la religion de Tertullien ou L’Expérience de l’Aliénation et de l’Absurde (5ème est dernière partie)

Par: Hassan Banhakeia (Université de Nador)

Que dira-t-il des guerres puniques emmenées par les Carthaginois contre les Romains? S’il y a éclatement d’une première guerre d’affranchissement, c’est celle des Phéniciens (dits Carthaginois, pas Nord africains ni Imazighen) et des Romains (à comparer aux Arabes et aux colons européens, guerres d’indépendance)… Les héros sont bien Hannon, Hamilcar, Hannibal et d’autres chefs militaries aureoles. Mais, qu’en est-il des cavaliers amazighs, dits mercenaires sur leur propre terre? D’ailleurs, quand Hannibal part en guerre contre les Romains, ses victoires sont multiples. Une fois dans les environs de Rome, le chef commence une autre guerre. Ses armées nord africaines soumises par les chefs phéniciens s’entretuent. Le même fait va se passer, une dizaine de siècles après, lors de l’invasion de la Péninsule ibérique: l’insurrection des Imazighen humiliés par les chefs orientaux... C’est bien, à chaque fois, l’élément étranger qui absorbe et surdétermine l’élément indigène!

Ses références aux guerres puniques sont importantes à lire: tant de traits précisent sa position politique: «S’ils le contestent, qu’ils se souviennent qu’Enée abandonna ses compagnons, pendant que sa patrie était en flammes, mille fois au-dessous de cette Carthaginoise qui, loin d’accompagner Asdrubal, son époux, dont la pusillanimité demandait grâce à l’ennemi avec des paroles bien dignes d’Enée, prit ses enfants, non pour traîner avec soi des simulacres religieux et son père, mais pour se précipiter avec eux dans les flammes de Carthage, afin d’embrasser une dernière fois sa patrie mourante.» (Aux Nations, IX) Carthage continue à être une patrie mourante. Seulement, il demeure que l’entreprise de se référer à l’histoire nord africaine a tout son intérêt dans la mesure de démontrer que le local ne peut mener vers le meilleur (symbolique, métaphysique, spirituel)…

En bon Chrétien, il va jusqu’à théoriser sur les pénétrations militaires. Il décrit les peuples, précise leur identité et compare entre eux: «Ainsi le Germain n’a pas encore permis à l’étranger de franchir ses barrières. Le Breton est retranché derrière l’Océan qui l’environne. L’impatience du Maure, et la barbarie du Gétule est tenue en échec par les Romains, pour la contenir dans ses limites.» (Contre les Juifs, VII) Les Germains sont de bons résistants aux Romains, les Bretons sont isolés. Que dit-il alors des nord-africains (Gétules, Maures)? Ils sont impatients, sauvagement fragiles, faibles dans leur affrontement aux Romains. Par anticipation, à toute autre conquête… L’auteur amazigh a une conscience historique extraordinaire de l’époque, digne d’un politique invétéré. Mais, il ne nous dit rien à propos des tribus maures qui choisissent l’infranchissable désert et les hautes montagnes pour éviter tout contact avec l’Aliénation.

Son Afrique apparaît fondre progressivement non seulement dans le corps des Conquérants, mais aussi dans l’héritage catholique. La foi de Jésus, selon Tertullien, est éternelle et omniprésente, et l’étude qu’il en fait est à relier à la réalité politique de l’époque: «En quel autre ont cru les nations, (…) cette partie de Libye qui est près de Cyrène, et les étrangers venus de Rome?» En qui ont cru les Juifs qui habitaient Jérusalem et les autres nations, telles que les différentes races des Gétules, les frontières multipliées des Maures, les dernières limites des Espagnes, les nations des Gaules, les retraites des Bretons, inaccessibles aux Romains, mais subjuguées par le Christ; les Sarmates, les Dacés, les Germains, les Scythes, tant de nations cachées, tant de provinces, tant d’îles qui nous sont inconnues» et que par conséquent il nous serait impossible d’énumérer?» (Contre les Juifs, VII) En bon géographe et historien, il va citer les peuples et les nations qui ne peuvent que croire en Jésus. L’énumération de ces peuples de l’Afrique du nord et de l’Europe est impossible. Seulement, il va beaucoup insister sur Tamazgha, en se référant à diverses tribuss et à d’autres groupes demeurés inconnus.

Force est de noter chez l’auteur une certaine conscience de l’africanité; il songe de l’île mystérieuse Atlantides: «On cherche encore dans la mer Atlantique une île qui égalait en grandeur la Libye ou l’Asie. (…) Plaise au Ciel encore que l’Afrique n’ait eu à trembler qu’une seule fois devant ces gouffres soudains, et que ses crimes soient suffisamment expiés par ce camp qui se déroba sous ses pas!» (Du Manteau, II) Il précise l’extension du continent «perdu». Ne serait-elle, en fin de compte, cette «île» tout simplement les Amériques de 1492? Le mythe de l’Atlantide est évidemment tourné en dérision: l’auteur imagine d’autres circonstances tragiques mais capables de sauver l’Afrique. Cette partie du monde est enfin appelée à expier!

L’auteur établit également des descriptions générales de l’Afrique, surtout de ses festivals et de ses jeux: «Avec quel empressement nos cités célèbrent ses combats et ces joutes solennelles que la superstition, soutenue par le goût du plaisir, inventa autrefois chez les Grecs; l’Afrique elle-même peut l’attester. Toutes les villes troublent encore de leurs applaudissements Carthage, gratifiée naguère des jeux pythiques, dans la vieillesse du stade.» (Le Scorpiaque, VI) Ensuite, l’auteur va longuement décrire la psychologie de l’athlète, le vainqueur et le vaincu, les spectateurs et les joueurs… Les spectacles en Afrique sont fort connus pour leur attachement au païen. De là, les textes catholiques vont les condamner vivement.

Dans la réflexion d’un aliéné, toute vision religieuse est prédéterminée par l’historique, le politique, l’idéologique. Précisément, avec Tertullien, l’héritage philosophique est d’une grande influence: «Tertullian’s position was a middle way between materialism and standard dualism. He might be taken to have conceived of the soul as not fully but partially material. In this sense, it might not, perhaps, be out of place to speculate on the possibility of an unconscious indigenous African influence on his thinking, since such conceptions are basic to a lot of African ontologies.» (43) A cette influence il faut ajouter l’effet de la culture maternelle, nord-africaine, par rapport à laquelle Tertullien va ébaucher des discussions. L’univers du paganus est, en définitive, à remodeler et à déconstruire pour le faire «chrétien».

VII.- En quête de voies antinomiques

Le Christianisme, universel et contre-païen, de Tertullien aboutit à la négation de soi: discourir sur l’africanité serait porter des jugements vains, et faire l’apologie de tout ce qui y est opposé ou exogène. En fait, sa philosophie cherche à forger l’antinomique «cohérent» qui paraît développer des traits du non-sens.

En revanche, l’on ose parler dans le cas de Tertullien d’erreurs dans sa conception du christianisme. Quelle est l’origine de ces erreurs? Il mène si longuement des luttes contre les sectes dissidentes jusqu’à faire partie de la secte montaniste: «les causes morales achèvent d’expliquer les erreurs de l’intelligence. Tertullien, devenu montaniste, a cessé de comprendre que le génie lui-même ne saurait se passer de règle, et que la science a besoin d’une direction supérieure qui l’empêche de s’égarer. Illusion fatale! Loin de s’affaiblir ou de s’abaisser en se soumettant à une autorité qui n’est autre que celle de Dieu, l’homme trouve au contraire dans cette obéissance légitime son élévation et sa force.» (44) En dédaignant, le «rude» et le «simple», le philosophe catholique va développer des réflexions qui vont à l’encontre du propre. Il fait de l’altérité une tentative de définition de soi. Etre autre est un acte de violence contre soi. A ce moment, ses fréquents détours vont-ils signifier la construction de voies antinomiques? Quelle morale peut apporter un étranger si ce n’est l’outrage à la locale? Son montanisme, par la suite, ne serait-il pas un retour raté? D’exil d’idées en exil intellectuel, il développe des thèses difficiles à saisir.

Il est contre les philosophes, contre les rationalistes. L’évidence de l’ordre du monde mène à connaître Dieu. Il quête la discipline ecclésiastique, la plus rigoureuse possible. Il cherche une voie dans laquelle il puisse trouver le salut de son univers propre, mais il s’agit d’un univers absurde. L’ancien monde (le propre) est foncièrement idolâtrie pour la conscience chrétienne. Effectivement, déjà dans Traité de l’idolâtrie, il va dévier vers un rigorisme incomparable qui va l’entraîner au montanisme et à l’hérésie. A titre d’illustration il condamne les chrétiens qui entretiennent encore des rapports d’amitié ou socioéconomiques avec les païens.

L’auteur apportera de nouvelles acceptions au verbe «croire», soubassement de l’édifice chrétien: «quelle différence y a-t-il entre les uns et les autres, si ce n’est que les païens croient en ne croyant pas, et qu’au contraire les hérétiques ne croient pas en croyant?» (De la Chair de Jésus-Christ, XV) Croire est vain. Cette vanité détermine le discours lui-même. L’exercice de foi des hérétiques et des païens devient absurde en soi. Ses réflexions, se hissant sur des phrases qui parfois prêtent à l’équivoque, vont l’approcher plus de l’hérésie aux yeux des catholiques romains. «La contradiction l’irrite et le fait sortir des bornes de la sagesse: alors il ne voit plus que l’objection qu’il a devant lui, et dans l’ardeur qu’il met à réfuter la thèse de ses adversaires, il exagère la sienne.» (45) Son style est dit rude, obscur, concis, muni d’une syntaxe particulière et de constructions vicieuses, cela est à rattacher à sa culture et langue maternelles. Cela renforce sa vision «antinomique», fruit de l’expérience de l’aliénation. Citons Ernest Renan: «Le style de Tertullien a souvent quelque chose de tourmenté et de bizarre, c’est qu’il lutte contre une langue païenne, qui se montre rebelle aux idées qu’il veut lui faire rendre. Pour la dompter, il la met en pièces, sauf à la recomposer sur de nouvelles bases; ou bien il la jette dans le moule de sa forte imagination, d’où elle sort tantôt avec des formes régulières, tantôt étrangement défigurée. (…) La langue de Tertullien sera donc une langue en laquelle, à côté d’une hardiesse d’invention rare, il restera de l’embarras, du tâtonnement: langue dure, incorrecte, chargée d’hyperboles et d’antithèses, mais admirable de concision et de richesse, là où l’abondance ne devient pas de l’enflure et où a brièveté du style ne dégénère pas en obscurité» (46) Ainsi, le christianisme de l’écrivain africain est un solide ferment préparé à partir d’une lange sans forme fixe et d’idées hétérodoxes, mais combien corrosif pour le propre.

La réflexion de Tertullien, profondément absurde, partant d’un paganisme fort, va le conduire à connaître la déception en embrassant la religion en vogue. Il n’y retrouvera pas ses ambitions, non plus ses attentes. Ses idées, naguère acceptées par les catholiques, vont être réfutées au moment de prendre plus d’ampleur et de profondeur –en un retour vers l’identitaire et le collectif propre. Seulement, son retour à soi va être tardif, et mal compris par les autres qui vont le taxer d’hérétique – qui dans le temps il a bien attaqué et critiqué. Ses anxiétés, tout comme son sentiment de culpabilité, vont se déclarer vision «antinomique» de l’univers, notamment de la nouvelle chrétienté.

Là, il est de citer sa foi dans tout ce qui est variation: «Le monde tout entier est donc soumis au changement, puisqu’il se compose de dissonances et se renouvelle par la variété.» (Du Manteau, II) N’est-il là une déclaration de sa propre vision du monde: l’univers est continûment changeant? Il apparaît en définitive que, loin de relier ‘pacifiquement’ les humains, les religions les désunissent. Ce sont bien les langues qui les unissent: le contre Babylone en est la preuve… «chaque semence a sa forme distinctive et ses développements divers; que les unes parviennent à maturité; que les autres répondent encore mieux à la culture, tandis que celles-là dégénèrent d’après les conditions du climat et du sol, en vertu des travaux et des soins, suivant les vicissitudes des saisons, enfin par tous les événements qui peuvent survenir: de même il est permis de croire que l’âme, uniforme dans sa semence, est multiforme dans sa reproduction. Car ici, les lieux ne sont pas indifférents.» (De l’Ame, XX) Le local a tout son poids, toute son importance dans la nature. Tout est voué au changement. Pour mettre les Imazighen dan une culture développée, il faut détruire le rituel propre. D’où la ferveur pour le religieux, signe d’affranchissement et de développement. Actuellement, tant de ferveur pour le religieux en Afrique du nord s’explique par le passage et la présence mémorable et continue des trois monothéismes, cela nous vient de loin, de très loin. Cette confusion entre paganisme et identité dans la tête de nos intellectuels, jeunes et étudiants est très lointaine dans notre mémoire collective, et la persécution du propre traverse également les siècles, et s’avère nécessité logique et conséquente pour l’Africain afin de plaire aux autres. Et le rachat devient utile et approprié…

Tertullien, pour terminer cette étude, peut être considéré comme le révolté inlassable en quête de rachat et d’idéaux, et non pas l’auteur d’erreurs selon la vision pontificale. Il prie un dieu autre, loin de l’espace propre et de l’espace d’aliénation, un dieu «à faire», celui qu’il arrive à pressentir mais point à connaître. (H. Banhakeia)

NOTES

(1) D’après des traités sur les lettres antiques, la littérature chrétienne se divise généralement en quatre groupes distincts sur le plan formel et thématique: dogmatique, polémique, apologétique et poétique.

(2) Au IIIe siècle, il n’y a pas de grands écrivains païens en latin. Mais, on peut citer quelques-uns: Mario Maximo, un érudit qui écrit Vies des Empereurs, Serene Samonico auteur d’un essai Res Reconditae et son fils Quint Serene qui écrit un poème de plus de 1100 hexamètres à propos de recettes médicinales.

Le premier auteur chrétien est Sexto Julio Africano qui compose une Chronologie de cinq livres.

(3) cf. L’Apologétique, édition classique par E.M. Gaucher, Imprimerie des Orphelins-Apprentis, Paris: 1898, p.10.

(4) D.A. Masolo, “African Philosophers in the Greco-Roman Era”, in Kwasi Wiredu (edit.) A Companion to African Philosophy, Blackwell Publishing, Oxford: 2004.

Ces œuvres sont à diviser en trois catégories:

Première catégorie: Apologeticum (L’Apologétique), Ad nationes (Aux Nations), Adversus Judaeos (Contre les Juifs), De testimonio animae (Du Témoignage de l’Ame), Ad Scapulam (A Scapula - Proconsul d’Afrique), De carne Christi (Sur la Chair de Jésus-Christ), De resurrectione carnis (De la Résurrection de la Chair), De praescriptione haereticorum (La prescription des hérétiques), Scorplace (Le Scorpiaque), De anima (De l’Ame);

Deuxième catégorie: De verginibus velandis (Du Voile des Vierges), Ad martyras (Aux Martyrs), De oratione (De l’Oraison dominicale), De paenitentia (De la Pénitence), De patientia (De la patience), De monogamia (De la Monogamie);

Troisième catégorie: Adversus Praxean (Contre Praxeas ou sur la Trinité)

(5) Monseigneur Freppel, Les pères de l’Eglise des trois premiers siècles, Victor Retaux et fils, libraires-éditeurs, Paris: 1894, p.142.

(6) D.A. Masolo, op.cit., p.57.

(7) Monseigneur Freppel, op.cit.,

«Poètes, historiens, grammairiens, rhétorique et jurisprudence, médecine et philosophie, rien ne lui est étranger: il a tout lu, tout étudié, tout approfondi. Les détails manquent pour pouvoir décider si Tertullien a réellement exercé la profession d’avocat avant sa conversion.» (p.147)

(8) D.A. Masolo, op.cit., p.57.

(9) R S Sugirtharajah, The Bible and the Third World, Colonial and Postcolonial Encounters, Cambridge University Press, 2001.

«The version Augustine used was the Latin version of the Alexandrian LXX, employed also by Tertullian and Cyprian, ‘which was notoriously unclassical, and even ungrammatical in its language’. In North Africa, Latin and not Greek was the official language. Though there were indigenous languages, Latin was the language of administration and culture and cultivated by the educated lay people of the time.» (pp.31-32)

(10) H. Berthaut & Ch. Georgin, Histoire illustrée de la littérature latine, A. Hatier éditeur, 1947, p.448.

(11) L. Russ Bush, Classical Readings in Christian Apologetics, A.D. 100-1800, 1983, edit. Zondervan, p.83.

(12) Monseigneur Freppel, op.cit., p.174.

(13) Mithra est un dieu de la Perse, maître des troupeaux de bœufs. Il est un dieu solaire, et c’est lui qui va sauver l’humanité à la fin du monde. Ses adeptes sont nombreux en Afrique du nord. Ce culte est particulier car il se base sur l’initiation à sept degrés d’initiation, surtout parmi les soldats.

(14) David Rankin, Tertullian and the Church, Cambridge University Press, 1995, p.1

(15) D.A. Masolo, op.cit., p.57

(16) Le montanisme est un mouvement chrétien hétérodoxe du IIe siècle en Phrygie (Turquie). Son fondateur est le prophète Montanus dont la doctrine est ascétique et désespérante. Il se dit le Paraclet promis par Jésus, l’Esprit de la vérité.

Cette secte refuse la hiérarchie ecclésiastique et interpelle les fidèles au martyr. Ses discours religieux se veulent des extases prophétiques. La parole n’est pas la sienne, mais celle du Paraclet.

Son apogée est à Carthage du IIIe siècle avec Tertullien, et sa disparition est datée au IVe siècle avec saint Augustin.

Tertullien, en tant que penseur montaniste, adopte plusieurs positions hérétiques. Par exemple, le baptême est à ajourner pour les enfants car ils sont incapables de comprendre sa portée et aux adultes non mariés. Il défend également la naissance virginale de Jésus. En fin exégète, il essaye de prouver que Marie est éternellement vierge.

(17) L. Russ Bush, Classical Readings in Christian Apologetics, A.D. 100-1800, edit. Zondervan, 1983.

«The writings of Tertullian do contain several indications of Montanist teaching. For example, on the authority of this “new prophecy” Tertullian calls for long fasts and for refraining from any second marriages. He sometimes exalts martyrdom by teaching Christians not to avoid persecution.» (p.84)

(18) Gustave Flaubert révèle dans ses lettres son intérêt pour l’univers phénicien. Il écrira en réaction à une critique de son Salammbo:

«puisque vous faites de Tanit la déesse de la guerre et non de l’amour, de l’élément femelle, humide, fécond, en dépit de Tertullien, et de ce nom même de Tiratha, dont vous rencontrez l’explication peu décente, mais claire, dans movers, phenic, livre 1er, page 574.» (Correspondance de Gustave Flaubert, (1863), p.82)

(19) Des Esseintes, le protagoniste du roman décadent A Rebours, compose une bibliothèque d’auteurs de la décadence latine où il insère Tertullien.

Nous lisons: «Cet Africain le réjouissait; la langue latine battait le plein dans ses Métamorphoses; elle roulait des limons, des eaux variées, accourues de toutes les provinces, et toutes se mêlaient, se confondaient en une teinte bizarre, exotique, presque neuve; des maniérismes, des détails nouveaux de la société latine trouvaient à se mouler en des néologismes créés pour les besoins de la conversation, dans un coin romain de l’Afrique; puis sa jovialité d’homme évidemment gras, son exubérance méridionale amusaient. Il apparaissait ainsi qu’un salace et gai compère à côté des apologistes chrétiens qui vivaient, au même siècle, le soporifique Minucius Félix, un pseudo-classique, écoulant dans son Octavius les émulsines encore épaissies de Cicéron, voire même Tertullien qu’il conservait peut-être plus pour son édition de Alde, que pour son oeuvre même.

Bien qu’il fût assez ferré sur la théologie, les disputes des montanistes contre l’Église catholique, les polémiques contre la gnose, le laissaient froid; aussi, et malgré la curiosité du style de Tertullien, un style concis, plein d’amphibologies, reposé sur des participes, heurté par des oppositions, hérissé de jeux de mots et de pointes, bariolé de vocables triés dans la science juridique et dans la langue des Pères de l’Église grecque, il n’ouvrait plus guère l’Apologétique et le Traité de la Patience et, tout au plus, lisait-il quelques pages du De cultu feminarum où Tertullien objurgue les femmes de ne pas se parer de bijoux et d’étoffes précieuses, et leur défend l’usage des cosmétiques parce qu’ils essayent de corriger la nature et de l’embellir.

Ces idées, diamétralement opposées aux siennes, le faisaient sourire; puis le rôle joué par Tertullien, dans son évêché de Carthage, lui semblait suggestif en rêveries douces; plus que ses oeuvres, en réalité l’homme l’attirait.» (Huysmans, A Rebours, p.88)

(20) Ernest Renan, Marc Aurèle ou la fin du monde antique, p.239

(21) Monseigneur Freppel, op.cit.

«Partant de l’idée de prescription dans le droit romain, qui mettait à l’abri de toute revendication quiconque possédait une propriété pendant un laps de temps déterminé par la loi, Tertullien transporte ce procédé juridique sur le terrain de la théologie. Il montre que les hérétiques ne sont pas même recevables à disputer sur les Ecritures, parce que l’Eglise, apostolique quant à son origine et quant à son enseignement, est en possession de la vraie doctrine du Christ.» (p.172)

(22) Les mots de Tertullien sont: «credible est, quia ineptum est» (c’est une chose que je trouve croyable, parce qu’elle résiste au sens humain.» De tels propos sont énoncés sur la mort du «Fils de Dieu». (De la chair de Jésus-Christ, V)

(23) Ernest Renan, op.cit., p.82.

(24) C’est à saint Augustin que revient l’honneur ou le rôle de vouer aux gémonies son compatriote. Il le qualifie d’hérétique. Il juge négativement l’héritage chrétien de Tertullien.

«Tertullien a eu le mérite de tracer les linéaments de cette vaste synthèse que saint Augustin a construite et léguée aux théologiens du moyen âge, et il était réservé à l’évêque d’Hippone d’effacer jusqu’au dernier vestige les erreurs du prêtre de Carthage. Il y a dans la destinée de ces deux hommes, à la fois si rapprochés et si séparés l’un de l’autre, un grand contraste et une haute leçon.» (Monseigneur Freppel, Les pères de l’Eglise des trois premiers siècles, Victor Retaux et fils, libraires-éditeurs, Paris: 1894, p.181)

(25) Le marcionisme est contemporain du montanisme. Ce mouvement est fondé en Orient par Marcion du Pont ou de Sinope (115-168) qui ne se veut pas un prophète. On le qualifie du premier-né de Satan. Ses idées sont en vogue lors de la première moitié du II e siècle.

Cette secte rejette l’Ancien Testament, et ne reconnaît que l’Evangile selon Luc, les Actes des Apôtres et dix épîtres de Paul (la Bible marcionique). Elle ne vénère pas la croix, symbole du supplice. Elle ne reconnaît pas la double nature du Christ. En outre, les femmes occupent certains offices: en Christ il n’y a ni femelle ni mâle. Les marcionistes baptisent les morts, et jeûnent le samedi en signe d’hostilité au dieu juif.

Le marcionisme perd de sa force en Afrique du nord au III e siècle, mais il reste influent en Orient.

(26) Monseigneur Freppel, op.cit., pp.171-172.

(27) La vie de Tertullien peut se résumer à trois étapes différentes:

- étape de païen;

- étape de chrétien orthodoxe;

- étape de libre penseur.

(28) René Basset, «Recherches sur la religion des Berbères» in L’Histoire des Religions, Ernest Leroux éditeur, Paris: 1910.

(29) Monseigneur Freppel, op.cit., p.176.

(30) T.M. Finn, “Quodvulteus”, in Studia Patristica, vol. XXXI – Preaching – Second Century – Tertullian to Arnobius – Egypt, E.A. Livingstone (éditeur), Peeters Publishers, 1997.

(31) saint Augustin, lettre CLXXXV, année 417.

(32) Michael Brett, The Berbers, Blackwell Publishing, Oxford: 1997, p.35.

(33) Nous avons comme illustration: «musique, vers, instruments et lyre, tout cela est sous la garde des Apollon, des Muses, des Minerve, des Mercure. Disciple de Jésus-Christ, ne riras-tu point des frivolités dont tu ne peux t’empêcher de haïr les inventeurs?» (Contre les spectacles, X)

(34) Homère, L’Odyssée, Garnier-Flammarion, Paris:1965, p.80.

(35) Monseigneur Freppel, op.cit., p.160

(36) Patricia Cox Miller, Dream in Late Antiquity- Studies in the imagination of a Culture, Princeton University Press, 1997.

«Among those who gave sustained theoretical attention to the joint involvement of god and soul in dreaming –that is to say, among those who situated dreaming in theological psychology – were Tertullian of Carthage, in the early third century, and Synesius of Cyrene, in the early fifth. Because they offered particularly elegant statements of the intertwining of the two positions, their theories merit exploration in some detail.» (p.66)

(37) ibid, p.69.

(38) Monseigneur Freppel op.cit., p.148

(39) Hassan Banhakeia, «Du complexe au mythe: Déconstruction de l’image politique d’Uqba ibn Nafiaa», Tawiza n° 94, février 2005.

(40) Lors du sacrifice, les gens apprécient fort bien le jeu de la bagarre des moutons. Les animaux se heurtent de la tête. Ainsi, l’animal qui a de longues cornes est davantage prisé, et son sacrifice devient plus important.

(41) Ernest Renan, op.cit., p.143.

(42) G.R. Evans, First Christian Theologians, Blackwell Publishing, Oxford: 2004, p.143.

(43) D.A. Masolo, op.cit., p.58.

(44) Monseigneur Freppel, op.cit., p.180

(45) ibid., p.161

(46) ibid., p.175.


 

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