Azul, Sakkou, le poète rebelle

Par: Hha Oudadess (Rabat)

Je t’ai connu, étant un petit enfant. Tu étais déjà bel et bien adulte. De cette période, je garde l’image d’un ouvrier forestier. Tu n’y voyais déjà pas bien. Tu trébuchais souvent et avais des ecchymoses et blessures partout. Mais tu travaillais. Tu poussais des troncs, portais des sacs, creusais à la pioche, maniais la pelle, etc. Cela devait être très dur. Et pourtant, les jours de repos, rasé et proprement habillé, tu animais la discussion en cherchant toujours la plaisanterie.

Je découvris plus tard –une vingtaine d’années environ- que tu étais poète. Et j’ai eu heureusement l’occasion de t’écouter. Les vers étaient clairement clamés ou chantés de ta voix forte et franche. Entre tes mains, Allun dansait et menait l’auditeur envoûté à une transe suprême et apaisante. Tu connaissais toutes les ficelles de ton art; et tu ne rechignais pas à en parles ni à les illustrer. En outre, les conditions matérielles ne t’ont jamais préoccupé. Tu étais égal à toi-même auprès du riche comme du pauvre.

Ton approche est toujours d’abord retords. Tu commences par la bande, par des insinuations et des non-dits. C’est ta manière de tester l’éveil, la profondeur et les intentions de l’interlocuteur. Mais quelle générosité quand ta confiance est acquise. Ton attitude devient celle du maître bienveillant vis-à-vis de l’élève désireux d’apprendre.

Tu en avais de bien bonnes. Tu te lançais dans des aventures périlleuses. Une façon à toi de mettre du sel dans ta vie. J’en ai tant oubliées. En voici quelques unes bien légères. N’as-tu pas sillonné, avec témérité, en y voyant à peine, les rues et les boulevards de villes qui t’étaient inconnues. N’es-tu pas rentré à la synagogue d’Igwelmimen (Goulmima). Tu en es ressortis plein de bleus à cause des innombrables pincements subis à titre de punition. Car évidemment, même averti –tu maîtrisais le parler des juifs d’Igwelmimen-, tu ne connaissais pas tous les rites; et tu as été débusqué. Et cette masure qui s’effondra sur elle-même juste au moment où vous la quittiez, toi et tes acolytes, au petit matin, après force ripailles, bombance et isebsiyen (pipes). Et encore et encore.

Tes joutes avec Ouâesta, Oulbaz, Oumehfod et d’autres sont dans bien des mémoires. Tu as eu la grande amabilité de m’en rapporter des extraits. Et ton poème codé? En fait deux poèmes imbriqués, les vers se suivant, un de chaque. Le premier récité en public est une fable où de nombreux animaux jouent des rôles encore plus déroutants que chez Lafontaine. Alors qu’il s’agit, en fait, d’une critique détaillée, bien documentée et acerbe de l’Etat. Les acteurs sont démasqués dans le deuxième poème auquel n’ont droit que quelques élus selon ton bon plaisir.

Ta philosophie a quelque chose du zen. Tu ne semblais pas accorder de l’importance aux péripéties de l’existence. Quand des événements graves survenaient, tu trouvais toujours le moyen d’en rire. Est-ce cette attitude qui t’a permis de tenir tête aux autorités au plus fort des années de plomb? Tu as fini par tes réparties, par tes arguments déstabilisants, par ta rhétorique amazighe à les inquiéter au point qu’elles n’osaient plus se frotter à toi; elles préféraient que tu restes à distance.

Avec ta longue vie, tu as eu le temps de bien t’amuser. Salut, le poète rebelle.


 

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