…

Mal aimé par Xénophon et Platon, le père de la philosophie nord-africaine n’est pas assuré de postérité. Il demeure un inconnu pour les chercheurs, lui qui fut célèbre à Athènes, Corinthe, Syracuse... Durant sa vie, il est vu comme un sous-philosophe qui va à la quête du sous-homme, oubliant totalement qu’il est le premier à mettre les bases du surhomme qui vit selon ses propres volontés, étant au centre de tout et en dessus des circonstances. Son homme maîtrise le plaisir, et elle en a une conscience totale afin de dominer la réalité…

Des enseignements de Socrate qui s’ingénie à étudier la vertu et la vérité, Aristippe ne s’intéresse qu’au second concept: la vérité de toute chose est d’atteindre le plaisir, comme une expérience relative, voire relativiste.

NOTES:

(1) Cf. Recueil de sentences de la bibliothèque vaticane, «Gnomologium Vaticanum».

(2) Ces deux chapitres, qui sont l’objet de notre étude, sont tirés de Xénophon, Œuvres Complètes, traduction nouvelle avec une introduction et des notes par Eugène Talbot, tome 1, Librairie de L. Hachette et Cie, Paris: 1859. Cette référence est sur www.remacle.org/bloodwolf/hsitoriens/xenophon/index.htm (source consultée le 5-2-2010)

(3) Pierre Gouirand, Aristippe de Cyrène, le chien royal: une morale du plaisir et de la liberté, Maisonneuve & Larose, Paris, 2005.

«Aucun de ses écrits n’a été conservé et nous ne le connaissons qu’à travers une doxographie.» (p.10)

(4) ibid.

«Il faut toutefois signaler que Machiavel (1469-1527), dans La vie de Castruccio – Castracani da Lucca (1520), adapte à la vie de son époque, quatorze des paroles ou anecdotes concernant Aristippe, telles que nous les livre Diogène Laërce, mais sans jamais citer le philosophe cyrénaïque, ni donner ses sources.» (p.11)

(5) ibid, p.15

(6) Cf. Recueil de sentences de la bibliothèque vaticane, «Gnomologium Vaticanum» (743,42), cité dans Pierre Gouirand, Aristippe de Cyrène, le chien royal: une morale du plaisir et de la liberté, Maisonneuve & Larose, Paris, 2005, p.15

(7) Pierre Gouirand, ibid

«C’était un milieu guerrier puisque Aristippe arriva à Athènes en 416 pendant l’un des épisodes les plus atroces et les plus significatifs de la guerre de Pélonponnèse: l’affaire de Mélos. Mais aussi un milieu raffiné, la description des banquets suffit à nous en convaincre. Ce fut également un milieu supersitieux, mercantile, et cruel ; ce fut ainsi une époque de bouleversements politiques pour la cité et pour toute la Grèce.» (p.67)

(8) Diogène Laërce, Vies et Doctrines des philosophes illustres, II, 71/77/80.

(9) Socrate dit à Aristippe: «Aristippe, fais quelques efforts pour régler la conduite que tu dois tenir pendant le reste de ta vie.» (Livre II, livre 1, 34)

(10) On lit dans Mémorables de Xénophon: «Aristippe essayait de confondre Socrate, comme celui-ci l’avait lui-même confondu naguère ; mais Socrate, voulant rendre service à ses disciples, ne répondit point en homme qui se tient sur ses gardes, et qui craint qu’on n’intervertisse ses paroles, mais comme un homme fortement convaincu qu’il remplit ses devoirs.» (livre III, chapitre 8, 1)

Aristippe n’a-t-il pas alors interverti les enseignements socratiques?

(11) Aristippe dit à Socrate: «Aussi, moi, pour n’en point passer par là, je ne m’enferme pas dans une cité, mais je suis étranger partout.» (livre II, chapitre 1, 13)

(12) Plutarque, De l’éducation des enfants, 7

(13) cf Lucien, Le Parasite, 33

«- Le parasite: «Que dis-tu d’Aristippe de Cyrène? N’est-ce pas, selon toi, un des philosophes les plus distingués?

- Tychiade: Assurément.

- Le parasite: Eh bien, vers la même époque, il vint demeurer à Syracuse et se fit le parasite de Denys. De tous ceux qui s’asseyaient à la table du tyran, Aristippe fut celui qu’il considéra le plus, à cause de sa supériorité dans cet art, où il surpassait tellement les autres, que Denys lui envoyait chaque jour ses cuisiniers, pour prendre de lui des leçons. Aussi me paraît-il avoir élevé notre art à la hauteur qu’il mérite.»

(14) Aristippe lui rend régulièrement visite à Corinthe. Ils passent ensemble deux mois tous les ans, lors des fêtes en l’honneur de Poséidon, à Egine.

Il l’entretient matériellement ; et au reproche de ses détracteurs, il leur dit: «Je donne beaucoup à Laïs afin que je puisse jouir d’elle et non pas pour que les autres n’en jouissent point.» (Athénée, les deipnosophistes, XIII 588c) cité dans Pierre Gouirand, Aristippe de Cyrène, le chien royal: une morale du plaisir et de la liberté, Maisonneuve & Larose, Paris, 2005, p.20.

(15) Pierre Gouirand, Aristippe de Cyrène, le chien royal: une morale du plaisir et de la liberté, Maisonneuve & Larose, Paris, 2005.

«Il fallait certainement beaucoup de diplomatie et de finesse pour survivre dans ces cours des cités grecques d’Occident. Les intrigues s’y mêlaient aux plaisirs et c’est ce monde étrange et difficile qu’allait connaître Aristippe lors de son séjour à la cour de Denys le Jeune.» (p.52)

(16) ibid.

«La tradition veut qu’il ait passé la dernière partie de sa vie avec ses disciples, à Cyrène où il avait créé son école» (p.29)

(17) Académie des sciences morales et politiques de France, «Mémoire sur Aristippe l’ancien et l’école de Cyrène», in Séances et travaux de l’Académie des sciences, volume 83, partie 1, Libraires A. Durand et Pedone Laurière, Paris, 1868, p.135.

(18) Pierre Gouirand, ibid, p.166.

(19) N.J. Schwartz, Manuel de l’histoire de la philosophie ancienne, Imprimerie de Felix Oudart, Liège, 1842.

«Par rapport au plaisir, Aristippe disait encore, qu’il ne faut se laisser subjuguer par la jouissance des sens. On reconnaît encore ici l’influence de la doctrine socratique concernant la tempérance. Il savait se plier à toutes les situations de la vie et à tous les événements ; c’est en cela que consistait, selon lui, la véritable rationalité.» (p.90)

(20) Socrate: « les choses sont belles et bonnes pour l’usage auquel elles conviennent; elles sont laides et mauvaises pour l’usage auquel elles ne conviennent pas.» (livre III, chapitre 8, 7)

(21) Pierre Gouirand, ibid p.17

(22) Socrate dira à Aristippe: «toi qui, dans quelque ville que tu arrives, es moindre que le dernier des citoyens ; toi qui te trouves enfin dans une situation où l’on est le plus exposé à l’injustice, tu t’imagines t’y soustraire, grâce à ta qualité d’étranger? Est-ce parce que les villes te garantissent publiquement la sûreté pour entrer et pour sortir, que tu as cette confiance? Ou bien crois-tu qu’un esclave de ton espèce ne serait utile à aucun maître?» (livre II, chapitre 1, 15)

(23) Socrate dira à Aristippe le Libyen: «— Et d’abord, parmi les peuples que nous connaissons, en Asie, les Perses commandent, les Syriens, les Phrygiens et les Lydiens obéissent ; en Europe, les Scythes commandent, les Méotes leur sont soumis ; en Libye, les Carthaginois gouvernent, les Libyens sont gouvernés. De ces peuples, lesquels crois-tu vivre le plus agréablement? Et chez les Grecs, parmi lesquels tu te trouves, quels sont ceux qui te paraissent mener la vie la plus agréable, ceux qui commandent ou ceux qui obéissent?» (livre II, chapitre 1, 10)

 

 

 

 

 

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