Douze
soucis autour d’un mensonge
Par:
Hassan Banhakeia (Universités d’Oujda)
En réaction à la
lecture de l'article «Le Constat» d'Alain Bentolila, (professeur à la
Sorbonne, et expert international de la BMCE medersat.com) publié dans «Le
Matin du Sahara» du lundi 11 mars 2002, qui présente la problématique des
langues et de l'éducation au Maroc d'un point de vue très «pragmatique»,
diverses pensées sont à noter, de manière hâtive:
0-Vous constatez: «Le
problème linguistique est l'une des causes essentielles du dysfonctionnement du
système éducatif au Maroc.». Vous avez raison, mais là vous n'apportez rien
de génial ou de nouveau. Tout ce que vous avancez, on le sait déjà: on connaît
tout (les maux et les solutions) sur l'enseignement au Maroc. Que faire? Là,
vous essayez d'apporter des réponses, mais combien vos glissements seront
fréquents et irréversibles.
1 - Il s'agit là de
l'intervention d'un intellectuel qui se manifeste d'une part trop soucieux du
problème linguistique au Maroc, et d'autre part donneur de positions quant à
des choix politiques (ou historiques) pour en finir avec tamazight… Par conséquent,
toute prétention à rester distant et objectif ne colle pas! Des préjugés et
des intérêts partisans, là je vous cite, structurent de travers votre
article.
2 - Dans cet article,
on lit entre les lignes (ou bien sous les mots) cette idée occidentale si
ancienne (datant depuis plus de six siècles) qui défend la thèse suivante: le
développement dépend de l'efficacité à remplir des fonctions… Quelle
contribution théorique ou pratique véhicule votre «Constat»? Un constat d'échec
du projet-programme. Après le constat, l'expérience alternative, la solution
finale. Ce n'est pas aussi simpliste que ça, monsieur le professeur, l'éducation
au Maroc qui ne cesse d'entasser au jour le jour des erreurs fatidiques. Votre
constat ou vos propositions riment comme une réflexion peu soucieuse d'apporter
des solutions justes et cartésiennes.
3 - Qu'un linguiste
français ose dire: «écrire dans la langue maternelle qu'est l'amazigh en
utilisant la graphie arabe», cela me semble une position malséante, une sorte
de mensonge «intellecruelle». Pourquoi? Tout simplement, ce sont bien les pères
blancs européens, ensuite les colons français, enfin les chercheurs
amazighistes installés en France qui depuis plus de cent ans écrivent l'amazigh
par le biais des caractères universels. En revanche, s'il faut penser à
changer cet héritage oral en corps écrit, c'est à nous les Imazighen de
constater, de proposer et de concrétiser notre identité… Pourquoi ne pas écrire
tamazight en caractères universels? Est-ce là une peur implicite chez vous
d'outrepasser symboliquement le français au Maghreb? Et dans votre article, à
aucun moment vous ne parlez des caractères tifinagh qui vont parfaitement
(symboliquement) avec la langue amazighe, dans lesquels l'amazigh se retrouve...
4 -
Tamazight ne peut point être un corps nu, non plus un corps muni de
haillons ou habillé par les autres, c'est bien notre corps, et à nous de
l'habiller. C'est un corps vivant qui choisit ses vêtements et leur
accoutrement. Tamazight en a suffisamment de goût et de savoir-faire nécessaires,
et ses enfants aussi. Autrement dit, professeur, ne nous «montrez» pas comment
faire! Nous ne sommes plus des barbares, non
plus des berbères, nous sommes sans
doute des Imazighen. Point de paternalisme (synonyme de corruption)! A nous de
nous voir pour en faire les constats nécessaires!
5 - Monsieur, votre
appétit dépasse de loin votre connaissance en la matière. Maîtrisez-vous
parfaitement l'arabe pour donner des conseils pratiques à transcrire tamazight
en alphabet arabe? De même, vous osez parler au départ de l'écart entre
l'arabe dialectal et l'arabe classique, et à la fin de la possibilité
d'annuler cet écart. L'écart, c'est l'identité. Sachez-le! Réduire cet écart,
c'est altérer. Et vous dites aussi, je ne sais pas pourquoi, que l'arabe
classique est très efficace…!
6 - Altérer un
enfant! C'est ce que vous planifiez. Mater sa langue maternelle pour la
remplacer par autre chose. Tous les manuels de pédagogie et de didactique
insistent sur l'importance de la langue maternelle dans l'apprentissage… Là,
vu votre grandissime formation de didacticien
et de pédagogue, vous connaissez plus que quiconque… Et je vous
remercie de votre constat systématique: «1.-Utiliser la langue amazighe pour
communiquer en classe avec ces enfants»; 2.-apprendre à lire et écrire dans
l'amazighe en utilisant la graphie arabe» (durant deux ans!); «3.-apprendre à
maîtriser l'arabe afin de s'engager sans rupture dans la lecture et l'écriture».
Rupture! Rupture? Rompre l'être amazigh pour en faire autre chose. Pas autre
personne car on ne peut jamais être deux personnes… Votre constat, c'est schématiser
méticuleusement l'aliénation.
7- Car votre premier
souci FLE (Français langue étrangère) peut être de quelque chose dans cette
réflexion déplacée. Vous concevez l'Amazigh en tant que langue étrangère
dans son propre terroir. Au Maghreb, ce serait une honte (pire qu'un mensonge)
de parler d'ALE (Amazigh langue étrangère). Là, vous tracez par ce constat,
un autre maillon de «l'istinas» made abroad.
8 - Votre article est
triste, voire dysphorique. De la peine tisse votre programme d'éducation,
initiative de la pauvre Pénélope, l'échec vous attend. Encore, quand vous
vous référez aux enfants (ruraux), vous en parlez comme s'ils étaient des
analphabètes, d'éternels misérables (économiquement oui, mais culturellement
ou linguistiquement, non). Ils ne souffrent point de cette insécurité
linguistique ou culturelle que vous définissez à tort et à travers, c'est-à-dire
idéologiquement. Et en un ton neutre, aphorique, vous dites: «On ne peut tolérer
qu'un système éducatif produise, en milieu rural, des cohortes d'analphabètes
». Ces «petits berbères», ne l'oubliez pas, sont des victimes… point des
analphabètes. Là, y a une grande différence. L'analphabète, c'est bien cet
individu qui n'arrive pas à se définir, à découvrir son contexte, à lire
les paysages qui l'entourent…
9 - L'objectivité et
la sérénité dont vous parlez, se manifestent dans votre article en «démagogie»
et «arrière-pensée». L'intérêt de l'enfant dont vous parlez, c'est bien
une certaine instrumentalisation ciblée. Cet enfant rural (amazigh) doit «parler
juste, lire juste et écrire». Voilà un rêve: juste c'est être soi-même.
Parler, lire et écrire ce qu'une mère ou un père disent, voilà une illusion
première…Pardon, je vous interprète mal, vous voulez dire: parler, lire et
écrire comme les autres… Là, monsieur le professeur, vous prônez la
destruction de l'enfant, et jamais la construction naturelle d'un homme à
partir d'un enfant…
10 - Quand un élève
marocain commet des fautes en langue arabe, félicitez-le! Ce n'est pas si
grave: d'une part l'arabe classique est, de l'avis de tous les grammairiens
arabes, une langue difficilissime, et d'autre part l'enfant n'a pas oublié son
identité millénaire. Et quand un étudiant marocain ne maîtrise pas la langue
française. Pas grave. N'en faites pas un drame, monsieur! L'étudiant (bien
qu'il réussisse sa carrière universitaire, devienne écrivain…), il ne sera
pas vu comme français, mais un simple francophone.
11-Certes, à
constater votre souci constant: maîtriser convenablement le français ou non!
Votre souci de laisser toujours le Maroc dans un Protectorat linguistique est
constant: «le poids du français dans la société marocaine reste encore inégalé.»
No comment.
12 - Enfin, dommage!
Très dommage. Quand il était question de l'arabe ou du français, c'est un
esprit «de respect» qui égoutte de votre plume, mais quand vous parlez de l'Amazigh,
c'est bien le «mépris» ou mieux encore «la méprise». Là, le destinataire
est, en fin de compte, personne. Personne. Et personne ne peut dorénavant vous
croire!
En guise de
conclusion «innécessaire», de l'article scientifique, vous en avez fait un
produit à vendre.
Finalement, je préfère
vous poser une question, question qu'il fallait poser à Don Quichotte: «Est-ce
que vous êtes capable de voir en face votre erreur, en remontant l'Histoire à
rebours?»
H. Banhakeia, Ayt Nsar, (Nador) 11 mars 2002