En
marge de la fête de la femme:
Par:
Meryam Demnati
La journée du 8
Mars est devenue officiellement “journée internationale des femmes”en Août
1910 à Copenhague. Plusieurs décennies après, la vision, le discours, et
les activités féministes ont évolué avec les femmes de toutes les sociétés;
mais l'objectif est demeuré le même: l'obtention par les femmes de leurs
droits légitimes. Pour la Femme Amazighe, cette journée est bien sûr une
occasion pour faire entendre sa voix au côté de ses soeurs de toutes les
races et de toutes les cultures... Mais c'est aussi un moment douloureux qui
nous permet de faire le point et de nous apercevoir que la condition de la
femme au Maroc n'a pas subi beaucoup de changement. Elle continue à être
victime d'injustices et de violences de la part d'une société qui est
particulièrement sexiste, où les hommes sont considérés comme supérieurs
aux femmes .La Moudawana (loi musulmane marocaine) est là pour consacrer l'inégalité
de l'homme et de la femme bien que paradoxalement, le Maroc a ratifié en 1993
la convention contre toutes les formes de discrimination à l'égard des
femmes. Mais cette discrimination juridique n'est que l'aspect visible de cet
Apartheid masculin. Si on fait l'état des lieux aujourd'hui, on s'aperçoit
que la femme marocaine n'est ni respectée ni considérée comme un être
humain à part entière. Elle se fait agresser tous les jours: verbalement,
physiquement, symboliquement, psychiquement, juridiquement..... La femme
Amazighe qui dans nos anciennes coutumes était respectée comme femme et épouse,
se retrouve aujourd'hui reléguée à un stade de “Mineure à vie”.....
Elle est devenue l'inférieure de l'homme, une sorte de demi-être humain.
Aujourd'hui comme hier, ici comme ailleurs (pays musulmans en particulier)
ceux qui ne parviennent pas à admettre la légitimité des femmes à
participer aux décisions à égalité avec les hommes, utilisent la violence
comme arme destinée à rendre toutes les femmes invisibles et muettes.
Bien que les femmes
ont investi la sphère publique jusque là réservée au Hommes (entreprises,
parlement, médias, milieux associatifs...), leur présence n'est cependant
pas encore perçue comme légitime. Quolibets, insultes à connotation
sexuelle, jugements morau, agressent les femmes quotidiennement. Toute femme
qui s'expose, qui s'affirme, court le risque d'être traitée de “pute” si
elle réussit. Toute femme visible est jugée sur son apparence et étiquetée.
Contrairement à ce
qu'on peut croire, l'urbanisation n'a pas toujours contribué à une amélioration
de la situation de
la femme, quelquefois on assiste à une véritable régression due à
plusieurs facteurs: perte de valeurs, éclatement des familles, intégrisme
religieux …
Dans la
tradition ancestrale Amazighe, les femmes ont toujours inspiré le plus grand
respect de la part de leurs collectivités. Elles participaient aux décisions
touchant la famille, les droits du patrimoine, et l'éducation. C'est à elles
qu'est toujours revenu le droit de préserver les traditions culturelles de
leurs peuples. Le travail des hommes et des femmes était nettement distinct,
mais toujours reconnu d'égale valeur et dans certaines régions du Maroc,
elles participaient activement aux décisions importantes prises par la
communauté. Dans l'histoire ancienne, les femmes Amazighes ont occupé une
place importante et ont été quelquefois à la tête de royaumes (Dihya dite
la Kahina, Itto de l'Atlas...) et sont encore la fierté de notre peuple .
Mais aujourd'hui,
ce qui fait la particularité de la femme Amazighe, c'est qu'elle est
doublement agressée: agressée dans sa féminité et agressée dans son
amazighité. Non seulement elle est femme, inférieure de l'homme, mais
amazighe, de culture dite”inférieure”. La culture Amazighe étant considérée
de fait par les Panarabistes au pouvoir comme une culture “primitive”, la
difficulté pour la femme amazighe est double. Non seulement il lui faudra
lutter pour arracher ses droits légitimes et matrimoniaux, mais il lui faudra
aussi en tant que principale gardienne et trésorière de la Culture Amazighe
lutter contre la culture dominante arabo-musulmane que le pouvoir en place
encourage (Arabisation à outrance, organisation d'une manifestation islamiste
anti-féministe en avril 2000).
D'autre part, les
femmes ne connaissent pas le peu de droits qu'elles ont et se retrouvent
souvent impuissantes face à toutes sortes d'agressions masculines. Avec leurs
enfants, elles sont les premières victimes de maladies infectieuses, leur
santé, plus particulièrement dans les zones rurales est terriblement menacée.
L'analphabétisme et l'ignorance sont le lot de la grande majorité
d'entre elles, ce qui défavorise leur intégration dans la société.
Lorsqu'enfin on les scolarise; elles se retrouvent face à deux langues étrangères
(L’arabe et le français)... ce qui entraîne la dévalorisation de leur
langue et culture et cause souvent la perte des valeurs autochtones face à
des valeurs importées du Moyen orient ou de l'occident. Face à cette
situation de double dominance (masculine et culturelle); comment faire pour
conquérir sa liberté sans pour cela rompre avec sa culture d'origine???? Il
s'agit d'engager un combat à la fois contre une domination masculine qui relègue
les femmes à un rang inférieur mais aussi de mener un combat contre la
domination culturelle arabo-islamique soutenue par le pouvoir en place.
Pour nous,
associations amazighes, la question féminine est au centre de nos préoccupations.
La femme est le pilier de la famille et de la société. Il faut agir pour sa
meilleure intégration dans le système moderne de développement économique,
culturel et social, tout en sauvegardant nos cultures et nos coutumes
amazighes. Mais pour y arriver, il nous faut tout d'abord sensibiliser et
informer la femme sur ses droits et ses devoirs. C'est une tâche difficile!
Difficile parce qu’il faut beaucoup d'énergie et de ténacité pour que la
femme amazighe soit reconnue comme citoyenne à part entière, une citoyenne
qui peut participer et influer sur les décisions qui concernent le groupe.
Réformer la
Moudawana ne changera rien à la situation dégradante que vivent les femmes
au Maroc. Il faut séparer l'état de la religion.
Aujourd'hui
c'est à nous femmes et hommes du 21ème siècle, agissant pour la liberté,
l'égalité, la justice et la tolérance de faire entendre nos voix et de
construire un état moderne et laïque. Il faut un ample travail de réflexion,
d'éducation et de prévention pour construire une société où nous pourrons
enfin retrouver notre dignité.
.Néanmoins,
l'homme doit prendre conscience d'une chose importante: tant que la femme est
marginalisée, la société dans son ensemble est en danger. Nombreux sont
ceux qui tiennent des discours avant-gardistes, mais qui dans leur
comportement quotidien reproduisent des attitudes de discrimination à l'égard
du sexe féminin. L'homme doit apprendre à respecter la femme et à la considérer
comme son égal; de ce fait il doit avant tout se débarrasser des préjugés
et des comportements phallocrates, indignes de notre peuple, Le respect mutuel
est une condition primordiale si nous aspirons à la construction d'une société
de droit, constituée de femmes et d'hommes libres et dotée de valeurs démocratiques
issues de notre grande civilisation Amazighe millénaire. . .
Meryam
Demnati, Comité national du Manifeste amazigh